Bande originale

 

Un roman de Rob Sheffield

C’était au temps où le CD n’avait pas entamé son règne éphémère, quand employer le terme « numérique » vous faisait ipso-facto passer pour un polytechnicien. Pour conserver et surtout échanger et diffuser la musique, on ne téléchargeait pas, on copiait les disques vinyles sur un petit objet rectangulaire abritant une bande magnétique sur laquelle on pouvait archiver le meilleur de nos penchants musicaux pour se les passer ensuite sur toutes sortes de supports plus ou moins sophistiqués, du magnétophone mono au son pourave jusqu’à la chaine Hi-Fi en passant bien sûr par l’autoradio.
Ces petites anthologies portables, ces fragments de Panthéons musicaux, sont l’argument principal du roman de Rob Sheffield. Détaillées par le menu en exergue de chaque chapitre, elles illustrent les étapes de la courte vie de couple des deux protagonistes. Courte car Renée est décédée et a laissé le narrateur seul avec sa peine et le vide abyssal de son absence.
De cette union brève et intense, il ne lui reste que ses souvenirs qu’il égrène au fil des chapitres, de minces tranches de vie ponctuées de musique, comme une bande-son accompagnant chaque scène de leur histoire. Il faisait régulièrement des cassettes, au gré de l’humeur du moment, avec l’application et la manie d’un collectionneur insatiable. Et ces petites compilations personnelles et uniques étaient comme autant de liens qui renforçaient l’amour entre ces deux jeunes adultes un peu marginaux, du moins au regard du standard américain. Une relation forte et exclusive dont il ne subsiste comme preuve tangible que ces petits rectangles de plastique.
Hormis le thème de l’amour perdu et de la souffrance du deuil auquel j’avoue avoir eu du mal à adhérer jusqu’à la fin du récit, c’est bien dans l’évocation quasi encyclopédique de tout un pan de l’histoire du Rock américain, spécialement le courant indépendant, que réside l’intérêt majeur du livre. Rob Sheffield, en journaliste de Rock chevronné, présente un foisonnement de références (dont je confesse en ignorer beaucoup). Surtout, il illustre parfaitement à quel point, pour un fan, la musique peut être un élément essentiel de son quotidien et au bout du compte une nécessité vitale et une voie vers la rédemption.

 

La Musique Actuelle pour les sourds et malentendants

Dessins : TERREUR GRAPHIQUE – Textes : Jack DAMPREMY

A ceux qui pensent sincèrement que des groupes comme U2 font partie des plus grands groupes de l’histoire du Rock, sans forcément déconseiller la lecture de ce livre, on adressera quand même un avertissement courtois mais ferme : vous risquez de découvrir (ou du moins d’entrevoir) des trucs et Dieu sait que les révélations sont parfois douloureuses à ceux qui vivaient jusqu’alors dans l’obscurité.
Et en parlant d’obscurité, on est justement en plein dedans. Tindersticks, Daniel Johnston, Richey James… ça vous dit rien ? Tant pis pour vous ! Car la démarche de La Musique Actuelle pour les sourds et malentendants (je le cite in extenso une fois, mais n’y revenez pas) est de parler des contrées sombres et farouches de l’underground, celui des vrais branchés, aficionados revêches et obstinés de groupes ou d’artistes dont le fan club pourrait tenir sans problèLa Musique Actuelle pour les sourds et malentendants ; Terreur Graphiqueme son assemblée générale dans une piaule de cité universitaire (ou une chambre de bonne parisienne pour les plus aisés).
En une suite de chroniques débridées et délurées, tant dans le propos que dans le graphisme, sont évoqués ces rockers émancipés, apôtres d’un Punk intello, d’un Rock noisy, d’une Pop désabusée, d’une Soul dilettante, d’un Electro déphasé… en fait, il suffit de mettre un Post devant chaque style.
Comme pour la musique, la lecture de la BD actuelle (non, je dirais pas « nouvelle » !) requiert une éducation de base et un minimum d’ouverture d’esprit, ça n’est pas donné à tout le monde. L’approche n’est pas sans rappeler celle d’un Jean-Christophe Menu, le ton pédagogique en moins. Les plus érudits auront ainsi la confirmation qu’ils appartiennent bien à l’élite des amateurs de Rock et les autres s’offusqueront de ne pas en faire partie, soit par jalousie, soit par dédain.
Pourtant, on ne pourra reprocher à La Musique Actuelle son élitisme. Certes, les jugements sont définitifs et les sentences prononcées à l’encontre du Mainstream irrévocables (mais souvent fondées). Mais, à moins d’être complètement ignare, on n’y parle pas exclusivement d’illustres inconnus dont les ventes ont l’élégance de ne pas dépasser les quatre chiffres, et ensuite et surtout parce que tout ça est quand même le prétexte à raconter des conneries. L’humour est ici gras, provocateur, libidineux, ostensiblement de mauvaise foi mais non dénué d’autodérision. Le postulat est bien celui adopté par tous les accrocs du binaire primaire : parler inlassablement de ce qui les fait remettre un nouveau disque sur, ou à la rigueur dans, la platine (on évitera de parler de MP3, nous sommes entre gens distingués) et d’aller galérer dans les concerts pour y traquer la nouveauté, la perle rare. La volonté de partager ça est évidente, sinon, ben, les auteurs n’auraient pas fait le bouquin. Ironie suprême, l’auteur vient de récolter le prix coup de cœur du festival Quai des Bulles de Saint Malo. En route vers la gloire et le Mainstream ?

Haddon Hall

Dessins et textes : NÉJIB

Les biographies de grands noms du Rock en bandes dessinées sont devenus monnaie courante, avec du bon, voire du très bon et du franchement moins bon. Il faut dire que l’exercice est exigeant et que sa principale difficulté est sans doute de rester fidèle à la réalité tout en adoptant sa propre vision, au risque de tomber dans la chronique béate ou la plate biographie chronologique. Spécialement quand on s’attaque à une légende dont il n’est pas évident de retracer toute la carrière. Ou alors… on choisit (et donc on renonce) une tranche, une étape de préférence décisive et on traite le sujet dans le détail.
C’est ce que Néjib a entrepris de faire en se frottant au plus grand artiste de la Brit Pop (si l’on met de côté la bande des quatre grands groupes sixties qu’il serait injurieux pour le lecteur de lister), Mister David Jones alias Bowie. Et plutôt que de narrer l’un des chapitres glorieux de la genèse du Thin White Duke, il a préféré s’intéresser à une période moins glamour, avant le Glam justement et avant que le succès n’arrive.Bowie n’est pas encore une star et, malgré un talent indéniable que le milieu musical lui reconnait, n’arrive pas encore, à l’exception notable de Space Oddity, à pondre les tubes qu’il enfilera ensuite comme des perles. L’action se déroule au moment de la composition de l’album The Man who sold the World. Bowie a les cheveux qui lui tombent sur les épaules et n’a pas encore découvert les délices du blush et du rimmel. Il vient d’emménager dans un manoir décrépi de la banlieue londonienne, Haddon Hall, que Néjib a eu l’idée originale d’utiliser comme le témoin et narrateur des évènements qui vont se produire à l’intérieur de ses murs. Au sous-sol de la vénérable et classieuse demeure qui tombe dignement en ruines, David a installé un grand local de répétition afin de se donner les moyens de ses ambitions. Et pour mettre toutes les chances de son côté, il a fait emménager les musiciens qui vont enregistrer avec lui et même le producteur, Tony Visconti, formant ainsi une petite communauté de musiciens aussi fauchés que talentueux. Tous les ingrédients sont donc réunis pour donner naissance à un chef-d’œuvre, sauf que David n’est pas encore Bowie…
Le parti pris de Néjib est justement ce qui fait l’un des principaux intérêts de ce livre : montrer l’artiste qui se cherche encore et n’est pas sûr d’arriver à traduire ce qu’il a dans sa tête. Avec un graphisme minimaliste mais élégant, tout à fait adapté au dandysme de Bowie (y’a pas de hasard) et une mise en couleurs chatoyante qui évoque le swinging London de l’époque, Haddon Hall se concentre sur l’essentiel, à savoir décortiquer le processus créatif, fait de doutes, de reculades, de petites trahisons, d’instants de grâce et de petits détails du quotidien. Le personnage complexe de Bowie en ressort ainsi avec plus de relief. Un musicien talentueux mais pas un génie éthéré et sans faille, capable de grands moments tout comme de petites bassesses, inhérentes à un égocentrisme et une vanité qui lui permettront de se distinguer de la masse.
L’autre qualité d’Haddon Hall est de restituer le contexte « historique », le Londres musical et effervescent de la fin des années 1960, avec ses héros tels Marc Bolan, alter égo de Bowie dont la rivalité amicale (T. Rex va accéder avant lui à un succès phénoménal en Angleterre) sera un aiguillon pour Bowie et bien sûr Tony Visconti, l’un des meilleurs producteurs de l’histoire du Rock. Le récit est émaillé de nombreuses anecdotes, témoins d’une recherche documentaire minutieuse et s’attarde aussi sur la relation particulière que David Bowie entretenait avec Terry, son demi-frère dont le déséquilibre mental l’avait mené à l’asile.
Au final, Haddon Hall est un livre indispensable pour les fans de Bowie et de Pop anglaise en général. Ce qui, pour un premier album, place d’emblée Néjib dans la catégorie des auteurs de BD qu’il va falloir surveiller de près.

 

 

Serge Clerc – Interview

Serge Clerc avait le choix entre faire de la BD et réussir ses études. Mais en envoyant ses planches à Jean-Pierre Donnet, à la recherche de nouveaux talents pour Métal Hurlant, il a définitivement renoncé à la première option. Abandonnant son Rhône natal, il est parti s’installer à Paris et n’en est plus reparti. Ecumant les concerts de Rock et s’acharnant sur sa table de travail à peaufiner son style, la synthèse entre Rock et BD est rapidement devenu son credo, publiant régulièrement ses dessins dans Rock & Folk, le New Musical Express et bien sûr Métal Hurlant. Il a également signé de superbes pochettes de disques pour Joe Jackson ou les Fleshtones (s’il vous plait !). Entretien avec ce parangon de la BD Rock.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir le Rock comme l’un des thèmes principaux de votre travail ?
A vrai dire, à l’époque, je faisais en même temps du Rock et de la science-fiction. J’avais 17 ans et avec des copains on écoutait pas mal de Rock. Pratiquement dès le départ, en 1975, j’ai bossé en même temps pour Rock & Folk où je réalisais des illustrations sur le thème du Rock et pour Métal Hurlant où je faisais de la S-F. J’étais encore en province et j’envoyais mes dessins par la Poste.
Philippe Manœuvre et parfois aussi Philippe Paringaux m’écrivaient des textes assez courts, des histoires de deux ou trois pages. C’était une époque bénie où l’on pouvait faire ce qu’on voulait, un jour de la S-F, l’autre du Rock. On était à la confluence de tous ces genres, voire sous-genres, pas connus du grand public mais que nous aimions faire. On était des sortes de disciples de ces sectes là, avec tout l’underground qui venait des Etats-Unis. J’achetais régulièrement la revue Zap Comix. C’est comme ça que j’ai découvert les Freaks Brothers et Vaughn Bodé, Spain Rodriguez, Bernie Wrightson, Richard Corben, Alex Toth et bien sûr Crumb auquel je ne comprenais pas grand-chose mais c’était le dessin qui m’intéressait par-dessus tout. Je baignais dans cette mouvance et ça tombait sous le sens de travailler dans cette voie-là.

Quels points communs voyez-vous entre rock et BD ?
Ce sont plutôt des genres pour les jeunes. Les banquiers, c’est pas trop leur truc. La BD et le Rock sont des trucs faits pour les teenagers, à la base. Il y a peu d’adultes qui sont dans la BD ou le Rock, un peu plus maintenant certes, mais il n’y en a pas tant que ça. Moi, je suis tellement dedans que ça me semble évident, ce sont deux choses qui allaient forcément ensemble. Au lycée, il y avait le main stream qui était des crétins et on était trois, quatre mecs un peu pointus qui écoutaient du Rock et qui aimaient la BD, donc plus évolués que les crétins.

On distingue en gros deux périodes dans votre graphisme. A quoi est due cette évolution ?
En fait, je n’ai pas arrêté d’évoluer. Je cherche tout le temps, j’ai fait des milliers d’études que j’ai classées par année. Avec le recul, on distingue les époques mais quand on est dedans on évolue sans s’en apercevoir. Au début, c’était pour m’améliorer, j’étais tellement jeune, je me demandais ce que je foutais là. Donc il a fallu que j’apprenne mon métier sur le tas. Au début, j’étais vraiment influencé par Moebius et Crumb.
Et puis c’est vrai qu’à partir de 1980, j’ai commencé à affiner mon style avec un trait plus acéré. J’ai eu une période, en gros entre 1981 et 1983 que je peux qualifier de « magique », en couleurs directes, à l’époque où j’ai fait par exemple « Stool Pigeon » adapté de Kid Creole and the Coconuts (August Darnell, le chanteur du groupe a dit à propos de cette adaptation « This guy really captured my style »). A partir de 1984 environ, c’est vrai que j’ai un peu abandonné le noir, si l’on peut dire, avec ces contours et ces aplats très marqués. Mais j’y reviens un peu maintenant.

Existe-t-il, selon vous un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Effectivement, il peut y avoir des esthétiques Rock, avec des planches un peu barrées dans tous les sens. C’est vrai qu’un dessin très réaliste se prêtera peut-être un peu moins bien au sujet qu’un trait plus libre, plus lâché. Jean-Christophe Menu me semble un bon exemple, il est tout à fait dans l’esprit de ce qui se faisait à Métal Hurlant. Mais le Rock, c’est avant tout le sujet. Hugo Pratt aurait pu faire une BD Rock.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à dessiner quand on représente une scène de Rock ?
J’aime bien bosser à partir d’une documentation précise et le Rock est un domaine où l’on en a beaucoup à disposition. Je ne suis pas un dessinateur de l’imaginaire. J’ai toujours eu besoin de sources précises pour travailler. La documentation m’inspire énormément. J’ai souvent fait mon miel de photos tirées de revues anglaises ou américaines comme Creem ou New Musical Express.
Mais sinon, il n’y a rien de difficile à dessiner dans le Rock… à part les tronches des mecs. J’étais super pas bon dans les ressemblances, je ramais pas mal, heureusement Manœuvre me filait pas mal de photos. Dernièrement, j’ai été confronté à l’histoire des Stranglers pour Rock Strips, chez Flammarion, il y avait près de 20 ans que je ne m’étais pas prêté à l’exercice. Du coup j’ai plutôt raconté l’Angleterre de l’époque et je ne me suis pas trop appesanti sur les ressemblances, qui demandent un état d’esprit assez particulier, pour justement ne pas être trop ressemblant. Il faut vraiment être à fond dedans et je ne disposais pas d’assez de temps comme à l’époque de Métal Hurlant.

Vous avez évoqué de nombreuses figures du Rock dans vos récits (The Clash, Blondie, Les Cramps, les Beach Boys, …). Qu’est-ce qui vous conduisait à choisir de les mettre en image, y’avait-il des « tronches » qui se prêtaient mieux à la BD en général ou à votre style de dessin ?
Non, c’était vraiment une affaire de goût. Les miens et ceux de Philippe Manœuvre. La première question qu’il me pose quand je le rencontre lors de mes débuts à Métal Hurlant en 1976, c’est « t’aimes quoi comme groupes ? ». Comme j’étais un peu intimidé, je bredouille: « Les Doors » et il comprend « Ange » ! Déjà que j’avais les cheveux longs… il a tiré une tronche de quinze pieds de long. Bon, j’ai rectifié, ça l’a rassuré.
Mais Manoeuvre ne m’a jamais forcé à faire des trucs que je n’aimais pas. Jamais de la vie je n’aurais fait AC/DC alors que c’est un groupe que Manœuvre adore.

Vous avez très peu dessiné de groupes ou d’artistes français, alors que vous avez vécu de près l’éclosion de la scène rock en France à la fin des années 70 et au début des années 80, pourquoi ?
Oui, effectivement, à part Starshooter et Bijou. J’ai également réalisé le visuel d’un coffret d’une compilation d’Eddy Mitchell en 1976, ce qui était d’ailleurs mon tout premier travail en dehors de Métal Hurlant. Mais c’est le hasard, il n’y avait pas d’ostracisme. J’aurais bien aimé faire un truc sur Les Dogs par exemple. J’allais régulièrement au Rose Bonbon à Paris. De 1975 à 1984, c’était le lieu de l’interconnexion entre le Rock et la BD où tous les dessinateurs de Métal Hurlant (Margerin, Denis Sire, Dodo et Ben Radis, Trambert, Jano, Kent, Arno…) venaient voir les nouveaux groupes jouer. Mais moi, j’étais plus souvent au bar en train de draguer et me bourrer la gueule pour me donner du courage, donc je n’écoutais pas forcément tous ces groupes qui passaient. Et comme à l’instar de toute l’équipe de Métal Hurlant, je ne payais pas mes entrées, je pouvais sans problème manquer le concert. Je n’étais pas un fan au premier rang et il y a beaucoup de trucs qui me sont passés au-dessus du cigare comme ça. En fait, je travaillais essentiellement sur les commandes et les impulsions de Philippe Manœuvre qui savait parfaitement ce qui me conviendrait. Donc, c’est vrai, je n’ai pas beaucoup dessiné de Français mais ce n’était pas de ma faute !

Travaillez-vous en musique ?
Ca dépend. Dans les années 1980, j’étais totalement immergé dans le Rock et j’en écoutais tout le temps, sans parler des concerts où j’allais régulièrement. Dans les années 1990, j’ai un peu été traître à la cause en écoutant France Culture pour me faire ma culture générale. Maintenant, je n’en écoute pas souvent quand je travaille, j’ai vraiment besoin de me concentrer.

Si vous pouviez vous réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisiriez-vous ?
J’aimerais bien me retrouver à Los Angeles dans les années 65-66, à l’époque des Doors, sans forcément me réincarner en Jim Morrison mais pour vraiment ressentir l’atmosphère de l’époque. Et pourtant, Dieu sait si je préfère New-York !

Votre approche des groupes ou artistes que vous avez illustrés était souvent parodique ou détournée pour présenter votre propre vision de leur légende. N’avez-vous eu jamais envie de dessiner une biographie « sérieuse » d’un de vos groupes ou artiste préférés ?
Non, je préfère vraiment mettre ma patte d’auteur. Mais parfois, on n’a pas été loin de ça dans quelques bios avec François Gorin dans La Légende du Rock’n Roll même si on trouvait toujours un biais pour que ce soit moins austère. Le but du jeu était d’utiliser le parcours ou un bout du parcours d’un groupe ou d’un artiste et d’en faire quelque chose d’intéressant. Dans l’absolu, je ne serais pas contre l’idée de faire une « vraie » biographie, sauf que je ne suis pas rapide et faire un album d’une quarantaine de pages c’est déjà un an de sa vie et de toute façon une biographie de 40 pages, ce serait trop court pour traiter le sujet.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du Rock et de la BD depuis les années 80 ?
J’ai un peu raté la mutation de la BD à partir des années 1990. Il y avait tellement de nouveautés que je n’osais plus rentrer dans une librairie. En résumé, l’évolution, c’est qu’il y a trop de trucs. C’est une logique purement commerciale, néolibérale à la con qui est à l’œuvre et pas du tout une démarche de production d’auteurs. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les « pépites » avec un dessin qui ait une âme et qui me fasse vibrer, pas une démonstration technique comme on en voit plein actuellement. Aujourd’hui, ça tourne à environ 4000 nouveautés par an, dont la moitié est sans intérêt. Les éditeurs se tirent la bourre entre eux et sortent cent trucs en même temps, un peu d’ailleurs comme dans les maisons de disque à la fin des années 1980, pour ensuite miser tout le pognon sur celui qui surnage. C’est vraiment l’ère du pur marketing, suicidaire à mon avis, comme la finance depuis les années 2000. C’est une logique de guerre, il faut occuper le terrain. Je me suis retiré de cette lutte fratricide et je reste pessimiste sur cette évolution qui mène la BD droit au tapis.
S’agissant du Rock, je capte quelques trucs intéressants qui sortent aujourd’hui mais je n’ai plus le temps de m’investir là-dedans, mes projets m’accaparent beaucoup trop.

Sur une île déserte, quel album de Rock emporteriez-vous ?
Il est hors de question que je m’égare sur un bateau, donc je n’échouerai jamais sur une île déserte !
Sinon, j’ai pas toujours envie d’écouter un album tout entier. J’opterais plutôt pour une vaste compilation de la New Wave anglaise des années 80, avec des trucs comme Spandau Ballet, Human League, Simple Minds, Siouxie and the Banshees… mais pas XTC, ils étaient vraiment trop casse-couilles !

La chronique du Journal, c’est par là et celle de l’Intégrale Rock de Serge Clerc, par ici

The Zumbies – Heavy Rock Contest

Dessins : JULIEN – Textes : Yan LINDINGRE

On avait quitté les Zumbies dans la moiteur marécageuse d’une campagne française aux relents de Bayou, réglant leurs comptes à une horde de cul-terreux cathos intégristes. On les retrouve en compétition avec la fine fleur du Rock sataniste, horrifique et déviant au Heavy Rock Contest de Woodtonguestock, dont le vainqueur gagnera l’insigne honneur d’enregistrer un 45 tours aux studios 666 de Fire Island.
Et déjà un sentiment familier anime le lecteur, celui de retrouver de vieilles connaissances, doublé de l’intuition que ces monstres électriques sont partis pour faire de vieux os.
Ce qui faisait le charme sanglant du premier album se confirme ici. The Zumbies, c’est comme un morceau des Cramps ou des Ramones, brut, cradingue, agressif et sans concessions. Pas d’intrigues alambiquées et de multiples niveaux de lecture. Sur fond de Rock lourd et râpeux, ça finit toujours par tronçonner, éventrer et gicler à grands jets, avec toutes sortes d’instruments contondants (même une basse rutilante peut s’avérer une sulfateuse dévastatrice !). Au menu : décibels, boyaux sanguinolents et cervelles savoureusement dégustées par ces gourmets décharnés.
Cette éruption de violence grandguignolesque n’a qu’un seul but : servir la cause du Rock’n Roll dont les clichés revisités hantent les pages de l’album. A noter que Julien/Cdm s’est vraiment déchainé et nous livre de superbes planches, denses, touffues, un régal pour la rétine.
De l’humour potache, transgressif et défoulatoir, à s’envoyer à fond les potards. De la pure BD Rock quoi !

Pour les non-initiés : la chronique du premier album

Bonus Track : 3 questions à Julien/Cdm

JANO – Interview

Avec Lucien et les Closh, Kebra constitue l’un des piliers de la BD Rock en France et l’une des séries emblématiques de Métal Hurlant dont ce zonard a écumé les pages en y semant l’écho distordant des moteurs de mobylettes chouravées, des chaînes de vélo s’écrasant sur les mâchoires et bien sûr du son cradingue de son groupe, Les Radiations. Un tel comportement déviant et antisocial justifiait d’aller demander à son papa pourquoi il a donné une si mauvaise éducation à son rejeton.

Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : Comment Kebra est-il né ?
Je viens de la banlieue parisienne, j’y ai passé mon adolescence à trainer dehors. J’étais pas non plus un Kebra mais Kebra est inspiré de copains de mes potes, de gens qu’on voyait… c’est pas un seul personnage mais une synthèse de plusieurs personnes réelles. Avec Tramber, on a donné à Kebra son caractère et son profil psychologique mais au départ c’est moi qui ai créé le bestiau graphiquement à partir de zonards que je connaissais par ci par là.

Comment Kebra est-il entré dans Métal Hurlant ? En demandant poliment ou en mettant un grand coup de tiag dans la porte ?
Ce qui s’est passé, c’est qu’on avait déjà commencé à faire du Kebra, publié dans BD Hebdo, aux éditions du Square et une de ses histoires était également parue dans Charlie Mensuel. Mais comme ça avançait pas vraiment et que par ailleurs Charlie avait déjà des armoires pleines d’histoires à sortir, on s’est dit avec Tramber qu’il fallait aller voir d’autres journaux. On a bien sûr pensé à Métal et justement Philippe Manœuvre avait vu cette histoire parue dans Charlie Mensuel. Il avait flashé dessus, en avait parlé à Jean-Pierre Dionnet et donc quand on leur a présenté notre dossier, ils ont tout de suite été intéressés. C’est comme ça qu’on est rentrés à Métal mais je te rassure, on y est allés tout à fait poliment ! (rires)

Comment se répartissaient les rôles entre toi et Tramber ?
C’est très simple : on faisait les scénarios ensemble intégralement. L’un lançait une idée, l’autre la reprenait, la retraficotait, injectait une autre idée… on faisait les dialogues et le découpage ensemble. Par contre, au niveau du dessin, Tramber faisait tous les décors, ces immeubles très noirs, un peu abstraits et moi je faisais les personnages. Je m’occupais de tout ce qui bougeait, les personnages donc et aussi les bagnoles, les scooters et dans Le Zonard des étoiles, les engins spatiaux. Si on compare avec un morceau de Rock, c’est un peu comme si moi, j’avais fait le chant et la guitare et que Tramber avait assuré la batterie et la basse. En précisant bien que les compositions, paroles et musiques étaient faites ensemble.

La description de cette banlieue implacable où ne survivent que les bad boys sans foi ni loi était inspirée par quoi ? L’envie de dépeindre une réalité sociale, d’apporter un ton nouveau dans la BD en créant une histoire sex, drug and rock’n roll bien provocante ?
A l’époque, personne ne parlait des banlieues. Aujourd’hui, on nous en rebat les oreilles, les banlieues, les jeunes des banlieues mais à l’époque, c’était le contraire, le black-out total, on parlait pas des banlieues. Je me rappelle, dans les bandes de loubs, y’avait des mecs de seize ans qui se faisaient descendre par les flics, nous on le savait mais sinon, ça n’intéressait personne, ça paraissait pas dans le journal, même pas un entrefilet dans un coin de page. Les gens s’en foutaient de ces histoires, ça n’existait pas. C’était complètement occulté par les médias, la banlieue c’était rien. Et donc, nous, on voulait parler de ça un peu mais en même temps, on voulait aussi déconner. On se prenait pas au sérieux, on voulait pas faire carrière, on faisait ça pour s’marrer. A l’époque, avec Tramber, on était encore aux Beaux-Arts, on faisait de la peinture et la BD, c’était vraiment pour s’amuser.

L’une des qualités de Kebra, outre l’humour et le dynamisme de la narration est la justesse de ton. Le lecteur est vraiment immergé dans le milieu des loulous de banlieue, que ce soit au niveau des situations, des comportements et bien sûr des dialogues avec cet argot parfaitement restitué. C’était quoi le secret ? Allez, avoue, combien toi et Tramber avez-vous volé de mobylettes et piqué de larfeuilles dans votre jeunesse ?
Comme je t’ai dit, moi j’étais pas un loubard. Pour pouvoir commencer à écrire là-dessus, faut avoir du recul et sans ce recul, on se serait juste contentés de voler des mobylettes. On traînait dans les rues, on était des jeunes prolos, ados, et pas de tunes. On dragouillait les nanas dans les coins, on faisait les cons… on essayait de passer le temps, tout simplement. Mais on était pas des loubards des cités. On en connaissait certains, on était allés à l’école avec. On les fréquentait, on se croisait et puis on entendait les histoires. Mais non, j’étais pas à piquer les larfeuilles. Quand on a commencé Kebra, j’avais dans les 21 ans et je m’inspirais des histoires que j’avais connues quand j’avais 16, 17 ans, donc, j’avais ce recul.

Pourquoi avoir choisi un graphisme animalier ?
Vu que je dessinais les personnages, ça me permettait de faire des caractères bien marqués. Par exemple, Kebra, c’est un rat et ce fait là indique déjà toute une personnalité, une façon de vivre, une certaine mentalité. Juste parce qu’il a une tête de rat, tu comprends qu’il survit, qu’il est pas dominant, face à des loups ou des bergers allemands (qui représentaient les patrons de troquets). Lui, c’est un rat, il a pas la supériorité physique, il faut qu’il fasse autrement, qu’il louvoie dans les emmerdements. Quand y’a la bande à Kruel qui déboule… la bande à Kruel, c’est des loups et rien que par leurs gueules, ça indique qu’ils sont méchants, forts, brutaux, cruels justement (rires). Après, si tu fais un canard, c’est un peu con, un canard, ça fait penser à Donald, coin-coin, etc. et tu te dis que lui, c’est un peu un crétin. Et ainsi de suite. C’est vachement drôle de jouer avec ça.

Est-ce qu’il y a des dessinateurs qui t’ont influencé ?
Bien sûr, y’en pas mal. J’ai appris à lire dans Tintin. Hergé m’a influencé même si ça se voit pas directement mais ça m’a quand même donné envie de dessiner et quand même dans le trait, ça reste un peu. Moebius aussi même si là non plus, c’est pas évident mais il y a ce travail sur les hachures notamment.
Mais mon modèle à l’époque, et peut-être aussi celui de Tramber, ça a été Fritz le chat de Crumb. J’avais trouvé ça génial et je pense toujours que c’est un auteur très important. On avait été élevés aux Spirou, Tintin ou Blake et Mortimer et d’un seul coup, blam ! tu te prends Fritz le chat dans la gueule, les States, la drogue, les filles… C’était un héros de l’underground, un héros moderne. Et donc, quand je faisais Kebra, j’avais toujours un peu ça en tête, cet esprit de Fritz le chat, rebelle et confus en même temps… on mélange tout et il en sortira bien quelque chose !
Le deuxième après Crumb, c’est Shelton qui faisait partie de ces auteurs underground américains dont les BD sont sorties en France quand j’étais ado dans les premiers numéros du magazine Actuel, en 1971, 1972. A part Crumb, Shelton, il y avait aussi Corben. Tout cet underground américain était traduit salement par les mecs d’Actuel (rires) et ils le publiaient en le piratant mais pour moi ça a été fondateur, comme pour beaucoup de dessinateurs européens, dont nous les Français élevés à la BD franco-belge. C’était vraiment un choc de voir ça. Ça correspondait aussi à l’époque où les Mandrika, Gotlib ont commencé à faire l’Echo des Savanes. Avant, y’avait Pilote et le couvercle maintenu par Goscinny… fallait pas déconner. Ça a été une sorte d’explosion, de passer à une BD adulte qui parlait de sexe, de dope. On a vécu ça quand on était ados, ce qui fait qu’on on a pris le relais juste après, quelques années plus tard, le premier Kebra étant dessiné et paru en 1978… tout ça se tenait.

Kebra a-t-il suscité des réactions négatives, scandalisées, de la presse ou du public ?
Oui, bien sûr. Il y a avait des gens qui ne comprenaient pas du tout… (rires). Je me rappelle d’une fois dans Libé, on avait eu un article très salé, comme quoi on était fascistes, nazillons, je sais plus bien. Je m’en rappelle parce que c’était tellement caricatural. Donc, oui, il y eu des réactions comme ça à droite à gauche mais en même temps à l’époque dans les médias, y’avait tellement rien. Les seuls qu’auraient pu être critiques envers nous, c’était Métal mais comme ils nous publiaient… (rires). Et puis quand on a commencé Kebra au début des années 80, y’avait que dalle, il faut revoir le paysage culturel de l’époque. Métal, c’était un phare dans la nuit. Bon là, je pousse un peu, je fais dans le lyrisme mais c’était presque ça, Métal Hurlant, un objet par lequel tu pouvais avoir accès à une culture un peu zarbi, qu’il y avait nulle part ailleurs. Y’avait pas d’Internet, même pas d’émission de Rock à la télé. Ce n’est que quelques années plus tard que Dionnet et Manœuvre ont fait les Enfants du Rock. Donc mettre du Rock dans une BD, personne ne concevait ça encore. Kebra venait comme un cheveu sur la soupe là-dedans. A l’époque, les banlieues, le Rock, la déconnade… personne faisait ça, à part Margerin, Vuillemin, un peu Dodo et Ben Radis même si eux, c’étaient plus les branchés parisiens que la banlieue.

Justement, avec Lucien et les Closh, Kebra était le troisième larron de ce triumvirat de héros Rock apparus dans Métal Hurlant. Il y avait-il une émulation avec Margerin, Dodo et Ben Radis ?
Oui, tout à fait. On a même fait une BD tous les cinq ensemble. Ça s’appelait Scalpel Rock, un récit de cinq pages paru dans Métal. On est devenus copains très vite et très fort. Tu sais, on était très isolés comme artistes et dès qu’on a rencontré ces gens-là, ça a collé vachement bien. Il y avait également Serge Clerc qui faisait de la BD Rock. Après, il y en a d’autres qui sont arrivés, Max, Schlingo avec qui on est devenus aussi très copains. Et même des gens comme Chaland qui n’étaient pas estampillés Rock étaient dans cet esprit Métal. C’était un peu une famille, on avait le même humour, la même vision, le même regard sur les choses.

Kebra est devenu une référence dans la BD Rock en tant que leader du groupe Les Radiations, au travers de récits d’anthologie montrant des répètes ou des concerts sauvages. Si l’on pouvait entendre les Radiations, ça sonnerait comme quoi ? Punk, Rockabilly, Hard Rock ? Personnellement, ça me fait toujours penser aux Ramones.
Ouais, un mélange de Punk et de Rock, pas trop hard mais un peu lourd, un peu primaire. En plus, ils savent pas jouer, ils jouent comme des pieds (rires). Ils ont des amplis et un son pourris. On pourrait imaginer les pré Clash, genre les 101’ers, le premier groupe de Strummer, tu vois, ce serait un peu ça. Avec la patate et un son de merde mais on s’en fout, ce qu’on voit, c’est qu’il y a l’énergie.

Et les paroles sont fabuleuses… « Mon Teppaz est naze », « Le Rock’n Roll lui colle aux grolles »…
Ouais, on imagine Kebra les écrire sur un coin de nappe, en buvant des bières, au fond d’un troquet. A l’époque, en France il y avait Starshooter, Téléphone qui démarraient tout juste et sinon la vague Punk. Le premier Kebra, on l’a fait pendant l’été 1977, en écoutant Patti Smith à fond. Et donc ouais, t’as raison, les Radiations, ça pourrait être les Ramones à la Française.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Pour moi, le point commun évident, mais c’est en train de changer, c’est qu’il s’agissait d’arts populaires, non contrôlés ou mal contrôlés, qui avaient échappé au regard des classes dominantes et qui fonctionnaient en dépit du reste des médias. C’étaient des espaces de liberté où on pouvait trouver des gens un peu rebelles, hyper créatifs et qui pouvaient faire leur truc et avoir leur public. Maintenant ils se servent de la BD pour que les mômes lisent (rires). Mais à l’époque, à part les quelques grands classiques, genre Tintin, qu’on trouvait dans les bibliothèques, si tu lisais un Zembla ou un Pepito, c’était vraiment mal vu. Et pour le Rock aussi, à l’époque, les gens un peu plus âgés écoutaient du Jazz et du Classique, le Rock, c’était de la musique de sauvages, ça leur échappait, c’est ça qui était intéressant.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Non, je ne pense pas que ça ait à voir avec le graphisme. C’est l’esprit qui est rock ou pas. C’est même pas les histoires que tu racontes. Tu peux faire des histoires que je qualifierais de rock où ça parle pas spécialement de Rock… je te parlais de Fritz le chat tout à l’heure, y’a pas grand-chose sur le Rock dedans, d’ailleurs Crumb déteste le Rock mais c’est l’esprit global du truc. Fritz, c’est un étudiant qui flippe, qui se met à déjanter et à faire n’importe quoi. Les gens qu’on qualifie d’auteurs rock comme Tramber et moi, avec un graphisme animalier, un dessin un peu sale, beaucoup de hachures… si tu compares avec Margerin qui est beaucoup plus propre, lui c’est du gros nez et à côté de ça, tu peux avoir Baru qui est très différent, vachement expressionniste, très réaliste dans ses décors. Tu peux même avoir un Jean-Claude Denis qui fait un truc un peu rock avec un dessin très posé, calme. Le graphisme, c’est la personnalité du dessinateur. Ce qui compte, c’est ce dont tu parles, ta vision du monde. Le dessin, c’est juste le support, il te sert à faire passer des choses mais il faut d’abord avoir des choses à faire passer.

Travailles-tu en musique ?
Oui, quand je dessine. Pour écrire, surtout pas. Mais quand tout est bien écrit, bien découpé et que je passe au dessin, là oui, je me mets de la musique.
J’écoute ce que je peux (rires), j’ai une collec de Rock et de Blues, mais je peux aussi bien mettre la radio par moments et je peux écouter d’autres musiques à l’occasion, un peu comme ça me tombe, des trucs d’Afrique, du Brésil…

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
J’ai le droit aux morts ? Je pourrais dire Willy DeVille, un prince du Rock’n Roll, il a la classe. Ouais, j’veux bien ça (rires).

Quels sont tes projets et peut-on envisager une nouvelle vie pour Kebra ?
J’ai fini le tome 2 de Gazoline. Ça aussi, c’était bien rock’n roll même s’il n’y avait pas du tout de Rock dedans. Je ne sais pas encore chez quel éditeur il va sortir, ni quand. C’est un recueil d’histoires courtes de Gazoline dont une partie était déjà parue dans l’Echo des Savanes avant que ce soit racheté par Glénat. Ce n’est pas la suite du premier tome mais ça reprend le même univers. Pour ce qui est de Kebra, il est un peu dans les limbes. Le problème, c’est qu’il n’y a plus vraiment de journaux pour prépublier ce genre d’histoires. Là, après avoir fini Gazoline, je suis entre deux, j’ai un projet mais c’est encore en chantier et je ne peux pas en dire plus pour le moment.

La chronique de Kebra, c’est par là

Kebra

Dessins et textes : TRAMBER et JANO

Kebra est avec Lucien et Les Closh, le troisième membre de ce triumvirat de héros qui marquent l’avènement de la BD Rock en France, dans les pages de Métal Hurlant.
Si l’on devait définir Kebra en quelques mots, on pourrait dire qu’il s’agit d’une version trash de Lucien, un Lucien qui serait passé du côté obscur. Ce serait certes lapidaire mais tout de même suffisamment évocateur.
Car le héros à tête de rat, créé en 1979 par Tramber et Jano a beaucoup de points communs avec le rocker à la banane métallique de Frank Margerin. A l’instar de Lucien, Ricky et consorts, Kebra est un loubard de banlieue qui joue du Rock dans un groupe et vit ses premières aventures dans Métal Hurlant. Il porte la panoplie traditionnelle des rockers éternels : jean, santiags et perfecto. La comparaison s’arrête là. Car si on voit Lucien et ses potes, à leurs débuts, chouraver une mobylette ou se castagner de temps à autre, ils vont vite s’assagir pour devenir des rockers sympathiques, de bons p’tits gars dans le fond.
Kebra et sa bande sont eux de vraies racailles rock’n roll. D’authentiques outlaws qui rackettent les bourgeois, braquent des bureaux de poste et s’attaquent même au Père Noël. De vrais, affreux, sales et méchants, sans aucune morale, que seule surpasse dans la voyouterie la redoutable bande à Kruel. Heureusement que ce dernier existe d’ailleurs car en faisant de Kebra son souffre-douleur il contribue largement à le rendre un tant soit peu sympathique.
Kebra sévit dans une banlieue cradingue, aux immeubles décrépis, aux rues défoncées et jonchées d’immondices. Les auteurs ont choisi de dépeindre la zone dans ses aspects les plus glauques, une jungle où seuls les bad boys arrivent à survivre. Et qui dit jungle dit faune. Le graphisme animalier permet d’affubler les personnages des trognes carnassières, loups, crocos, serpents, rapaces et bien sûrs rats avec Kebra, le héros au regard noir qui lui donne cet air de dément shooté aux amphétamines.
Ajoutés à cela des dialogues fleuris qui pourraient utilement figurer dans un manuel d’argot et de verlan, Kebra ferait presque figure de documentaire sur la banlieue s’il n’y avait cet humour noir et ces récits atomisés où le héros se retrouve dans les situations les plus improbables avec de temps à autres une escapade vers la science-fiction.
Accessoirement, Kebra est chanteur et guitariste du groupe Les Radiations. Du rock graisseux, mâtiné de rock’n roll et de punk, saturé à souhait qui fait assez penser aux Ramones. Et puis il y a ces textes, énormes, dont on regrette qu’il n’aient pas été enregistrés pour de vrai. Mention spéciale pour « Le Rock’n roll me colle aux grolles », véritable manifeste drôlatique de rock premier degré.

Kebra accomplira ses méfaits jusqu’en 1985. Malgré cette courte existence, il aura eu le temps de devenir l’une des références absolues de la BD Rock.

L’interview de Jano, c’est ici

Not Quite Dead

Dessins : Gilbert SHELTON – Textes : PIC

Déjà, rien qu’avec un nom de groupe comme ça, « Pas tout à fait mort » en français dans le texte, on est d’emblée dans l’ambiance. Et en effet, on se demande encore comment un tel groupe a pu voir le jour, donner des concerts et même enregistrer des disques. La magie du rock’n roll sans doute et accessoirement le talent d’un vieux briscard de la BD underground américaine, installé en France depuis 1981, Mister Gilbert Shelton, géniteur des inénarrables et définitivement fabuleux « Freak Brothers » qui ont fait les beaux jours du magazine Zap Comix.
Not Quite Dead 4-4Ces derniers s’étaient affirmés comme les chantres en BD du mouvement hippie dans les années 1970. Leurs cousins de « Not Quite Dead » prolongent le combat sur la scène d’un Rock indépendant que l’on devine vaguement Punk, mâtiné de Funk, peut-être Ska si l’on devait absolument leur coller une étiquette (rapport à la touche très « Specials » du mec officiant aux claviers).
En fait, on s’en tape complètement car le seul qualificatif qui puisse vraiment les définir est bien celui de losers, pas forcément magnifiques mais irrésistibles de drôlerie. Leurs looks, assortis comme une parade de carnaval, offrent un aperçu de tout ce que le Rock a pu produire en matière de sapes et de coupe de douilles, à commencer par le leader, Cat Whittington, bassiste et chanteur dont le crâne s’orne d’une sorte de banane à ressort tout aussi improbable que sa basse à corde unique. Les noms des personnages sont à l’avenant, tels Elephant Fingers, le guitariste, Felonious Punk, le claviériste taciturne, Thor, le batteur obèse et décérébré ou Charlie Baston, le roadie tout aussi dévoué que maladroit.
Mais attention, les « Not Quite Dead » sont des professionnels coachés par une manageuse, sexy comme un tiroir-caisse qui parvient à leur dégotter des concerts, parfois sur de grandes scènes (du moins par la taille) et même des enregistrements en studio.
Cat et sa bande ne sont pas pour autant des génies. Leur manque de culture musicale est d’ailleurs revendiqué et sert d’argument à plusieurs gags. Mais leur énergie et leur feeling sont communicatifs et leur fidélité à la cause du Rock irréprochable.
Alternant des gags en une planche et des histoires en plusieurs pages, les aventures de « Not Quite Dead », plus loufoques les unes que les autres, passent en revue tous les gimmicks du Rock, mais derrière le burlesque des situations, se révèle une vraie connaissance du quotidien d’un groupe, Shelton étant lui même pianiste et chanteur, ce qui ne donne que plus de relief à ces caricatures réjouissantes.
La destruction d’un studio d’enregistrement, un concert pour un gala de soutien d’un parti politique ou des expérimentations sonores en tout genre sont quelques-uns des morceaux de bravoure que propose cette anthologie du dérisoire rock’n clownesque, à lire absolument pour être sûr de ne pas tout à fait mourir idiot.

© Editions L’àpart 2011

Les identités remarquables

Dessins et textes : Benoît BARALE

Ça commence souvent comme ça. Dans une chambre d’adolescent, avec une guitare et l’envie de crier, de provoquer, de prouver qu’on existe et que l’on a son mot à dire dans ce grand merdier auquel on ne comprend pas grand-chose.
Ah, faire du Rock, le gros challenge, quand on maîtrise tout juste son instrument et qu’on ne sait pas trop quoi mettre dans ses textes, à part sa fougue et sa libido de teenager, avec comme handicap supplémentaire d’être né du mauvais côté de la Manche et de l’Atlantique, spécialement quand on s’obstine à chanter en anglais. A peine plus pénalisant que d’être des filles.
Tania et Virginie forment un duo parfait de rockeuses en herbe, les Dead Pussies (cool !) dans la France de la fin des années 1980. Cure avait le maquillage en poupe, écouter Etienne Daho était encore branché, le Rock alternatif envahissait les scènes de l’Hexagone lequel découvrait l’esprit Punk avec quelques années de retard sur les Britons, comme d’habitude, mais c’était bon, frais, sans concessions. Un petit âge d’or dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques miettes en activité, tel Didier Wampas.
Ces filles veulent composer leurs morceaux, enregistrer une maquette, faire un premier concert, devenir des déesses du Rock. Certes leur vocabulaire tant linguistique que musical les oblige à copier plus ou moins leurs idoles, comme la plupart des groupes débutants. Ca braille, ça picole, ça fume, ça s’amourache, ça vomit, ça se plante et ça repart, bref, ça s’épanouit.
Benoît Barale dépeint avec une justesse de ton épatante les doutes et les excès de ces deux adolescentes branchées. Pas de pathos ou de couplet nostalgique d’un jeune quadra sur une époque bénie et révolue. Juste une reconstitution fidèle, teintée d’humour et d’ironie. Les références musicales sont nombreuses et balisent bien le terrain en apportant encore un peu plus de crédibilité à l’intrigue.
Le récit ne commence pas sur un début fondateur et ne s’achève pas sur un dénouement bien tourné. Il montre simplement une tranche de vie de ces deux ados, comme un instantané photographique, dont on restera libre d’imaginer la suite.
Si ces identités là sont remarquables, c’est bien parce qu’elles démontrent parfaitement le théorème de la jeunesse Rock de cette époque dans une France qui dort encore « d’un sommeil profond et léthargique », à peine troublé par les rumeurs électriques de cette myriade de groupes sublimes et éphémères.

Bonus Track : 3 questions à Benoît BARALE

Love is in the Air Guitare

Dessins : Romain RONZEAU – Textes : Yann LE QUELLEC

Que se gausse le fan de Rock qui n’a pas une seule fois dans sa vie, ne serait-ce qu’esquisser la mimique consistant à agiter compulsivement les doigts de sa main gauche tout en imprimant à la main droite (ceci est une chronique pour droitiers mais les gauchers peuvent inverser) un mouvement saccadé de haut en bas (et en aller-retour pour les plus dextres).
D’abord, on aura bien du mal à le croire et, pire, il jettera ainsi un doute quasi irréfragable (j’ai fait Droit, ça laisse des traces) sur la sincérité de son penchant pour cette musique électrique soi-disant chère à ses esgourdes.
Quand Jimi (celui qui vient de crier « dit What I say » sort immédiatement !) Pete, Ritchie, Jimmy (y’a un piège), Angus, Johnny (l’Albinos texan, pas le Belge défiscalisé,) Keith, Carlos et consorts empoignent leur manche (désolé…) pour nous asséner un riff assassin ou un solo incandescent dont ils ont le secret, la réaction chimique produite sur nos cerveaux disponibles incite à joindre nos gestes à leurs ondes électriques.
Bien que le ridicule de cette démonstration d’extase musicale nous conduise à
en réserver la primeur à notre miroir ou à nos relations très proches, certains de nos congénères n’hésitent pas à reproduire ces mimiques en public et ont fait de cette pratique une véritable discipline artistique nommée Air Guitare, avec ses compétitions officielles et ses stars, du moins dans le milieu.
Restait à mettre ces ingrédients dans une bonne fiction, et pourquoi pas dessinée tant qu’on y est. Entre sous-genres, on se comprend ! Love is in the Air Guitare utilise toute l’imagerie et les ingrédients disponibles sur le marché pour bâtir un récit digne d’intérêt.
Tout part, comme souvent, d’une Love Story compliquée dans laquelle se fourvoie Paul, bachelier récemment diplômé qui n’a d’yeux que pour Julie, sa belle voisine méprisante. Forcément, quand il découvre que sa dulcinée copule avec Keith, un bellâtre rocker et guitariste, son petit monde bascule et il décide de plaquer, avant même de l’avoir débutée, une mirifique carrière de comptable.
Pour attirer l’attention de l’élue de son cœur, Paul rejoint la Air Family, une académie de Air Guitaristes dirigée par Ernest, gourou philanthrope qui rêve de voir un de ses poulains conquérir le titre de champion du monde d’Air Guitare. Le jeune homme n’est peut-être pas le plus doué mais il a la chance d’avoir un certain Jimi à ses côtés…
Paul va-t-il être désigné par Ernest pour représenter la Air Family à Oulu (en Finlande), où se déroule le prochain championnat ? Va-t-il conquérir le cœur de Julie ? Va-t-il permettre à la Air Family de mettre un terme à la suprématie de la Hair Family (des pseudo-bikers pas gentils) et remporter le titre mondial ?
AIR GUITARISTE par RonzeauA partir de cet argument, le récit illustre une bonne partie des codes de cette culture iconoclaste qui détourne le côté factice et poseur du Rock et en restitue parfaitement l’énergie et la folie, entre gesticulations primales et chorégraphie improvisée.
Évidemment, la candeur de l’intrigue amoureuse et du héros, tout à fait raccord avec le graphisme, peuvent prêter à sourire. Mais comme dans toute bonne histoire, ce n’est pas le but qui compte mais le chemin et celui-ci, dense et sinueux, est pavé (pas loin de 300 pages) de bonnes intentions, de personnages hauts en couleurs, d’humour, de passion et même d’un brin de poésie, conférant à cet instrument virtuel une existence tangible. Au bout du compte, on ne peut que rester admiratif de ces hurluberlus qui osent vivre leur délire sans entraves et montent sur scène pour le faire partager. Une fraîcheur toute « aérienne », et pour certains un vrai sens du spectacle, dont nombre de « vrais » rockers feraient bien de s’inspirer.
Tout ça pour dire que l’Air Guitare a désormais son manifeste en bandes dessinées.

MetaL ManiaX 2

Dessins : SLO – Textes : FEF

Tremblez, braves gens, les Métalleux sont de retour ! Le temps d’écluser quelques fûts et les voilà déjà de nouveau dans les bacs des meilleurs libraires (en tout cas du mien !). Et c’est avec une joie éructante que l’on retrouve les tribulations burlesques de ces allumés du gros son. Inutile de perdre son temps en fioritures, mettons les potards à fond et allons droit au but : ce second opus est largement aussi bon que le premier, ce qui n’est pas rien quand on sait la difficulté de confirmer la réussite d’un premier album.
Tous les ingrédients qui font le charme poétique du premier tome sont là, décibels, rôts, tatouages, humour trash et références musicales. Mais les situations grivoises sont bien plus présentes qu’avant. Peut-être le printemps… en tout cas, y’a du torride et du grivois ! Et ce n’est pas le fait de Marco, le Blackeux priapique mais de Spike, le roi du pogo qui découvre une blondinette dominatrice avec qui il file le grand amour. Entre deux pintes et deux morceaux de Death, même Vince s’y met aussi.
Slo et Fef ont pris le soin d’étoffer leurs six protagonistes en leur donnant un peu plus de vécu et en exploitant certaines situations échafaudées dans le premier tome. Les quelques nouveaux personnages (la meuf de Spike, les co-locs de Sam…) enrichissent vraiment l’univers.
Parmi les innovations, on notera aussi quelques gags en trois planches, exercice périlleux et exigeant dont les auteurs se tirent haut la main.
Tout ça donne un cocktail d’humour électrique, saturé d’acides gras et de décibels, jouissif à souhait dont il faut impérativement se repaitre sans plus tarder les mirettes.
Vivement le troisième et vive le lait-fraise !

Pour les non-initiés : la chronique du premier album

Le Journal

Dessins et textes : Serge CLERC

Impossible de parler BD Rock en France sans évoquer Métal Hurlant. L’apport de ce magazine créé en 1975 par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Moebius et Bernard Farkas a été déterminant dans l’émergence du Rock sur les planches. Une épopée qui a mis un coup de pied au cul de la BD en mettant sur le devant de la scène deux sous-genres méprisés par l’intelligentsia : la Science-Fiction et le Rock, qui plus est dans un magazine de Bandes Dessinées… le comble du mauvais goût pour une sous-sous culture dont ce nouvel avatar avait comme tare subsidiaire de s’inspirer de l’underground américain.
Après l’émergence de cette nouvelle vague, la BD ne sera plus jamais la même. Parmi les auteurs qui allaient mettre de l’électricité dans leurs dessins, un trio se détache. Frank Margerin (Lucien), Dodo-Ben Radis (Les Closh) et Tramber-Jano (Kebra). Plus Serge Clerc, un quatrième mousquetaire, qui avait pour point commun avec son illustre prédécesseur dumassien (ça doit pas se dire, donc je le garde) d’être le plus jeune de la bande, un fanzineux de 17 ans qui envoie ses planches à Dionnet, un peu comme il les aurait montrées à son grand-frère. Sauf que Dionnet est à l’affut de nouveaux talents, même en devenir et qu’il repère immédiatement le potentiel du jeune Lyonnais. Il le fait venir à Paris, le bac pas encore en poche (que Clerc n’aura d’ailleurs jamais). Serge Clerc a ainsi vécu en tant qu’auteur, acteur et spectateur tous les chapitres de ce Journal de bandes dessinés pas comme les autres.
Le Journal n’est pas vraiment un biopic mais plutôt une chronique mêlant autobiographie et allégorie. Avec pas moins de 232 planches, l’œuvre est dense, touffue, limite bordélique par moments, l’auteur se souciant peu de précision historique et de rigueur narrative, émaillant son récit d’une foultitude de références graphiques de l’époque, notamment des couvertures d’albums et de magazines de BD, Métal Hurlant au premier chef. Le tout forme un maelstrom d’images qui était sans doute l’un des parti pris les plus appropriés pour restituer l’aventure un peu démente de Métal Hurlant.
Une folie à l’image de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Dionnet, auquel Serge Clerc rend un hommage vibrant, sismique même. Un allumé de première, érudit et passionné, qualités qui compensent largement ses carences en matière de gestion et de comptabilité et ont permis, malgré les embuches innombrables, juridiques entre autres (le fameux classement « réservé aux adultes » qui a handicapé le magazine tout autant qu’il a contribué à sa réputation) de faire durer l’aventure pendant une dizaine d’années.
Deux autres personnes sont particulièrement mises à l’honneur dans Le Journal. Philippe Manœuvre d’abord, scénariste attitré de Serge Clerc et mentor de ce dernier en matière de Rock. Et puis Yves Chaland, talent précoce tout comme lui, dessinateur génial et visionnaire qui va avoir une influence déterminante dans l’évolution de son graphisme en l’emmenant vers la ligne claire.
Pour un mec de 17 ans, fan de Rock et de BD, débarquant à Paris avec pour seuls bagages son insouciance et son enthousiasme, devenir un pilier de Métal Hurlant en pleine explosion Punk était une expérience hors du commun. Serge Clerc projette dans ces dessins un brin de nostalgie et beaucoup d’auto-dérision pour évoquer ses doutes graphiques et ses déboires amoureux. Crobardeur effréné à la recherche de son style, il a trouvé grâce au Journal la concrétisation de ces innombrables heures de recherche.
Alors bien sûr, ce patchwork baroque pourra en décontenancer certains et Le Journal n’est pas forcément la porte d’entrée la plus évidente pour bien comprendre l’histoire de Métal Hurlant (pour ça, la lecture de l’ouvrage Métal Hurlant, la machine à rêver de Gilles Poussin et Christian Marmonnier est tout indiqué).
Mais l’originalité de la démarche de Serge Clerc est tout à fait adaptée à l’esprit de Métal Hurlant, rock’n Roll et sans tabous. Dionnet, Manœuvre, Clerc, Margerin et toute la bande ont fait plus que capter l’air du temps, ils l’ont insufflé et mis en images. Rien que ça…

L’interview de Serge Clerc, c’est ici

Orange Goblin – Hellfest 2012

Cette année, je n’ai fait que la journée du vendredi au Hellfest. Peu de quantité mais de la qualité, avec d’excellents groupes, tels Atomic Bitch Wax ou Turbonegro et aussi des pointures comme Dropkick Murphys et bien sûr Megadeth (plutôt décevant, une prestation assez pépère et un gars Mustaine à court de voix).
Le coup de coeur de la journée, c’est Orange Goblin, un combo british qui récite son Stoner avec ardeur et conviction. Le Stoner, c’est le style Metal idéal pour un vétéran comme moi. Aux confins du Heavy et du Punk (Saint Motörhead, priez pour nos péchés), c’est pas dépaysant tout en permettant de rester branché.

Et donc ces quatre là envoient le bois de chauffe à la bonne température emmené par Ben Ward, un chanteur taillé comme un biker (j’irais pas lui dire qu’elle me plait sa sœur), avec un regard de serial-killer à qui l’on donnerait Satan sans damnation mais qui a l’air doux comme un agneau.
Le gratteux tient la baraque sur sa SG blanche (mon rêve) avec des riffs solides et des soli efficaces (et vice-versa) soutenu par une ligne rythmique irréprochable. Du Rock lourd et puissant, taillé pour un public fin et délicat

Twist and Shout

Dessins et textes : JÜRG

Tout le monde sait pertinemment qu’Elvis Presley n’est pas mort le 16 août 1977. Si le mélange antidépresseurs et sandwich banane-beurre de cacahuète était dangereux pour la santé, ça se saurait. Là où ça se corse, c’est de savoir ce qui lui est réellement arrivé après. Les rumeurs les plus loufoques circulent sur la retraite du King. De nombreuses théories fumeuses ont également été avancées quant à l’existence d’un sosie qui aurait remplacé Elvis à sa mort ou même de son vivant.
Il faut remercier Jürg de lever définitivement le voile en développant la thèse à ce jour la plus crédible en s’appuyant sur des sources et une recherche documentaire des plus rigoureuses…
En lisant Twist and Shout, vous saurez définitivement que :
– Non, Elvis n’est pas mort le 16 août 1977
– Oui, Elvis avait un sosie et c’est lui qui est mort à la dite date
– Elvis a une résidence secondaire à Charleroi, en Belgique
– Elvis a fait de la tôle dans la ville susdite sous le nom de Vanzoutegaime
– Elvis aime le Death Metal
Jürg a hérité de ses gènes belges un goût pour l’humour surréaliste et le talent pour le dessin bien léché dont le dynamisme pourrait servir d’exemple à la thèse controversée sur l’existence d’un graphisme Rock, indépendamment du sujet traité. A lire : Noces de Chien ou Tête de Nègre, pour s’en convaincre. L’homme réalise par ailleurs de superbes portraits de Rockers célèbres (à voir entre autres sur sa page Facebook) où la caricature le dispute à l’hommage.
Il crée ici un Elvis comme on l’aime, gros bourrin d’Amerloque, boudiné, accro et caractériel. Ces petits défauts anecdotiques ne l’empêchent pas d’être toujours animé par la flamme du Rock’n Roll et depuis sa cellule, il va tenter de relancer sa carrière.
La caricature est grosse et l’intrigue est grasse comme un bon vrai hot-dog (you ain’t nothing but a…) des familles, dégoulinant de ketchup et de moutarde mais la précision du trait et l’humour caustique de Jürg en font un délicieux en-cas comique que l’on déguste en gourmet.

Bonus Track : 3 questions à Jürg

Derniers Rappels

Dessins et textes : Alex ROBINSON

Le statut de Rock Star, s’il peut paraître enviable au commun des mortels, comporte certains inconvénients dont la solitude et un certain mal de vivre ne sont pas les moindres. Alex Robinson, bien connu de nos services depuis le prix du meilleur premier album obtenu à Angoulême en 2005 avec De mal en pis, pavé graphique qu’il jetait dans la mare de la nouvelle BD (américaine celle-ci) en livre ici une magistrale illustration.
En tant que leader prolifique du groupe The Tricks, Ray Beam a connu un succès aussi soudain que phénoménal, lui conférant pour un petit bout d’éternité, une aura médiatique et un compte en banque plus que confortables. Mais depuis le split du groupe, Ray se cherche et le plus souvent se perd dans une existence morne de nouveau riche. Soirées branchées, groupies décérébrées (pléonasme ?) et plus si affinités, ne parviennent pas à combler le trou béant creusé par une panne totale d’inspiration qui l’empêche d’écrire l’album solo qui relancerait sa carrière.
C’est alors que Lily rentre au service de Ray dans un rôle de secrétaire multitâches. Sauf que derrière ses apparences de jeune femme simple, discrète et réservée, Lily ne manque pas de caractère, de psychologie et surtout d’empathie, et plus si affinités, toutes choses auxquelles la petite cour qui gravite autour de Ray ne l’avait pas habitué.
Au départ bien éloignés de la tour d’ivoire de Ray Beam, apparaissent d’autres personnages, emblématiques de cette middle-class qui essaie tant bien que mal de tirer son épingle du jeu de société grandeur nature de la grande ville américaine, tels que Phoebe, jeune provinciale à la recherche de son père, Nick, vendeur pas très honnête dans une petite boutique de collectors de sport, Caprice, sentimentale complexée par ses rondeurs… et Steve, informaticien névrosé, déprimé et singulièrement obsédé par Ray Beam dont il connait la carrière par cœur. Son déséquilibre mental grandissant va s’avérer le détonateur de l’intrigue.

Chaque portrait de cette galerie, à laquelle il faut rajouter celui de Marty, l’impavide manager de Ray, est une totale réussite. Robinson leur donne une vraie consistance psychologique, authentique et passionnante, servie par un graphisme sobre et expressif.
Mais c’est surtout dans le procédé narratif que Derniers Rappels prend toute sa saveur. Tous ces destins suivent des trajectoires parallèles, que rien ne semble prédisposer à se croiser… jusqu’au dénouement où Robinson glisse au passage un clin-d’œil à John Lennon.
Derniers Rappels offre au Rock dans la Bande Dessinée, même s’il ne constitue qu’un ingrédient de l’histoire, un nouveau terrain d’expression, celui du roman graphique et de la chronique sociale… et plus si affinités.