Serge Clerc – Intégrale Rock

Dessins et textes : Serge CLERC

En France, et même ailleurs dans le monde, rares sont les auteurs de bande dessinée dont l’œuvre fait immanquablement et quasi exclusivement penser au Rock, tant ce dernier a inspiré à ce point leur travail qu’il en est devenu la marque de fabrique. A la réflexion, il n’y en a pas plus que les doigts d’une main, comme aurait dit un célèbre héros de BD Homo Sapiens Sapiens blondinet dont le look n’aurait pas déparé comme front man d’un combo de Hair Metal des années 1980. Et encore, ce serait une main de yakuza qui aurait fait de sérieuses et récurrentes entorses à son code de l’honneur.
En fait, je n’en vois que deux. Mister Frank Margerin, dont on ne présente plus le Lucien et sa banane gominée la plus célèbre du Neuvième Art. Et puis il y a Serge Clerc. Ah là, tout de suite, y’en a qui font plus les malins, surtout chez les moins de trente ans. Il faut dire que le Sieur n’a pas connu le même succès populaire que son illustre pair. Cramps - ClercEt pourtant, hormis le fait que son talent l’eut sans doute mérité, Serge Clerc est l’un de ces piliers (oui, de comptoir aussi, lors de sa prime jeunesse, comme il l’avoue lui-même) qui ont fait rentrer la BD dans le monde du Rock, et réciproquement, à la glorieuse époque du magazine Métal Hurlant. Avec le déjà nommé Margerin et en compagnie, entre autres, des deux tandems Tramber/Jano, géniteurs de Kebra et Dodo/Ben Radis, heureux parents des Closh, Serge Clerc a mis du Rock dans les bulles, contribuant à faire de la BD un média aussi pour les adultes, mêmes attardés. Sauf qu’il a été le premier et qu’il n’est pas impossible qu’il soit le dernier.
Il suffit pour s’en convaincre de parcourir, en picorant ou bien en se goinfrant, les pages de cette Intégrale Rock. Juste un petite précision liminaire, le terme Intégrale est un poil fallacieux car tout ce que Serge Clerc a publié sur le thème n’est pas présent ici. Manquent notamment les récits composant l’album La Légende du Rock’n Roll. Mais la recherche de l’exhaustivité aurait fait basculer l’exercice de la Culture vers le Culturisme, vu les dimensions et le poids de cette donc presqu’Intégrale. On y trouve l’essentiel de la production de Clerc parue dans la presse musicale, notamment Rock & Folk et le New Musical Express, ainsi que dans Métal Hurlant, jusqu’à des publications récentes, comme cette évocation des Stranglers, extraite de Rock Strips. S’y ajoute le very meilleur de ses créations pour d’obscurs groupes ou musiciens, tels que Joe Jackson ou les Fleshtones (eh ouais, quand même). Le tout parsemé de dessins inédits.
Un parcours riche et foisonnant, à jamais marqué par l’empreinte du Rock et dont la genèse bien rock’n roll est retracée dans une longue préface convoquant les souvenirs de protagonistes qui ont mis le pied à l’étrier du « dessinateur espion », comme Philippe Manœuvre ou Jean-Pierre Dionnet. Jugez plutôt : Le jeune Serge envoie ses premiers dessins à l’Echo des Savanes à l’âge de 17 ans. Son talent précoce au service d’une passion immodérée pour la chose binaire lui vaut une publication immédiate. L’essai se répète plusieurs fois, notamment dans Métal Hurlant et Rock & Folk jusqu’à ce que l’éphèbe largue lycée (avant le Bac), parents et province natale pour se lancer dans le bouillonnement de la vie parisienne, dans un studio à la taille inversement proportionnelle à sa verve créatrice. C’est la période de l’explosion Punk puis New Wave, mouvements que pour une fois les Frenchies n’auront pas mis une décennie à importer et dont Serge Clerc sera le témoin privilégié, sur ses planches et aussi devant celles des salles branchées de Paris. On peut même affirmer qu’il en sera le graphiste officiel, tant la qualité et la justesse de ses dessins furent saluées par les journalistes, le public et même par les zicos qu’il a immortalisés. Stranglers - Clerc
De 1976 à 1982, en tant que pensionnaire VIP de Rock & Folk de Métal Hurlant bien sûr, mais aussi du New Musical Express, de l’autre côté de la Manche (à une époque où mettre « Rock » et « Français » dans la même phrase était un non-sens pour les Anglo-saxons), Serge Clerc croquera intensément dans les magazines toute la fine fleur de ce nouveau Rock : Groupes et fans dont il mettra en scène les mythes, les tendances et les codes, vestimentaires entre autres. Il sortira également quelques albums qui sont devenus des références de la BD Rock. Son style, au départ marqué par l’empreinte de Moebius, évoluera radicalement au contact d’Yves Chaland qui le mènera définitivement vers la ligne… claire (non, finalement celui-là, je vous le laisse).

Alors voilà, il ne reste plus qu’à vous installer confortablement dans votre canapé, sans oublier de retrousser vos manches (enfin un livre qui muscle autant les bras que le cerveau, surtout si on n’assume pas sa presbytie), mettre sur la platine le premier album des Clash, des Stranglers, des Cramps, de Blondie, des Sex Pistols, des Ramones… il sont tous là, puis mettre en route cette machine à remonter le temps en images, quand le Rock était encore révolutionnaire, rebelle, transgressif et qu’en écouter était un acte aussi militant qu’épicurien. Qui m’a traité de vieux con ? Y’a des coups de Docs size 10 dans le fondement qui se perdent !

L’interview de Serge Clerc, c’est ici

Serge Clerc – Interview

Serge Clerc avait le choix entre faire de la BD et réussir ses études. Mais en envoyant ses planches à Jean-Pierre Donnet, à la recherche de nouveaux talents pour Métal Hurlant, il a définitivement renoncé à la première option. Abandonnant son Rhône natal, il est parti s’installer à Paris et n’en est plus reparti. Ecumant les concerts de Rock et s’acharnant sur sa table de travail à peaufiner son style, la synthèse entre Rock et BD est rapidement devenu son credo, publiant régulièrement ses dessins dans Rock & Folk, le New Musical Express et bien sûr Métal Hurlant. Il a également signé de superbes pochettes de disques pour Joe Jackson ou les Fleshtones (s’il vous plait !). Entretien avec ce parangon de la BD Rock.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir le Rock comme l’un des thèmes principaux de votre travail ?
A vrai dire, à l’époque, je faisais en même temps du Rock et de la science-fiction. J’avais 17 ans et avec des copains on écoutait pas mal de Rock. Pratiquement dès le départ, en 1975, j’ai bossé en même temps pour Rock & Folk où je réalisais des illustrations sur le thème du Rock et pour Métal Hurlant où je faisais de la S-F. J’étais encore en province et j’envoyais mes dessins par la Poste.
Philippe Manœuvre et parfois aussi Philippe Paringaux m’écrivaient des textes assez courts, des histoires de deux ou trois pages. C’était une époque bénie où l’on pouvait faire ce qu’on voulait, un jour de la S-F, l’autre du Rock. On était à la confluence de tous ces genres, voire sous-genres, pas connus du grand public mais que nous aimions faire. On était des sortes de disciples de ces sectes là, avec tout l’underground qui venait des Etats-Unis. J’achetais régulièrement la revue Zap Comix. C’est comme ça que j’ai découvert les Freaks Brothers et Vaughn Bodé, Spain Rodriguez, Bernie Wrightson, Richard Corben, Alex Toth et bien sûr Crumb auquel je ne comprenais pas grand-chose mais c’était le dessin qui m’intéressait par-dessus tout. Je baignais dans cette mouvance et ça tombait sous le sens de travailler dans cette voie-là.

Quels points communs voyez-vous entre rock et BD ?
Ce sont plutôt des genres pour les jeunes. Les banquiers, c’est pas trop leur truc. La BD et le Rock sont des trucs faits pour les teenagers, à la base. Il y a peu d’adultes qui sont dans la BD ou le Rock, un peu plus maintenant certes, mais il n’y en a pas tant que ça. Moi, je suis tellement dedans que ça me semble évident, ce sont deux choses qui allaient forcément ensemble. Au lycée, il y avait le main stream qui était des crétins et on était trois, quatre mecs un peu pointus qui écoutaient du Rock et qui aimaient la BD, donc plus évolués que les crétins.

On distingue en gros deux périodes dans votre graphisme. A quoi est due cette évolution ?
En fait, je n’ai pas arrêté d’évoluer. Je cherche tout le temps, j’ai fait des milliers d’études que j’ai classées par année. Avec le recul, on distingue les époques mais quand on est dedans on évolue sans s’en apercevoir. Au début, c’était pour m’améliorer, j’étais tellement jeune, je me demandais ce que je foutais là. Donc il a fallu que j’apprenne mon métier sur le tas. Au début, j’étais vraiment influencé par Moebius et Crumb.
Et puis c’est vrai qu’à partir de 1980, j’ai commencé à affiner mon style avec un trait plus acéré. J’ai eu une période, en gros entre 1981 et 1983 que je peux qualifier de « magique », en couleurs directes, à l’époque où j’ai fait par exemple « Stool Pigeon » adapté de Kid Creole and the Coconuts (August Darnell, le chanteur du groupe a dit à propos de cette adaptation « This guy really captured my style »). A partir de 1984 environ, c’est vrai que j’ai un peu abandonné le noir, si l’on peut dire, avec ces contours et ces aplats très marqués. Mais j’y reviens un peu maintenant.

Existe-t-il, selon vous un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Effectivement, il peut y avoir des esthétiques Rock, avec des planches un peu barrées dans tous les sens. C’est vrai qu’un dessin très réaliste se prêtera peut-être un peu moins bien au sujet qu’un trait plus libre, plus lâché. Jean-Christophe Menu me semble un bon exemple, il est tout à fait dans l’esprit de ce qui se faisait à Métal Hurlant. Mais le Rock, c’est avant tout le sujet. Hugo Pratt aurait pu faire une BD Rock.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à dessiner quand on représente une scène de Rock ?
J’aime bien bosser à partir d’une documentation précise et le Rock est un domaine où l’on en a beaucoup à disposition. Je ne suis pas un dessinateur de l’imaginaire. J’ai toujours eu besoin de sources précises pour travailler. La documentation m’inspire énormément. J’ai souvent fait mon miel de photos tirées de revues anglaises ou américaines comme Creem ou New Musical Express.
Mais sinon, il n’y a rien de difficile à dessiner dans le Rock… à part les tronches des mecs. J’étais super pas bon dans les ressemblances, je ramais pas mal, heureusement Manœuvre me filait pas mal de photos. Dernièrement, j’ai été confronté à l’histoire des Stranglers pour Rock Strips, chez Flammarion, il y avait près de 20 ans que je ne m’étais pas prêté à l’exercice. Du coup j’ai plutôt raconté l’Angleterre de l’époque et je ne me suis pas trop appesanti sur les ressemblances, qui demandent un état d’esprit assez particulier, pour justement ne pas être trop ressemblant. Il faut vraiment être à fond dedans et je ne disposais pas d’assez de temps comme à l’époque de Métal Hurlant.

Vous avez évoqué de nombreuses figures du Rock dans vos récits (The Clash, Blondie, Les Cramps, les Beach Boys, …). Qu’est-ce qui vous conduisait à choisir de les mettre en image, y’avait-il des « tronches » qui se prêtaient mieux à la BD en général ou à votre style de dessin ?
Non, c’était vraiment une affaire de goût. Les miens et ceux de Philippe Manœuvre. La première question qu’il me pose quand je le rencontre lors de mes débuts à Métal Hurlant en 1976, c’est « t’aimes quoi comme groupes ? ». Comme j’étais un peu intimidé, je bredouille: « Les Doors » et il comprend « Ange » ! Déjà que j’avais les cheveux longs… il a tiré une tronche de quinze pieds de long. Bon, j’ai rectifié, ça l’a rassuré.
Mais Manoeuvre ne m’a jamais forcé à faire des trucs que je n’aimais pas. Jamais de la vie je n’aurais fait AC/DC alors que c’est un groupe que Manœuvre adore.

Vous avez très peu dessiné de groupes ou d’artistes français, alors que vous avez vécu de près l’éclosion de la scène rock en France à la fin des années 70 et au début des années 80, pourquoi ?
Oui, effectivement, à part Starshooter et Bijou. J’ai également réalisé le visuel d’un coffret d’une compilation d’Eddy Mitchell en 1976, ce qui était d’ailleurs mon tout premier travail en dehors de Métal Hurlant. Mais c’est le hasard, il n’y avait pas d’ostracisme. J’aurais bien aimé faire un truc sur Les Dogs par exemple. J’allais régulièrement au Rose Bonbon à Paris. De 1975 à 1984, c’était le lieu de l’interconnexion entre le Rock et la BD où tous les dessinateurs de Métal Hurlant (Margerin, Denis Sire, Dodo et Ben Radis, Trambert, Jano, Kent, Arno…) venaient voir les nouveaux groupes jouer. Mais moi, j’étais plus souvent au bar en train de draguer et me bourrer la gueule pour me donner du courage, donc je n’écoutais pas forcément tous ces groupes qui passaient. Et comme à l’instar de toute l’équipe de Métal Hurlant, je ne payais pas mes entrées, je pouvais sans problème manquer le concert. Je n’étais pas un fan au premier rang et il y a beaucoup de trucs qui me sont passés au-dessus du cigare comme ça. En fait, je travaillais essentiellement sur les commandes et les impulsions de Philippe Manœuvre qui savait parfaitement ce qui me conviendrait. Donc, c’est vrai, je n’ai pas beaucoup dessiné de Français mais ce n’était pas de ma faute !

Travaillez-vous en musique ?
Ca dépend. Dans les années 1980, j’étais totalement immergé dans le Rock et j’en écoutais tout le temps, sans parler des concerts où j’allais régulièrement. Dans les années 1990, j’ai un peu été traître à la cause en écoutant France Culture pour me faire ma culture générale. Maintenant, je n’en écoute pas souvent quand je travaille, j’ai vraiment besoin de me concentrer.

Si vous pouviez vous réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisiriez-vous ?
J’aimerais bien me retrouver à Los Angeles dans les années 65-66, à l’époque des Doors, sans forcément me réincarner en Jim Morrison mais pour vraiment ressentir l’atmosphère de l’époque. Et pourtant, Dieu sait si je préfère New-York !

Votre approche des groupes ou artistes que vous avez illustrés était souvent parodique ou détournée pour présenter votre propre vision de leur légende. N’avez-vous eu jamais envie de dessiner une biographie « sérieuse » d’un de vos groupes ou artiste préférés ?
Non, je préfère vraiment mettre ma patte d’auteur. Mais parfois, on n’a pas été loin de ça dans quelques bios avec François Gorin dans La Légende du Rock’n Roll même si on trouvait toujours un biais pour que ce soit moins austère. Le but du jeu était d’utiliser le parcours ou un bout du parcours d’un groupe ou d’un artiste et d’en faire quelque chose d’intéressant. Dans l’absolu, je ne serais pas contre l’idée de faire une « vraie » biographie, sauf que je ne suis pas rapide et faire un album d’une quarantaine de pages c’est déjà un an de sa vie et de toute façon une biographie de 40 pages, ce serait trop court pour traiter le sujet.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du Rock et de la BD depuis les années 80 ?
J’ai un peu raté la mutation de la BD à partir des années 1990. Il y avait tellement de nouveautés que je n’osais plus rentrer dans une librairie. En résumé, l’évolution, c’est qu’il y a trop de trucs. C’est une logique purement commerciale, néolibérale à la con qui est à l’œuvre et pas du tout une démarche de production d’auteurs. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les « pépites » avec un dessin qui ait une âme et qui me fasse vibrer, pas une démonstration technique comme on en voit plein actuellement. Aujourd’hui, ça tourne à environ 4000 nouveautés par an, dont la moitié est sans intérêt. Les éditeurs se tirent la bourre entre eux et sortent cent trucs en même temps, un peu d’ailleurs comme dans les maisons de disque à la fin des années 1980, pour ensuite miser tout le pognon sur celui qui surnage. C’est vraiment l’ère du pur marketing, suicidaire à mon avis, comme la finance depuis les années 2000. C’est une logique de guerre, il faut occuper le terrain. Je me suis retiré de cette lutte fratricide et je reste pessimiste sur cette évolution qui mène la BD droit au tapis.
S’agissant du Rock, je capte quelques trucs intéressants qui sortent aujourd’hui mais je n’ai plus le temps de m’investir là-dedans, mes projets m’accaparent beaucoup trop.

Sur une île déserte, quel album de Rock emporteriez-vous ?
Il est hors de question que je m’égare sur un bateau, donc je n’échouerai jamais sur une île déserte !
Sinon, j’ai pas toujours envie d’écouter un album tout entier. J’opterais plutôt pour une vaste compilation de la New Wave anglaise des années 80, avec des trucs comme Spandau Ballet, Human League, Simple Minds, Siouxie and the Banshees… mais pas XTC, ils étaient vraiment trop casse-couilles !

La chronique du Journal, c’est par là et celle de l’Intégrale Rock de Serge Clerc, par ici

Le Journal

Dessins et textes : Serge CLERC

Impossible de parler BD Rock en France sans évoquer Métal Hurlant. L’apport de ce magazine créé en 1975 par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Moebius et Bernard Farkas a été déterminant dans l’émergence du Rock sur les planches. Une épopée qui a mis un coup de pied au cul de la BD en mettant sur le devant de la scène deux sous-genres méprisés par l’intelligentsia : la Science-Fiction et le Rock, qui plus est dans un magazine de Bandes Dessinées… le comble du mauvais goût pour une sous-sous culture dont ce nouvel avatar avait comme tare subsidiaire de s’inspirer de l’underground américain.
Après l’émergence de cette nouvelle vague, la BD ne sera plus jamais la même. Parmi les auteurs qui allaient mettre de l’électricité dans leurs dessins, un trio se détache. Frank Margerin (Lucien), Dodo-Ben Radis (Les Closh) et Tramber-Jano (Kebra). Plus Serge Clerc, un quatrième mousquetaire, qui avait pour point commun avec son illustre prédécesseur dumassien (ça doit pas se dire, donc je le garde) d’être le plus jeune de la bande, un fanzineux de 17 ans qui envoie ses planches à Dionnet, un peu comme il les aurait montrées à son grand-frère. Sauf que Dionnet est à l’affut de nouveaux talents, même en devenir et qu’il repère immédiatement le potentiel du jeune Lyonnais. Il le fait venir à Paris, le bac pas encore en poche (que Clerc n’aura d’ailleurs jamais). Serge Clerc a ainsi vécu en tant qu’auteur, acteur et spectateur tous les chapitres de ce Journal de bandes dessinés pas comme les autres.
Le Journal n’est pas vraiment un biopic mais plutôt une chronique mêlant autobiographie et allégorie. Avec pas moins de 232 planches, l’œuvre est dense, touffue, limite bordélique par moments, l’auteur se souciant peu de précision historique et de rigueur narrative, émaillant son récit d’une foultitude de références graphiques de l’époque, notamment des couvertures d’albums et de magazines de BD, Métal Hurlant au premier chef. Le tout forme un maelstrom d’images qui était sans doute l’un des parti pris les plus appropriés pour restituer l’aventure un peu démente de Métal Hurlant.
Une folie à l’image de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Dionnet, auquel Serge Clerc rend un hommage vibrant, sismique même. Un allumé de première, érudit et passionné, qualités qui compensent largement ses carences en matière de gestion et de comptabilité et ont permis, malgré les embuches innombrables, juridiques entre autres (le fameux classement « réservé aux adultes » qui a handicapé le magazine tout autant qu’il a contribué à sa réputation) de faire durer l’aventure pendant une dizaine d’années.
Deux autres personnes sont particulièrement mises à l’honneur dans Le Journal. Philippe Manœuvre d’abord, scénariste attitré de Serge Clerc et mentor de ce dernier en matière de Rock. Et puis Yves Chaland, talent précoce tout comme lui, dessinateur génial et visionnaire qui va avoir une influence déterminante dans l’évolution de son graphisme en l’emmenant vers la ligne claire.
Pour un mec de 17 ans, fan de Rock et de BD, débarquant à Paris avec pour seuls bagages son insouciance et son enthousiasme, devenir un pilier de Métal Hurlant en pleine explosion Punk était une expérience hors du commun. Serge Clerc projette dans ces dessins un brin de nostalgie et beaucoup d’auto-dérision pour évoquer ses doutes graphiques et ses déboires amoureux. Crobardeur effréné à la recherche de son style, il a trouvé grâce au Journal la concrétisation de ces innombrables heures de recherche.
Alors bien sûr, ce patchwork baroque pourra en décontenancer certains et Le Journal n’est pas forcément la porte d’entrée la plus évidente pour bien comprendre l’histoire de Métal Hurlant (pour ça, la lecture de l’ouvrage Métal Hurlant, la machine à rêver de Gilles Poussin et Christian Marmonnier est tout indiqué).
Mais l’originalité de la démarche de Serge Clerc est tout à fait adaptée à l’esprit de Métal Hurlant, rock’n Roll et sans tabous. Dionnet, Manœuvre, Clerc, Margerin et toute la bande ont fait plus que capter l’air du temps, ils l’ont insufflé et mis en images. Rien que ça…

L’interview de Serge Clerc, c’est ici