Amazigh (et Nass El Ghiwane)

Dessins : Cédric LIANO – Textes : Mohamed AREDJAL

J’ai lu Amazigh au mois de janvier, après avoir arpenté le bitume de ma ville comme des  millions d’autres, juste pour être là et pour montrer que, non décidément, même si on ne se bouge pas comme d’autres pour le gueuler sur les toits, même si on ne prend pas de risques, même s’il n’est pas sûr qu’on serait prêts à mourir pour ça, n’empêche, on n’en pense pas moins. Et donc, on n’accepte pas un monde où la croyance obscurantiste de quelques-uns prendrait le pas sur une liberté fondamentale et universelle, celle d’avoir le droit de penser ce que l’on veut et surtout de l’exprimer, à condition bien sûr que l’objet de cette pensée ne retranche pas à ceux qu’elle vise ne serait-ce qu’une petite parcelle de leur humanité.
Amazigh (prononcer « Zir », idéal soit pour passer pour un mec cultivé, soit pour s’la péter, les deux étant très compatibles) raconte l’odyssée de jeunes Marocains qui justement veulent rejoindre ce monde occidental où tout semble possible et moins étroit. Mais du rêve à la réalité, le constat est rude et la route est raide. A remettre en perspective depuis les événements sanglants de ce début janvier. Une histoire vraie, magistralement narrée, efficace et réaliste comme un documentaire et prenante comme un récit d’aventures, le genre d’œuvre qui vous donne l’impression de comprendre un peu mieux le monde. Le festival Angers BD ne s’est pas trompé en lui décernant le prix Première Bulle, récompensant un premier récit de BD. Depuis, il a également récolté le prix Œcuménique au dernier festival d’Angoulême. Délicieusement ironique, quand on sait que Cédric Liano est un anticlérical prosélyte.
Bon et alors, t’es gentil, mais ici on cause de Rock, alors, quoi ? Eh bien, quand Cédric, qui est un mec charmant au sourire communicatif, m’a demandé si je voulais quelque chose de particulier pour ma dédicace, je lui ai répondu que j’avais pas encore lu le bouquin et que donc, je savais pas trop, mais que… sur le thème du Rock… éventuellement… Et donc, il a fait ça :
Nass El Ghiwan
Un dessin qui raconte à lui seul une histoire, vraie, celle d’un concert de Nass El Ghiwane, un groupe marocain que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Allah, ayant débuté dans les années 1970. A l’époque, le roi du Maroc, Hassan II, était un despote, certes éclairé et mélomane mais despote quand même et surtout omniprésent. Sur la scène, son portrait géant était exhibé pour bien rappeler au public qui était le vrai patron à qui tous devaient ce grand moment de réjouissance musicale.
D’où cette harangue du chanteur pour remettre un poil les choses à leur vraie place. Un bel exemple de courage et un grand moment de Rock’n Roll. Il semblerait que ça ne leur aurait pas attiré trop de problèmes, Hassan II se revendiquant comme un grand fan de leur musique.
Nass El Ghiwane n’est pas à proprement parler un groupe de Rock. Ils ont cependant modernisé la musique marocaine, tout en gardant les instruments traditionnels mais en lui insufflant un rythme et des orchestrations résolument modernes, ce qui se retrouve aussi dans leurs textes. Après ça, je m’arrête, car j’arrive à la limite de mes capacités sur le sujet. Martin Scorsese a utilisé leur musique dans La dernière tentation du Christ et les a qualifiés de Rolling Stones du monde arabe. Alors donc, respect.
Quant à toi, Cédric, merci pour cette superbe dédicace, cette petite édification culturelle et pour Amazigh, bien sûr.

La fille

Dessins et Textes : Christophe BLAIN – Musique : Barbara CARLOTTI

Par un dimanche après-midi pluvieux, énième avatar du mois de mai le plus pourri de mémoire de moi, je glisse le CD dans la platine et j’ouvre le bouquin, en route pour une expérience dont je ne sais trop quoi penser.
La FilleJ’ai adoré Le Réducteur de vitesse, bien aimé Isaac le Pirate et apprécié Gus. Et j’ai retrouvé dans La Fille ce ton et cette vision qui font de Christophe Blain un auteur unique dans la BD, avec cet art consommé de renouveler à sa manière des thèmes ultra défrichés. Sa Fille n’échappe pas à la règle, belle et rebelle, indépendante et fragile, sensuelle et romantique. L’intrigue revisite mythes et héros hollywoodiens, western, pin-ups et grosses cylindrées, entre violence, érotisme, musique et love-story. Tout cela est de fort bon gout et l’on retrouve les personnages de Blain, aussi décalés qu’archétypiques. En gros, c’est l’histoire d’une motarde qui rencontre un cow-boy modèle réduit.
Contrairement à ce qu’annonce le sticker sur la couverture, à savoir une BD musicale, il s’agit plutôt d’une nouvelle, retranscrite dans le livre et lue dans le CD, illustrée par les chansons de Barbara Carlotti, dont les paroles figurent également dans le livre, ainsi que par les planches de BD de Christophe Blain. Cette multiplicité des supports, si elle provoque chez le lecteur-auditeur toute une gamme de sensations et l’immerge dans les méandres d’un récit dense et original, s’avère néanmoins plutôt déroutante. Pour ma part, j’avais choisi la totale : lire la nouvelle en l’écoutant simultanément. Un exercice qui s’avère assez fastidieux au bout d’un temps car il ralentit la lecture. Le fait que certaines planches de BD soient décalées par rapport au texte lu est aussi gênant car, même si l’on n’est jamais paumé, cela nuit à la fluidité du récit.
J’aurais peut-être dû soit zapper la lecture des textes et écouter le CD en regardant les illustrations BD et à la limite en lisant les paroles des chansons ou alors juste lire le livre et n’écouter dans le CD que les chansons… sauf que la chanson française, en ce qui me concerne… je suis définitivement « Luzien ». Et si je reconnais les qualités intrinsèques de Barbara Carlotti, ses musiques, sa voix sonnent beaucoup trop hexagonales pour moi, trop littéraire et trop linéaire, privilégiant le texte au détriment de la mélodie et de la musique, bref du bien de chez nous.
Cet exercice de style aurait pu, à mon humble avis, être génial en se limitant à deux médiums au lieu de ce triptyque qui s’égare en empruntant trop de chemins, BD, nouvelle et livre audio. Pourquoi pas juste un récit audio illustré en musique et en BD avec le double, voire le triple de planches ? Là oui, on aurait pu parler de BD musicale, la musique des chansons et celle de la voix lisant le texte.
Au bout du compte, La Fille me laisse perplexe, peut-être parce que je n’ai pas su comment la prendre (oui, bon, désolé). Le multimédia, c’est génial, à condition d’avoir assez de mémoire vive… je dois pas être équipé de la bonne version. N’empêche que l’expérience méritait d’être faite et que je ne regrette pas le voyage, même sur le siège passager d’une moto anglaise tape-cul.

Pure Fucking People

Dessins et Textes : Will ARGUNAS

Pour mon anniversaire en 2010, un pote m’a offert un art book réalisé par un dessinateur rencontré au festival de Blois. Le titre, la couverture et le contenu constituaient une bonne idée de cadeau pour un type comme moi, amateur de Hard-Rock, Heavy Métal, Stoner (un même un peu de Death ou de Black quand je suis d’humeur légère).
Pure Fucking 3A l’intérieur, de superbes illustrations montrant dans des attitudes plus vraies que nature un panel de Métalleux de tous sexes, tous ages et tous styles, pris sur le vif au Hellfest. Le Hellfest, je rappelle, pour ceux qui reviendraient d’un long exil, Guantanamo, monastère tibétain, classe-prépa, etc. est l’un des plus gros festivals de Rock de l’Hexagone, d’Europe s’agissant plus spécifiquement de Métal. Compte tenu de la programmation très éclectique des autres gros évènements du même genre, tels Vieilles Charrues ou Printemps de Bourges, on peut même dire que c’est le plus gros festival de Rock de France. Evidemment, la musique des groupes qui s’y produisent n’est pas à mettre entre toutes les esgourdes, surtout si elles sont catholiques pratiquantes. Une certaine Christine a d’ailleurs lancé en 2009 une de ses croisades moyenâgeuses contre le festival, n’hésitant pas à demander au patron de Kronenbourg de ne pas le sponsoriser (un peu comme si on demandait à Adidas de ne pas sponsoriser les J.O.). Ça nous a bien fait marrer et accessoirement, ça a fait une bonne pub au Hellfest, sold-out pour la première fois cette année là.
Mais au Hellfest, outre les descendants de Vikings gardant toujours une dent contre les Chrétiens, il y en a vraiment pour tous les goûts et toutes les chapelles du Métal, auquel s’ajoutent le Punk, le Progressif et le bon vieux Hard-RoPure fucking 1ck des familles. Avec une telle diversité, le spectacle est aussi devant la scène dans un joyeux mélange de looks, des plus passe-partout au plus extrêmes. Mais tout cela se déroule dans la bonne humeur et dans un grand esprit de tolérance. Sans doute se crée-t-il une tacite connivence, une reconnaissance mutuelle, liées au fait que l’on y vient pour écouter une musique boudée et incomprise par les médias, rebutés par son agressivité (positive) et sa radicalité.
Pure Fucking People nous plonge dans cette ambiance et rend un bel hommage avec empathie et, malgré ce que l’expression pourrait avoir de paradoxal en l’espèce, une certaine tendresse pour ces allumés de musique qui s’enfilent goulument décibels et litres de bière.
Travaillant d’après photos, le dessin hyper-réaliste de Will Argunas restitue dans un noir et blanc somptueux, d’un trait élégant et précis, l’attitude de ces fans de musique. Ils y sPure Fucking People 2ont tous, tatoués, casqués, cloutés, en short, en cuir, en Docs, en déguisements improbables ou sans look particulier. Mecs et nanas, capturés dans des poses banales ou excentriques, statiques ou en mouvement. Chaque portrait raconte une petite histoire, une tranche de vie de chacun de ces festivaliers, soudain sublimés et embellis par le truchement de l’illustration.
Dans le troisième tome paru très récemment, l’auteur a innové en rajoutant à chacun de ses dessins une légende qui apporte un réel éclairage sur son travail et permettra aussi de s’immerger encore plus dans l’atmosphère du Hellfest. Un ouvrage dans lequel les uns se reconnaitront tandis que les autres découvriront et comprendront peut-être mieux ces vrais fans de Rock (et vice-versa), pure fucking people, définitivement.

Bonus Track : 3 questions à Will ARGUNAS

Beatles Collector – La fabuleuse collection Jacques Volcouve

Un livre de Ersin Leibowitch, Dominique Loriou… et Jacques Volcouve

Les collectionneurs ont quelque chose de fascinant. Cette quête incessante qui les transforme en doux dingues, amateurs éclairés… ou monomaniaques obsessionnels. Toujours à la recherche de la pièce manquante, la perle rare pour laquelle ils se lèveront aux aurores, sillonneront les routes, écumeront les conventions et les foires en tout genre (le vide-grenier du dimanche matin après avoir bringué la veille, ça me laisse pantois). Ce sont en quelque sorte des créateurs par procuration avec plus ou moins de talent. Mais à un certain niveau, la collection peut devenir une œuvre à part entière. A tout le moins, quelque chose qui distinguera son possesseur du commun des mortels.
Il y a des collections que l’on pourra juger moins nobles… comme les capsules de bière ou les couvercles de boîtes à fromage. Certains jettent leur dévolu sur les fly-tox, tels Frank Margerin qui, quant à lui « fait des collections de collections », d’autres sur les armes blanches des deux guerres mondiales (ce bon vieux Lemmy) … peu importe, la quête est plus importante que son objet et comme disait Camus, « La lutte vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme ».
N’empêche, il y a des montagnes plus abruptes que d’autres et des cimes encore inviolées. S’attaquer aux Beatles en fait partie. Et c’est pourtant ce qu’a entrepris de faire Jacques Volcouve, depuis qu’il est adolescent : constituer l’une des plus belles collections mondiales autour des Fab Four. Une œuvre insensée, tant les Beatles, au delà d’une discographie « officielle » (pour ne parler que de la britannique) d’une douzaine d’albums, ont généré et génèrent encore aujourd’hui une somme incommensurable de produits, dont certains franchement très dérivés. Pressages étrangers ou mieux…pirates, films, affiches, fringues, figurines, jouets, pins, badges et objets en tout genre, sans oublier les pépites ultra-collector que peuvent constituer une photo inédite, un article de presse ou un billet de concert.
Néanmoins, cette monomanie n’a rien d’une lubie. Volcouve est un vrai dingue des Beatles et sa collection, loin d’être une fin sans soi, est le médium par lequel il entretient sa passion sans limites. Son credo est parfaitement résumé dans l’introduction du livre « Pour moi, les Beatles donnaient du bonheur alors que les autres groupes donnaient seulement du plaisir ».
Ce bonheur, il n’a eu de cesse de le partager, bourlinguant autour du monde pour dénicher l’objet encore plus improbable, créant un magazine, donnant des conférences, écrivant des livres… avec quelques points d’orgue comme ces rencontres, épistolaires et même en chair et en os avec ces apôtres de la Pop dont il répand la bonne parole depuis plus de trente-cinq ans, celle des Beatles mais aussi celle de ses quatre membres prolongeant l’évangile après 1970 (quoique de manière souvent discutable selon les exégètes).
Le livre, richement illustré, offre un bel aperçu de la collection mais ne se limite pas à une plate iconographie. C’est une vraie hagiographie, retraçant avec rigueur et souci de la précision historique le parcours des Beatles, mais en évitant l’écueil fréquemment constaté dans les innombrables biographies déjà pondues sur le mythe, ce côté universitaire et encyclopédique, souvent bien barbant. Ici, l’approche est originale, raconter les Beatles par l’objet, et met en lumière le point de vue du fan, plus tangible et plus authentique.
Les Beatles sont immortels et la collection de Jacques Volvouve en est l’une des plus réjouissantes illustrations, grâce à laquelle il méritait bien lui aussi son petit fragment d’éternité.

Le Roman du Rock

 

Auteur : Nicolas Ungemuth

Le titre peut surprendre et l’entreprise paraître prétentieuse. Comme s’il était possible de narrer en quelques 250 pages et une vingtaine de chapitres six décennies d’histoire musicale, de cet art populaire, commodément dénommé Rock mais qui recoupe tant de catégories, de formes et de héros obscurs ou légendaires. Il suffit pourtant de lire le sommaire pour se rendre compte que, pour l’essentiel, tout ce qui mérite d’être mis en avant dans la genèse du Rock semble bien être là, d’Elvis à la nouvelle vague du Rock indé anglais. Et tant qu’à faire des choix, autant se concentrer sur l’essentiel.
Reste le contenu, ce qui nous ramène au titre de l’ouvrage. Un roman ? Eh bien oui, définitivement. Quand Ungemuth retrace la carrière des plus grandes icones du Rock ou dépeint ses principaux courants, c’est bien une histoire qu’il nous conte. Une histoire qui sous sa plume prend la dimension dramatique propre à maintenir l’intérêt du lecteur. Celle de ces grands destins, de ces héros magnifiques, le plus souvent rimbaldiens (j’aime cet adjectif, ça fait super genre « je m’y connais à mort en littérature ») qui créent tous leurs chefs-d ’œuvres dans leurs jeunes années. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de cette grâce, de ce feu sacré qui brûle dans les veines de ces géniaux compositeurs avant que les seringues de dope n’en tarissent la sève. Ce feu dont les survivants arrivent parfois à entretenir la braise mais qui pour beaucoup s’éteint définitivement, passé la trentaine. L’intrigue est quasi immuable mais toujours aussi passionnante.
Ce qui fait aussi le charme de l’opus réside à l’évidence dans l’approche résolument subjective et partiale de l’auteur. Il ne s’agit pas d’une suite de chroniques plates et neutres. Ungemuth prend parti. Il dresse des mausolées avec le même aplomb qu’il démolit les temples. Comme dirait Pascal Rabaté, il ne juge pas, il condamne. A l’instar d’un Lester Bangs, la critique est sans ambages. Chef-d’œuvre ou daube, voire grosse daube. Forcément, quand le lecteur est du même avis, et c’est mon cas à 90 % en l’espèce, c’est assez jubilatoire. Reste 10 % de désaccord, où l’on aurait bien envie de crier à l’erreur judiciaire face à un verdict aussi arbitraire.
Pour Ungemuth tout s’est joué avant 1970 et depuis le Rock n’est qu’une suite de redites parfois brillantes ou inspirées, tel l’épisode du Punk, mais qui n’atteindront jamais le niveau des pierres philosophales empilées tout au long de cet âge d’or.
En partant de cet axiome insurmontable, cela permet d’expédier en quelques pages le Rock progressif et le Heavy Métal sans vraiment se pencher sur la question. Mais j’ai trop de recul par rapport à ça pour m’offusquer de la chose et je ne concèderai tout au plus qu’une pointe d’agacement. D’autant que Ungemuth règle par ailleurs son compte au Rock français de manière assez magistrale et pour le coup plutôt bien argumentée, tout en réservant un petit éloge aux Thugs, ce dont mon chauvinisme angevin ne peut que se réjouir.
Sinon, il est indéniable que le Roman du Rock est le vade-mecum indispensable pour briller en société et y passer pour un puits de science en matière de Rock, tout en constituant un ouvrage initiatique pour les apprentis critiques quant à l’art exigeant de prononcer des sentences irrévocables.

 

Blitzkrieg – Histoire du Punk en 45 tours

Auteur : Géant Vert

Le Punk a littéralement pété à la face du monde civilisé en l’espace de quelques mois, à partir de 1976. Un Big Bang musical dont l’univers ainsi créé s’est replié sur lui-même à l’orée des eighties et dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques étoiles boursouflées et l’écho dérisoire de gentils punkisounours amerloques qui n’ont retenu du truc que l’aspect visuel, crêtes, tatouages et piercings bien propres sur eux. La déflagration a duré quelques années tout de même et a donné vie à une foultitude de combos improvisés, suscités par l’irruption des Sex Pistols.
Ces premières fois qui ont régénéré le Rock se gravaient à l’époque sur des vinyles 45 tours, prémisses d’œuvres plus fournies ou pétards sans lendemain, à la discrétion des maisons de disques gardant l’œil rivé sur les chiffres de vente.
Géant Vert a entrepris de nous faire revivre cette épopée fabuleuse en 80 singles, les 80 premiers efforts de ces groupes à la carrière souvent météorique, à l’image du plus emblématique, les Sex Pistols. Le gaillard, journaliste à Rock & Folk depuis des lustres (et en charge de la chronique BD !) connait parfaitement son affaire, le Punk il a grandi avec et il en a fait puisqu’il était du line-up originel de Parabellum. Il lui a suffi de plonger dans sa discothèque pour en extraire toutes ces perles électriques. La sélection est pointue et drastique puisqu’elle comprend exclusivement des titres allant de 1976 à 1979, classés par ordre chronologique. Il est vrai que le Punk en tant que tel est historiquement apparu à cette période malgré l’énorme coup de semonce en provenance des States au début des années 1970, asséné par les Stooges. Mais la filiation de ceux-ci s’inscrivait plutôt dans les courants Glam et Hard-Rock dont Iggy et sa bande ont fait une retentissante synthèse. Les Punks avaient certes le même goût pour la provocation mais ils voulaient revenir aux sources et à l’esprit fondateur du Rock’n Roll, en réaction au Rock emphatique et grandiloquent qui commençait à emplir les stades. C’était la démarche revendiquée des Ramones, ce sera le credo de tous ces branleurs acnéiques, aux dents gâtés et au look déjanté, avec pour les Britons, ce sentiment d’urgence dicté par la crise économique.
Même si Géant Vert en a forcément laissé sur ses étagères, cette anthologie présente la crème du Punk, des légendes incontournables, comme les Pistols, les Clash ou les Ramones, aux plus obscurs (vous connaissiez The Nipple Erectors ? Oui ? Respect !) en passant par les cultes, tels les Misfits, Johnny Thunders ou les Saints et n’oublie pas non plus les quelques gloires françaises, comme Starshooter ou LSD (si l’acronyme ne vous évoque rien, désolé). La démarche est simple et efficace comme un riff de Punk : Deux pages pour chaque galette, avec la pochette pleine page sur la première et la genèse de l’œuvre et de ses géniteurs sur la seconde. Le tout dans un format 45 tours avec une typographie qui fleure bon le revival des magazines de Rock de l’époque. Une plongée dans un passé glorieux que Géant Vert déterre dans un style sobre, quasi encyclopédique avec la volonté évidente de bien faire à chaque fois le tour de la question.
Si vous aimez vraiment le Punk, le vrai, ce bouquin doit trôner sans délai dans votre discothèque ou bien il n’y aura pas de futur pour vous, comme disait Jeannot le Pourri. Perso, j’ai pas de mérite, c’était mon cadeau d’anniversaire.

Bande originale

 

Un roman de Rob Sheffield

C’était au temps où le CD n’avait pas entamé son règne éphémère, quand employer le terme « numérique » vous faisait ipso-facto passer pour un polytechnicien. Pour conserver et surtout échanger et diffuser la musique, on ne téléchargeait pas, on copiait les disques vinyles sur un petit objet rectangulaire abritant une bande magnétique sur laquelle on pouvait archiver le meilleur de nos penchants musicaux pour se les passer ensuite sur toutes sortes de supports plus ou moins sophistiqués, du magnétophone mono au son pourave jusqu’à la chaine Hi-Fi en passant bien sûr par l’autoradio.
Ces petites anthologies portables, ces fragments de Panthéons musicaux, sont l’argument principal du roman de Rob Sheffield. Détaillées par le menu en exergue de chaque chapitre, elles illustrent les étapes de la courte vie de couple des deux protagonistes. Courte car Renée est décédée et a laissé le narrateur seul avec sa peine et le vide abyssal de son absence.
De cette union brève et intense, il ne lui reste que ses souvenirs qu’il égrène au fil des chapitres, de minces tranches de vie ponctuées de musique, comme une bande-son accompagnant chaque scène de leur histoire. Il faisait régulièrement des cassettes, au gré de l’humeur du moment, avec l’application et la manie d’un collectionneur insatiable. Et ces petites compilations personnelles et uniques étaient comme autant de liens qui renforçaient l’amour entre ces deux jeunes adultes un peu marginaux, du moins au regard du standard américain. Une relation forte et exclusive dont il ne subsiste comme preuve tangible que ces petits rectangles de plastique.
Hormis le thème de l’amour perdu et de la souffrance du deuil auquel j’avoue avoir eu du mal à adhérer jusqu’à la fin du récit, c’est bien dans l’évocation quasi encyclopédique de tout un pan de l’histoire du Rock américain, spécialement le courant indépendant, que réside l’intérêt majeur du livre. Rob Sheffield, en journaliste de Rock chevronné, présente un foisonnement de références (dont je confesse en ignorer beaucoup). Surtout, il illustre parfaitement à quel point, pour un fan, la musique peut être un élément essentiel de son quotidien et au bout du compte une nécessité vitale et une voie vers la rédemption.

 

Mort de Bunny Monro

Un roman de Nick CAVE

Nick Cave est un artiste à part dans le milieu du Rock. Une personnalité et une voix hors norme et une musique indéfinissable aux confins du Blues, du Folk, du Post-Rock, du Gospel, du Punk et du Je-Ne-Sais-Quoi-Wave… de toute façon, ça change à chaque album. Romantique, caverneux, peu accessible à la première écoute. Pas le genre à faire des tubes, il fait plutôt dans le chef-d’œuvre pour initiés. Quand on voit ses concerts, sous son nom et encore plus avec Grinderman, il est facile de se dire que le mec est complètement barré.
Ce brun ténébreux échappe en fait à toutes les classifications mais ne laisse pas indifférent. Alors quand on apprend que l’homme s’adonne aussi à l’écriture, ça donne envie d’y jeter un coup d’œil. Pas vraiment surprenant de retrouver dans ce roman (son deuxième) tout ce qui caractérise sa musique, cette désespérance, cette noirceur, ce souffle épique et aussi une certaine esthétique de la déglingue.
Alors voilà (comme dirait ce vieux Serge), Monro est, comme dans la pièce Mort d’un commis voyageur, un représentant de commerce. Mais contrairement au héros créé par Arthur Miller, c’est le genre VRP en goguette, dans une version bien plus rock’n roll que les aficionados du Ricard-Suze bien de chez nous.
Bunny Monro est un vendeur de produits cosmétiques, plutôt doué. Sauf que c’est un poivrot et, comme son prénom le suggère, un obsédé sexuel, téléguidé par sa queue. Un Dom-Juan de motel dont les galipettes éphémères ont conduit au suicide de sa femme, le laissant seul avec son fils de neuf ans, un brin autiste qui ne lâche jamais son encyclopédie. Il va s’engager avec ce dernier dans un road-movie autodestructeur dont le titre du roman et la première phrase ne laissent aucun doute sur le dénouement. L’intrigue est glauque et poisseuse comme des traces de bourbon laissées sur la table basse. Malgré la dimension pitoyable et pathétique de son personnage, Nick Cave parvient malgré tout à lui conserver un semblant d’humanité, par l’entremise de cet enfant non désiré auquel il voue un amour sincère et maladroit et qui lui offre une sorte de rédemption au bout de sa déchéance.
L’écriture est sans fioritures, tranchante comme un thème de guitare à la saturation crasse et noisy, complètement en accord avec l’intrigue de cet homme à la dérive, incapable de surmonter ses addictions.
Avec ce roman, Nick Cave ajoute à son talent de song-writer celui d’un véritable écrivain, fidèle à son univers à l’esthétique morbide et tourmentée.

Rock First – Nouveau magazine Rock

Aux premiers âges de Rock & Folk, l’une des rubriques du vénérable magazine s’intitulait EruditRock. En réponse aux questions des lecteurs, on y relatait la carrière d’un groupe ou l’on disséquait sa discographie. C’était parfois un peu aride, un brin professoral mais jamais rébarbatif et parfois franchement passionnant.
Plus tard, à la fin des années 1980, la première mouture des Inrockuptibles, dans un format mensuel, faisait la part belle à des interviews au long cours permettant aux intéressés d’ouvrir la boîte aux souvenirs et parfois de régler leurs comptes avec leurs anciens comparses.
Après, j’avoue que j’ai un peu lâché l’affaire mais je gardais toujours un œil sur les petits nouveaux dont beaucoup ont fait long feu. Puis le nouveau millénaire a vu l’éclosion des magazines musicaux spécialisés par genre.
Et Rock & Folk, toujours là, se contentant de gérer le truc, d’entretenir la flamme mais devenu une institution. Un petit CD de temps en temps, des interviews syndicales et cette propension énervante à s’extasier avec la même jubilation béate pour les groupes de stade et le dernier combo franchouillard sans personnalité et sans avenir. Deux heures de TGV et on peut laisser l’objet sur son siège avant de sortir de la rame.
Enfin bon, qu’un magazine comme Rock & Folk existe encore après plus de 45 années d’existence est en soi un petit miracle. Qu’il y ait encore, à l’époque de l’Internet, du Streaming, du MP3 et autres prouesses technologiques ouvertes à tous, des magazines de Rock, est un miracle encore plus grand.
Et qu’un magazine de Rock arrive à renouveler le concept, là, c’est carrément Lazare qui multiplie les pains en marchant sur l’eau.
Car en vérité, je vous le dis, Rock First a trouvé la formule qui manquait terriblement à la presse Rock, depuis… ben, depuis qu’elle existe en fait. Rock First, est un condensé d’encyclopédie, une plongée dans les archives de la grande histoire du Rock. Retour sur la carrière de grands noms au travers de rétrospectives complètes ou de périodes décisives, de genèses d’un album culte (ma rubrique préférée), de discographies sélectives, biographies de grands instrumentistes. C’est richement documenté, ça fourmille d’anecdotes (genèse d’une pochette, origine d’un nom de groupe…), le bonheur.
Mais pas que car on y trouve aussi des interviews de plus de cinq questions, des chroniques d’albums, judicieusement classées par style et plein de petites rubriques réjouissantes, comme les 20 ou les 30 meilleurs xxx, le tout servi par une maquette particulièrement bien conçue et qui donne envie de se plonger dans la lecture du moindre petit encart.
On sent une envie de partager cette passion pour le Rock et de s’adresser aux vrais fans avec qui s’installe comme une forme de connivence. Et pour ça, rien de mieux que de replonger aux racines. Ca remet les choses en perspective en relativisant les buzz un peu trop vite montés en épingle que d’autres dégainent à longueur de manchette et ça crédibilise les avis donnés sur les petits nouveaux.
Puisse Rock First garder longtemps cette fraicheur et cette richesse.
Juste un reproche, les gars mais ça restera entre nous : à chaque numéro, j’ai l’impression de rien n’y connaître en Rock et ça c’est vraiment humiliant.

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