Nick Cave, Mercy on me

Dessins et textes : Reinhard KLEIST

S’il fallait désigner l’incarnation ultime du rocker ténébreux, à l’âme sombre et tourmentée, et en prime toujours de ce monde, un sondage parmi les plus mélomanes désignerait sans doute en tête de liste ce bon vieux Nick Cave. Déjà, rien que le patronyme (qui n’est pas un pseudo) campe le personnage et toute son œuvre semble illustrer ce que suggérait ce nom prédestiné. Difficile de définir la musique de la moins accessible des rockstars australiennes. L’étiquette Post-Punk lui est le plus souvent attribuée mais elle est trop réductrice pour résumer cet univers, mâtiné de Blues, Folk, Rock, Gospel pour ne citer que les influences les plus évidentes.
Après avoir magistralement mis en images Johnny Cash, Reinhard Kleist s’est attaqué à l’énigme Nick Cave. Entre ces deux musiciens très différents, il existe en effet une sorte de filiation. Au delà de la musique, les points communs sont nombreux. Personnalité complexe et autodestructrice, hantés par des démons intérieurs qu’ils combattent au travers de leurs créations, le tout sur fond de mystique religieuse. Qui mieux que Kleist pouvait restituer cette noirceur à laquelle son trait expressif et sa maitrise du noir et blanc offrent un écho unique. Mais alors que le biopic du Pape de la Country suivait une trame assez conventionnelle, celui de Cave propose une approche bien plus originale et assez déroutante au premier abord. Plutôt qu’une biographie classique, sélection chronologique des faits les plus marquants de la carrière du crooner lugubre, Kleist a opté pour une évocation dont les chansons de Cave constituent le matériau et la toile de fond. Afin que le lecteur ne soit pas complètement perdu, quelques scènes « réelles » encadrent ces morceaux d’anthologie, depuis l’enfance rurale jusqu’à la collaboration avec Warren Ellis en passant par l’épopée laborieuse mais fondatrice de The Birthday Party, premier groupe de Cave avant qu’il ne s’adjoigne les Bad Seeds. Mais c’est bien au travers de ces scènes oniriques illustrant les textes et les personnages inventés par l’esprit torturé de Cave que Kleist le dépeint le mieux et lève une partie du voile sur l’oeuvre d’un artiste hors du commun, insatisfait en recherche permanente. Sans cesse au bord de l’abîme, le poète maudit vacille avant de se redresser et de repousser pour un temps ses délires et ses addictions. Le livre regorge ainsi d’illustrations hallucinantes d’un artiste à la limite de la folie, comme celles, récurrentes, de Cave penché sur sa machine à écrire, les yeux habités d’une lueur de dément, les doigts crispés sur le clavier. Car Cave reste aussi un parolier prodigieux, doublé d’un écrivain dont les romans valent le détour. La dernière allégorie du livre reprend avec brio le mythe du Crossroads et de Robert Johnson. Car c’est bien de damnation dont il est question ici. Les scènes de concert sont également d’une justesse et d’une énergie bluffantes. Que dire de plus sur cette nouvelle réussite de Kleist si ce n’est que l’opus a recueilli la validation de Nick Cave lui-même. Il n’y a plus qu’à se plonger sans hésiter dans le marais de cette musique finalement rédemptrice, si l’on sait garder la tête (et surtout les oreilles) hors de l’eau.

Bonus Track : 3 questions à Reinhard Kleist

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