Retour à Liverpool

Dessins : Julien SOLÉ– Textes : Hervé BOURHIS

1980 a été une année noire pour le Rock. Elle débutait très mal en février, avec le décès de Bon Scott (est-il besoin de rappeler qui était le monsieur ?) et s’acheva par l’assassinat de John Lennon en décembre. Après ça, on savait tous que les espoirs de reformation des Big Fab s’étaient évanouis dans la brume new-yorkaise. Malgré quelques coups de semonce en forme de pétards mouillés, c’était fichu, du moins tant que John Lennon serait mort, pour paraphraser George Harrison. Restait une flopée de chef-d’œuvres à écouter en boucle en se disant que rien de mieux en Pop et en Rock ne serait créé et franchement on n’a pas été vraiment détrompés depuis.
En attendant, on peut toujours rêver et se risquer à prononcer le début de cette phrase magique : « Et si… ? » C’est ce qu’ont fait Hervé Bourhis et Julien Solé en donnant vie à cette uchronie qu’on aurait tant voulu voir se réaliser. Et si en 1980, les Beatles étaient de nouveau réunis pour composer des chansons ? Postulat alléchant mais qui une fois posé représentait un sacré challenge. Avec la culture Rock du sieur Bourhis, on n’était pas vraiment inquiet, encore fallait-il aborder le sujet sous le bon angle. Avec Julien Solé au dessin, il y avait fort à parier qu’on n’allait pas tomber dans l’hommage tiède mais plutôt verser dans une parodie joyeusement iconoclaste.
Et force est de constater que l’on n’est pas déçu et que les deux compères sont même allés au-delà de nos espérances car le quatuor mythique s’en prend des bordées à longueur de pages. L’intrigue est astucieuse et repose sur des évènements réels et, malgré la caricature (chapeau à Julien Solé qui s’est parfaitement sorti de ce difficile exercice graphique en créant une fois de plus de superbes planches) et la succession de rebondissements improbables, on se dit malgré tout que ce récit dense constitue une alternative assez crédible à la triste réalité officielle.
Car au delà de l’humour irrévérencieux, Retour à Liverpool met en lumière un fait incontournable : En 1980, chaque membre des Beatles était arrivé au bout de sa verve créatrice. D’abord ce brave Ringo, avec quelques albums alimentaires et dont les qualités intrinsèques de batteur sont égratignées au passage (ce qui est un peu injuste, tant d’illustres pairs ont depuis reconnu son talent et son importance dans les Beatles). Lennon pondait avec Yoko un double album qui vaut surtout par son nom sur la pochette, avec quelques compos sympas mais qui auraient paru bien faibles sur un disque des Beatles. McCartney avait fait le tour des Wings. Quant à Harrison, s’il avait pondu son chef-d’œuvre, All Things Must Pass, juste après la séparation du groupe, aucun de ses albums suivants dans les 70’s, ne s’était approché de ce magistral premier opus.
Cela aurait donc été le bon moment pour reformer le groupe et repartir vers les sommets de la gloire… et de la fortune. Le cahier d’Hervé Bourhis à la fin du livre vient à point nommé expliquer toute la pertinence de l’hypothèse d’une telle reformation.

Évidemment, le point de départ et surtout le déroulement des évènements n’auraient pas été aussi délirants dans la réalité. N’empêche, le récit fourmille de références et de clins d’œil à des faits et anecdotes historiques que les amateurs s’amuseront à reconnaître et sauront apprécier, à commencer par les rivalités et rancœurs qui régnaient entre les Beatles, prétextes aux détournements les plus drôlatiques. Après un tel hommage, les Beatles trembleront un peu sur leur piédestal, mais après tout ils l’ont bien cherché.

Nous aurons toujours vingt ans

Dessins et scénario : Jaime MARTIN

En ce temps là, le besoin de découverte et d’interdits propres à l’adolescence passait entre autres par la recherche de la transgression musicale. Mais sans Internet (le Boomer vous salue) la recherche de ces pépites iconoclastes passaient par les bacs de disquaires recelant des vinyles dont la provocation le disputait à l’outrance visuelle, pour racoler le teenager en quête de décibels. Les pochettes de If You Want Blood, Highway To Hell ou du premier Maiden suscitaient instantanément, la fascination, le rejet ou, en ce qui me concerne, une curiosité quasi morbide qui n’a pas été déçue dès la première écoute et ne s’est depuis jamais démentie. A l’inverse, je suis passé à côté d’albums et même d’artistes dont le visuel m’avait rebuté mais qu’Internet permet aujourd’hui de découvrir et rattraper un peu le temps perdu.
Cette dure réalité du marketing s’applique aussi à la BD. Combien d’albums n’ont même pas le droit à un simple feuilletage en raison d’une couverture pas assez « vendeuse », ce qui explique que les éditeurs y attachent souvent une attention quasi obsessionnelle. S’agissant de Nous aurons toujours 20 ans, point de souci, les fins connaisseurs, dont je prétends faire partie, ont tout de suite repéré l’allusion et l’hommage au premier album des Ramones. Quatre mecs en jean et blouson noir, posture et regards agressifs, signifiant qu’ils sont jeunes, immortels et prêts à bouffer la vie même si elle sera courte et que cela doit bousculer la morale et la bien-pensance.
La couverture était déjà riche de promesses mais comme le rappelle justement Bo Diddley You Can’t Judge a Book by the Cover. Or, le contenu s’est révélé bien au dessus des attentes car il s’agit là, tout simplement, de l’une des meilleurs autobiographies jamais produites en BD. Il faut dire que ce récit, dense et riche, coche toutes les cases de la réussite. A commencer par une toile de fond historique donnant à l’intrigue, qui débute en Espagne à la mort de Franco, une dimension quasi documentaire. Jaime Martin a grandi à Barcelone dans une famille communiste, avec des grands-parents engagés dans la guerre civile et pour laquelle la mort du dernier « grand » leader facho, ayant survécu trois décennies à ses sinistres collègues germanique et italien, est plus vécu comme un soulagement que comme une libération. A l’heure du départ de l’abruti orangé de la Maison-Blanche, ce point de départ de l’intrigue a une résonance particulière.
Jaime Martin retrace son parcours de jeune Barcelonais au sortir du Franquisme, sa soif de BD, de rébellion et de rock’n roll, sans verser dans la nostalgie mais avec une authenticité que seul le vécu peut procurer. Cette bande d’ados révoltés de la fin des Seventies crament leur jeunesse au feu de leurs illusions et se prennent en pleine poire le Punk et le Hard-Rock (magnifique évocation de concerts des Ramones et de Motörhead), Métal Hurlant, la fumette, les émeutes politiques, le service militaire, les filles… et toutes les petites combines pour essayer de se faire un peu de thune (mention spéciale au deal de cassettes de Rock, une véritable Madeleine de Proust pour les Boomers).
Autant d’ingrédients qui font le sel d’un récit passionnant, roman d’initiation, autour de la détermination sans faille de l’auteur à devenir dessinateur de BD, chronique adolescente, comédie sociale et fresque historique se mêlent dans une narration rythmée, d’une fluidité impeccable, grâce au dessin expressif de Martin, qui fait avaler d’une traite les presque 150 pages de l’album. Et bien que l’auteur se place comme il se doit au centre du récit, il évite tout travers narcissique en mettant sur le même plan les autres protagonistes.
La fin du récit et l’épilogue classique et de bon goût, sur le mode « que sont-ils devenus ? » donnent sérieusement l’impression que ces folles années étaient un âge d’or, en comparaison de la période actuelle, qu’il s’agisse du Rock ou de la Bande Dessinée.

Eddy l’Angoisse 2020

Dessins et textes : RICH

En 2008, sortait aux éditions Paquet un récit que je plaçais d’emblée très haut dans mon Panthéon personnel. Quelle joie d’apprendre que l’opus a été réédité chez Snorgleux, dans un plus grand format qui met mieux en valeur le dessin de Rich (Richard Di Martino pour les intimes) et s’enrichit d’une nouvelle piste (au lieu de chapitre puisqu’il est ici question de musique) de quinze planches inédites. Douze années plus tard plus tard, après une palanquée d’albums de BD Rock parus dans l’intervalle, Eddy l’Angoisse reste toujours une référence que je cite et recommande à l’occasion aux amateurs, plus de Rock que de BD d’ailleurs, car il compile les éléments permettant d’ébaucher une première esquisse de réponse à la vaste question, « c’est quoi un groupe de Rock ? »
La genèse de ce groupe amateur qui se forge petit à petit un destin est une peinture réaliste et crédible de la condition du Rock en France. Les petits boulots, les concerts aux quatre coins du pays, les soirées pétards, binouzes… et les filles. Malgré les galères, à force de volonté et de foi en leur musique, les membres de « Grunt » vont réussir à sortir de l’anonymat, enregistrer leur premier disque et entamer ce qu’il est convenu d’appeler une carrière. Car le challenge est bien là : sortir et exister en dehors du local de répète.
Le portrait de ces rockers est juste, parfois drôle mais sans complaisance. Il est principalement axé sur Édouard, le leader du groupe, une personnalité complexe, un peu torturée ; loin d’être parfait donc mais qui en dépit de ses défauts et du désordre de sa vie amoureuse (l’éternelle quête de la fille parfaite) ou professionnelle (un job alimentaire de graphiste), garde la flamme, celle qui permet d’aller plus loin que les soirées picole et les tournées de pétard, pour jouer du Rock pour essayer d’en vivre et pas seulement en faire.
« Eddy l’Angoisse », c’est aussi une belle histoire d’amitié entre ces trois potes très différents que la musique a réunis. Franky le bassiste est lui un séducteur invétéré, collectionneur de filles, tout le contraire de Pof le batteur, très mal à l’aise avec la gente féminine.
Avec un dessin dans la tradition de la BD d’humour franco-belge, Rich brouille les cartes en mettant son trait dynamique et expressif au service d’un récit résolument moderne tant dans le sujet que le mode de narration. Les références au Rock sont légion avec un florilège de standards qui émaillent le récit et dont la play-list est opportunément retranscrite au début du bouquin. Et puis il y a cet épilogue cinglant qui résume à lui seul en une seule page, presque comme un gag d’humour noir, toute la triste réalité du Rock en France. Sur ce point, force est de constater hélas que les choses n’ont guère évolué.
Après une année 2020 qu’on risque de ne pas oublier, pour débuter 2021 du bon pied, on ne peut que conseiller aux fans de Rocks comme de BD, ainsi qu’aux autres, ce récit hautement Sex, Drugs and Rock’n Roll (à ne pas mettre devant toutes les mirettes), en relisant ou découvrant Eddy l’Angoisse, histoire de se libérer un peu des nôtres.

Bonus Track : 3 questions à Rich

Les Métalleux

Dessins : Rich – Textes : Rich et Chloé O’

Tant de corporations, communautés, professions… ont été caricaturées en BD, avec plus ou moins de bonheur dans des séries commençant invariablement par « Les… » que forcément il fallait bien que ça arrive un jour à ces charmants bipèdes, souvent velus et poilus, amateurs de musique puissante, les Métalleux donc. Et tant qu’à faire, il était préférable que ce soit fait par un connaisseur, pratiquant lui-même cette musique sursaturée de décibels. Richard Di Martino, ici sous le pseudo de Rich (mais c’est raté, on t’a reconnu, Richard !) s’est donc attelé à la tâche en accouchant de ce recueil de gags qu’aux dires mêmes de l’intéressé, il avait dans la tête depuis pas mal de temps mais dont il redoutait un peu le passage sur les planches.
Car pas question de se planter quand il s’agit de parodier le style musical dont on est passionné, qui rythme sa vie, son quotidien et sa façon de voir le monde. Le style « gros nez » (terme certes un poil dépréciatif mais imparablement évocateur) dans lequel il est très à l’aise, efficace et bien gratté, permet certes d’assurer le côté humoristique. Mais il pouvait faire basculer l’opus dans la moquerie facile et le cliché. A l’inverse, le fait d’être un fan de Métal aurait pu limiter le propos pour ne pas trop égratigner son modèle.
Un exercice délicat dont l’ami Rich s’est parfaitement sorti avec le concours de Chloé O’ pour les scénarios. Cela donne une suite de gags souvent efficaces, drôles et bien vus. Les personnages sont authentiques, juste ce qu’il faut de caricatural sans tomber dans la moquerie, les situations et les dialogues tapent juste et au final cela donne un album de BD humoristique plutôt réussi. On sent une certaine tendresse, inévitable de la part de l’auteur mais aussi ce qu’il faut de regard critique, dans le respect du principe « qui aime bien châtie bien ».
Déjà, les pages de garde donnent résolument le ton avec une chouette scène dressant un florilège de toutes les chapelles métalliques, Hard, Heavy, Trash, Death, Black, etc. et un condensé des petits moments qui font le sel d’un concert de Rock en général et de Métal en particulier. On retrouve au début de l’album un bestiaire de tous ces styles, histoire de donner au lecteur béotien les quelques clés de lecture. Et ensuite c’est parti pour une petite trentaine de pages évoquant les principaux éléments de la culture Métal. Il y a bien sûr les incontournables du genre, concerts, répètes, looks et gros son mais aussi des situations de tous les jours auxquels sont confrontés les Métalleux comme le commun des mortels. Les amateurs du genre seront donc en terrain connu et les autres découvriront que, oui c’est bien une culture au sens propre et oui, on peut se marrer avec tout le folklore qu’elle draine, les cornes du diable, la bière et tout le reste.
En définitive, le seul défaut de l’opus, c’est sa taille. On aurait vraiment aimé qu’il y en ait un peu plus, juste pour continuer à se marrer. Ce sera peut-être pour le tome 2 ?

Bédés Rock – Sélection 2019

2019 a été une année de transition un peu compliquée et rock-et-bd. com a baissé provisoirement le rideau à partir du mois de mars. Heureusement, pendant ce temps,  la BD rock continuait à engendrer de sympathiques rejetons qu’il serait dommage de ne pas vous présenter aujourd’hui.

 

SYMPHONIE CARCÉRALE
Dessin : BOUQUÉ
Textes : Romain DUTTER
Éditeur : Steinkis
Les concerts en prison : Un des mythes de l’histoire du Rock. Romain Dutter en a organisé une tripotée en tant que coordinateur culturel à la prison de Fresnes. Plongée immersive et musicale derrières les barreaux, avec un salutaire récapitulatif des pages glorieuses du genre.
Lire la chronique

 

REDBONE
Dessin : Thibault BALAHY
Textes : Sonia PAOLINI et Christian STAEBLER
Éditeur : Steinkis
Des Indiens qui font du Rock, en costume traditionnel, plumes comprises… Sérieux ? Au détour des 60’s et70’s, ils ont fait partie du gratin, adoubé par Hendrix entre autres. Biopic passionnant des auteurs de Come And Get Your Love utilisé dans la moitié des pubs télé et Les Gardiens de la Galaxie.

 

FOREVER WOODSTOCK
Dessin : CHRISTOPHER
Textes : Nicolas FINET
Éditeur : Hachette
Fin connaisseur du Rock et de la Pop des 60’s, l’ami Christopher fait revivre le festival mythique de 1969 où les plus grands artistes du moment ont presque tous joué, en faisant parler des témoins et acteurs ficitifs et en illustrant quelques concerts parmi les plus célèbres.

 

THE BLACK HOLES
Dessin : Borja GONZALEZ
Textes : Borja GONZALEZ
Éditeur : Dargaud
Récit original d’un groupe de filles voulant créer un groupe Punk,, en miroir d’un évènement survenu au même endroit un siècle et demi plus tôt. Graphisme minimaliste, ambiance onirique et surréaliste, un OVNI narratif qui mérite la découverte même s’il peut s’avérer déroutant.

 


ELVIS (OMBRE ET LUMIERE)
Dessin : KENT
Textes : Patrick MAHÉ
Éditeur : Delcourt
Quand l’un des tout premiers Punks français, dessinateur pensionnaire de Métal Hurlant se frotte à l’icône ultime du Rock’n Roll. Certes, un biopic de plus, mais qui fait bien le tour de la question, sans complaisance avec un dessin sobre et dynamique.

 

ROCK AND ROLL COMICS – Mes années Best
Dessin : Bruno Blum
Scénario : Bruno Blum
Éditeur : Tartamudo
Bruno Blum voulait faire de la BD et il était un dingue de Rock. Il s’est pris le Punk en pleine face. Le journalisme lui a permis d’unir les deux dans le regretté magazine Best. Compilation nostalgique de ses dessins, bourrés de décibels, sur fond de vache enragée, à Londres et Paris, où le veinard a vu et côtoyé les plus grands.

 

PAUL EST MORT : Quand les Beatles ont perdu McCartney
Dessin : Ernesto CARBONETTI.
Scénario : Paolo BARON
Éditeur : Félès
Tout le monde sait que Paul McCartney est mort en 1966 et qu’il a été remplacé par un sosie. Théorie fumeuse pour alimenter la légende des Beatles ou scrupuleuse chronique d’une vérité cachée ? La réponse en images.

La nuit est mon royaume

Dessins et Textes : Claire FAUVEL

Avec un tel titre, on pourrait s’attendre à un récit nous entraînant dans le trou du cul des Enfers, sur fond de Black Metal distordant, plaintif et éructant telles les âmes perdues se tordant dans les flammes de la damnation éternelle. Mais la couverture laisse deviner une toute autre perspective. Deux filles, l’une aux claviers et l’autre à la guitare dont les poses et les mines inspirées font apparaître une totale dévotion à leur musique.
En fait de Métal (gentiment écorché au détour d’une case), on s’oriente vers le Rock Indie, ou Indépendant pour les béotiens même si ça ne les aidera pas vraiment. Les premières pages ainsi qu’un effeuillage rapide laissent présager (ou redouter ?) qu’il pourrait s’agir là d’une gentille et belle histoire d’un duo féminin, nommé Nuit Noire, qui, après moult galères, réussirait à percer dans le monde implacable du show-biz et parviendrait à réaliser ses rêves. En réalité, hormis le titre, la citation en exergue de Victor Hugo laisse augurer quelque chose de bien plus subtil.
Le décor déjà, loin du sempiternel Paris version classe moyenne supérieure, terreau habituel du Rock branché avec de jeunes boubourges qui vivent leur crise d’ados rebelles et réfractaires au destin tout tracé du Master ou de la Grande Ecole. L’action débute en banlieue, à Créteil, tendance Wesh Gros. Nawel, une fille d’émigré algériens prend sous son aile Alice, une Française « de souche », nouvelle arrivée dans son immeuble et que tout semblait destiner à vivre l’enfer dans le monde impitoyable d’un collège en ZEP. Alice joue de la guitare et elle est une fan Hard Core de Paul McCartney. C’est le choc pour Nawel qui découvre un univers musical qui la transporte. Elle se met au piano et se découvre un vrai talent pour l’écriture et la composition. Le duo féminin suit le cursus habituel : approfondissement de la culture Rock, maîtrise des instruments, création des premières œuvres et les choses s’enchaînent vite, lycée, BTS audiovisuel à Paris, petits boulots et découverte d’un milieu encore plus implacable que la banlieue : le microcosme du Rock parisien.
Même s’il utilise deux ingrédients hyper classiques dans le genre de la fiction musicale, les rêves de succès de jeunes zicos voulant sortir leur premier disque et trouver la reconnaissance du public d’une part, la relation d’amitié entre les protagonistes d’autre part, La nuit est mon royaume s’en affranchit et s’attache avant tout au personnage de Nawel. La jeune femme lutte pour s’affranchir d’origines peu propices à l’épanouissement dans le style de musique (Rock underground et anglophone) qu’elle a choisi. Animée d’une passion et d’une foi sans limites, elle se donne à corps perdu (il ne s’agit pas ici d’une simple métaphore) dans sa musique. Sans oublier de convoquer les figures obligées du genre, premiers concerts foireux, rockers plus concernés par la dope que la création (merci pour la référence aux Thugs, allez Angers !) espoirs déçus, précarité, premier amour… Claire Fauvel a créé un personnage fort, passionnel et habité qui se révèle par petites touches et auquel on finit par s’identifier totalement. Le titre du livre n’est pas trahi par la mise en couleurs qui joue un rôle important dans la profondeur et la justesse du propos. Une narration et un dessin très fluides permettent d’avaler sans effort les 150 pages de l’opus. En prime, et cela mérite vraiment d’être souligné, un rebondissement final (loin d’être imprévisible mais peu importe) débouche sur un épilogue qui donne tout son sens au récit.
Pas de faute de goût donc mais quand on choisit McCartney plutôt que Lennon, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter (vous pouvez lâcher les chiens, les fans de John, j’ai mis mon armure !).

Bonus Track : 3 questions à Claire Fauvel

Symphonie carcérale – Petites et grandes histoires des concerts en prison

Dessins : Bouqé – Textes : Romain DUTTER

Dans la panoplie des qualités qui définissent un VRAI rocker, celle de mauvais garçon (bad boy pour les puristes) figure en tête de liste. Et quoi de mieux pour acquérir ce statut que d’avoir connu, ne serait-ce que quelques heures durant, les quatre murs d’une cellule. Peu importe le motif, statistiquement le plus souvent lié à la consommation de substances prohibées, cocher la case Prison sur votre CV suffira à vous attribuer votre place dans l’aristocratie du Rock. A la rigueur, une simple garde à vue fera l’affaire. Si en prime, vous connaissez les honneurs d’une comparution au tribunal, votre place au Panthéon est réservée, aux côtés des Jagger, Brian Jones, Jim Morrison (exhibition de zizi), Mick Jones (tir sur des pigeons) et consorts. Le plus souvent donc, on reste sur du folklore et une crédibilité Rock à peu de frais. A quelques exceptions notables comme le regretté Calvin Russel (une dizaine d’années en tôle) ou le maléfique Varg Vikernes du groupe de Black Metal Burzum, pour avoir assassiné, de 23 coups de couteau, Euronymous, leader du groupe Mayhem (sans doute à cause d’un léger différend artistique).
A défaut d’un séjour derrière les barreaux, certaines rockstars ne vivent le grand frisson carcéral que de l’extérieur, au travers de concerts devenus légendaires. Johnny Cash, lors d’un show mythique et paru en disque, au pénitencier de Folsom, les Sex Pistols, Metallica ou pour la petite note franchouillarde, Trust.
Romain Dutter, la prison, il connaît, de l’intérieur, pas en tant que détenu mais, après une expérience très marquante au Honduras, comme coordinateur culturel pour le compte du SPIP (rien à voir avec Spirou) à la prison de Fresnes (je colle perpète direct à celui qui sort le calembour pourri de MC Solaar!). La musique, il connaît aussi, car ce Punk de formation est batteur à ses heures gagnées (pourquoi perdrait-on du temps à faire de la musique?). L’idée d’unir ces deux activités lui est donc venue, afin de proposer des évasions musicales aux détenus qu’il a côtoyés au quotidien pendant une petite dizaine d’années. Il a ainsi invité de nombreux groupes à se produire à la prison de Fresnes, en y faisant résonner du Punk, du Reggae ou de la World Music.
Grâce au trait sobre et dynamique de Bouqé, cette expérience unique est désormais retracée dans une BD qui raconte le travail de fourmi accompli par Romain Dutter. Contacter les groupes, organiser la logistique, traiter les inscriptions des détenus (moins d’élus que de demandeurs, avec une sélection drastique par la direction de la prison)… Une aventure humaine (l’expression n’est ici nullement galvaudée) à chaque fois renouvelée, tant par la prestation des artistes dans un environnement aussi « spécial »  que par la réaction des prisonniers, imprévisibles à chaque concert, tantôt marrantes, émouvantes ou pathétiques, avec son lot de galères et de moments de grâce. Ce documentaire particulièrement immersif, émaillé de nombreux témoignages, didactique sans être barbant, dresse un portrait actuel et sans fioritures du monde carcéral en France, mais aussi en creux celui de la musique « alternative » ou engagée en montrant que la Symphonie Carcérale peut connaître des couacs, certains artistes se lançant dans l’expérience pas forcément pour les bonnes raisons. Romain Dutter a su y apporter émotion et authenticité, sans tomber dans le Pathos ou le sentimentalisme, en décrivant la trace que peut laisser de tels concerts aussi bien dans la vie des musiciens que dans celle des détenus. Une lecture libératrice et enrichissante à laquelle je condamne sans appel tous les lecteurs de cette chronique.

Belzebubs

Dessins et textes : JP AHONEN

C’était en 2009, mon premier Hellfest. A l’époque, il faut bien avouer qu’en matière de Métal, à part le Heavy, le Hard, un peu de Trash et un soupçon de Stoner, j’étais loin de maîtriser toutes les étiquettes. Excité et impressionné comme un ado qui découvre… (chacun complétera en fonction de son histoire personnelle), j’avançais les yeux grands ouverts et les oreilles garnies de jolis bouchons roses, prêt à sacrifier à tous les rituels du Métal, avec une curiosité particulière pour ce genre exotique peu apprécié du clergé catholique (entre autres)… le Black Metal. Tant qu’à faire mon éducation, j’optais pour du premier choix avec le concert de Taake, en début d’après-midi et celui de God Seed en clôture. Du folklore norvégien pur jus avec tous les ingrédients, cuirs, clous, pentacles, éphèbes nus sur des croix enflammés et bien sûr le « Corpse Paint », détail qui n’en est pas un car, lorsque l’on veut inviter Satan, mieux vaut soigneusement se peinturlurer l’épiderme comme des démons… pas tibulaires, mais pire. Ça rigolait pas sous la Rock Hard tent. Le Black Metal, c’est sérieux.
Du moins ça l’était, avant que Mister JP Ahonen vienne gentiment écorner le mythe avec ce petit opus iconoclaste, recueil de gags (oui, ô grand Satan, des gags !) d’abord publiés sur le Web. Et le Black Metal il connaît, vu que déjà il est scandinave (finlandais) et que par ailleurs il est le dessinateur de l’excellent Perkeros, récit fantastique foisonnant dont le Métal Progressif était la toile de fond. Belzebubs, c’est, comme le souligne sans prendre de risques la quatrième de couverture, la famille Addams version Black Metal. Sloth et Lucyfer, le papa et la maman, ont de charmants bambins nommés Lilith et Léviathan. Papa et Maman s’aiment, élèvent tendrement leur progéniture qui grandit en apprenant à décider correctement des pentacles. On fête Satan Claus et la naissance de l’Antéchrist, on visite l’Enfer comme d’autres Disneyland, etc. Et bien sûr, Sloth joue dans un groupe de Black Metal. Tout ce petit monde est en corpse paint toute la « sainte » journée, ce qui accentue d’autant le décalage et l’effet comique dans des situations de la vie de gens « normaux » auxquelles les héros sont confrontés. Vie de couple, parentalité, crise d’ado… tous ces clichés prennent une saveur particulière dans une synthèse très réussie, dont l’humour parlera autant aux amateurs de Métal (les affres de la condition de musicien de Métal ne sont pas en reste) qu’à ceux qui ne savaient même pas que ça existait.
Le dessin de JP Ahonen, diablement efficace, sert parfaitement ces petites chroniques de la vie peu ordinaire de ces Métalleux qu’il parvient à rendre marrants et parfois même attachants. Car n’oublions pas que ces gros méchants Païens férus de musique (soi-disant) satanique auront beau faire leur max pour ressembler à des démons échappés des Enfers, ils ont tous des mamans.

Nick Cave, Mercy on me

Dessins et textes : Reinhard KLEIST

S’il fallait désigner l’incarnation ultime du rocker ténébreux, à l’âme sombre et tourmentée, et en prime toujours de ce monde, un sondage parmi les plus mélomanes désignerait sans doute en tête de liste ce bon vieux Nick Cave. Déjà, rien que le patronyme (qui n’est pas un pseudo) campe le personnage et toute son œuvre semble illustrer ce que suggérait ce nom prédestiné. Difficile de définir la musique de la moins accessible des rockstars australiennes. L’étiquette Post-Punk lui est le plus souvent attribuée mais elle est trop réductrice pour résumer cet univers, mâtiné de Blues, Folk, Rock, Gospel pour ne citer que les influences les plus évidentes.
Après avoir magistralement mis en images Johnny Cash, Reinhard Kleist s’est attaqué à l’énigme Nick Cave. Entre ces deux musiciens très différents, il existe en effet une sorte de filiation. Au delà de la musique, les points communs sont nombreux. Personnalité complexe et autodestructrice, hantés par des démons intérieurs qu’ils combattent au travers de leurs créations, le tout sur fond de mystique religieuse. Qui mieux que Kleist pouvait restituer cette noirceur à laquelle son trait expressif et sa maitrise du noir et blanc offrent un écho unique. Mais alors que le biopic du Pape de la Country suivait une trame assez conventionnelle, celui de Cave propose une approche bien plus originale et assez déroutante au premier abord. Plutôt qu’une biographie classique, sélection chronologique des faits les plus marquants de la carrière du crooner lugubre, Kleist a opté pour une évocation dont les chansons de Cave constituent le matériau et la toile de fond. Afin que le lecteur ne soit pas complètement perdu, quelques scènes « réelles » encadrent ces morceaux d’anthologie, depuis l’enfance rurale jusqu’à la collaboration avec Warren Ellis en passant par l’épopée laborieuse mais fondatrice de The Birthday Party, premier groupe de Cave avant qu’il ne s’adjoigne les Bad Seeds. Mais c’est bien au travers de ces scènes oniriques illustrant les textes et les personnages inventés par l’esprit torturé de Cave que Kleist le dépeint le mieux et lève une partie du voile sur l’oeuvre d’un artiste hors du commun, insatisfait en recherche permanente. Sans cesse au bord de l’abîme, le poète maudit vacille avant de se redresser et de repousser pour un temps ses délires et ses addictions. Le livre regorge ainsi d’illustrations hallucinantes d’un artiste à la limite de la folie, comme celles, récurrentes, de Cave penché sur sa machine à écrire, les yeux habités d’une lueur de dément, les doigts crispés sur le clavier. Car Cave reste aussi un parolier prodigieux, doublé d’un écrivain dont les romans valent le détour. La dernière allégorie du livre reprend avec brio le mythe du Crossroads et de Robert Johnson. Car c’est bien de damnation dont il est question ici. Les scènes de concert sont également d’une justesse et d’une énergie bluffantes. Que dire de plus sur cette nouvelle réussite de Kleist si ce n’est que l’opus a recueilli la validation de Nick Cave lui-même. Il n’y a plus qu’à se plonger sans hésiter dans le marais de cette musique finalement rédemptrice, si l’on sait garder la tête (et surtout les oreilles) hors de l’eau.

Bonus Track : 3 questions à Reinhard Kleist

Vince Taylor, l’Ange Noir

Dessins : Marc MALES – Textes : Arnaud LE GOUËFFLEC

En 2014, Cornélius avait édité « Vince Taylor n’existe pas » de Maxime Schmitt et Giacomo Nanni, une BD assez surprenante et originale, une sorte de roman noir très librement inspiré de la vie du plus français des Rockers Anglais.
Il faut dire que le destin de Vince Taylor, le créateur de Brand New Cadillac (reprise par Clash sur l’album London Calling, vous voyez que vous connaissiez…), est fascinant et illustre parfaitement le caractère à la fois sublime et pathétique de ces vies de Rockstars. Adulés par un public masculin prêt à tout casser pour les voir en concert et une cohorte de filles prêtes à tout elles aussi… on garde le même verbe mais on ajoute le verbe faire et on met le tout à la forme pronominale, et ça peut passer sur Facebook, enfin si vous avez pas compris, je simplifie… pour passer une nuit torride avec leur idole avant d’être jetées au petit matin comme des Kleenex usagés. Et en même temps ces bad boys cachent souvent, derrière l’attitude provocante et le flux de décibels, des fêlures secrètes, inavouables et impossibles à combler.
L’intérêt principal de ce biopic romancé est donc d’offrir un réel point de vue d’auteur et de mettre en lumière cette ambiguïté, incarnée par Brian Maurice Holden (le vrai nom de Vince Taylor, ce qui démontre une fois de plus que Maurice est un prénom injustement dévalué dans l’imaginaire Rock) l’inventeur du look du Rocker en vraie peau de vache pour se donner des allures de faux dur à cuir, maintes fois copié depuis, à commencer par Gene Vincent. Au premier abord, le fait que Marc Malès, dessinateur, entre autres, des premiers albums de la série De Silence et de Sang et de Mille Visages ait pris en mains la vie de Vince Taylor pouvait être surprenant, car le reste de son œuvre ne révèlait pas vraiment une attirance particulière pour le Rock’n Roll. Mais en y regardant de plus près, le fait de s’être frotté dans nombre de ses récits au mythe américain, le prédisposait sans doute plus que d’autres à en illustrer, par un noir et blanc intense et soutenu, l’un de ses avatars les plus iconiques et les plus pathétiques.
Les auteurs dépeignent le Rocker comme un mystique, sincèrement croyant, persuadé d’être un Ange Noir, déchu par Dieu et descendu sur terre pour répandre le Chaos, grâce au Rock’n Roll. Incapable d’aimer, assouvissant dans ses relations avec les femmes des instincts maléfiques, sa trajectoire était toute tracée, tant il est vrai que le sommet est un prélude à la chute. Celle-ci s’est amorcée quand Vince Taylor est tombé dans le catalogue d’Eddie Barclay. Au point que le public non averti a pu s’imaginer qu’il soit né de ce côté de la Manche, tel un Eddie Mitchell ou un Johnny Hallyday. Le pauvre…

Bédés Rock – Sélection 2018

The F*** Rentrée a bien eu lieu. Et même si nos cœurs sont lourds et nos cartables bien remplis, nos têtes sont encore pleines de souvenirs estivaux. Ça n’aura peut-être pas été le Summer of Love pour tout le monde mais qu’importe. Avant d’entamer la dernière ligne droite de l’année, il est bon de faire un bilan (déjà !) de ce qui s’est passé de notable dans la Bédé Rock cette année, avec cette petite sélection non exhaustive, en attendant de belles surprises d’ici la fin de l’année.

Interférences

INTERFÉRENCES
Dessin : Jeanne PUCHOL
Scénario : Laurent GALANDON
Éditeur : Dargaud
A l’orée des années 1980, deux amis découvrent la radio pirate anglaise, Radio Caroline, et décident d’importer le concept en France.
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METALLICA
Dessin : Brian WILLIAMSON
Scénario : Jim MCCARTHY
Éditeur : EPA
Un biopic efficace sur les Kings du Trash Metal. Mais le graphisme d’après photos et une approche sans véritable point de vue donnent une vision un peu trop documentaire des Four Horsemen.


THE END
Dessin : ZEP
Scénario : ZEP
Éditeur : Rue de Sèvres
Une intrigue crépusculaire et originale où Zep continue avec brio sa mue graphique et scénaristique. Le Rock est ici en toile de fond au travers du héros qui fredonne The Doors à tout bout de champ.


BUT I LIKE IT, LE ROCK ET MOI
Dessin : Joe SACCO
Scénario : Joe SACCO
Éditeur : Futuropolis
Joe Sacco allume férocement le Rock, ses gimmicks, ses héros toc et ses fans décérébrés. Magistral de drôlerie et de justesse.
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VINCE TAYLOR, L’ANGE NOIR
Dessin : Marc MALÈS
Scénario : Arnaud LE GOUËFFLEC
Éditeur : Glénat
Portrait inspiré d’une figure mythique du Rock’n Roll. Ange déchu, mystique et torturé, Vince Taylor, le plus français des Rockers américains.

 

NICK CAVE – MERCY ON ME
Dessin : Reinhard KLEIST
Scénario : Reinhard KLEIST
Éditeur : Casterman
Après un incontournable biopic sur Johnny Cash, le noir et blanc profond et expressif de Kleist met en images la poésie noire du plus sombre et tourmenté des rockers australiens.

 


JANSKI BEEEATS
Dessin : JANSKI
Scénario : JANSKI
Éditeur : Delcourt
Janski est atteint du virus de la peste violette mais peut la contrôler avec la musique. Son plan est simple, devenir la rocstar de Tower City. Une fiction SF survitaminée sur fond de Rock futuriste.


LA VÉRITABLE HISTOIRE DES FRANGES
Dessin : Juanjo RODRÍGUEZ J.
Scénario : Juanjo RODRÍGUEZ J.
Éditeur : Glénat
Un groupe de Rock espagnol à l’origine de Mai 68 ? Une uchronie déjantée en hommage à une période bénie où le Rock a été l’un des grands vecteurs d’émancipation de la société et de la jeunesse.

But I Like It (Le Rock et moi)

Dessins et textes : Joe SACCO

Joe Sacco appartient à une catégorie bien spécifique de fans de Rock, la pire de toutes en fait : celle des rockers contrariés qui ont dû renoncer à devenir des zicos professionnels. En ce qui concerne Sacco, il y avait plein de bonnes raisons à cela, dont la principale est qu’elle aurait privé le monde de la BD de son talent.Le Rock et moi ; Sacco © Rackham, 2002
But I Like It  est très éloigné du reste de son œuvre, inspirée notamment par l’histoire et le documentaire, notamment sur le thème de la guerre, en Bosnie à la fin du 20è siècle ou encore le fait palestinien (Gaza 1956), sans oublier la fresque somptueuse de près de 7 mètres de long, intitulée La Grande Guerre. Il s’agit ici d’un recueil de planches et d’illustrations réalisées dans les années 1990 et qui avait fait l’objet en 2002 d’une traduction française par les éditions Rackham, parue dans un grand format qui hélas ne reprenait pas l’intégralité de sa grande sœur américaine, les rédactionnels de la version originale ainsi que certaines planches n’ayant pas été reproduits. Les éditions Futuropolis ont eu l’excellente idée de sortir cette édition intégrale, dans son format original, ce qui permet aujourd’hui de redécouvrir ce qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de chef-d’œuvre de la BD Rock. Cette compilation constitue en effet une anthologie décapante et hilarante des clichés du Rock où les rockers, musiciens ou fans, s’en prennent plein la tronche.
En point commun à la partie « sérieuse » du travail de ce pionnier du documentaire en BD (au même titre qu’un Etienne Davodeau en France), on peut quand même relever un sens aigu de l’observation auquel « Le Rock et moi » ajoute un art consommé de la caricature et de la satire. Dans cette galerie de portraits tout aussi finement observés qu’ils sont férocement caricaturés avec un humour percutant comme un bon gros riff de guitare saturée, l’auteur règle ses comptes avec le Rock sans oublier de s’inclure dans cet univers de personnages incomparablement burlesques. Le Rock et moi ; Sacco © Rackham, 2002
« Le Rock et moi », c’est un peu « Les Caractères » de La Bruyère, en version rock. Un véritable traité où aucune des figures archétypiques du Rock ne semble avoir été oubliée. Les rock stars, le fan décérébré, la groupie nunuche, le journaliste, le roadie, le producteur… Sacco y passe également en revue quelques gimmicks incontournables de la culture Rock comme le saccage de chambre d’hôtel ou le concert en plein air. Il règle aussi ses comptes avec les Rolling Stones comme on assènerait ses quatre vérités à son meilleur pote tout en déclamant l’amitié profonde qu’on lui voue. Sur le plan du dessin, bien que l’expression graphisme Rock n’ait pas une grande signification, force est de constater que le noir et blanc et l’esthétique « Big Nose » de Joe Sacco, sied parfaitement au sujet. Ses personnages arborent des trognes néandertaliennes, hirsutes et dégoulinantes, des regards de psycho-killers, des expressions de sinistres connards ou de parfaits abrutis, bref de la caricature de très haute tenue.
Un opus indispensable à tout amateur de Rock, de BD ou des deux qui apportera de l’eau au moulin de ceux qui détestent le Rock tout autant que de ceux qui l’adulent.

Interférences

Dessins : Jeanne PUCHOL – Textes : Laurent GALANDON

Aujourd’hui il est difficile d’imaginer qu’il fut un temps où la Bande FM était un truc de branchés, réservé à des initiés, férus de culture, notamment de musique classique et constituait un territoire quasiment vierge, laissé en pâture aux autistes, amateurs de Cibi, aux petits génies de l’électronique et aux camionneurs exhibant leurs Marcels tendus par la proéminence de leurs torses velus. Europe 1 et RTL, franchises privées, régnaient sur les grandes ondes, celles qui n’aimaient pas les tunnels, France Inter, Culture et Musique proposaient déjà une alternative de qualité estampillée service public… Mais tout ça restait très encadré et sous le joug du pouvoir politique, à la grande époque de l’ORTF.
Interférences 1Une fois de plus, la nouveauté vint d’Outre-Manche, dès 1964 (année de naissance de plein de types géniaux), avec Radio Caroline, émettant depuis un vieux rafiot au large des cotes britanniques. Forcément, le temps que l’information arrive au cerveau, ce n’est que vers la fin des années 1970 que les radios pirates envahirent les ondes franchouillardes. Sous les toits parisiens, quelques rebelles émettaient dans la clandestinité, bravant le monopole de l’État. Et sur ces radios illicites, que pouvait-on entendre ? Du Rock évidemment, anglo-saxon, par hypothèse, tandis que les grandes radios précitées déversaient à plein tube de la variète bien de chez nous, gouaillée par des chanteurs à prénom, à l’attention de ménagères à la tranche d’âge indéfinie.
Laurent Galandon et Jeanne Puchol ont entrepris de faire revivre cette glorieuse époque au travers d’une fiction relatant l’odyssée d’une radio pirate créée par deux amis. D’un côté Alban, étudiant fils à papa patron d’entreprise et de l’autre Pablo, jeune ouvrier, fils d’émigré espagnol. Des vacances en Angleterre leur font découvrir Radio Caroline, les petites Anglaises et le Rock’n Roll. Plus tard, à Paris dans le Quartier Latin, les deux compères font une rencontre décisive, avec Douglas, un hippie charismatique qui a officié comme ingénieur du son sur Radio Caroline. Il va devenir leur mentor et les inciter à créer leur radio Pirate.
Radio Nomade va ainsi voir le jour et après des débuts forcément laborieux, trouver son rythme et acquérir une petite notoriété, grâce aux disques passés par Pablo et aux interviews décalées d’Alban donnant la parole aux marginaux, aux émigrés et même aux femmes de mauvaise vie, tant éloignés de son univers bourgeois. Mais à force de jouer avec le feu, l’amitié entre Alban et Pablo va être mise à rude épreuve. La dialectique du riche et du pauvre, un thème maintes fois utilisé, donc un peu piégeux, offre ici un décor tout à fait crédible pour illustrer cette période foisonnante où les corsaires des ondes rivalisant d’ingéniosité, de malice et, il faut le dire aussi, de courage, bravaient la police, changeant sans cesse de lieu d’émission pour échapper aux radars embarqués, sillonnant les rues parisiennes pour les repérer.

Le contexte politique de l’époque et les grandes étapes de cette libération progressive de la bande FM (définitivement accordée par François Mitterrand dès 1981) sont présentées de manière didactique et vivante, grâce à cette histoire d’amitié et aussi l’astuce scénaristique consistant à faire témoigner et raconter l’épopée de Radio Nomade par l’un de ses protagonistes… lors d’une émission de radio. Le noir et blanc réaliste et sobre de Jeanne Puchol restitue parfaitement cette période, qui remonte déjà à quarante ans. On se prend même à regretter que cette époque farouche et héroïque n’existe plus, quand l’on considère l’offre radiophonique de la FM en France aujourd’hui, dont l’abondance rime bien peu souvent avec la richesse et la diversité.

La Dame de Fer

Dessins : Michel CONSTANT – Textes : Béa et Michel CONSTANT

L’autre jour, en écoutant pour la 227 352è fois Pretty Vacant des… Sex Pistols, je me suis posé la question qui vient invariablement à l’esprit quand on est en 2018 et qu’on écoute le meilleur titre (oui, c’est le meilleur mais avais-je besoin de le préciser ?) de la bande à Johnny Rotten. Mais que sont les Punks devenus ? Qu’a-t-il pu advenir de cet idéal libertaire et nihiliste de la fin des Seventies (oui, je suis bilingue) aussi frais et pur que la brise soufflant sous le kilt d’un Écossais arpentant la lande verdoyante des Highlands (ou la vallée de la Speyside où, comme chacun sait, on fabrique les meilleurs whiskys) ? Dame de fer 1Quel a été le destin de ces jeunes crêteux, percés d’aiguilles à nourrice, qui se déchaînaient dans de furieux pogos en gueulant No Future ? On peut imaginer qu’ils aient succombé à une overdose dans un squat crasseux, ou, pire encore qu’ils aient troqué le Perfecto et les tube de colle contre un costard Burberry et des lignes de Coke aspirées à pleines narines dans leur bureau rutilant de la City. On peut aussi se réjouir qu’ils n’aient pas tous renoncé à leur idéal et que certains aient pu trouver leur petite place dans la société anglaise, sans rien renier de leurs convictions et de leur esprit de rébellion, si dérisoire fut-il.
Michel et Béa Constant nous proposent un récit ayant résolument choisi la seconde option. Alors que nous, pauvres mortels, lorsque nous faisons un petit voyage Outre-Manche, nous contentons de faire le plein d’humidité et de Fish and Chips pour le reste de l’année, eux en ont profité pour y puiser l’inspiration et le décor de cette histoire, tellement bien narrée qu’elle nous plonge illico, comme si l’on y était, dans l’ambiance de la campagne anglaise, un peu comme ces séries policières du dimanche soir sur France 3, auxquelles un soir j’ai renoncé pour écrire cette chronique.
Or donc, Donald tient un Pub dans un bled du Kent qu’il a repris aux décès de ses parents. Mais il est criblé de dettes et accessoirement il vient d’apprendre qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Vu que le No Future commence sérieusement à se préciser pour lui, le jour où il apprend avec une certaine délectation la mort de Margaret Thatcher (surnommée… la Dame de Fer… ça va tout le monde suit?) il décide de réunir ses deux meilleurs amis, Abby (je précise que c’est une fille) et Owen (je ne précise rien) avec qui il a, un quart de siècle plus tôt, fait les 400 coups, écumé les salles de concert et s’est frité avec les flics, rapport à la fermeture de la mine du coin. Cet épisode dramatique a laissé sur le carreau une bonne partie de la population locale, à commencer par le père d’Owen et a poussé ce dernier à s’exiler à Londres où il fait le Taxi quand il n’est pas au Pub. Abby, quant à elle, bosse aussi à Londres dans une agence de communication. Et si elle a renoncé aux mini-jupes en jean et aux cheveux teints en rouges, elle n’a rien perdu de sa verve et de son goût pour la liberté. Et être une femme libérée, nous savons tous que ce n’est pas si facile, comme disait… Muffin Coocker (à moins que ce ne soit Cookie Dingler, je les confonds toujours). Donald refuse de céder son Pub au Golf du coin qui a dans seDame de fer 2s cartons un projet d’extension hautement lucratif, soutenu par le maire, un bourgeois libéral et opportuniste. La vente épongerait les dettes mais pas question de se faire avoir une seconde fois, comme au temps où Margaret Thatcher zigouillait l’économie locale.
Ce récit humaniste fait bien sûr penser au cinéma social anglais (Ken Loach, Mike Leigh et consorts), sur fond de crise économique et de personnages attachants, bien campés, tous crédibles dont aucun ne verse dans la caricature. Mention spéciale pour Béatrice, la mère célibataire, atteinte du syndrome de la Tourette. Sans oublier cette pointe d’humour qui sied à toute bonne chronique sociale, en dédramatisant le propos sans l’édulcorer. C’est émaillé de références aux grandes figures du Rock anglais de l’époque de la jeunesse des trois protagonistes (Clash, The Jam, Stiff Little Fingers…) et ça fleure bon la nostalgie d’une jeunesse rock’n roll, au travers des retrouvailles de ces vieux potes qui essaient de mener cet ultime combat contre le fric et la bonne société bien pensante.
Et puisque l’on parle de Thatcher, on ne peut manquer d’évoquer la Dame de Fer (au lecteur de découvrir ce que c’est, mais un indice, elle est sur la couverture de l’album), madeleine de Proust des trois héros, élément clé de l’intrigue dont elle va déclencher la révélation finale.
Voilà une BD qui, grâce au dessin de Constant, une superbe ligne claire très expressive avec une mise en couleurs collant à merveille à l’atmosphère du récit, se lit d’une traite, avec une réelle jubilation, comme un bon vieux disque de Punk.

Les deux vies de Baudoin

Dessins et textes : Fabien TOULMÉ

Quand on a le même prénom qu’un ancien roi des Belges, au passé qui, bien qu’un peu trouble, n’évoque guère la folie et les outrances d’une vie de Rockstar, on se traîne quand même un sacré handicap quand on caresse l’espoir de devenir un guitariste professionnel. Et quand le Baudoin de ce récit est confronté au choix de son projet de vie, ce patronyme sonne déjà comme une mauvaise excuse.
Dès le début, on devine, qu’en dépit des posters des groupes phare des années 1970 décorant sa chambre, ce faux adolescent attardé mène une vie d’adulte au quotidien déprimant. Malgré un job bien payé de juriste dans une grosse boîte parisienne, le quotidien Deux vies Baudoin 2métro-boulot-dodo a éteint ses rêves musicaux. Baudoin bosse comme un âne, sous la coupe d’un supérieur tyrannique. Une bonne vie de merde qui d’emblée se révèle forcément prometteuse pour la suite. Et l’on n’est pas déçu quand Luc, le frère de Baudoin, débarque dans sa vie à l’improviste, en transit entre deux missions pour Médecins sans frontières. Antithèse de son frangin timoré, Luc est un winner qui avance dans la vie au gré de ses désirs, multipliant les conquêtes féminines tandis que son frère complète laborieusement sa collection de râteaux, lors des rares occasions qu’il a de se retrouver seule avec une fille.
Point n’est besoin de dévoiler plus l’intrigue, ni l’astuce scénaristique qui mènera les deux frères en Afrique, au Bénin, et vers un dénouement doux-amer très bien tourné (ah, ce que c’est bon, les BD avec un VRAI épilogue). Baudoin va y découvrir le sens de sa vie, se révéler à lui-même mais aussi réaliser à quel point son frère l’aime. Car il s’agit avant tout de ça, d’une histoire de fratrie, pleine de sensibilité (mais pas niaiseuse) et de réalisme (mais dépourvue de clichés). Le récit est d’une fluidité réjouissante, en dépit de l’exercice, toujours un peu casse-gueule, des flash-back répétés, et qui ici permettent d’éclairer progressivement la relation complexe et forte qui unit les deux frères.
Le dessin de Toulmé n’est pas étranger à ce plaisir de lecture,Deux vies Baudoin 1 aussi sobre et qu’expressif, ce qui n’est jamais évident dans ce style de graphisme « nouvelle BD » (depuis le temps qu’il existe, on se demande d’ailleurs si l’adjectif signifie encore quelque chose).
Et le Rock dans tout ça ? Une toile de fond discrète mais bien présente, avec juste ce qu’il faut de sexe (hé, hé…), de drogue (oui, bon, juste quelques pétards) et de Rock’n roll, tandis que Baudoin reprend le manche de sa vie et de sa guitare et se frotte à la Pop africaine, lui le fan de Rock des Seventies. Dans son propre style, par son ambiance générale et la justesse des personnages, Les deux vies de Baudoin fait sacrément penser à Love Song ou The Long and Winding Road de l’ami Christopher. C’est encore l’un des plus beaux compliments qu’on puisse faire à ce roman graphique qui tient la corde pour être mon coup de cœur BD de l’année 2017.