Interférences

Dessins : Jeanne PUCHOL – Textes : Laurent GALANDON

Aujourd’hui il est difficile d’imaginer qu’il fut un temps où la Bande FM était un truc de branchés, réservé à des initiés, férus de culture, notamment de musique classique et constituait un territoire quasiment vierge, laissé en pâture aux autistes, amateurs de Cibi, aux petits génies de l’électronique et aux camionneurs exhibant leurs Marcels tendus par la proéminence de leurs torses velus. Europe 1 et RTL, franchises privées, régnaient sur les grandes ondes, celles qui n’aimaient pas les tunnels, France Inter, Culture et Musique proposaient déjà une alternative de qualité estampillée service public… Mais tout ça restait très encadré et sous le joug du pouvoir politique, à la grande époque de l’ORTF.
Interférences 1Une fois de plus, la nouveauté vint d’Outre-Manche, dès 1964 (année de naissance de plein de types géniaux), avec Radio Caroline, émettant depuis un vieux rafiot au large des cotes britanniques. Forcément, le temps que l’information arrive au cerveau, ce n’est que vers la fin des années 1970 que les radios pirates envahirent les ondes franchouillardes. Sous les toits parisiens, quelques rebelles émettaient dans la clandestinité, bravant le monopole de l’État. Et sur ces radios illicites, que pouvait-on entendre ? Du Rock évidemment, anglo-saxon, par hypothèse, tandis que les grandes radios précitées déversaient à plein tube de la variète bien de chez nous, gouaillée par des chanteurs à prénom, à l’attention de ménagères à la tranche d’âge indéfinie.
Laurent Galandon et Jeanne Puchol ont entrepris de faire revivre cette glorieuse époque au travers d’une fiction relatant l’odyssée d’une radio pirate créée par deux amis. D’un côté Alban, étudiant fils à papa patron d’entreprise et de l’autre Pablo, jeune ouvrier, fils d’émigré espagnol. Des vacances en Angleterre leur font découvrir Radio Caroline, les petites Anglaises et le Rock’n Roll. Plus tard, à Paris dans le Quartier Latin, les deux compères font une rencontre décisive, avec Douglas, un hippie charismatique qui a officié comme ingénieur du son sur Radio Caroline. Il va devenir leur mentor et les inciter à créer leur radio Pirate.
Radio Nomade va ainsi voir le jour et après des débuts forcément laborieux, trouver son rythme et acquérir une petite notoriété, grâce aux disques passés par Pablo et aux interviews décalées d’Alban donnant la parole aux marginaux, aux émigrés et même aux femmes de mauvaise vie, tant éloignés de son univers bourgeois. Mais à force de jouer avec le feu, l’amitié entre Alban et Pablo va être mise à rude épreuve. La dialectique du riche et du pauvre, un thème maintes fois utilisé, donc un peu piégeux, offre ici un décor tout à fait crédible pour illustrer cette période foisonnante où les corsaires des ondes rivalisant d’ingéniosité, de malice et, il faut le dire aussi, de courage, bravaient la police, changeant sans cesse de lieu d’émission pour échapper aux radars embarqués, sillonnant les rues parisiennes pour les repérer.

Le contexte politique de l’époque et les grandes étapes de cette libération progressive de la bande FM (définitivement accordée par François Mitterrand dès 1981) sont présentées de manière didactique et vivante, grâce à cette histoire d’amitié et aussi l’astuce scénaristique consistant à faire témoigner et raconter l’épopée de Radio Nomade par l’un de ses protagonistes… lors d’une émission de radio. Le noir et blanc réaliste et sobre de Jeanne Puchol restitue parfaitement cette période, qui remonte déjà à quarante ans. On se prend même à regretter que cette époque farouche et héroïque n’existe plus, quand l’on considère l’offre radiophonique de la FM en France aujourd’hui, dont l’abondance rime bien peu souvent avec la richesse et la diversité.

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