The Four Roses

Dessins : Jano – Textes : Baru

Certains Rockers ont un style est unique. Un timbre de voix, un son de guitare qui les distinguent à ce point de leurs pairs que même après une longue absence, leur irruption entre nos deux esgourdes, nous procure le même plaisir que lors de nos premières écoutes adolescentes. En BD, également, la patte inimitable de certains dessinateurs se repère de loin et les démarque immédiatement au milieu des rayons de librairies débordant de nouveautés éphémères. Jano fait partie de cette noble caste. Découvrir un nouvel opus du père de Kebra fait partie des plaisirs de la vie qui vous égaient une journée et au delà. Et quand en plus, l’opus en question s’avère avoir été scénarisé par Baru, l’excitation pointe un museau aussi proéminent que la truffe des personnages animaliers qui sont la marque de fabrique de Jano.
 2The Four Roses (rien que le titre en forme de clin-d’oeil nous promet déjà un récit bien rock’n roll), recèle une intrigue qui envoie le lecteur de la Meuse aux States comme une lettre à la Poste et qui à l’instar de ses protagonistes offre le prétexte à de réjouissantes retrouvailles avec les sources de la BD Rock. Comme au bon vieux temps de Métal Hurlant et des albums souples aux couvertures flashy des Humanos. Sauf qu’ici l’objet a un peu plus de gueule, comme toute la production Futuropolis, soit dit en passant.
Dès les premières cases, (précision : celles de Jano, pas celles de l’avant-propos de Baru qui nous balance du Michel Sardou en faisant au passage une salutaire mise au point historique) le ton est donné : On est dans le vintage et dans le roots, le Rock’n Roll sans fioritures, the Real Thing, Man ! en découvrant, cette bête de scène (un renard, dixit Jano), seul sur les planches, s’escrimant sur sa Télécaster 1967 et sa grosse caisse, la bouche tordue par un rictus de jubilation et de concentration extrêmes. Comme à un début de concert, on sait que cette BD va le faire et qu’on va passer un bon moment.
L’histoire est courte et efficace comme un standard de Rockabilly. Un Rocker atypique, homme orchestre sans concessions, nommé King Automatic, écume la France profonde (et même la Pologne !) pour faire vivre ce bon vieux Rock’n Roll. En faisant le tri avec son frangin dans les vieilleries d’une tante récemment décédée, la découverte d’un Teppaz, d’un 45 tours de Rockabilly et d’une lettre le met sur la trace d’une Grand-Mère expatriée aux States. L’occasion est trop belle d’aller sur place faire une petite recherche généalogique. De là, les événements vont se précipiter, entre des flics un poil chelous, une Tata rockeuse et des p’tits voleurs à peine sortis du bac à sable. Baru est toujours aussi à l’aise dans la chronique sociale qui donne à ce scénario cette authenticité exempte de tout bavardage démonstratif. Sa narration sobre et aérée colle parfaitement au trait de Jano en lui permettant d’exprimer son talent pour les décors hauts en couleurs, tout aussi dépaysants qu’immersifs. Four RosesQu’il s’agisse d’un troquet de banlieue cradingue, d’une rue de Louisiane ou d’une salle des fêtes des Swinging Fifties des bases militaires franchouillardes où les Amerloques instillaient leur délicieux venin de décibels dans la caboche et les jambes des Frenchies, on y est. Et puis, c’est un pur plaisir de retrouver les tronches Rock’n Roll, avec ces regards perçants comme un cran d’arrêt, que seul Jano est capable de rendre aussi expressives. On sent qu’il s’est offert une cure de jouvence au travers de ces 74 planches, une première pour lui.
Cerise sur le Cheese-Cake, King Automatic et Johnny Jano (non, non, rien à voir mais le clin-d’œil est savoureux) dont la musique constitue le fil rouge du récit, ne sont pas des musiciens fictifs, comme en témoigne le 45 tours qui accompagne le livre. Du bien bel hommage et de la belle ouvrage. Jano is back, qu’on se le dise et vivement la suite !

Burlesque Girrrl

Dessins et scénario : François AMORETTI

Lors de road-trips béarnais, au cours de mes dernières vacances, la seule station correctement audible de la bande FM était France Culture. Du coup, j’en ai profité pour me mettre à niveau. Entre une émission sur la théorie des cordes et une autre sur la rivalité Voltaire-Rousseau, je suis tombé sur un cycle consacré aux rapports entre Sexe et Rock. Une suite d’entretiens, avec des musiciens, écrivains ou journalistes, illustrée par des extraits sonores judicieusement choisis. J’en ai retenu pour l’essentiel qu’à la base, le Rock c’est du sexe en musique, les déhanchements d’Elvis, la bouche de Jagger, le mascara de Bowie, le torse de Morrison, le micro de Prince, les paroles de Lou Reed… tout tourne autour de ça.Burlesque 1
Reste que dans le Rock, les sex-symbols sont presque exclusivement des mecs, comme si les filles devaient mettre de côté leurs charmes et se muer en garçon manqués, gouailleuses et rebelles pour prétendre à la crédibilité Rock. Burlesque Girrrl propose à cet axiome une alternative bien plus aguichante. « Grrrl » est un groupe de Rockabilly qui s’efforce de percer dans le Rock Bizness en essayant de décrocher un contrat lui permettant de sortir son premier disque. Un thème abondamment traité dans la BD Rock. Le récit d’une veine très classique, en dépit de quelques événements dramatiques, ne laisse d’ailleurs guère de doute sur la fin de l’histoire.
Ce qui s’avère en revanche bien plus original, c’est le personnage de Violette, affriolante contrebassiste de « Grrrl », aux formes furieusement féminines, d’une sensualité exacerbée mais tout en nuances et exempte de la moindre vulgarité. D’autant que la belle rousse aux courbes généreuses pratique l’effeuillage burlesque, une forme de strip-tease rétro, faisant la part belle à la lingerie froufroutante et à l’esprit du cabaret. De l’érotisme chic dans lequel elle excelle et où sa carrière dans les magazines ou sur les planches s’avère bien plus prometteuse que celle de son groupe. C’est pourtant à ce dernier qu’elle est dévouée corps et âme, comme elle l’est à Peter, chanteur et guitariste dont le hobby consiste à retaper des bagnoles de collection des années 1950.
Burlesque, Roadsters et Rockabilly, le livre est entièrement placé sous le signe du Vintage, y compris dans l’approche graphique et la mise en couleurs, vraiment superbes. L’auteur a poussé très loin l’interaction entre la réalité Rock et la fiction BD en intégrant dans son récit Collen Duffy la pulpeuse chanteuse de « Devil Doll », combo américain de Rock’n Roll qui joue un rôle central dans l’histoire. Amoretti s’est inspiré de ces deux univers rétro, musical du Rockabilly et esthétique du Burlesque avec ses effeuilleuses aux rondeurs ornementées de somptueux tatouages, pour réaliser au travers de Violette un portrait de femme indépendante et fragile, courageuse et sensible, subtil mélange de candeur romantique et de culot rock’n roll que le destin pousse à sortir et montrer le meilleur d’elle-même pour s’affirmer dans le groupe et devenir une musicienne à part entière. Burlesque 2Car entre se déshabiller et chanter sur scène, l’exercice où l’on se met le plus à nu n’est pas forcément celui qu’on croit. Un personnage fort de la BD Rock qui a permis à Burlesque Girrrl de remporter le prix du festival Bulles Zik en 2013.
Chaque tome est agrémenté d’une préface, de Colleen Duffy, déjà citée, pour le premier et Mimi Le Meaux, icône du Burlesque pour le second. et se clôt par un petit art-book où quelques autres dessinateurs donnent leur propre version de Violette. Du bien bel ouvrage qui donnerait presque envie d’emmener sa chérie chez le tatoueur et de passer son CAP de mécanicien auto.

Bonus Track : 3 questions à François AMORETTI

Le Roman du Rock

 

Auteur : Nicolas Ungemuth

Le titre peut surprendre et l’entreprise paraître prétentieuse. Comme s’il était possible de narrer en quelques 250 pages et une vingtaine de chapitres six décennies d’histoire musicale, de cet art populaire, commodément dénommé Rock mais qui recoupe tant de catégories, de formes et de héros obscurs ou légendaires. Il suffit pourtant de lire le sommaire pour se rendre compte que, pour l’essentiel, tout ce qui mérite d’être mis en avant dans la genèse du Rock semble bien être là, d’Elvis à la nouvelle vague du Rock indé anglais. Et tant qu’à faire des choix, autant se concentrer sur l’essentiel.
Reste le contenu, ce qui nous ramène au titre de l’ouvrage. Un roman ? Eh bien oui, définitivement. Quand Ungemuth retrace la carrière des plus grandes icones du Rock ou dépeint ses principaux courants, c’est bien une histoire qu’il nous conte. Une histoire qui sous sa plume prend la dimension dramatique propre à maintenir l’intérêt du lecteur. Celle de ces grands destins, de ces héros magnifiques, le plus souvent rimbaldiens (j’aime cet adjectif, ça fait super genre « je m’y connais à mort en littérature ») qui créent tous leurs chefs-d ’œuvres dans leurs jeunes années. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de cette grâce, de ce feu sacré qui brûle dans les veines de ces géniaux compositeurs avant que les seringues de dope n’en tarissent la sève. Ce feu dont les survivants arrivent parfois à entretenir la braise mais qui pour beaucoup s’éteint définitivement, passé la trentaine. L’intrigue est quasi immuable mais toujours aussi passionnante.
Ce qui fait aussi le charme de l’opus réside à l’évidence dans l’approche résolument subjective et partiale de l’auteur. Il ne s’agit pas d’une suite de chroniques plates et neutres. Ungemuth prend parti. Il dresse des mausolées avec le même aplomb qu’il démolit les temples. Comme dirait Pascal Rabaté, il ne juge pas, il condamne. A l’instar d’un Lester Bangs, la critique est sans ambages. Chef-d’œuvre ou daube, voire grosse daube. Forcément, quand le lecteur est du même avis, et c’est mon cas à 90 % en l’espèce, c’est assez jubilatoire. Reste 10 % de désaccord, où l’on aurait bien envie de crier à l’erreur judiciaire face à un verdict aussi arbitraire.
Pour Ungemuth tout s’est joué avant 1970 et depuis le Rock n’est qu’une suite de redites parfois brillantes ou inspirées, tel l’épisode du Punk, mais qui n’atteindront jamais le niveau des pierres philosophales empilées tout au long de cet âge d’or.
En partant de cet axiome insurmontable, cela permet d’expédier en quelques pages le Rock progressif et le Heavy Métal sans vraiment se pencher sur la question. Mais j’ai trop de recul par rapport à ça pour m’offusquer de la chose et je ne concèderai tout au plus qu’une pointe d’agacement. D’autant que Ungemuth règle par ailleurs son compte au Rock français de manière assez magistrale et pour le coup plutôt bien argumentée, tout en réservant un petit éloge aux Thugs, ce dont mon chauvinisme angevin ne peut que se réjouir.
Sinon, il est indéniable que le Roman du Rock est le vade-mecum indispensable pour briller en société et y passer pour un puits de science en matière de Rock, tout en constituant un ouvrage initiatique pour les apprentis critiques quant à l’art exigeant de prononcer des sentences irrévocables.

 

Shaka Ponk en concert

On se pointe une demi-heure avant l’ouverture des portes et la populace est déjà bien fournie. D’jeune forcément mais pas que. C’est même un public assez familial (à commencer par ma petite famille) avec une amplitude d’âge qui va du schtroumpf à peine sevré au cheveux blancs clairsemés. Pas un public hyper branché donc mais qui remplit complètement le Zénith de Nantes.
Je vais donc enfin voir ce phénomène de concert dont la réputation a grandi au fil des tournées et du bouche à oreille. Pour voir, on a vu et on s’en est pris plein la tronche. Un spectacle bluffant, millimétré mais qui n’exclut pas l’énergie rock’n roll. Les Shaka Ponk ont mis au point une formule imparable servi par un son parfaitement au point, des zicos sûrs de leur fait, emmenés par deux chanteurs qui, certes sans être de grands vocalistes, (vive le delay) compensent avantageusement par une activité incessante et une complémentarité impeccable.

On ne sait plus vraiment où porter son regard entre les membres du groupe à l’œuvre et la scénographie vidéo qui décline un univers visuel différent à chaque morceau. Mention spéciale pour les ombres chinoises et le duel de batteurs entre le vrai en chair et en sueur et Goz, le singe virtuel (un clin d’œil à Sheytan ?).
Sur le strict plan de la musique, c’est tout aussi imparable. Carré, efficace, un dosage équilibré entre une architecture heavy-rock et un habillage électro, de quoi bouger le bassin tout en headbanguant en rythme, à l’image du bassiste.
Évidemment, d’aucuns diront que cette orgie visuelle cache peut-être un répertoire qui ne survivra pas à l’effet de mode, qu’on risque d’ailleurs de trouver les disques bien fades après une telle prestation. Que les textes sont peu fouillés (ah, les critiques de Télérama, dès fois y mériteraient qu’on les balance dans un Mosh de Deathcore, histoire de leur apprendre ce qu’est l’esprit Rock). Que cette bande de geeks obsédés par le high-tech et l’image programment plus leur musique qu’ils ne la composent. Bref, qu’on est dans le mainstream, sempiternelle critique faite aux groupes français qui conquièrent un public plus large que le strict milieu Rock et dont l’on commence à un peu trop parler.

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Je répondrai, votre Honneur, qu’hormis des passages réguliers sur quelques chaînes et radios musicales, on ne peut pas dire qu’il y ait matraquage ou alors que dire des rockstars anglo-saxonnes qui squattent les ondes et alternent stades et grandes salles (100 euros pour Muse, non mais je rêve !), que ces frenchies ont bâti leur succès sur scène et qu’au vu de ce qu’ils y font, ils méritent bien leur place au soleil. Parce qu’avec des concerts aboutis, généreux et péchus comme celui-ci,on est bien au niveau international. Et si ça permet en plus à un large public de tendre l’oreille vers le Rock, grâce leur soit rendue. De plus, j’ai eu la chance, et ça n’arrive pas si souvent, de voir un groupe au top avec un concert dont la play-list ne laisse aucun regret, tous les titres forts ayant été joués avec un dernier rappel judicieux.
« French Touch Puta Madre », définitivement.

Kebra

Dessins et textes : TRAMBER et JANO

Kebra est avec Lucien et Les Closh, le troisième membre de ce triumvirat de héros qui marquent l’avènement de la BD Rock en France, dans les pages de Métal Hurlant.
Si l’on devait définir Kebra en quelques mots, on pourrait dire qu’il s’agit d’une version trash de Lucien, un Lucien qui serait passé du côté obscur. Ce serait certes lapidaire mais tout de même suffisamment évocateur.
Car le héros à tête de rat, créé en 1979 par Tramber et Jano a beaucoup de points communs avec le rocker à la banane métallique de Frank Margerin. A l’instar de Lucien, Ricky et consorts, Kebra est un loubard de banlieue qui joue du Rock dans un groupe et vit ses premières aventures dans Métal Hurlant. Il porte la panoplie traditionnelle des rockers éternels : jean, santiags et perfecto. La comparaison s’arrête là. Car si on voit Lucien et ses potes, à leurs débuts, chouraver une mobylette ou se castagner de temps à autre, ils vont vite s’assagir pour devenir des rockers sympathiques, de bons p’tits gars dans le fond.
Kebra et sa bande sont eux de vraies racailles rock’n roll. D’authentiques outlaws qui rackettent les bourgeois, braquent des bureaux de poste et s’attaquent même au Père Noël. De vrais, affreux, sales et méchants, sans aucune morale, que seule surpasse dans la voyouterie la redoutable bande à Kruel. Heureusement que ce dernier existe d’ailleurs car en faisant de Kebra son souffre-douleur il contribue largement à le rendre un tant soit peu sympathique.
Kebra sévit dans une banlieue cradingue, aux immeubles décrépis, aux rues défoncées et jonchées d’immondices. Les auteurs ont choisi de dépeindre la zone dans ses aspects les plus glauques, une jungle où seuls les bad boys arrivent à survivre. Et qui dit jungle dit faune. Le graphisme animalier permet d’affubler les personnages des trognes carnassières, loups, crocos, serpents, rapaces et bien sûrs rats avec Kebra, le héros au regard noir qui lui donne cet air de dément shooté aux amphétamines.
Ajoutés à cela des dialogues fleuris qui pourraient utilement figurer dans un manuel d’argot et de verlan, Kebra ferait presque figure de documentaire sur la banlieue s’il n’y avait cet humour noir et ces récits atomisés où le héros se retrouve dans les situations les plus improbables avec de temps à autres une escapade vers la science-fiction.
Accessoirement, Kebra est chanteur et guitariste du groupe Les Radiations. Du rock graisseux, mâtiné de rock’n roll et de punk, saturé à souhait qui fait assez penser aux Ramones. Et puis il y a ces textes, énormes, dont on regrette qu’il n’aient pas été enregistrés pour de vrai. Mention spéciale pour « Le Rock’n roll me colle aux grolles », véritable manifeste drôlatique de rock premier degré.

Kebra accomplira ses méfaits jusqu’en 1985. Malgré cette courte existence, il aura eu le temps de devenir l’une des références absolues de la BD Rock.

L’interview de Jano, c’est ici

Not Quite Dead

Dessins : Gilbert SHELTON – Textes : PIC

Déjà, rien qu’avec un nom de groupe comme ça, « Pas tout à fait mort » en français dans le texte, on est d’emblée dans l’ambiance. Et en effet, on se demande encore comment un tel groupe a pu voir le jour, donner des concerts et même enregistrer des disques. La magie du rock’n roll sans doute et accessoirement le talent d’un vieux briscard de la BD underground américaine, installé en France depuis 1981, Mister Gilbert Shelton, géniteur des inénarrables et définitivement fabuleux « Freak Brothers » qui ont fait les beaux jours du magazine Zap Comix.
Not Quite Dead 4-4Ces derniers s’étaient affirmés comme les chantres en BD du mouvement hippie dans les années 1970. Leurs cousins de « Not Quite Dead » prolongent le combat sur la scène d’un Rock indépendant que l’on devine vaguement Punk, mâtiné de Funk, peut-être Ska si l’on devait absolument leur coller une étiquette (rapport à la touche très « Specials » du mec officiant aux claviers).
En fait, on s’en tape complètement car le seul qualificatif qui puisse vraiment les définir est bien celui de losers, pas forcément magnifiques mais irrésistibles de drôlerie. Leurs looks, assortis comme une parade de carnaval, offrent un aperçu de tout ce que le Rock a pu produire en matière de sapes et de coupe de douilles, à commencer par le leader, Cat Whittington, bassiste et chanteur dont le crâne s’orne d’une sorte de banane à ressort tout aussi improbable que sa basse à corde unique. Les noms des personnages sont à l’avenant, tels Elephant Fingers, le guitariste, Felonious Punk, le claviériste taciturne, Thor, le batteur obèse et décérébré ou Charlie Baston, le roadie tout aussi dévoué que maladroit.
Mais attention, les « Not Quite Dead » sont des professionnels coachés par une manageuse, sexy comme un tiroir-caisse qui parvient à leur dégotter des concerts, parfois sur de grandes scènes (du moins par la taille) et même des enregistrements en studio.
Cat et sa bande ne sont pas pour autant des génies. Leur manque de culture musicale est d’ailleurs revendiqué et sert d’argument à plusieurs gags. Mais leur énergie et leur feeling sont communicatifs et leur fidélité à la cause du Rock irréprochable.
Alternant des gags en une planche et des histoires en plusieurs pages, les aventures de « Not Quite Dead », plus loufoques les unes que les autres, passent en revue tous les gimmicks du Rock, mais derrière le burlesque des situations, se révèle une vraie connaissance du quotidien d’un groupe, Shelton étant lui même pianiste et chanteur, ce qui ne donne que plus de relief à ces caricatures réjouissantes.
La destruction d’un studio d’enregistrement, un concert pour un gala de soutien d’un parti politique ou des expérimentations sonores en tout genre sont quelques-uns des morceaux de bravoure que propose cette anthologie du dérisoire rock’n clownesque, à lire absolument pour être sûr de ne pas tout à fait mourir idiot.

© Editions L’àpart 2011

Twist and Shout

Dessins et textes : JÜRG

Tout le monde sait pertinemment qu’Elvis Presley n’est pas mort le 16 août 1977. Si le mélange antidépresseurs et sandwich banane-beurre de cacahuète était dangereux pour la santé, ça se saurait. Là où ça se corse, c’est de savoir ce qui lui est réellement arrivé après. Les rumeurs les plus loufoques circulent sur la retraite du King. De nombreuses théories fumeuses ont également été avancées quant à l’existence d’un sosie qui aurait remplacé Elvis à sa mort ou même de son vivant.
Il faut remercier Jürg de lever définitivement le voile en développant la thèse à ce jour la plus crédible en s’appuyant sur des sources et une recherche documentaire des plus rigoureuses…
En lisant Twist and Shout, vous saurez définitivement que :
– Non, Elvis n’est pas mort le 16 août 1977
– Oui, Elvis avait un sosie et c’est lui qui est mort à la dite date
– Elvis a une résidence secondaire à Charleroi, en Belgique
– Elvis a fait de la tôle dans la ville susdite sous le nom de Vanzoutegaime
– Elvis aime le Death Metal
Jürg a hérité de ses gènes belges un goût pour l’humour surréaliste et le talent pour le dessin bien léché dont le dynamisme pourrait servir d’exemple à la thèse controversée sur l’existence d’un graphisme Rock, indépendamment du sujet traité. A lire : Noces de Chien ou Tête de Nègre, pour s’en convaincre. L’homme réalise par ailleurs de superbes portraits de Rockers célèbres (à voir entre autres sur sa page Facebook) où la caricature le dispute à l’hommage.
Il crée ici un Elvis comme on l’aime, gros bourrin d’Amerloque, boudiné, accro et caractériel. Ces petits défauts anecdotiques ne l’empêchent pas d’être toujours animé par la flamme du Rock’n Roll et depuis sa cellule, il va tenter de relancer sa carrière.
La caricature est grosse et l’intrigue est grasse comme un bon vrai hot-dog (you ain’t nothing but a…) des familles, dégoulinant de ketchup et de moutarde mais la précision du trait et l’humour caustique de Jürg en font un délicieux en-cas comique que l’on déguste en gourmet.

Bonus Track : 3 questions à Jürg

En route pour Seattle

Dessins et textes : Peter BAGGE

Quand on voit à quel point les Américains sont fiers de leur grand et beau pays, la patrie du progrès, de la liberté individuelle exacerbée, où tous les possibles deviennent probables, mais où le puritanisme et les valeurs chrétiennes restent la référence, il est réjouissant de voir certains artistes prendre le contre-pied du mythe en créant des anti-héros, risibles, pitoyables et joyeusement immoraux.
C’est ce qu’a fait Peter Bagge avec son personnage, Buddy Bradley, dans son roman graphique, En route pour Seattle.
Buddy est un loser. Même pas magnifique, à peine sympathique, souvent pathétique. Le graphisme de Bagge n’est pas sans évoquer celui de Franquin. Avec son dos vouté, sa tignasse brune, son gros nez, son jean et sa chemise à carreaux, Buddy est une sorte de Gaston Lagaffe, version Grunge.Tout aussi foireux mais bien moins inventif et surtout infiniment plus mesquin et dépravé.
Avec son pote Leonard, surnommé Stinky (en raison d’une hygiène assez approximative), Buddy a décidé d’émigrer du New-Jersey vers Seattle, la ville branchée par excellence. Stinky compte bien y réaliser son rêve de devenir manager de Rock. Sauf que ce parasite adepte de la défonce et de la glandouille, spécialiste des plans merdiques, n’a pas vraiment les qualités requises. Buddy quant à lui vivote grâce à un job chez un bouquiniste. Il partage son appartement avec Stinky et George un grand noir, no-life intello et misanthrope. Sa vie amoureuse et surtout sexuelle se partage entre Valerie, une fille complexée qui fait d’immenses efforts pour paraître équilibrée et moderne et Lisa, une nymphomane refoulée, névrosée et vaguement suicidaire.

Bagge s’emploie à brosser le portrait d’une jeunesse américaine sans idéal, si ce n’est celui de la recherche du plaisir immédiat (qu’il soit sexuel ou psychotrope) et le rejet du modèle économique et familial dominant.
Le propos est en soi déjà bien rock’n roll. Il le devient encore plus quand, par l’entremise de Stinky, Buddy rencontre les Unsupervised Experience, un combo néo-grunge bas du front. De manière assez logique, Stinky devient le chanteur du groupe, rebaptisé Leonard and the Love Gods tandis que Buddy va être promu manager de ces quatre allumés dont le succès dans des clubs crasseux les fait déjà se prendre pour des Rock Stars. Bagge en profite pour explorer le backstage peu reluisant du Rock indé dans cette parodie aussi glauque que burlesque. Ces deux adjectifs résument d’ailleurs assez bien tous les récits de En Route pour Seattle dont les situations improbables et les personnages déjantés en font un petit chef-d’œuvre d’humour noir, sex, drug and rock’n roll. Rien d’étonnant à ce que, de ce côté-ci de l’Atlantique, Peter Bagge revienne souvent dans les premiers cités par les auteurs adeptes de BD Rock.
A déconseiller toutefois si vous militez dans une ligue de vertu évangéliste.

The Jim Jones Revue en concert

Ca commence par une affiche dans le métro. Malgré le speed dans le couloir, leurs tronches de bad boys et leur look vintage attirent mon regard et mine de rien réservent deux ou trois neurones dans ma mémoire. La mémoire c’est ce qui est utile à l’action a dit en gros Henri Bergson (j’me la pète et alors ?) donc quand la newsletter du Chabada m’informe de la venue du gang british dans ma bonne ville, je me dis qu’il est temps d’agir. Quelques visionnages youtubesques me convainquent de l’intérêt potentiel de la chose.

L’audience assez modeste confine le groupe dans la petite salle du Chabada. A la réflexion, c’est pas plus mal, cela donne une ambiance club, tout à fait appropriée à ce style de zique et ainsi j’ai pu étudier le phénomène de près. Car phénomène il y a. Un set incandescent asséné par une bande de mecs qui ont définitivement tout compris au Rock’n Roll, le vrai, celui des racines, de Little Richards, Jerry Lee Lewis et Chuck Berry dont ils recyclent tous les gimmicks avec un son et une approche Garage-Punk résolument actuels.
Le chanteur assure le show avec professionnalisme, décontraction et une pointe de dandysme, le petit pianiste s’échine comme un diable sur son clavier, le lead-guitar à la trogne de docker brandit son instrument vers le public comme un étendard tandis que le bassiste échalas et le batteur cogneur tiennent la baraque sans mollir… Un pur moment de rock’n roll !
Leur album est un vrai best-of qui mérite de siéger dans la discothèque de tout fan de Rock qui se respecte et en ce qui me concerne, il est mon coup de coeur de 2011.

MetaL ManiaX

Dessins : SLO – Textes : FEF

Sur les pochettes de leurs disques, ils ont l’air très méchants. A l’écoute, quand rugissent les guitares, que tonne la batterie et que s’élèvent les hurlements du chanteur, le doute n’est plus permis, ils sont très fâchés et ils veulent que ça se sache. Quand ils sont contents, ils replient l’annulaire et le majeur, pour former les cornes de Satan.
Vous ne les connaissez pas et nombre d’entre vous ne soupçonnent même pas que de telles créatures et qu’une telle… « musique » puissent exister. Et pourtant, ils sont bien là, ils vivent parmi vous et ils célèbrent leurs rites sataniques en toute impunité, suivis par des millions d’adeptes dévots à travers le monde. Eux, ce sont les Métalleux.
Pénétrer dans l’univers du Métal a tout d’une expérience ésotérique tant ce style musical recèle de codes et de chapelles, Heavy, Trash, Black, Death, Hard Core, Stoner… avec des variantes Old School ou Néo. Pour les voisins ou votre Mamie, tout ça c’est de la musique de singes sauvages mais pour les puristes, n’allez surtout pas mettre dans le même panier Metallica et Satyricon, Megadeth et Cannibal Corpse ou les flammes de l’enfer risquent bien de vous réduire en cendres en moins de temps qu’il ne faut à un de ces disciples de Belzébuth pour écluser une pinte de bière.
Metal ManiaxHeureusement on peut rire de tout et le mieux c’est de le faire en bonne compagnie avec de fins connaisseurs. Slo et Fef font partie de ces passionnés qui composent le public Métal. Avec Metal Maniax, ils mettent en scène une bande de Métalleux bien typés, incarnant chacun un style de Métal, Vince le fan de Death, inconditionnel de binouze en version Happy Hour, Marco, le Blackeux sombre et satanique tombeur de gonzesses, Spike, le Hardcoreux, bardé de tatouages et rompu aux pogos les plus sauvages et enfin Sam, l’amateur de Heavy et de Glam, moins looké mais non moins allumé. Ce quatuor passe le plus clair de son temps libre dans leur troquet fétiche, le Dark Knight, managé de main de maître par Tony son patron irascible mais comme un père pour ces grands gamins qui se gavent de décibels et de houblon bien frais.
Au travers de gags bien sentis, à l’humour potache et efficace comme un bon gros riff d’AC/DC, les auteurs livrent quelques clés de lecture au béotien pour mieux comprendre cette culture à part et à part entière que constitue le Métal tout en parsemant leurs histoires de clins d’œil qu’apprécieront les fans du genre.
Au programme, entre autres, initiation d’un d’jeune novice au culte métallique, querelles d’esthètes sur les divers genres du Métal avec l’inénarrable Defenestrator comme groupe fil rouge, grivoiseries autour de Nina la barmaid qui n’a froid nulle part, recherche compliquée d’un job stable pour Spike et d’un co-loc compatible pour Sam, incantations maléfiques de Marco… les tribulations bruyantes et alcoolisées de cette bande de mélomanes rappellent opportunément que nonobstant le folklore, tatouages, maquillages et quincaillerie, le Métal, c’est avant tout du Rock’n Roll et que ses aficionados, au-delà de cette caricature avisée, méritent le respect et la sympathie dus aux vrais fans de musique.

Backstage

Dessins : Boris MIRROIR – Textes : JAMES

Le gag est sûrement l’exercice le plus difficile de la Bande Dessinée. Je parle bien sûr du gag qui fait rire et quand on voit le niveau moyen de la production, ça n’a rien d’un pléonasme.
Pour un Franquin, combien de … (rayer la mention inutile). Ce dernier était un maître dans le domaine. Même si les premiers gags de Gaston en une demi-page ne sont pas mes préférés, moins virtuoses et moins inventifs, ils ont justement cette qualité tant au niveau du graphisme que du scénario d’aller à l’essentiel. Faire marrer en une demi-douzaine de cases et au pire garder les zygomatiques du lecteur en éveil, c’est du grand art. De nos jours, peu y arrivent. Diego Aranega avec son Victor Lalouz fait partie de ceux-là, avec une originalité : l’enchainement des gags raconte une histoire ou du moins marque une progression narrative.
Avec Backstage, Fluide Glacial, qui depuis peu s’est lancé dans la BD Rock, comme en témoignent l’arrivée de Lucien dans le catalogue ou les deux collectifs consacrés respectivement aux Beatles et aux Rolling Stones, reprend cette formule de la narration gaguesque (je dis c’que j’veux !) en 6 cases.

JAGGER - RICHARDS par Mirroir

Et en l’appliquant au Rock, Fluide inaugure même un nouveau genre, le biopic en gags. Et tant qu’à faire, on tape dans le gratin avec les Rolling Stones. Cette succession de strips retrace dans ce premier tome, les premières armes de Little Boy Blue and the Blue Boys, le patronyme originel des Pierres (on regrette pas qu’ils aient changé). James, déjà rompu, en tant que dessinateur, à l’exercice du gag en 6 cases avec l’excellent Amour, passion & CX diesel (toujours chez Fluide), prend ici les rênes du scénario, Boris Mirroir assurant le dessin.
Si la plupart des gags sont efficaces et pour beaucoup d’entre eux franchement bidonnants, ce n’est pas qu’un simple délire potache dans la plus pure tradition fluidesque mais bien une véritable biographie détournant les grandes étapes et les petites anecdotes réelles ou supposées comme telles, car entrées dans la légende, qui ponctuent la carrière des Stones. La rencontre de Jagger et Richards sur le quai de gare, les cendres du Hamster de Richards, le pudding de la mère de Jagger et le thé de celle de Richards, les balbutiements du jeu de scène de Jagger, l’hypocrisie envers les premiers partenaires, tout y est. De l’humour décalé et flegmatique, so british, et des personnages dont les auteurs exploitent à merveille les travers, tels le côté calculateur de Jagger ou les penchants addictifs de Richards, sans pour autant négliger de rendre hommage à leurs qualités de musiciens.
Les auteurs ont mis au point des dialogues et un style graphique astucieusement caricaturaux (Mirroir revisite savoureusement les coupes à la garçonne ou la lippe de Jagger) tout à fait en rapport avec leur sujet. C’est drôle mais c’est crédible, tant les modèles originaux, en multipliant les outrances tout au long de leur carrière, nous ont habitué au grand n’importe quoi.
On n’en est qu’au premier tome, les Stones n’ont pas encore choisi leur nom, Jones, Wyman et Watts manquent encore à l’appel mais on a hâte de voir comment les auteurs vont s’emparer des chapitres les plus célèbres de la saga stonienne.
En attendant, le flambeau de Franquin brûle toujours et en plus maintenant, il joue du Rock’n Roll.

Bonus Track : 3 questions à James

Nous sommes Motörhead

Dessins et textes : COLLECTIF

Les Collectifs ? Comment dire… Rien qu’avec leurs titres peu ragoûtants, calibrés pour les têtes de gondoles d’hypermarchés, du genre « Démis Roussos en bandes dessinées » ou encore « Les chansons de Frédéric François en BD », on imagine bien le making-of : « Eh, Duchmole, ça te dirait de faire un truc sur Machin ? – Ah ouais, cool, et tu veux combien de planches ? Pour quand ? Euh… et c’est payé combien ? Ah… ben, faut que je réfléchisse alors et pis tu sais en fait, Machin, à part son premier album… finalement j’connais pas bien et en plus le Black-Variète-Core, j’écoute plus trop ça… »
Le pire, c’est les illustrations de chansons en BD. Ca confirme que même un bon texte de chanson constitue rarement un scénario intéressant, même avec des grosses pointures de la planche. On reste trop dans l’adaptation littérale. Bien qu’il en existe, comme le Bob Dylan Revisited par exemple, qui comporte quelques trucs sympas, la plupart du temps, mieux vaut refermer vite le bouquin et remettre le son. Ce genre d’exercice donne plus l’impression que les éditeurs qui se sont lancés là-dedans avaient au mieux envie de se faire plaisir, au pire espéraient faire un bon coup commercial, (l’un n’empêchant certes pas l’autre) surtout en choisissant de mettre en images quelques franchouillards bien bankables, du genre qui créent de mini-émeutes dans les allées du festival d’Angoulême.
Bon, maintenant que j’ai plombé l’ambiance, y’a plus qu’à allumer les Marshall et pousser les potards à fond dans le coin car maintenant on va parler de Rock’n Roll et donc de Motörhead. Car s’il est un gang qui depuis plus de 30 ans fait l’unanimité dans toutes les chapelles du culte du Binaire Primaire, c’est bien le trio de Sir Lemmy Kilmister. Faites le test, demandez au plus élitiste des fans de Post-Rock underground si, quand même, y’aurait pas un groupe de Rock « connu » qui trouverait grâce à ses yeux, à part bien sûr les Beatles (hors compète) il vous concèdera que « ouais, Motörhead, à la limite, c’est vrai que… ». Motörhead, ça triche pas, c’est carré, sans surprise, réconfortant. On met le disque et on s’en prend plein sa race, juste ce qu’il faut. A 70 balais, avec des tiags, un stetson, des cheveux filasses, des rouflaquettes et du diabète, n’importe qui à la place de Lemmy serait parfaitement ridicule (qui a crié Johnny ? vraiment, c’est pas malin !). Lemmy, c’est le surhomme nietszchien, l’essence platonicienne du Rocker, qui impose le respect idolâtre. Un jeu de basse tellurique, une voix granitique, rauqu’n râle, peaufinée au papier de verre gros grain trempé dans le Jack Daniels et une ribambelle d’hymnes heavy-rock, métal et même punk (foin des étiquettes, Lemmy vous expliquerait que tout ça, c’est  juste du Rock’n Roll et une question de réglage de la pédale distorsion).
La préface résume bien la démarche. En France, on n’arrivera jamais à sortir un groupe comme Motörhead mais on a la BD. Là, on est bons, on sait faire. Alors on va brancher les crayons et les pinceaux et rendre à la bande à Lemmy l’hommage qu’elle mérite.
Mais face à un tel monument, il fallait donc mettre la barre très haut. « Nous sommes Motörhead » (pour ceux qui ne comprennent pas le choix du titre, je ne peux, hélas, rien) s’y est employé. Un format 33 tours, comme à la grande époque, une couv noire (comment faire autrement ?) et un visuel monstrueux de la bête magistralement revisitée par Lamquet.
A l’intérieur, des récits courts, efficaces, des évocations oniriques (Oiry), iconoclastes (Witko), drolatiques (Bouzard), révérencieuses (Josso), mystiques (Micol), autobiographiques (Menu) mais jamais béates. Motörhead, c’est pas pour les groupies. La démarche des auteurs est sincère à l’évidence et tous ont tenu à se mettre à la hauteur et transmettre à leur manière leur admiration pour le trio british. Et cela nous donne une compilation qui constitue désormais une référence en matière d’ouvrages de BD collectif.
Ben, voilà, c’était pas compliqué, il suffisait juste de choisir des auteurs de talent, fleurons de cette fameuse nouvelle BD (pour faire dans le raccourci commode), affranchis de l’héritage académique de la grande école franco-belge et véritablement concernés par le Rock (et donc Motörhead, au cas où vous n’auriez toujours pas pigé) parce que définitivement ils le sont et nous le sommes tous, oui, motherfuckers, nous sommes Motörhead !
Sinon, j’avoue, Demis Roussos en bandes dessinées, ça se fera jamais, il faudrait au moins 300 planches pour être au niveau du sujet et aucun éditeur ne prendrait un tel risque (ou alors une co-édition Weight-Watchers ?). En revanche, Frédéric François par Bouzard, Luz ou Menu, je serais curieux de voir ça…

Et pour en savoir plus sur ce sacré Lemmy, le documentaire éponyme s’impose.

Frank MARGERIN – Interview

On ne présente plus Frank Margerin. Pionnier de la BD Rock, à la grande époque de Métal Hurlant, le papa de la banane la plus profilée de l’histoire du Rock’n Roll, a fait de Lucien l’un des héros les plus célèbres de la Bande Dessinée. Musicien, motard, collectionneur de collections d’objet vintage dont il remplit inlassablement son atelier, le Rock lui colle à la peau et au crayon.

Q- Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Ce sont des médias jeunes. La bande dessinée est un peu plus vieille que le Rock mais a beaucoup évolué dans les années 1970. Moi, quand j’étais gamin, j’avais vingt ans le Rock et j’aimais la BD et nous étions, je pense, nombreux dans ce cas.
Maintenant, il n’y a pas de points communs directs puisqu’il s’agit de deux disciplines très différentes, d’un côté le dessin, de l’autre la musique, le rythme. Mais malgré ces différences, elles touchent les mêmes gens.

GUITARISTE A LA BANANE par Margerin

 

Q- Le rock est souvent traité de manière caricaturale ou parodique dans la BD, que ce soit dans les scénarios ou dans le graphisme. C’est un bon filon pour un auteur de BD humoristique ?
Le Rock pour moi, c’est une mine de gags. Tous les gens qui ont fait du rock ont des anecdotes à raconter. Ce sont souvent des galères, parce que c’est un métier, si on peut appeler ça un métier, dans lequel on a du mal à vivre confortablement avec beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Il y a des groupes effectivement qui sont de grosses locomotives, les Rolling Stones, les Beatles, etc. et puis derrière il y a des milliers de petits groupes qui rêvent de connaître le même destin et qui galèrent, qui jouent dans des salles pourries avec du matériel pourri et à qui il arrive des tas d’anecdotes. Pour moi qui fais de l’humour, c’était une source inépuisable. En plus, c’est quelque chose que j’ai approché, donc j’ai tout de suite vu qu’en effet c’était un bon filon.

Q- Existent-ils des groupes ou des artistes de rock qui ont pu avoir un impact sur ton travail ?
Les groupes de rock ne m’ont pas vraiment influencé dans mon travail. Je les appréciais, je pouvais ressentir plein de choses en écoutant leur musique mais dans la BD, ce sont plutôt des graphistes qui m’ont inspiré.

Q- Justement, en BD, quels sont les dessinateurs qui t’ont influencé ?
Quand j’étais gamin, je lisais des bandes dessinées qui n’étaient pas du tout Rock, comme Astérix, Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe, Lucky Luke… des choses très classiques, très franco-belges. Et puis la bande dessinée est devenue adulte en même temps que moi. Mes « aînés », des gens comme Gotlib, Moebius, Druillet… ont fait tomber des tabous. La BD a en quelque sorte explosé. J’ai aussi découvert à cette époque la bande dessinée underground américaine où là les mecs se lâchaient vraiment avec du sexe, de la drogue, des trucs qu’on ne pouvait pas imaginer voir en BD autrefois. C’est comme cela que j’ai découvert Crumb et Shelton qui m’ont marqué.
Désormais, on n’avait plus l’obligation de faire des aventures « grand public ». J’ai réalisé que la BD a ceci de génial, qu’elle ne demande pas des gros moyens techniques ou financiers pour débuter. Il suffit juste d’avoir le goût du dessin et de l’imagination et on peut raconter ce qu’on veut.
Sur le plan graphique, Franquin m’a beaucoup apporté avec sa richesse dans le dessin et dans le mouvement des personnages.
Et puis il y a Dubout qui était un illustrateur prodigieux. Enfant, j’adorais son travail, je voyais les affiches des films de Pagnol, il y avait du délire là-dedans. Et c’est peut-être grâce à lui que j’ai inséré tous ces petits détails dans mes dessins.

Q- Lucien, Ricky, Gillou et Riton apparaissent au début des années 1980. On est en pleine New Wave et à l’apogée du Punk. Or tes héros sont des fans de rock’n roll des années 1950. Pourquoi ce décalage temporel ?
En fait, quand Philippe Manoeuvre est arrivé à « Métal Hurlant », il a amené cette petite touche de rock qui a commencé à pointer dans ce magazine, au départ essentiellement orienté vers la science-fiction. Mais on était déjà dans la mouvance, ça commençait un peu à se profiler. Manœuvre a suggéré que l’on fasse un numéro spécial Rock (NDR : Métal Hurlant, Hors Série n° 39 bis, mars 1979) et c’est pour ce numéro que j’ai créé une bande de copains qui jouent du Rock. A l’époque, à la fin des années 1970, quand je pensais Rock, ça aurait pu m’évoquer Led Zep, Jimmy Page, le genre cheveux super longs… mais non, je voyais vraiment le début du Rock, les mecs avec la banane gominée, les rouflaquettes et tout ça et je me suis dit que j’allais faire une bande dessinée là-dessus. En plus, quelques années auparavant, on avait monté un groupe de Rock, avec des copains où l’on ne faisait que des reprises de vieux tubes Yé-Yé, des trucs du genre « Eddy, sois bon », « Dactylo Rock », les tubes des Chats Sauvages, Chaussettes Noires et compagnie.
J’ai donc créé cette histoire (NDR :« Les rois du Rock ») mais dans mon esprit, ce n’était qu’un One-Shot sur le thème du Rock, les personnages n’étaient pas censés revenir. Donc, j’ai fait ça très rétro, les personnages roulaient sur des cyclos-sports, genre Flandria et fréquentaient des troquets où il y avait des juke-box…
En fait, j’ai pris beaucoup de plaisir à créer ce récit, d’autant que c’était la première fois que je ne racontais pas une histoire qui n’était pas totalement inventée (auparavant, je faisais des parodies de science-fiction). Là, j’avais puisé dans mes souvenirs de répètes, avec les mecs qui montent le volume, etc. et j’ai eu un petit déclic. Je me suis aperçu que c’était vachement plus rigolo de raconter des trucs vécus que d’inventer des histoires improbables de Martiens. J’ai également eu un bon retour des potes qui avaient lu ma BD et que ça avait bien fait marrer. Tout ça m’a encouragé à continuer et petit à petit, Lucien s’est imposé.
Par la suite, je n’ai pas voulu rester coincé dans les années1960 et j’ai progressivement commencé à retirer du décor les vieilles voitures et les Teppaz et à faire des personnages un peu plus intemporels.

Q- Une des clés du succès de Lucien, hormis l’efficacité du graphisme et des gags, réside dans le fait que les personnages, malgré leur aspect caricatural, sonnent parfaitement juste. Quelles sont tes sources d’inspiration ?

BATTEUR ÉNERVÉ par Margerin

On ne peut parler bien que de ce que l’on connaît. Ce qui a fait le succès de Lucien, c’est que les héros se retrouvaient dans des situations tout à fait crédibles. Si je n’avais pas eu cette expérience avec « Los Crados », le groupe dans lequel je jouais aux Arts Appliqués, j’aurais peut-être eu une vue plus extérieure du Rock. Or ce qui est important pour moi, c’est de connaître vraiment les choses de l’intérieur. La plupart des histoires que j’ai racontées ont été plus ou moins vécues, soit personnellement, soit par des copains.

Q- Lucien s’est progressivement affirmé comme le personnage principal de ta bande de rockers. Qu’est-ce qu’il avait de plus que les autres ?
Tout simplement : la Banane ! (rires). Quand j’ai créé mes personnages, je les ai tous faits un peu typés, comme on fait souvent en BD. Lucien au départ, c’était un peu le petit gros de la bande, un personnage de second plan, le héros étant Ricky Banlieue. Je ne sais pas pourquoi je l’ai affublé de cette banane mais je me suis dit que cette coiffure était plus marrante que les autres. Lucien s’est donc tout simplement imposé par cette coiffure qui le rendait à la fois plus rigolo et plus rock’n roll que les autres personnages sans que je m’en rende compte tout de suite. Au bout de deux, trois histoires, je me suis aperçu qu’il avait pris la vedette, un peu à mon insu.

Q- Tu es aussi musicien. Tu aurais préféré être une rock-star qu’une star de la BD ?
Je suis devenu musicien par la suite. Je ne l’étais pas quand j’avais 20 ans et que j’ai commencé à réfléchir à ce que j’allais faire. Depuis que je suis tout petit, je n’arrête pas de dessiner, c’est une vraie passion, d’ailleurs dans ma famille, on est tous dans le dessin, la Fée du Dessin s’est penchée sur notre berceau. J’ai découvert la musique sur le tard. J’étais fasciné par les rock-stars mais je n’ai jamais pensé pouvoir en devenir une, j’étais trop timide. Alors que le dessin, c’est un truc d’intraverti, je restais chez moi, je n’arrêtais pas de dessiner et ça me convenait bien.
Après, la BD m’a amené à me retrouver sur une scène. Un jour, Philippe Manoeuvre a dit que ce serait bien de reformer le groupe des Arts Appliqués, « Los Crados »… ça a donné le « Denis Sire Quartet », puis on a monté un nouveau groupe, « Dennis’ Twist ». Mais ce sont des concours de circonstances qui ont fait que je me suis retrouvé à faire des disques, ce dont je ne m’imaginais pas capable.

Q- Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Roger Pougnard, un vrai rocker inconnu ! (rires). Non, quitte à se réincarner dans la peau d’une rock-star, autant prendre le top, comme Eddie Cochran, un de ces purs et durs restés mythiques car mort jeune et en pleine gloire. Sinon, dans un autre genre, David Bowie, qui était une véritable icône dans les années 1970. J’aurais aimé être un mec comme ça, quelqu’un qui sorte un peu du lot. Tout compte fait, un des quatre Beatles me conviendrait très bien. Ce que j’appréciais chez eux, c’étaient quatre stars, individuellement talentueux mais en plus drôles et sympathiques.

Q- Travailles-tu en musique ?
Oui, principalement. J’écoute pas mal la radio et puis j’ai des CD qui tournent sur ma chaîne toute la journée ou sur mon ordinateur. Par contre je ne suis pas fixé sur un style particulier. J’écoute de tout, souvent en lecture aléatoire, du Rock bien sûr, de la chanson française, du Blues, de la Soul, des musiques du Monde… J’aime bien la diversité.

Q- Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Un style de dessin, je ne pense pas. Des auteurs comme Serge Clerc, Tramber et Jano, Dodo et Ben Radis ont raconté des histoires de Rock mais chacun avec leur style, leur graphisme. Un esprit Rock, oui, même si ça reste difficile à définir. Il y a des jours où l’on peut se sentir Rock et d’autres non… Ca doit être dur d’assumer d’être Rock tout le temps. Certains peuvent donner cette impression mais si l’on débarque chez eux, on les surprend en charentaises… (rires).
Non, c’est juste un état d’esprit que l’on peut éventuellement exprimer à travers un look si on le ressent comme ça…

Q- Avec Dodo, Ben Radis, Tramber et Jano ou bien sûr Serge Clerc, tu es l’un des précurseurs de l’apparition du Rock dans la BD, à la grande époque de Métal Hurlant. Est-ce pour toi l’âge d’or de la BD Rock  et à titre personnel, tu en a gardé quoi ?

SAXOPHONISTE par Margerin

L’âge d’or ce serait prétentieux mais c’est vrai que nous étions un peu les précurseurs et on a touché les gens parce que c’était nouveau. A l’époque, on a marqué les esprits. On ne savait pas bien dessiner… souvent quand un truc est approximatif, on dit « c’est rock’n roll » et là, ça l’était un peu au niveau du graphisme.On s’est bonifiés par la suite, peut-être en perdant un peu ce côté rock’n roll mais en gagnant en qualité dans le dessin et en étant plus proche de ce qu’on aurait voulu faire à l’époque. Ce n’était pas très important car on ne m’a jamais fait de reproches à ce niveau-là… En revoyant mes premières BD, je me dis que les éditeurs étaient bien sympas de me publier car graphiquement, c’était plein de maladresses. Les jeunes dessinateurs maintenant sont beaucoup plus « techniques » et très performants graphiquement mais on essaie de les formater, ils travaillent à l’ordinateur, ils ont des styles qui ont tendance à se ressembler et puis on leur fait faire ce que les gens ont envie de lire et c’est un peu dommage.

Q- Justement, quel œil portes-tu sur le traitement du rock dans la BD aujourd’hui ?
J’adore ce que fait MO/CDM avec Gaël (« Les Blattes ») ou avec Julien/CDM (« Cosmik Roger »). On trouve cet esprit Rock chez pas mal d’auteurs mais des séries de BD purement Rock qui traitent des groupes, de leurs galères…il n’y en pas tant que ça. Je suis toujours heureux de lire des œuvres actuelles. Je trouve que la BD évolue bien. Le seul vrai problème, c’est qu’il y en a peut-être un peu trop et que le marché est saturé. Les lecteurs de BD ont parfois un rejet parce qu’on leur propose trop de choses et souvent les mêmes.

Q- Reverra-t-on encore Lucien dans d’autres aventures autour du Rock ?
Je continue Lucien mais je n’ai pas envie de refaire l’histoire du groupe. Je ne veux pas lasser en racontant la reformation du groupe de Lucien, les tournées, l’enregistrement de disques, etc… On peut imaginer que ça va bien marcher pour eux. Peut-être que par la suite, je reviendrai vers le rock’n roll mais pas pour l’instant.

Q- En paraphrasant Flaubert, peut-on dire « Lucien, c’est toi ? »
Il y a de plus en plus de moi dans Lucien. Ca ne l’était pas au début et puis petit à petit, je me suis projeté dans Lucien, plus dans certaines histoires, comme « Lulu s’maque » par exemple et moins dans d’autres. Par contre dans les deux derniers albums, Lucien a 50 ans, il a des enfants, là c’est quasiment du copier-coller dans certaines situations comme le conflit entre la Play Station et les devoirs à faire du gamin, la femme scotchée sur My Space ou Facebook, la fille qui écoute la musique à fond et qui t’envoie péter à la moindre réflexion…
Mais sinon, Lucien redevient Lucien avec ses copains, sa musique. Je crois que l’on est nombreux, à l’approche de la retraite, à avoir envie de revenir à nos premières émotions de jeunesse. Je pense qu’il y a beaucoup de lecteurs de « Lucien » qui ont passé la cinquantaine et se retrouvent de nouveau dans ce personnage avec peut-être la même envie de remonter un groupe. « Rock’n roll never die » comme on dit !

© Editions L’àpart 2011

Rock’n Roll Comics

Todd LOREN – Jay Allen SANFORD – Various Artists

La vie de Todd Loren pourrait utilement figurer en bonne place dans le palmarès des destins les plus emblématiques de la grande foire rock’n roll.
Todd Loren (de son vrai nom, Stuart Shapiro) n’était pas une rock star mais il en avait le potentiel. En 1989, il fonde à San Diego, avec Jay Allen Sanford, les éditions Revolutionnary Comics grâce auxquelles il va faire paraître à un rythme frénétique, pendant environ trois ans, un nombre impressionnant de biographies, les « Rock’n roll Comics » dont il écrira plus d’une vingtaine de scénarios, dont les onze premiers ainsi que les 8 tomes de la biographie consacrée aux Beatles. L’ensemble de ces biographies dont Todd Loren a signé une bonne part des éditoriaux et dont une cinquantaine a été écrite par Jay Allen Sanford constitue aujourd’hui une véritable encyclopédie (la prétention universitaire en moins) de l’histoire du Rock en bandes dessinées.
Rares sont les grands noms du Rock de l’époque qui n’ont pas eu les honneurs de cette collection. Les Gun’s and Roses ont ouvert le bal, suivi par une foultitude d’autres. Les Beatles, les Rolling Stones, les Who, les Doors, Pink Floyd, Bob Dylan, les Sex Pistols, Cure, Metallica, Van Halen, AC/DC, Prince, Frank Zappa, David Bowie… Environ 125 biographies et des chiffres de vente que l’on peut estimer à environ 2 millions d’exemplaires. A noter que Revolutionnary Comics a édité au total 300 numéros, le reste de la production étant consacrée à des sportifs, des hommes politiques, des stars de la télévision, plus quelques fictions.

Ces biographies se voulaient ouvertement subjectives comme l’indique leur sous-titre : Unauthorized and proud of it (non autorisé et fier de l’être). Ce qui a valu à Todd Loren quelques déboires judiciaires. Certains des intéressés n’ont en effet pas vraiment apprécié la façon dont leur parcours était présenté et ont tenté d’empêcher la parution des biographies les concernant. Axl Rose, Bon Jovi, Grateful Dead ou Skid Row étaient au nombre de ces mauvais coucheurs. Ceux qui sont allés le plus loin sont les New Kids on the Block avec un procès devant la Cour suprême de Californie. Cette dernière a accordé à l’auteur-éditeur le bénéfice du premier amendement de la constitution des Etats-Unis d’Amérique qui garantit le droit d’expression. Loren, qui à la faveur de ce succès judiciaire est devenu le Larry Flint du Comics, a donc pu continuer à sévir, encouragé de surcroît par cette excellente publicité.
Même si ces biographies paraissent assez documentées et reprennent les événements ou les anecdotes les plus connus, Rock’n Roll Comics n’hésitait pas à mettre en exergue les travers de ces héros et à reconstituer des scènes et des dialogues dont l’authenticité reste sujette à caution même si elle permettait de mettre en évidence certaines étapes importantes de la carrière du groupe ou de l’artiste.
Ces biographies totalement libres sont parfois le prétexte à des digressions assez fantasques. Comme la phobie pour les vols en avion de Robert Smith où la grande faucheuse le leader de Cure lui fait revoir l’intégralité de sa carrière avant de l’emporter. Dans le huitième tome de la biographie consacrée aux Beatles, Loren propose sa propre version de la célèbre rumeur de la mort de Paul Mc Cartney dans un accident de voiture en 1966. Le conducteur du camion à l’origine de l’accident contacte Brian Epstein le manager des Beatles qui décide de remplacer Paul par un sosie de Paul McCartney. John Lennon se rendant compte de la supercherie n’aura alors de cesse de semer des indices dans les disques des Beatles.
Pour le dessin, Rock’n roll Comics faisait appel à des auteurs au trait réaliste, plus ou moins aguerris. Autant dire que la qualité du graphisme n’était pas toujours au rendez-vous et parfois même à la limite de la caricature, quoique involontaire. Mais il faut saluer le fait que de jeunes graphistes ont ainsi pu faire leurs premières armes. Certains numéros de la collection font plutôt penser à des fanzines, impression accentuée par le maquettage sommaire (petit format d’une quarantaine de pages agrafées et imprimées sur papier mat, dans la grande tradition des magazines de super héros). D’où un prix très abordable et la possibilité de réimprimer facilement certains titres, telles les biographies de Gun’s and Roses ou Metallica, dont le retirage a atteint les 300 000 exemplaires.
En outre, beaucoup de ces Rock’n roll Comics comportaient en plus de la biographie, des évocations parodiques ou burlesques, voire franchement délirantes, où les scénaristes se lâchaient complètement, souvent mis en images par des dessinateurs plus ou moins talentueux. Mais ces approximations s’inscrivent tout à fait dans la démarche délibérément rock’n roll de Todd Loren et ne gâchent en rien le plaisir du lecteur, surtout s’il est amateur de Rock.
Loren ne comptait pas que des détracteurs dans la scène Rock. ZZ Top ou Frank Zappa ont apprécié son travail et d’autres comme Gene Simmons (le bassiste de Kiss, grand fan de Comics) ou Alice Cooper sont de véritables admirateurs de son œuvre. Ces derniers figurent d’ailleurs dans le documentaire télévisuel sorti en 2005 et consacré à la vie de Todd Loren, « Unauthorized and proud of it – Todd Loren’s Rock’n roll Comics ».
Au fond, le défaut principal des Rock’n Roll Comics est qu’ils ne couvrent souvent qu’une partie de la carrière de toutes ces rockstars dont la plupart ont survécu à Todd Loren. Car ce dernier a disparu prématurément en connaissant toutefois une fin digne des idoles qu’il a dépeintes dans ses scénarios puisqu’il a été retrouvé poignardé dans son appartement en juin 1992. Il n’avait que 32 ans. Mais ce n’est pas tout ! Ce meurtre n’a jamais été élucidé. Bien que le FBI n’ait pas officiellement validé cette thèse, la rumeur court que Loren aurait été assassiné par Andrew Cunanan, tueur en série qui compte à son actif le meurtre du célèbre couturier italien Gianni Versace. Certains pensent que Loren et Cunanan auraient même été amants.
Après cette mort mystérieuse, « Rock’n Roll Comics » survivra pendant deux ans, grâce à Jay Allen Sanford et au père de Todd Loren qui faisait déjà partie du staff, avant que la maison d’édition ne s’oriente vers la BD érotique. Si ça, c’est pas rock’n roll…

Pour en savoir plus sur Todd Loren, une visite sur le blog de Jay Allen Sanford s’impose. En anglais dans le texte, ça vous fera le plus grand bien !