En route pour Seattle

Dessins et textes : Peter BAGGE

Quand on voit à quel point les Américains sont fiers de leur grand et beau pays, la patrie du progrès, de la liberté individuelle exacerbée, où tous les possibles deviennent probables, mais où le puritanisme et les valeurs chrétiennes restent la référence, il est réjouissant de voir certains artistes prendre le contre-pied du mythe en créant des anti-héros, risibles, pitoyables et joyeusement immoraux.
C’est ce qu’a fait Peter Bagge avec son personnage, Buddy Bradley, dans son roman graphique, En route pour Seattle.
Buddy est un loser. Même pas magnifique, à peine sympathique, souvent pathétique. Le graphisme de Bagge n’est pas sans évoquer celui de Franquin. Avec son dos vouté, sa tignasse brune, son gros nez, son jean et sa chemise à carreaux, Buddy est une sorte de Gaston Lagaffe, version Grunge.Tout aussi foireux mais bien moins inventif et surtout infiniment plus mesquin et dépravé.
Avec son pote Leonard, surnommé Stinky (en raison d’une hygiène assez approximative), Buddy a décidé d’émigrer du New-Jersey vers Seattle, la ville branchée par excellence. Stinky compte bien y réaliser son rêve de devenir manager de Rock. Sauf que ce parasite adepte de la défonce et de la glandouille, spécialiste des plans merdiques, n’a pas vraiment les qualités requises. Buddy quant à lui vivote grâce à un job chez un bouquiniste. Il partage son appartement avec Stinky et George un grand noir, no-life intello et misanthrope. Sa vie amoureuse et surtout sexuelle se partage entre Valerie, une fille complexée qui fait d’immenses efforts pour paraître équilibrée et moderne et Lisa, une nymphomane refoulée, névrosée et vaguement suicidaire.

Bagge s’emploie à brosser le portrait d’une jeunesse américaine sans idéal, si ce n’est celui de la recherche du plaisir immédiat (qu’il soit sexuel ou psychotrope) et le rejet du modèle économique et familial dominant.
Le propos est en soi déjà bien rock’n roll. Il le devient encore plus quand, par l’entremise de Stinky, Buddy rencontre les Unsupervised Experience, un combo néo-grunge bas du front. De manière assez logique, Stinky devient le chanteur du groupe, rebaptisé Leonard and the Love Gods tandis que Buddy va être promu manager de ces quatre allumés dont le succès dans des clubs crasseux les fait déjà se prendre pour des Rock Stars. Bagge en profite pour explorer le backstage peu reluisant du Rock indé dans cette parodie aussi glauque que burlesque. Ces deux adjectifs résument d’ailleurs assez bien tous les récits de En Route pour Seattle dont les situations improbables et les personnages déjantés en font un petit chef-d’œuvre d’humour noir, sex, drug and rock’n roll. Rien d’étonnant à ce que, de ce côté-ci de l’Atlantique, Peter Bagge revienne souvent dans les premiers cités par les auteurs adeptes de BD Rock.
A déconseiller toutefois si vous militez dans une ligue de vertu évangéliste.

The Zumbies

Dessins : JULIEN – Textes : Yan LINDINGRE

Parmi les embûches innombrables mises sur la route du Rock, les accusations de musique violente, dépravée, satanique, assénées par des ligues de vertu, les autorités religieuses ou les politiciens réactionnaires se sont avérées au final parmi celles qui ont le plus contribué à pousser la jeunesse à y regarder de plus près.
Ce doux parfum de danger et d’interdit, on le retrouve dans les films d’épouvante qui ont eux aussi connu le même ostracisme avant d’acquérir le statut de genre culturel à part entière.
Quand on met dans la même phrase Rock et film d’épouvante, un groupe vient forcément à l’esprit, les Cramps, combo amerloque complètement déjanté, promoteur du genre Psychobilly. Voix d’outre-tombe, guitares caverneuses, rythmiques hypnotiques, des concerts grand guignolesques et un look inspiré de cette imagerie de série B, vampires, loup-garous et autres zombies.
Les zombies, justement, sont redevenus très à la mode ces derniers temps, notamment avec une flopée de films et côté Bande Dessinée l’excellent Walking Dead, l’un des meilleurs comics de ces dernières années.
Sur l’instigation de Julien Solé (dit tantôt Julien, tantôt Ju/Cdm, on ne sait plus), Yan Lindingre a bouffé de ces films de série Z à la louche et s’en est inspiré pour concocter l’intrigue de ces Zumbies, d’anciens variéteux morts et ressuscités en rockers par Jesse Garon (oui, les plus cultivés auront reconnu l’hommage au frère mort-né d’Elvis Presley, à moins qu’il ne s’agisse d’une allusion perfide au défunt néo-rockabilleux franchouillard du début des 80’s qui cachetonnait le dimanche après-midi chez feu Jacques Martin). Mais là où les zombies traditionnels affichent un Q.I. de poisson rouge et se trainent comme des somnambules à la recherche de leur ration de barbaque humaine, les Zumbies sont des cannibales doués d’intelligence et de réflexion, entièrement mis au service de leur art.
En 2023, dans un monde qui évoque France rurale profonde et Bayou profond (ou le contraire), ces trois zicos et leur chanteuse bravent les communautés religieuses intégristes qui tentent d’imposer leur loi. Leur tournée sanglante les amène à découper en rondelles les calotins ou à déguster quelques teenagers égarés.
Avec un humour potache qui ne fait pas dans la dentelle, les auteurs s’amusent à détourner les clichés des films d’horreur et à glisser quelques clins-d‘œil au gros Rock qui tâche comme une bonne giclée d’hémoglobine. Du côté cinoche, on pense notamment à Une nuit en enfer et s’agissant du Rock, aux Cramps, bien sûr.
Pour servir le propos, Julien utilise une mise en couleurs bien glauque (au sens propre du terme) éclairée par le rouge du sang versé par litres.
Afin d’entretenir le mystère, la première version de l’album est parue avec sur la couverture un Z énigmatique et sans la mention des auteurs.
Depuis, les coupables ont été identifiés mais toujours pas appréhendés et ils ont même osé récidiver. Mais que fait donc le Vatican ?

Bonus Track : 3 questions à Julien/Cdm

Heilman

Dessins et textes : Alain VOSS

Dans l’avènement de la BD Rock en France, Métal Hurlant a été décisif. Sauf qu’il ne faut pas oublier que, mis à part l’esprit éminemment rock’n roll de la démarche de ses fondateurs, de sa gestion et de ses choix éditoriaux, le magazine créé par Jean Giraud, Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas faisait une part belle et prépondérante à la Science-Fiction. Rock, Science-Fiction et donc Bande Dessinée, trois sous-genres à l’époque, que Métal Hurlant s’est évertué à promouvoir.
S’il est un auteur qui incarnait parfaitement cet esprit frondeur, novateur et outrancier, c’est bien Alain Voss, dessinateur d’origine brésilienne débarqué en France en 1972, dont les récits dans Métal Hurlant mariaient allègrement Rock et Science-fiction.
Alliant un graphisme classique, précis et percutant, ses intrigues déjantées donnaient vie à des personnages au look très influencé par le Glam, le Punk et les films de Science-Fiction de l’époque, mélange assez réussi d’élégance et de provocation.
Groupe de Rock voguant dans la galaxie, Gladiateurs affrontant sur la scène une plèbe déchaînée, clones de Rolling Stones se transformant en fauves rugissants… Voss parsemait ses histoires de sexe, de violence et de Rock déchainé.
Heilman, paru en 1978 est un condensé exacerbé de tous ces thèmes. Le seul récit Rock paru en album qu’ait produit Voss et sans conteste le plus délirant.
L’intrigue met en scène une Rock Star dont l’accoutrement inspiré du Glam-Rock et de la Science-Fiction se pare de symboles nazis (sans doute une influence du Punk alors en plein essor), ce qui donne à ce Guitare Héros androgyne une ambiguïté suggestive et provocatrice, tout à fait dans la veine de l’époque mais dont on peut se demander comment elle serait accueillie aujourd’hui.
Au fil d’aventures assez improbables, Heilman, sorte de demi-dieu électrique, affronte avec sa guitare une divinité maléfique, se bat en duel contre un Rocker à banane et meurt plusieurs fois pour se réincarner dans d’autres plans de réalités cosmiques.
Mysticisme, Mythologie, New-Age, Science-Fiction et Rock sont les ingrédients de Heilman, une sorte d’OVNI dans l’histoire de la Bande Dessinée, un récit inclassable dont on ne sait trop que penser. Œuvre géniale ou élucubrations fantasmatiques d’un dessinateur sous influence psychotrope, cela reste une œuvre culte de la BD-Rock qu’il faut avoir lu, comme témoignage de la grande époque de Métal Hurlant.
Alain Voss avait disparu de la circulation franco-belge depuis un certain temps pour émigrer au Portugal où il est hélas décédé le 13 mai 2011. On ne peut aujourd’hui que regretter qu’un tel talent n’ait pas rencontré un public plus large au sortir des années 1980.

The Autobiography of Me too

Dessins et textes : Guillaume BOUZARD

Après une relative accalmie durant les années 1990, la BD Rock qui avait vu le jour en France avec Métal Hurlant à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, a connu une sacrée embellie avec le nouveau millénaire. Une vague de jeunes auteurs est apparue, officiant dans de « petites » maisons d’édition elles aussi fraichement débarquées dans l’océan peu pacifique de la BD.
Ces petits nouveaux ont eu envie d’une part de bousculer les codes graphiques et les thèmes classiques de la Bande bien dessinée, qui en créant des personnages décalés dans des récits déjantés (et vice-versa) qui en causant un peu de leur petite vie à peine plus fondamentale que l’avenir de la galaxie ou la longueur des poils de trolls, et d’autre part de s’éclater en essayant de vivre de leur art si mineur fut-il.
Une démarche rock’n roll s’il en est et donc rien d’étonnant à ce que ces jeunes iconoclastes soient complètement imprégnées d’une solide culture Rock.The Autobiography of Me too two ;  Bouzard © Les Requins Marteaux, 2005Parmi les tenants de cette « nouvelle BD », Guillaume Bouzard, auteur prolifique d’œuvres inénarrables comme Le Club des Quatre, Plageman, Les pauvres types de l’Espace, La nuit du Canard-Garou ou Football Football, fait un peu figure de parangon (surtout pas de vertu) de ces auteurs fins connaisseurs du Rock sous toutes ses formes, fidèles à la cause vinylique et que l’on retrouve dans les bons coups des remarquables collectifs Nous sommes Motörhead et Rock Strips. Bouzard y pond à chaque fois l’un des meilleurs récits (sur Nirvana dans Rock Strips) où l’on retrouve ce qui fait le sel et le poivre de The Autobiography of Me too dont c’est y qu’on va donc causer maintenant.
Le concept est entièrement résumé dans le titre. L’auteur se raconte sans se la raconter parce qu’après tout il le vaut bien et comme en plus c’est devenu à la mode… Bouzard évoque sur un mode décalé sa vie insignifiante de star de la BD reclus dans les Deux-Sèvres ponctuée par les facéties de Flopi un grand chien placide et bipède doué de la parole et qui n’a rien de domestique, les affres de la vie rurale, les sorties hautement philosophiques entre potes et donc le Rock qui est l’ingrédient de quelques récits.
Parmi ces perles d’humour du quotidien où l’anecdote personnelle sert de prétexte à la digression comique, on trouvera bien sûr, entre autres, Motörhead dont l’écoute du dernier album ou un concert s’avèrent plus compliqués que prévu, la recherche du vinyle collector âprement négocié dans un vide-grenier ou encore une tournée de courrier avec du Punk à fond les manettes dans la fourgonnette. L’auteur dévoile son penchant pour le Rock qui cogne avec un humour féroce et un sens de l’autodérision qui donnent à ces chroniques de vie ordinaire une justesse et une drôlerie incomparables, servi par un trait vif et efficace. The Autobiography of Me too apporte à l’autobiographie en Bande Dessinée une version moins intello et beaucoup plus débridée.
En prime, petite anecdote tirée de ma modeste autobiographie à moi aussi, qui me laisse à penser que le gaillard a peut-être un don de prémonition, sans doute acquis lors d’un pacte avec Satan : Dans le troisième opus, le héros a la mauvaise idée de se pointer en tongues à un concert de Motörhead, ce qui sera lourd de conséquences. Hellfest 2010, concert de Motörhead, pour de vrai cette fois et soudain pendant Going to Brazil, si ma mémoire est bonne, une paire de tongues s’est envolée au-dessus de la masse des métalleux extasiés. Et là, définitivement je dis : Jump Lapin !

L’interview de Guillaume BOUZARD,  c’est ici

Une vie sans Barjot

Dessins : Stéphane OIRY – Textes : APPOLLO

Dans la carrière du fan de Rock, l’adolescence est sans doute la période la plus déterminante. Celle des premiers émois amoureux et des premières révoltes contre toutes les figures imposées de l’âge adulte et tout ce qui empêche d’être ce que l’on voudrait être sans d’ailleurs en avoir une idée vraiment précise. Et pour ces deux apprentissages, le Rock fournit un mode d’emploi idéal, provocateur et transgressif.
Cette époque de tous les possibles est ponctuée de quelques moments décisifs, de ceux où il faut bien se confronter à des choix que l’on n’a pas forcément envie de faire. C’est cette part d’enfance qu’il faut se résoudre à tuer, quand on découvre qu’il sera définitivement impossible d’avoir tous les jouets dans la vitrine.
Au milieu de ça, le Rock dispense une part de certitude à laquelle on peut toujours se raccrocher quand le cœur bat la chamade et que l’abîme insondable de l’avenir donne le vertige. Un disque qui tourne en boucle sur la platine, un concert qui laisse les tympans en vrac et l’échine en sueur et l’angoisse du lendemain s’estompe pour un court instant.

Une vie sans Barjot parle un peu de tout ça. Le récit se déroule en une nuit, la dernière des vacances, les dernières vacances après la dernière année de lycée avant que Mathieu ne parte le lendemain pour suivre ses études à Paris, loin du confort de sa ville de Province (Nantes, en l’occurrence dont est originaire Stéphane Oiry).
La perspective de cette nouvelle vie angoisse Mathieu, d’autant qu’elle risque de lui faire perdre la trace de Noémie. Cette dernière est la bassiste des New Girls et joue ce soir-là au Bateau Ivre. C’est depuis ce lieu au nom évocateur, à l’issue d’un concert de Death Metal, que le héros va entamer un long périple à la recherche de sa Dulcinée qui lui a donné rendez-vous à la soirée chez une copine… dont il ignore l’adresse. Mathieu va se lancer dans cette quête au cours d’une errance nocturne, une Odyssée rimbaldienne émaillée de sexe, parfois un peu glauque, de drogue, juste ce qu’il faut, et bien sûr de rock’n roll. Son chemin va croiser toute une série de personnages sublimes ou dérisoires, de ceux que l’on a tous connus au lycée.
Et parmi eux Barjot, fil rouge de l’intrigue, le copain zarbi dont on n‘arrive pas à se défaire et qui derrière le masque de clown foireux, cache une personnalité qu’on ne soupçonnait pas. Barjot, c’est le Godot qu’on n’attend plus mais dont l’existence est un vrai repère dans l’existence de Mathieu.
Une vie sans Barjot est un récit romanesque passionnant, d’une justesse et d’une modernité irréprochables, la fresque d’une jeunesse urbaine tout aussi flamboyante que désabusée à la recherche d’un temps qu’elle sait perdu d’avance et qu’elle essaie de retenir tant qu’elle peut, avant qu’il ne lui file entre les doigts.
Avec le recul, ma BD préférée de l’année 2011.

L’interview de Stéphane Oiry, c’est ici.

MetaL ManiaX

Dessins : SLO – Textes : FEF

Sur les pochettes de leurs disques, ils ont l’air très méchants. A l’écoute, quand rugissent les guitares, que tonne la batterie et que s’élèvent les hurlements du chanteur, le doute n’est plus permis, ils sont très fâchés et ils veulent que ça se sache. Quand ils sont contents, ils replient l’annulaire et le majeur, pour former les cornes de Satan.
Vous ne les connaissez pas et nombre d’entre vous ne soupçonnent même pas que de telles créatures et qu’une telle… « musique » puissent exister. Et pourtant, ils sont bien là, ils vivent parmi vous et ils célèbrent leurs rites sataniques en toute impunité, suivis par des millions d’adeptes dévots à travers le monde. Eux, ce sont les Métalleux.
Pénétrer dans l’univers du Métal a tout d’une expérience ésotérique tant ce style musical recèle de codes et de chapelles, Heavy, Trash, Black, Death, Hard Core, Stoner… avec des variantes Old School ou Néo. Pour les voisins ou votre Mamie, tout ça c’est de la musique de singes sauvages mais pour les puristes, n’allez surtout pas mettre dans le même panier Metallica et Satyricon, Megadeth et Cannibal Corpse ou les flammes de l’enfer risquent bien de vous réduire en cendres en moins de temps qu’il ne faut à un de ces disciples de Belzébuth pour écluser une pinte de bière.
Metal ManiaxHeureusement on peut rire de tout et le mieux c’est de le faire en bonne compagnie avec de fins connaisseurs. Slo et Fef font partie de ces passionnés qui composent le public Métal. Avec Metal Maniax, ils mettent en scène une bande de Métalleux bien typés, incarnant chacun un style de Métal, Vince le fan de Death, inconditionnel de binouze en version Happy Hour, Marco, le Blackeux sombre et satanique tombeur de gonzesses, Spike, le Hardcoreux, bardé de tatouages et rompu aux pogos les plus sauvages et enfin Sam, l’amateur de Heavy et de Glam, moins looké mais non moins allumé. Ce quatuor passe le plus clair de son temps libre dans leur troquet fétiche, le Dark Knight, managé de main de maître par Tony son patron irascible mais comme un père pour ces grands gamins qui se gavent de décibels et de houblon bien frais.
Au travers de gags bien sentis, à l’humour potache et efficace comme un bon gros riff d’AC/DC, les auteurs livrent quelques clés de lecture au béotien pour mieux comprendre cette culture à part et à part entière que constitue le Métal tout en parsemant leurs histoires de clins d’œil qu’apprécieront les fans du genre.
Au programme, entre autres, initiation d’un d’jeune novice au culte métallique, querelles d’esthètes sur les divers genres du Métal avec l’inénarrable Defenestrator comme groupe fil rouge, grivoiseries autour de Nina la barmaid qui n’a froid nulle part, recherche compliquée d’un job stable pour Spike et d’un co-loc compatible pour Sam, incantations maléfiques de Marco… les tribulations bruyantes et alcoolisées de cette bande de mélomanes rappellent opportunément que nonobstant le folklore, tatouages, maquillages et quincaillerie, le Métal, c’est avant tout du Rock’n Roll et que ses aficionados, au-delà de cette caricature avisée, méritent le respect et la sympathie dus aux vrais fans de musique.

Backstage

Dessins : Boris MIRROIR – Textes : JAMES

Le gag est sûrement l’exercice le plus difficile de la Bande Dessinée. Je parle bien sûr du gag qui fait rire et quand on voit le niveau moyen de la production, ça n’a rien d’un pléonasme.
Pour un Franquin, combien de … (rayer la mention inutile). Ce dernier était un maître dans le domaine. Même si les premiers gags de Gaston en une demi-page ne sont pas mes préférés, moins virtuoses et moins inventifs, ils ont justement cette qualité tant au niveau du graphisme que du scénario d’aller à l’essentiel. Faire marrer en une demi-douzaine de cases et au pire garder les zygomatiques du lecteur en éveil, c’est du grand art. De nos jours, peu y arrivent. Diego Aranega avec son Victor Lalouz fait partie de ceux-là, avec une originalité : l’enchainement des gags raconte une histoire ou du moins marque une progression narrative.
Avec Backstage, Fluide Glacial, qui depuis peu s’est lancé dans la BD Rock, comme en témoignent l’arrivée de Lucien dans le catalogue ou les deux collectifs consacrés respectivement aux Beatles et aux Rolling Stones, reprend cette formule de la narration gaguesque (je dis c’que j’veux !) en 6 cases.

JAGGER - RICHARDS par Mirroir

Et en l’appliquant au Rock, Fluide inaugure même un nouveau genre, le biopic en gags. Et tant qu’à faire, on tape dans le gratin avec les Rolling Stones. Cette succession de strips retrace dans ce premier tome, les premières armes de Little Boy Blue and the Blue Boys, le patronyme originel des Pierres (on regrette pas qu’ils aient changé). James, déjà rompu, en tant que dessinateur, à l’exercice du gag en 6 cases avec l’excellent Amour, passion & CX diesel (toujours chez Fluide), prend ici les rênes du scénario, Boris Mirroir assurant le dessin.
Si la plupart des gags sont efficaces et pour beaucoup d’entre eux franchement bidonnants, ce n’est pas qu’un simple délire potache dans la plus pure tradition fluidesque mais bien une véritable biographie détournant les grandes étapes et les petites anecdotes réelles ou supposées comme telles, car entrées dans la légende, qui ponctuent la carrière des Stones. La rencontre de Jagger et Richards sur le quai de gare, les cendres du Hamster de Richards, le pudding de la mère de Jagger et le thé de celle de Richards, les balbutiements du jeu de scène de Jagger, l’hypocrisie envers les premiers partenaires, tout y est. De l’humour décalé et flegmatique, so british, et des personnages dont les auteurs exploitent à merveille les travers, tels le côté calculateur de Jagger ou les penchants addictifs de Richards, sans pour autant négliger de rendre hommage à leurs qualités de musiciens.
Les auteurs ont mis au point des dialogues et un style graphique astucieusement caricaturaux (Mirroir revisite savoureusement les coupes à la garçonne ou la lippe de Jagger) tout à fait en rapport avec leur sujet. C’est drôle mais c’est crédible, tant les modèles originaux, en multipliant les outrances tout au long de leur carrière, nous ont habitué au grand n’importe quoi.
On n’en est qu’au premier tome, les Stones n’ont pas encore choisi leur nom, Jones, Wyman et Watts manquent encore à l’appel mais on a hâte de voir comment les auteurs vont s’emparer des chapitres les plus célèbres de la saga stonienne.
En attendant, le flambeau de Franquin brûle toujours et en plus maintenant, il joue du Rock’n Roll.

Bonus Track : 3 questions à James

Debaser

Dessins et textes : RAF

Un titre pareil, forcément, ça excite la curiosité de l’amateur de Rock. On parle bien du morceau d’ouverture de Doolittle, l’album décisif des Pixies, cet hymne pré-grunge, puissant, mélodique et percutant qui vous agrippe les tympans dès la première note et ne vous les lâche plus pendant 2 minutes et 52 secondes ?
Debaser ; Raf © AnkamaQu’est-ce qu’un manga vient faire là-dedans ? Enfin, un manga, si on veut, vu qu’il se lit à l’occidentale, de gauche à droite. Et puis ce graphisme a un petit je ne sais quoi qui ne sonne pas tout à fait nippon. Vu que ça se passe en France, le doute n’est plus permis.
Un manga français dédié au Rock donc, ça c’est du neuf et c’est du lourd car le moins que l’on puisse dire c’est que ces brûlots graphiques de 180 pages vous pètent à la tronche comme un concert de punk rock.
Nous sommes en 2020, en France dans une société réactionnaire où seuls les hommes font des études supérieures et où les filles sont reléguées au rang de potiches bimbos vouées à une carrière de femme au foyer. Seule la musique officielle promue par le gouvernement est autorisée. Une pop acidulée, prédigérée, décérébrée, formatée pour museler une jeunesse qu’il faut préserver de toute velléité de révolte et de pensée autonome et qu’il faut conditionner à la consommation et au conformisme. Cette soupe sans saveur est produite par la société Mundial (toute ressemblance avec une grosse maison de disques actuelle est tout sauf fortuite) et relayée dans des émissions de télé crochet dans la grande tradition des Daube Academy qui ont sévi ces derniers temps dans la vraie vie.
Face à cet ordre établi, Joshua et Anna, deux jeunes rebelles comme le Rock les aime vont fonder un groupe de Rock, Debaser (nous y voilà !) et organiser la résistance. Debaser ; Raf © Raf, 2012
Raf dessine pied au plancher et se donne à fond sur les planches même si les siennes sont à dessin. Un découpage et un trait tranchants comme des riffs de guitare bien saturée, des personnages forts et expressifs. Cela donne des pages explosives où la violence cathartique du Rock s’exprime dans une intrigue aux nombreux rebondissements, comme il se doit dans un bon manga. Un tel enthousiasme, une telle soif de raconter et de transmettre sa passion pour le Rock (chaque chapitre reprend le titre d’un standard du Punk, du Métal et autres musiques énervées) forcent le respect. Raf a de la suite dans les idées et des idées, la demoiselle (eh oui, encore une dessinatrice rockeuse qui nous file un sacré coup de pied au cul) n’en manque pas, sur la société contemporaine, la politique, la jeunesse… Il n’est pas sûr que le Rock soit capable de changer la face du monde mais avec des récits engagés et débridés comme Debaser, on a vraiment envie d’y croire.

L’interview de RAF, c’est ici

Godspeed, une vie de Kurt Cobain

Dessins : Mc CARTHY et FLAMEBOY – Textes : LEGG

Beaucoup de choses ont été écrites sur la carrière météorique de Nirvana et sur la mort de son leader. En BD, Petit à Petit a sorti une biographie passionnante qui fait tout le tour de la question.
Alors quoi de plus ? Le parti pris de Godspeed est de mettre de côté le groupe et de se placer du point de vue unique et subjectif de Kurt Cobain.
Ce dernier y est présenté comme un ange qui glisse vers la déchéance. Un destin tracé entre les deux écueils insurmontables du divorce de ses parents et d’effroyables douleurs gastriques. Deux épreuves insoutenables qui le pousseront vers la drogue et l’autodestruction même si elles l’amèneront à trouver refuge dans la musique.
Les souffrances, les angoisses, le mal de vivre mais aussi la quête vaine d’un amour pur et sincère sont les thèmes que cette biographie développe dans l’optique d’expliquer que le suicide de Cobain était inéluctable.

Il n’est pas évident d’adhérer à cette thèse visant à faire de Cobain le seul responsable de son suicide mais cette approche a le mérite d’être cohérente et de donner une explication plausible à l’issue finale.
J’adhère franchement moins au graphisme dont l’académisme Comics et une mise en couleurs informatique flashy et sans relief ne paraissent guère appropriés au sujet. La ressemblance avec les personnages réels est peu évidente et surtout fluctuante, avec un Novoselic et un Grohl vraiment méconnaissables. Seule Courtney Love est assez réussie (un paradoxe, vu qu’elle n’a franchement pas le beau rôle). Dommage, car le petit cahier graphique, à la fin du livre montre que sur ce plan, les auteurs auraient pu livrer une bien meilleure version.
Toutefois, Godspeed dresse un portrait sincère de Cobain, restituant la personnalité fragile et sensible de l’un des meilleurs song-writers de l’histoire du Rock.

Cosmik Roger

Dessins : JULIEN – Textes : MO/CDM

Vous connaissez Valérian, le héros spatio-temporel créé par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières ? Donc, vous prenez un Valérian, pas trop frais, vous ajoutez une barbe de trois jours, un penchant indéfectible pour la picole et une prédilection pour les aliens femelles qui n’ont pas froid aux yeux (qu’elles en aient un seul ou plus de deux), vous enduisez d’une bonne couche de fainéantise et assaisonnez avec une grosse pincée de stupidité. Vous obtenez un Cosmik Roger prêt à consommer.
Cosmik Roger a une mission : sauver l’humanité. Facile. Et pour ce faire, trouver une autre planète habitable, la terre étant devenue une gigantesque décharge. Un job peinard, bien payé mais forcément limité dans le temps. Vu qu’il est censé être le plus qualifié pour s’acquitter de cette tâche, ça laisse perplexe quant aux chances de survie de l’espèce humaine. Car en bon fonctionnaute, Roger fait durer le plaisir et passe le plus clair de son temps à glandouiller aux quatre coins de la galaxie et à se pochetronner au Rendez-vous des Anneaux, un troquet de quartier paumé sur un minuscule astéroïde. Une parodie tout à fait dans l’esprit potache de Fluide Glacial,
Et le Rock dans tout ça ? D’abord, Cosmik Roger a une hérédité chargée car l’un de ses géniteurs n’est autre que Mo/Cdm le scénariste des Blattes, le groupe de Métal le plus foireux de l’histoire. Et Julien, son dessinateur, a quant à lui donné vie aux Zumbies, scénarisé par le sieur Yan Lindingre, et il est accessoirement le rejeton de Jean Solé, auteur du foutraque Pop & Rock & Colégram et de Mélodimages.
Déjà, le second tome des aventures de ce foireux interstellaire mettait en scène, dans un gag fracassant, les « Bourrins », un groupe d’aliens déchainés où les auteurs s’amusaient à revisiter les clichés des textes de Métal.
Dans Tragical Cosmik Tour, le 6è tome, Roger passe la vitesse lumière et entame la carrière de rocker auquel son comportement addictif et marginal le prédestinait. Mais attention, Roger n’est pas un rocker lambda. Il est Elvis himself, ou du moins sa descendance génétique, dans une version SF débridée où, affublé du costume de clown blanc d’Elvis à Las Vegas, il écume les quatre coins de l’univers avec son gang d’extraterrestres. Tout cela n’est bien sûr que le prétexte à de délirantes et burlesques variations autour de ce thème improvisé. On citera pour exemple le casting de batteurs auquel échoue un alien sans bras ni jambes. Tout le reste est du même tonneau. Mo/Cdm et Julien qui prennent à l’évidence un plaisir sadique au fil des aventures de leur anti-héros à le coller dans les pires des mouises, glissent ici toute une série de clins d’œil irrévérencieux à l’imagerie rock’n rollienne.
Elvis et le Rock méritaient-ils ça ? Vu comme ça nous fait marrer… Affirmatif, Monsieur Spock !

Detroit Metal City

Dessins et textes : Kiminori WAKASUGI

Lors des quelques concerts de Métal extrême auxquels il m’arrive d’assister, en regardant les membres du groupe, peinturlurés comme des zombies, les yeux injectés de sang, lever leur poignet hérissé de clous longs comme des aiguilles de porc-épic et faire le signe de Satan, la remarque formulée par ma douce et tendre en voyant pour la première fois l’un de ces gangs de clowns électriques me vient immanquablement à l’esprit : « N’oublie pas que tous ces mecs ont des mamans ».
Tout ça pour dire que si vous aimez le Death et le Black Metal, le bondage, Kiss, les pâtisseries, David et Jonathan et les mangas, peu importe dans quel ordre, vous devez lire Detroit Metal City. Au début du récit, tout semble normal : un trio de Death Metal, grimé et peinturluré avec outrance. Leur leader, Sôichi Negishi, chanteur et guitariste qui répond au pseudo de Krauser chante des textes d’une subtile poésie, invitant à la paix et la concorde entre les hommes. Les femmes sont des truies, les mères doivent être violées, les pères assassinés et le reste à l’avenant. Bref, la routine.
Sauf que Sôichi a un gros problème, c’est un jeune homme doux et sensible qui au fond de lui exècre ce qu’il fait et rêve en secret de jouer de la guimauve pour midinettes.
Incapable de se libérer de l’emprise d’une manageuse tyrannique et nymphomane et de la pression des autres membres du groupe, ce tendre et faible amateur de bleuettes, sitôt enfilé son costume et appliqué son maquillage, se voit contraint de jouer avec application son rôle de démon de l’enfer, sans pitié avec les concurrents qui osent essayer de rivaliser avec lui dans le registre de l’outrance et de l’obscénité. Cela donne lieu à des concerts-battle hauts en couleurs avec bondage, taureau, concours de crachats ou de « fuck » et moult simulation de sodomie, sous les yeux d’un public décérébré dont les commentaires feraient passer les journalistes sportifs pour des chroniqueurs littéraires.
Cette erreur sur la personne est le prétexte à des situations vaudevillesques, absurdes et schizophréniques pour le pauvre héros, condamné à l’imposture, tiraillé entre ses pulsions les plus bestiales et ses profondes aspirations romantiques, contraint de soigner son image de bête lubrique alors qu’il est encore puceau, et ne pouvant révéler à l’élue de son cœur son terrible secret.
Difficile de dire si Detroit Metal City est un récit original ou complètement débile, ce qui est d’ailleurs la question que l’on pourrait se poser pour nombre de mangas. Il est sûr en tout cas que son intrigue ne laisse pas indifférent et suscite tout de même l’envie de savoir comment Sôichi va se sortir du guêpier dans lequel il s’est fourré.
A noter que Detroit Metal City a fait l’objet d’une adaptation cinéma plutôt réussie, fidèle à l’esprit déjanté du livre.

Le Local

Dessins et textes : GIPI

Avec le titre, tout est dit d’emblée et c’est aussi le cas dès la première planche lorsque Giuliano fait découvrir à Stefano la masure que son père met à leur disposition pour répéter. Ceux qui savent comprendront, un groupe de Rock sans local c’est comme… à chacun de compléter avec la métaphore qui lui semblera la plus appropriée.
Le récit de Gipi est fondé sur ce postulat indépassable. L’intrigue est simple et limpide et fait la part belle aux personnages, des jeunes ordinaires qui se cherchent et trouvent dans le Rock un exutoire à leurs doutes, leurs angoisses et leurs blessures secrètes. Pas de plan de carrière, malgré le vague espoir du succès, entretenu par le contact avec un producteur écoeurant de cynisme. L’important c’est le défouloir, grâce aux décibels et à des textes cathartiques.
Les parents et la famille en général y jouent le rôle fondamental qui leur revient, parce qu’ils sont presque toujours la première cible de la révolte de l’apprenti rocker. Bien qu’ici les rockers ne soient pas vraiment des rebelles mais plutôt des jeunes gens polis et respectueux de l’autorité parentale même si elle leur pèse inévitablement.Ce local et ces répètes vont amener chaque membre du groupe à se révéler aux autres et bien sûr avant tout à lui-même. Tout particulièrement quand l’ampli du guitariste va tomber en rade et obliger à trouver une combine pour le remplacer. Pourtant, le père de Giuliano avait bien précisé que le local était un « cadeau temporaire », subordonné à la seule condition de ne pas faire de conneries…
L’auteur sait de quoi il parle. Il a joué du Punk dans plusieurs groupes amateurs. C’est sans doute pour cette raison que son récit, servi par des dialogues d’une rare authenticité, nous immerge complètement dans l’intimité de ces quatre adolescents. Le trait acéré et la mise en couleurs magistrale restituent parfaitement l’incandescence de ces répètes dont on pourrait presque entendre la clameur et où chacun joue comme si sa propre vie et accessoirement le destin du Rock en dépendaient.
Le groupe de Giuliano, Stefano, Alberto et Alex n’a pas de nom, ne connaîtra aucun lendemain professionnel et on ne le verra pas se produire en concert. Tout juste aura-t-il enregistré quelques morceaux sur une cassette au moyen d’un petit magnétophone de fortune. Mais Gipi rappelle que l’essentiel est ailleurs, dans le fait d’avoir un endroit vraiment à soi, de jouer ensemble, de former un groupe et d’y frotter son ego avec celui des autres pour se fondre dans un élan commun.
« Le Local » est sans conteste à ce jour le plus bel hommage que l’on ait fait à ces lieux obscurs et secrets où la magie du Rock se perpétue et se régénère sans cesse.

Riff Reb’s

Dessins et textes : RIFF REB’S

Déjà, avec pareil pseudo, on devine que l’on ne va pas faire dans la dentelle. Riff Reb’s fait partie de ces auteurs dont le style pourrait aider à trouver la définition de ce qu’est le graphisme Rock, si tant est que cela présente un quelconque intérêt. Avec des œuvres comme « La Crève », « Le Bal de la Sueur » ou « Glam et Comet », son trait sombre, tout aussi élégant que percutant donne vie à des intrigues et des personnages hors du communs, déjantés, marginaux, délurés, bref bien Rock’n Roll.
Depuis qu’il a commis le « Petit Rocker Illustré de A à Z », on se doutait que l’homme appréciait la musique bruyante et saturée. Ce petit opus vient amplement confirmer les soupçons et asseoir définitivement sa culpabilité.
Riff Reb’s offre, en même temps qu’un superbe condensé de son talent, de somptueux hommages à la fine fleur du bon vieux gros Rock qui tâche, tels Motörhead, Thin Lizzy, AC/DC, MC5 ou Red Hot Chili Peppers (avant qu’ils ne se couillemollisent) dans des visions flamboyantes, chaloupant entre affiches de concert réelles ou fictives, films et couvertures de comics. Ce mélange détonant est aussi agrémenté de quelques illustrations sans lien direct avec le Rock mais totalement dans l’esprit.
Un petit bijou noir et blanc dont on pourrait juste regretter ce format carte postale, où certaines de ces fresques électriques se trouvent souvent un peu à l’étroit.

Nous sommes Motörhead

Dessins et textes : COLLECTIF

Les Collectifs ? Comment dire… Rien qu’avec leurs titres peu ragoûtants, calibrés pour les têtes de gondoles d’hypermarchés, du genre « Démis Roussos en bandes dessinées » ou encore « Les chansons de Frédéric François en BD », on imagine bien le making-of : « Eh, Duchmole, ça te dirait de faire un truc sur Machin ? – Ah ouais, cool, et tu veux combien de planches ? Pour quand ? Euh… et c’est payé combien ? Ah… ben, faut que je réfléchisse alors et pis tu sais en fait, Machin, à part son premier album… finalement j’connais pas bien et en plus le Black-Variète-Core, j’écoute plus trop ça… »
Le pire, c’est les illustrations de chansons en BD. Ca confirme que même un bon texte de chanson constitue rarement un scénario intéressant, même avec des grosses pointures de la planche. On reste trop dans l’adaptation littérale. Bien qu’il en existe, comme le Bob Dylan Revisited par exemple, qui comporte quelques trucs sympas, la plupart du temps, mieux vaut refermer vite le bouquin et remettre le son. Ce genre d’exercice donne plus l’impression que les éditeurs qui se sont lancés là-dedans avaient au mieux envie de se faire plaisir, au pire espéraient faire un bon coup commercial, (l’un n’empêchant certes pas l’autre) surtout en choisissant de mettre en images quelques franchouillards bien bankables, du genre qui créent de mini-émeutes dans les allées du festival d’Angoulême.
Bon, maintenant que j’ai plombé l’ambiance, y’a plus qu’à allumer les Marshall et pousser les potards à fond dans le coin car maintenant on va parler de Rock’n Roll et donc de Motörhead. Car s’il est un gang qui depuis plus de 30 ans fait l’unanimité dans toutes les chapelles du culte du Binaire Primaire, c’est bien le trio de Sir Lemmy Kilmister. Faites le test, demandez au plus élitiste des fans de Post-Rock underground si, quand même, y’aurait pas un groupe de Rock « connu » qui trouverait grâce à ses yeux, à part bien sûr les Beatles (hors compète) il vous concèdera que « ouais, Motörhead, à la limite, c’est vrai que… ». Motörhead, ça triche pas, c’est carré, sans surprise, réconfortant. On met le disque et on s’en prend plein sa race, juste ce qu’il faut. A 70 balais, avec des tiags, un stetson, des cheveux filasses, des rouflaquettes et du diabète, n’importe qui à la place de Lemmy serait parfaitement ridicule (qui a crié Johnny ? vraiment, c’est pas malin !). Lemmy, c’est le surhomme nietszchien, l’essence platonicienne du Rocker, qui impose le respect idolâtre. Un jeu de basse tellurique, une voix granitique, rauqu’n râle, peaufinée au papier de verre gros grain trempé dans le Jack Daniels et une ribambelle d’hymnes heavy-rock, métal et même punk (foin des étiquettes, Lemmy vous expliquerait que tout ça, c’est  juste du Rock’n Roll et une question de réglage de la pédale distorsion).
La préface résume bien la démarche. En France, on n’arrivera jamais à sortir un groupe comme Motörhead mais on a la BD. Là, on est bons, on sait faire. Alors on va brancher les crayons et les pinceaux et rendre à la bande à Lemmy l’hommage qu’elle mérite.
Mais face à un tel monument, il fallait donc mettre la barre très haut. « Nous sommes Motörhead » (pour ceux qui ne comprennent pas le choix du titre, je ne peux, hélas, rien) s’y est employé. Un format 33 tours, comme à la grande époque, une couv noire (comment faire autrement ?) et un visuel monstrueux de la bête magistralement revisitée par Lamquet.
A l’intérieur, des récits courts, efficaces, des évocations oniriques (Oiry), iconoclastes (Witko), drolatiques (Bouzard), révérencieuses (Josso), mystiques (Micol), autobiographiques (Menu) mais jamais béates. Motörhead, c’est pas pour les groupies. La démarche des auteurs est sincère à l’évidence et tous ont tenu à se mettre à la hauteur et transmettre à leur manière leur admiration pour le trio british. Et cela nous donne une compilation qui constitue désormais une référence en matière d’ouvrages de BD collectif.
Ben, voilà, c’était pas compliqué, il suffisait juste de choisir des auteurs de talent, fleurons de cette fameuse nouvelle BD (pour faire dans le raccourci commode), affranchis de l’héritage académique de la grande école franco-belge et véritablement concernés par le Rock (et donc Motörhead, au cas où vous n’auriez toujours pas pigé) parce que définitivement ils le sont et nous le sommes tous, oui, motherfuckers, nous sommes Motörhead !
Sinon, j’avoue, Demis Roussos en bandes dessinées, ça se fera jamais, il faudrait au moins 300 planches pour être au niveau du sujet et aucun éditeur ne prendrait un tel risque (ou alors une co-édition Weight-Watchers ?). En revanche, Frédéric François par Bouzard, Luz ou Menu, je serais curieux de voir ça…

Et pour en savoir plus sur ce sacré Lemmy, le documentaire éponyme s’impose.

Doomboy

Dessins et textes : Tony SANDOVAL

L’une des particularités du Métal est sa propension à se décliner sous des formes et des étiquettes très diverses, comme s’il constituait en lui même un genre musical à part entière, à côté du Rock, du Jazz, du Blues, du Rap, etc. Et alors ? m’éructeront les plus chevelus des lecteurs de cette chronique, tu découvres l’eau tiède, abruti ?
On se calme les graisseux ! J’voulais pas vexer mais bon, vu de l’extérieur, tout ça c’est quand même un peu la même chose, non ? Bruyant, saturé, violent mais ça reste du Rock. On a beau mettre un adjectif différent devant, Trash, Hardcore, Death, Progressive, Atmosphérique, voire des sous adjectifs, du genre, Brutal ou Old School, ça serait pas un peu artificiel, toutes ces étiquettes ?
Allez, je charrie, je jure sur mon premier Pass Hellfest que j’le pensai pas.

Or donc, Tony Sandoval est mexicain et fan de Métal (en le voyant, on aurait pu s’en douter) dont il joue lui même (sur une Jackson, si ma mémoire est bonne) et ma foi, ça se voit clairement dans ses œuvres. Et vlatipa que lui aussi a créé sur le papier un nouveau genre, le Métal écolo. Ca n’a rien de péjoratif au contraire car à la lecture de Doomboy, on retrouve le thème déjà développé dans « Nocturno », cette intervention de la nature qui donne à l’intrigue une forme onirique et une dimension fantastique assez inattendue.
Cela passe avant tout par un dessin très personnel, épuré, faussement naïf, immédiatement reconnaissable qui donne au récit ce ton et cette atmosphère fabuleux.
Doomboy est un conte moderne et un récit d’une authenticité surprenante malgré les ingrédients fantastiques qu’il emploie. Le héros est un adolescent, guitariste de Métal, qui vient d’être viré de son groupe et de perdre un être cher. Sur les falaises près de chez lui, il va sublimer son chagrin et découvrir, en écoutant la mer, un son étrange, magique et envoutant donnant vie à des créatures fantasmagoriques, sur lequel son jeu de guitare va enfin trouver l’inspiration qui lui faisait défaut. En osmose avec la mer et les éléments, la musique naissant ainsi de sa guitare est aussitôt mise sur les ondes d’une station locale. Elle va faire de lui Doomboy, une légende urbaine.
Sandoval dresse un portrait d’adolescent tout en nuances, aussi bien dans la narration que par une superbe mise en couleurs, restituant parfaitement ce déchirement entre la candeur de l’enfance toujours présente et la révolte du jeune adulte en devenir. Cette ambivalence est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du Métal, musique violente et dont les formes les plus extrêmes sont souvent appréciées par des gens réservés et bien éduqués, si l’on met de côté la longueur de la chevelure et des clous sur les bracelets.
Le récit aborde aussi avec beaucoup de sensibilité le sujet délicat des premiers émois sexuels, qu’ils soient ou non dans la norme.
Malgré un dénouement un poil trop elliptique, Doomboy est un récit fort et puissant comme un riff de Métal qui consacre définitivement le talent de son auteur.