Bonus Track : Vincent BRUNNER

A propos de Rock Strips : 3 questions à Vincent BRUNNER

Comment est né le concept de Rock Strips ?
C’était un peu un projet rêvé de refaire l’histoire du Rock revue avec des auteurs de Bande Dessinée parce qu’il y en a beaucoup, dont Luz ou Berberian, qui parlaient de musique. L’idée était de revisiter l’histoire de manière chronologique. Dans le premier tome, on va de Little Richards à LCD Sound System et dans le second de Roy Orbinson aux Libertines. Chaque auteur pouvait partir dans tous les sens, que ce soit autobiographique ou juste une histoire autour de l’émotion procurée par une chanson ou encore un parti-pris très graphique, voire austère, comme a fait Morvandiau avec la reprise de Love In Vain par les Rolling Stones. Luz, pour LCD Sound System, c’était plus intime parce qu’il connaissait James Murphy. Certains sont partis dans une histoire avec une chute comme Appollo et Brüno autour d’AC/DC, c’est presque apocryphe. Et le miracle, c’est que les auteurs ont suivi et que l’on a réussi à couvrir plusieurs décennies, on va des années 1950 jusqu’aux 2000, de manière assez cohérente avec des musiciens parfois culte mais pas grand public et d’autres beaucoup plus connus. Voilà, au départ c’était un fantasme, l’éditrice a dit Banco et puis les auteurs ont répondu présent.

Comment s’est fait le choix entre les auteurs d’une part et les groupes ou artistes de Rock présents dans Rock Strips, d’autre part ?
Pour les auteurs, j’avais fait une liste de 70 noms, pour qu’on soit, je dirais, dans les clous. Je m’étais quand même assuré à la base que Luz fasse partie de l’aventure, ce qui était vraiment un des conditions sine qua non… s’adressant à Luz qui se bidonne : Bien sûr, j’te l’ai déjà dit, tu le sais, arrête, mais c’est vrai (rires) ! Si le projet ne lui avait pas plu, je me serais quand même posé des questions. A partir du moment où Luz était OK, Berberian aussi, après il y a plein d’auteurs que Luz connaît, toute la bande, Jean-Christophe Menu, Killofer… L’idée de base étant qu’ils aient tous carte blanche. Et je me suis rendu compte que, sans que ce soit à proprement parler une attente des auteurs de bande dessinée, ça les branchait de dire « tiens, quel est mon groupe préféré ? » car la demande était : «Empare-toi de ton groupe préféré et raconte ce que tu veux ». Je me rappelle, Mathieu Sapin sur les White Stripes, je lui ai envoyé un mail un soir et il m’a répondu favorablement une demi-heure après… Pour Jean-Christophe Menu, on a eu un échange de mails, je lui ai d’abord proposé Neil Young, il m’a dit « Non, j’en ai déjà parlé. Les Sex Pistols ? Ah ouais, là d’accord.. ». Il s’est passé quelque chose, certains auteurs en ont parlé à d’autres… Par exemple pour le deuxième tome, j’ai su par Serge Clerc que Loustal aurait bien aimé être dans le premier… Il y vraiment eu un effet boule de neige.
En ce qui concerne les groupes choisis, l’idée c’était qu’ils soient importants, il ne s’agissait pas de parler du groupe préféré que personne ne connaît. C’est pour ça que dans le premier tome, il y a les Rolling Stones, les Beatles, etc. et dans Rock Strips Come Back, on a fait la suite pour justement mettre ceux qui n’avaient pas été traités dans le premier, genre Dylan. C’est pour ça qu’il n’y a pas non plus beaucoup de Rock français.

Quels point communs vois-tu entre Rock et BD ?
Historiquement c’étaient des choses qui appartenaient à la contre-culture. Quand la bande dessinée adulte a commencé dans les années 1960, c’était contestataire comme le Rock. Le point commun au départ, il est là. J’étais très fan de Métal Hurlant qui était porteur de l’esthétique Rock. C’est pour ça qu’il y a dans Rock Strips des auteurs comme Serge Clerc ou Luc Cornillon. Maintenant, Rock et BD sont tous les deux devenus des industries, le cri primal s’est un peu noyé dans la masse, le Rock’n roll n’est plus vraiment une musique de rebelles. Tout le monde peut dire « ah ben tiens maintenant, je vais faire un album de Rock’n Roll ». Un autre point commun est le fait qu’il y ait de plus en plus de nanas dans le Rock et la BD même si certains nous ont dit qu’il y avait peu d’artistes féminins dans Rock Strips. Il y a PJ Harvey, The Gossip, Debbie Harry… mais je suis sûr que si on le refaisait dans dix ans, il y en aurait encore plus. Si tu regardes l’histoire du Rock’n Roll, il y a dix ans, il y a eu un revival avec les Strokes ou les White Stripes, après la Techno qui comme la « Nouvelle BD » avait apporté quelque chose de plus pointu, un peu comme Luz ou les auteurs de l’Association qui sont aussi très fans de Rock et qui ont contribué à l’histoire de la Bande Dessinée. Je pense que les auteurs de Rock Strips sont les plus rock’n roll du monde de la bande dessinée.

The Autobiography of Me too

Dessins et textes : Guillaume BOUZARD

Après une relative accalmie durant les années 1990, la BD Rock qui avait vu le jour en France avec Métal Hurlant à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, a connu une sacrée embellie avec le nouveau millénaire. Une vague de jeunes auteurs est apparue, officiant dans de « petites » maisons d’édition elles aussi fraichement débarquées dans l’océan peu pacifique de la BD.
Ces petits nouveaux ont eu envie d’une part de bousculer les codes graphiques et les thèmes classiques de la Bande bien dessinée, qui en créant des personnages décalés dans des récits déjantés (et vice-versa) qui en causant un peu de leur petite vie à peine plus fondamentale que l’avenir de la galaxie ou la longueur des poils de trolls, et d’autre part de s’éclater en essayant de vivre de leur art si mineur fut-il.
Une démarche rock’n roll s’il en est et donc rien d’étonnant à ce que ces jeunes iconoclastes soient complètement imprégnées d’une solide culture Rock.The Autobiography of Me too two ;  Bouzard © Les Requins Marteaux, 2005Parmi les tenants de cette « nouvelle BD », Guillaume Bouzard, auteur prolifique d’œuvres inénarrables comme Le Club des Quatre, Plageman, Les pauvres types de l’Espace, La nuit du Canard-Garou ou Football Football, fait un peu figure de parangon (surtout pas de vertu) de ces auteurs fins connaisseurs du Rock sous toutes ses formes, fidèles à la cause vinylique et que l’on retrouve dans les bons coups des remarquables collectifs Nous sommes Motörhead et Rock Strips. Bouzard y pond à chaque fois l’un des meilleurs récits (sur Nirvana dans Rock Strips) où l’on retrouve ce qui fait le sel et le poivre de The Autobiography of Me too dont c’est y qu’on va donc causer maintenant.
Le concept est entièrement résumé dans le titre. L’auteur se raconte sans se la raconter parce qu’après tout il le vaut bien et comme en plus c’est devenu à la mode… Bouzard évoque sur un mode décalé sa vie insignifiante de star de la BD reclus dans les Deux-Sèvres ponctuée par les facéties de Flopi un grand chien placide et bipède doué de la parole et qui n’a rien de domestique, les affres de la vie rurale, les sorties hautement philosophiques entre potes et donc le Rock qui est l’ingrédient de quelques récits.
Parmi ces perles d’humour du quotidien où l’anecdote personnelle sert de prétexte à la digression comique, on trouvera bien sûr, entre autres, Motörhead dont l’écoute du dernier album ou un concert s’avèrent plus compliqués que prévu, la recherche du vinyle collector âprement négocié dans un vide-grenier ou encore une tournée de courrier avec du Punk à fond les manettes dans la fourgonnette. L’auteur dévoile son penchant pour le Rock qui cogne avec un humour féroce et un sens de l’autodérision qui donnent à ces chroniques de vie ordinaire une justesse et une drôlerie incomparables, servi par un trait vif et efficace. The Autobiography of Me too apporte à l’autobiographie en Bande Dessinée une version moins intello et beaucoup plus débridée.
En prime, petite anecdote tirée de ma modeste autobiographie à moi aussi, qui me laisse à penser que le gaillard a peut-être un don de prémonition, sans doute acquis lors d’un pacte avec Satan : Dans le troisième opus, le héros a la mauvaise idée de se pointer en tongues à un concert de Motörhead, ce qui sera lourd de conséquences. Hellfest 2010, concert de Motörhead, pour de vrai cette fois et soudain pendant Going to Brazil, si ma mémoire est bonne, une paire de tongues s’est envolée au-dessus de la masse des métalleux extasiés. Et là, définitivement je dis : Jump Lapin !

L’interview de Guillaume BOUZARD,  c’est ici

Rock Strips

Dessins : COLLECTIF – Textes : Vincent BRUNNER

Rock Strips © Flammarion, 2009On peut penser ce qu’on veut de Rock Cartoon, paru en 1990 et réunissant pour la première fois, sous la houlette de Philippe Koechlin, pilier de Rock & Folk, un assortiment pas toujours très bien choisi des meilleurs albums du gratin du Rock, chacun illustré par un auteur de BD différent, parfois issu de la bande de Métal Hurlant (Margerin, Sire et consorts) mais pas que. L’objet était beau, le résultat était graphiquement plutôt réussi mais le propos était un peu court, tant du point de vue du Rock (une chronique sommaire de l’album sélectionné) que de l’approche BD : quelques cases, certes parfois superbes, telles celles de Solé ou Sire, mais tout ça laissait un peu sur sa faim. N’empêche qu’un genre était né en BD, que l’on pourrait désigner, pour faire simple, sous le vocable de Collectif musical.
Restait à affiner le concept. Vingt ans plus tard, sort Rock Strips. Avec la même formule que son aîné, à savoir d’une part un rédactionnel, assuré par un journaliste de Rock confirmé, Vincent Brunner, rejeton de Rolling Stone, et d’autre part une suite de chroniques illustrées mais cette fois allant un peu plus loin qu’un simple exercice de style.
Pour commencer par le début, Rock Strips reprend le procédé de Rock Cartoon d’une couverture clin d’œil à une pochette d’un album mythique. Fred Beltran avait revisité « Sgt Peppers », Rock Strips quant à lui détourne le « Cheap Thrills » de Janis Joplin illustré par Crumb, un kaléidoscope composé de visuels issus du bouquin qui annonce la couleur : On va causer de Rock, les gars mais on va aussi vous donner de la BD.
Autre point commun du petit nouveau avec son glorieux aîné, la dénomination facile et un peu trompeuse d’histoire du Rock en Bande Dessinée. De démarche historienne, il n’est pas vraiment question hormis le classement chronologique, mais pas de thématique ni de vrai fil conducteur. Et au fond tout ça n’est pas très important, car hormis ce détail, Rock Strips reprend le flambeau là où Rock Cartoon l’avait laissé mais offre cette fois aux amateurs de Rock comme de BD plus de grain à moudre.
Déjà, un vrai rédactionnel. En deux pages, Brunner fait le tour de la question, envoie une playlist, une discographie sélective bien (res)sentie et laisse la place à l’image.
Ensuite et donc, de la vraie Bande Dessinée, une trentaine de récits de six planches. Evidemment, on y trouvera un peu de tout, selon la sensibilité du dessinateur (parfois épaulé par un scénariste), de l’évocation conceptuelle (absconse ?) à l’hommage un peu béat mais avec de vrais morceaux de bravoure, dramatiques (le Johnny Thunders crépusculaire de Oiry) ou humoristiques (Nirvana par Bouzard, AC/DC par Brüno). Globalement, le contrat est donc rempli : une anthologie plutôt qu’une histoire où la BD investit le Rock et lui dresse quelques portraits graphiques qui démontrent que les deux peuvent décidément faire bon ménage.Rock Strips © Flammarion, 2011
Evidemment, Rock Strips présente les inconvénients inhérents à tout ouvrage collectif : en premier lieu une qualité inégale, certains chapitres étant moins réussis que d’autres et même si cela dépend des goûts, il manquera justement l’unité de ton et d’approche qu’offrirait la vision d’un seul dessinateur, même si les textes de Brunner apporte quand même une cohérence à l’ensemble. En contrepartie, tout le monde pourra y trouver son compte et en l’occurrence, le niveau moyen reste de bonne facture tant par la qualité graphique que par l’implication et le plaisir que tous ces dessinateurs ont visiblement pris à se livrer à l’exercice.
On pouvait aussi faire le reproche au premier tome de Rock Strips d’avoir délaissé quelques grands noms du Rock mais le second opus est venu en grande partie réparer les oubliés du premier et laisse (peut-être) augurer une série au long cours que l’on aurait plaisir à voir s’éterniser.

Bonus Track : 3 questions à Vincent BRUNNER