Backstage

Dessins : Boris MIRROIR – Textes : JAMES

Le gag est sûrement l’exercice le plus difficile de la Bande Dessinée. Je parle bien sûr du gag qui fait rire et quand on voit le niveau moyen de la production, ça n’a rien d’un pléonasme.
Pour un Franquin, combien de … (rayer la mention inutile). Ce dernier était un maître dans le domaine. Même si les premiers gags de Gaston en une demi-page ne sont pas mes préférés, moins virtuoses et moins inventifs, ils ont justement cette qualité tant au niveau du graphisme que du scénario d’aller à l’essentiel. Faire marrer en une demi-douzaine de cases et au pire garder les zygomatiques du lecteur en éveil, c’est du grand art. De nos jours, peu y arrivent. Diego Aranega avec son Victor Lalouz fait partie de ceux-là, avec une originalité : l’enchainement des gags raconte une histoire ou du moins marque une progression narrative.
Avec Backstage, Fluide Glacial, qui depuis peu s’est lancé dans la BD Rock, comme en témoignent l’arrivée de Lucien dans le catalogue ou les deux collectifs consacrés respectivement aux Beatles et aux Rolling Stones, reprend cette formule de la narration gaguesque (je dis c’que j’veux !) en 6 cases.

JAGGER - RICHARDS par Mirroir

Et en l’appliquant au Rock, Fluide inaugure même un nouveau genre, le biopic en gags. Et tant qu’à faire, on tape dans le gratin avec les Rolling Stones. Cette succession de strips retrace dans ce premier tome, les premières armes de Little Boy Blue and the Blue Boys, le patronyme originel des Pierres (on regrette pas qu’ils aient changé). James, déjà rompu, en tant que dessinateur, à l’exercice du gag en 6 cases avec l’excellent Amour, passion & CX diesel (toujours chez Fluide), prend ici les rênes du scénario, Boris Mirroir assurant le dessin.
Si la plupart des gags sont efficaces et pour beaucoup d’entre eux franchement bidonnants, ce n’est pas qu’un simple délire potache dans la plus pure tradition fluidesque mais bien une véritable biographie détournant les grandes étapes et les petites anecdotes réelles ou supposées comme telles, car entrées dans la légende, qui ponctuent la carrière des Stones. La rencontre de Jagger et Richards sur le quai de gare, les cendres du Hamster de Richards, le pudding de la mère de Jagger et le thé de celle de Richards, les balbutiements du jeu de scène de Jagger, l’hypocrisie envers les premiers partenaires, tout y est. De l’humour décalé et flegmatique, so british, et des personnages dont les auteurs exploitent à merveille les travers, tels le côté calculateur de Jagger ou les penchants addictifs de Richards, sans pour autant négliger de rendre hommage à leurs qualités de musiciens.
Les auteurs ont mis au point des dialogues et un style graphique astucieusement caricaturaux (Mirroir revisite savoureusement les coupes à la garçonne ou la lippe de Jagger) tout à fait en rapport avec leur sujet. C’est drôle mais c’est crédible, tant les modèles originaux, en multipliant les outrances tout au long de leur carrière, nous ont habitué au grand n’importe quoi.
On n’en est qu’au premier tome, les Stones n’ont pas encore choisi leur nom, Jones, Wyman et Watts manquent encore à l’appel mais on a hâte de voir comment les auteurs vont s’emparer des chapitres les plus célèbres de la saga stonienne.
En attendant, le flambeau de Franquin brûle toujours et en plus maintenant, il joue du Rock’n Roll.

Bonus Track : 3 questions à James

Debaser

Dessins et textes : RAF

Un titre pareil, forcément, ça excite la curiosité de l’amateur de Rock. On parle bien du morceau d’ouverture de Doolittle, l’album décisif des Pixies, cet hymne pré-grunge, puissant, mélodique et percutant qui vous agrippe les tympans dès la première note et ne vous les lâche plus pendant 2 minutes et 52 secondes ?
Debaser ; Raf © AnkamaQu’est-ce qu’un manga vient faire là-dedans ? Enfin, un manga, si on veut, vu qu’il se lit à l’occidentale, de gauche à droite. Et puis ce graphisme a un petit je ne sais quoi qui ne sonne pas tout à fait nippon. Vu que ça se passe en France, le doute n’est plus permis.
Un manga français dédié au Rock donc, ça c’est du neuf et c’est du lourd car le moins que l’on puisse dire c’est que ces brûlots graphiques de 180 pages vous pètent à la tronche comme un concert de punk rock.
Nous sommes en 2020, en France dans une société réactionnaire où seuls les hommes font des études supérieures et où les filles sont reléguées au rang de potiches bimbos vouées à une carrière de femme au foyer. Seule la musique officielle promue par le gouvernement est autorisée. Une pop acidulée, prédigérée, décérébrée, formatée pour museler une jeunesse qu’il faut préserver de toute velléité de révolte et de pensée autonome et qu’il faut conditionner à la consommation et au conformisme. Cette soupe sans saveur est produite par la société Mundial (toute ressemblance avec une grosse maison de disques actuelle est tout sauf fortuite) et relayée dans des émissions de télé crochet dans la grande tradition des Daube Academy qui ont sévi ces derniers temps dans la vraie vie.
Face à cet ordre établi, Joshua et Anna, deux jeunes rebelles comme le Rock les aime vont fonder un groupe de Rock, Debaser (nous y voilà !) et organiser la résistance. Debaser ; Raf © Raf, 2012
Raf dessine pied au plancher et se donne à fond sur les planches même si les siennes sont à dessin. Un découpage et un trait tranchants comme des riffs de guitare bien saturée, des personnages forts et expressifs. Cela donne des pages explosives où la violence cathartique du Rock s’exprime dans une intrigue aux nombreux rebondissements, comme il se doit dans un bon manga. Un tel enthousiasme, une telle soif de raconter et de transmettre sa passion pour le Rock (chaque chapitre reprend le titre d’un standard du Punk, du Métal et autres musiques énervées) forcent le respect. Raf a de la suite dans les idées et des idées, la demoiselle (eh oui, encore une dessinatrice rockeuse qui nous file un sacré coup de pied au cul) n’en manque pas, sur la société contemporaine, la politique, la jeunesse… Il n’est pas sûr que le Rock soit capable de changer la face du monde mais avec des récits engagés et débridés comme Debaser, on a vraiment envie d’y croire.

L’interview de RAF, c’est ici

Godspeed, une vie de Kurt Cobain

Dessins : Mc CARTHY et FLAMEBOY – Textes : LEGG

Beaucoup de choses ont été écrites sur la carrière météorique de Nirvana et sur la mort de son leader. En BD, Petit à Petit a sorti une biographie passionnante qui fait tout le tour de la question.
Alors quoi de plus ? Le parti pris de Godspeed est de mettre de côté le groupe et de se placer du point de vue unique et subjectif de Kurt Cobain.
Ce dernier y est présenté comme un ange qui glisse vers la déchéance. Un destin tracé entre les deux écueils insurmontables du divorce de ses parents et d’effroyables douleurs gastriques. Deux épreuves insoutenables qui le pousseront vers la drogue et l’autodestruction même si elles l’amèneront à trouver refuge dans la musique.
Les souffrances, les angoisses, le mal de vivre mais aussi la quête vaine d’un amour pur et sincère sont les thèmes que cette biographie développe dans l’optique d’expliquer que le suicide de Cobain était inéluctable.

Il n’est pas évident d’adhérer à cette thèse visant à faire de Cobain le seul responsable de son suicide mais cette approche a le mérite d’être cohérente et de donner une explication plausible à l’issue finale.
J’adhère franchement moins au graphisme dont l’académisme Comics et une mise en couleurs informatique flashy et sans relief ne paraissent guère appropriés au sujet. La ressemblance avec les personnages réels est peu évidente et surtout fluctuante, avec un Novoselic et un Grohl vraiment méconnaissables. Seule Courtney Love est assez réussie (un paradoxe, vu qu’elle n’a franchement pas le beau rôle). Dommage, car le petit cahier graphique, à la fin du livre montre que sur ce plan, les auteurs auraient pu livrer une bien meilleure version.
Toutefois, Godspeed dresse un portrait sincère de Cobain, restituant la personnalité fragile et sensible de l’un des meilleurs song-writers de l’histoire du Rock.

Batteurs fous

Depuis que mon deuxième schtroumpf fait de la batterie, je m’y intéresse de près, forcément. Plutôt que les gros monstres techniques, toujours lassants à la longue, je préfère les joyeux allumés de la baguette. Et donc, sur le podium :

Numéro 3 : Les Suédois, c’est pas des gens comme nous…

Numéro 2 : Culte et incontournable :The Animal, en chair et en poils

Numéro 1 : Médaille d’or toutes catégories. Ce type est une star !

Cosmik Roger

Dessins : JULIEN – Textes : MO/CDM

Vous connaissez Valérian, le héros spatio-temporel créé par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières ? Donc, vous prenez un Valérian, pas trop frais, vous ajoutez une barbe de trois jours, un penchant indéfectible pour la picole et une prédilection pour les aliens femelles qui n’ont pas froid aux yeux (qu’elles en aient un seul ou plus de deux), vous enduisez d’une bonne couche de fainéantise et assaisonnez avec une grosse pincée de stupidité. Vous obtenez un Cosmik Roger prêt à consommer.
Cosmik Roger a une mission : sauver l’humanité. Facile. Et pour ce faire, trouver une autre planète habitable, la terre étant devenue une gigantesque décharge. Un job peinard, bien payé mais forcément limité dans le temps. Vu qu’il est censé être le plus qualifié pour s’acquitter de cette tâche, ça laisse perplexe quant aux chances de survie de l’espèce humaine. Car en bon fonctionnaute, Roger fait durer le plaisir et passe le plus clair de son temps à glandouiller aux quatre coins de la galaxie et à se pochetronner au Rendez-vous des Anneaux, un troquet de quartier paumé sur un minuscule astéroïde. Une parodie tout à fait dans l’esprit potache de Fluide Glacial,
Et le Rock dans tout ça ? D’abord, Cosmik Roger a une hérédité chargée car l’un de ses géniteurs n’est autre que Mo/Cdm le scénariste des Blattes, le groupe de Métal le plus foireux de l’histoire. Et Julien, son dessinateur, a quant à lui donné vie aux Zumbies, scénarisé par le sieur Yan Lindingre, et il est accessoirement le rejeton de Jean Solé, auteur du foutraque Pop & Rock & Colégram et de Mélodimages.
Déjà, le second tome des aventures de ce foireux interstellaire mettait en scène, dans un gag fracassant, les « Bourrins », un groupe d’aliens déchainés où les auteurs s’amusaient à revisiter les clichés des textes de Métal.
Dans Tragical Cosmik Tour, le 6è tome, Roger passe la vitesse lumière et entame la carrière de rocker auquel son comportement addictif et marginal le prédestinait. Mais attention, Roger n’est pas un rocker lambda. Il est Elvis himself, ou du moins sa descendance génétique, dans une version SF débridée où, affublé du costume de clown blanc d’Elvis à Las Vegas, il écume les quatre coins de l’univers avec son gang d’extraterrestres. Tout cela n’est bien sûr que le prétexte à de délirantes et burlesques variations autour de ce thème improvisé. On citera pour exemple le casting de batteurs auquel échoue un alien sans bras ni jambes. Tout le reste est du même tonneau. Mo/Cdm et Julien qui prennent à l’évidence un plaisir sadique au fil des aventures de leur anti-héros à le coller dans les pires des mouises, glissent ici toute une série de clins d’œil irrévérencieux à l’imagerie rock’n rollienne.
Elvis et le Rock méritaient-ils ça ? Vu comme ça nous fait marrer… Affirmatif, Monsieur Spock !

Skip The Use – Concert

Le Chabada, 24 mars 2012

Bon, j’avoue, j’ai pas encore vu Shaka Ponk en live mais dans le genre grosse claque sur scène, je crois qu’il va y avoir compète.
La douceur angevine, ça permet de passer des hivers pas trop rudes et des étés supportables mais dans les concerts, ça donne plutôt des auditoires adeptes de l’applaudissement poli. Skip The Use a fait échec à cette réputation en faisant bouger toute une fosse encouragée par les figures de style imposées par le gars Bastard.
Question son, à part, une gratte à mon goût un petit poil trop en retrait (certes, ça reste fidèle à l’excellente production de l’album mais en public, c’est sympa de pousser un peu les potards) c’était nickel.
Les mecs en place, péchus, heureux d’être là, emmenés par leur leader monté sur ressort. (ci-dessous un petit aperçu de début de concert).

Car comme toujours, ça passe par un frontman de haut niveau. Mat Bastard, sur ce plan, c’est le top. Évidemment on pense à Marco Prince de Triple F mais, je crois que là on passe un cran au dessus, comme dit l’intéressé quand il dicte ses quatre volontés à une salle conquise, docile et surexcitée.
En plus, le gars possède cette qualité rare de savoir jouer avec le public, le charrier juste ce qu’il faut pour le faire marrer sans tomber dans la vanne foireuse, le faire participer sans tomber dans un Jacadi convenu et faire monter la température aux bons moments.
Et puis, détail qui tue, un chant en anglais libéré de ce putain d’accent frenchy qui plombe le truc et qui a trop souvent fait passer les meilleures intentions hexagonales pour des groupes de baloche.
Au passage, ça me gonfle de voir pointer ça et là, les comparaisons avec Bloc Party. Parce que le chanteur est black ? OK, la voix, y’a parfois dans certaines intonations un petit air mais sinon difficile d’assimiler la pop post new-wave des Britons avec l’électro power pop des Lillois. Et niveau jeu de scène, carrément rien à voir, en kilomètres parcourus et litres de sueurs versés, les susdits Britons peuvent aller se rhabiller sans prendre une douche à la fin du concert.
Ce genre de prestation et de groupe (Phoenix, Shaka Ponk, Hush Puppies…) laisse à penser que le Rock français rattrape petit à petit son retard sur les anglo-saxons et pas que dans le domaine de l’électro hypnotico-rengaine. Encore un effort pour arriver à se débarrasser de l’étiquette French Touch et parler tout simplement de good stuff, sans plus se soucier du béret et de la marque des lunettes de Johnny.

Detroit Metal City

Dessins et textes : Kiminori WAKASUGI

Lors des quelques concerts de Métal extrême auxquels il m’arrive d’assister, en regardant les membres du groupe, peinturlurés comme des zombies, les yeux injectés de sang, lever leur poignet hérissé de clous longs comme des aiguilles de porc-épic et faire le signe de Satan, la remarque formulée par ma douce et tendre en voyant pour la première fois l’un de ces gangs de clowns électriques me vient immanquablement à l’esprit : « N’oublie pas que tous ces mecs ont des mamans ».
Tout ça pour dire que si vous aimez le Death et le Black Metal, le bondage, Kiss, les pâtisseries, David et Jonathan et les mangas, peu importe dans quel ordre, vous devez lire Detroit Metal City. Au début du récit, tout semble normal : un trio de Death Metal, grimé et peinturluré avec outrance. Leur leader, Sôichi Negishi, chanteur et guitariste qui répond au pseudo de Krauser chante des textes d’une subtile poésie, invitant à la paix et la concorde entre les hommes. Les femmes sont des truies, les mères doivent être violées, les pères assassinés et le reste à l’avenant. Bref, la routine.
Sauf que Sôichi a un gros problème, c’est un jeune homme doux et sensible qui au fond de lui exècre ce qu’il fait et rêve en secret de jouer de la guimauve pour midinettes.
Incapable de se libérer de l’emprise d’une manageuse tyrannique et nymphomane et de la pression des autres membres du groupe, ce tendre et faible amateur de bleuettes, sitôt enfilé son costume et appliqué son maquillage, se voit contraint de jouer avec application son rôle de démon de l’enfer, sans pitié avec les concurrents qui osent essayer de rivaliser avec lui dans le registre de l’outrance et de l’obscénité. Cela donne lieu à des concerts-battle hauts en couleurs avec bondage, taureau, concours de crachats ou de « fuck » et moult simulation de sodomie, sous les yeux d’un public décérébré dont les commentaires feraient passer les journalistes sportifs pour des chroniqueurs littéraires.
Cette erreur sur la personne est le prétexte à des situations vaudevillesques, absurdes et schizophréniques pour le pauvre héros, condamné à l’imposture, tiraillé entre ses pulsions les plus bestiales et ses profondes aspirations romantiques, contraint de soigner son image de bête lubrique alors qu’il est encore puceau, et ne pouvant révéler à l’élue de son cœur son terrible secret.
Difficile de dire si Detroit Metal City est un récit original ou complètement débile, ce qui est d’ailleurs la question que l’on pourrait se poser pour nombre de mangas. Il est sûr en tout cas que son intrigue ne laisse pas indifférent et suscite tout de même l’envie de savoir comment Sôichi va se sortir du guêpier dans lequel il s’est fourré.
A noter que Detroit Metal City a fait l’objet d’une adaptation cinéma plutôt réussie, fidèle à l’esprit déjanté du livre.

Le Local

Dessins et textes : GIPI

Avec le titre, tout est dit d’emblée et c’est aussi le cas dès la première planche lorsque Giuliano fait découvrir à Stefano la masure que son père met à leur disposition pour répéter. Ceux qui savent comprendront, un groupe de Rock sans local c’est comme… à chacun de compléter avec la métaphore qui lui semblera la plus appropriée.
Le récit de Gipi est fondé sur ce postulat indépassable. L’intrigue est simple et limpide et fait la part belle aux personnages, des jeunes ordinaires qui se cherchent et trouvent dans le Rock un exutoire à leurs doutes, leurs angoisses et leurs blessures secrètes. Pas de plan de carrière, malgré le vague espoir du succès, entretenu par le contact avec un producteur écoeurant de cynisme. L’important c’est le défouloir, grâce aux décibels et à des textes cathartiques.
Les parents et la famille en général y jouent le rôle fondamental qui leur revient, parce qu’ils sont presque toujours la première cible de la révolte de l’apprenti rocker. Bien qu’ici les rockers ne soient pas vraiment des rebelles mais plutôt des jeunes gens polis et respectueux de l’autorité parentale même si elle leur pèse inévitablement.Ce local et ces répètes vont amener chaque membre du groupe à se révéler aux autres et bien sûr avant tout à lui-même. Tout particulièrement quand l’ampli du guitariste va tomber en rade et obliger à trouver une combine pour le remplacer. Pourtant, le père de Giuliano avait bien précisé que le local était un « cadeau temporaire », subordonné à la seule condition de ne pas faire de conneries…
L’auteur sait de quoi il parle. Il a joué du Punk dans plusieurs groupes amateurs. C’est sans doute pour cette raison que son récit, servi par des dialogues d’une rare authenticité, nous immerge complètement dans l’intimité de ces quatre adolescents. Le trait acéré et la mise en couleurs magistrale restituent parfaitement l’incandescence de ces répètes dont on pourrait presque entendre la clameur et où chacun joue comme si sa propre vie et accessoirement le destin du Rock en dépendaient.
Le groupe de Giuliano, Stefano, Alberto et Alex n’a pas de nom, ne connaîtra aucun lendemain professionnel et on ne le verra pas se produire en concert. Tout juste aura-t-il enregistré quelques morceaux sur une cassette au moyen d’un petit magnétophone de fortune. Mais Gipi rappelle que l’essentiel est ailleurs, dans le fait d’avoir un endroit vraiment à soi, de jouer ensemble, de former un groupe et d’y frotter son ego avec celui des autres pour se fondre dans un élan commun.
« Le Local » est sans conteste à ce jour le plus bel hommage que l’on ait fait à ces lieux obscurs et secrets où la magie du Rock se perpétue et se régénère sans cesse.

Riff Reb’s

Dessins et textes : RIFF REB’S

Déjà, avec pareil pseudo, on devine que l’on ne va pas faire dans la dentelle. Riff Reb’s fait partie de ces auteurs dont le style pourrait aider à trouver la définition de ce qu’est le graphisme Rock, si tant est que cela présente un quelconque intérêt. Avec des œuvres comme « La Crève », « Le Bal de la Sueur » ou « Glam et Comet », son trait sombre, tout aussi élégant que percutant donne vie à des intrigues et des personnages hors du communs, déjantés, marginaux, délurés, bref bien Rock’n Roll.
Depuis qu’il a commis le « Petit Rocker Illustré de A à Z », on se doutait que l’homme appréciait la musique bruyante et saturée. Ce petit opus vient amplement confirmer les soupçons et asseoir définitivement sa culpabilité.
Riff Reb’s offre, en même temps qu’un superbe condensé de son talent, de somptueux hommages à la fine fleur du bon vieux gros Rock qui tâche, tels Motörhead, Thin Lizzy, AC/DC, MC5 ou Red Hot Chili Peppers (avant qu’ils ne se couillemollisent) dans des visions flamboyantes, chaloupant entre affiches de concert réelles ou fictives, films et couvertures de comics. Ce mélange détonant est aussi agrémenté de quelques illustrations sans lien direct avec le Rock mais totalement dans l’esprit.
Un petit bijou noir et blanc dont on pourrait juste regretter ce format carte postale, où certaines de ces fresques électriques se trouvent souvent un peu à l’étroit.

Nous sommes Motörhead

Dessins et textes : COLLECTIF

Les Collectifs ? Comment dire… Rien qu’avec leurs titres peu ragoûtants, calibrés pour les têtes de gondoles d’hypermarchés, du genre « Démis Roussos en bandes dessinées » ou encore « Les chansons de Frédéric François en BD », on imagine bien le making-of : « Eh, Duchmole, ça te dirait de faire un truc sur Machin ? – Ah ouais, cool, et tu veux combien de planches ? Pour quand ? Euh… et c’est payé combien ? Ah… ben, faut que je réfléchisse alors et pis tu sais en fait, Machin, à part son premier album… finalement j’connais pas bien et en plus le Black-Variète-Core, j’écoute plus trop ça… »
Le pire, c’est les illustrations de chansons en BD. Ca confirme que même un bon texte de chanson constitue rarement un scénario intéressant, même avec des grosses pointures de la planche. On reste trop dans l’adaptation littérale. Bien qu’il en existe, comme le Bob Dylan Revisited par exemple, qui comporte quelques trucs sympas, la plupart du temps, mieux vaut refermer vite le bouquin et remettre le son. Ce genre d’exercice donne plus l’impression que les éditeurs qui se sont lancés là-dedans avaient au mieux envie de se faire plaisir, au pire espéraient faire un bon coup commercial, (l’un n’empêchant certes pas l’autre) surtout en choisissant de mettre en images quelques franchouillards bien bankables, du genre qui créent de mini-émeutes dans les allées du festival d’Angoulême.
Bon, maintenant que j’ai plombé l’ambiance, y’a plus qu’à allumer les Marshall et pousser les potards à fond dans le coin car maintenant on va parler de Rock’n Roll et donc de Motörhead. Car s’il est un gang qui depuis plus de 30 ans fait l’unanimité dans toutes les chapelles du culte du Binaire Primaire, c’est bien le trio de Sir Lemmy Kilmister. Faites le test, demandez au plus élitiste des fans de Post-Rock underground si, quand même, y’aurait pas un groupe de Rock « connu » qui trouverait grâce à ses yeux, à part bien sûr les Beatles (hors compète) il vous concèdera que « ouais, Motörhead, à la limite, c’est vrai que… ». Motörhead, ça triche pas, c’est carré, sans surprise, réconfortant. On met le disque et on s’en prend plein sa race, juste ce qu’il faut. A 70 balais, avec des tiags, un stetson, des cheveux filasses, des rouflaquettes et du diabète, n’importe qui à la place de Lemmy serait parfaitement ridicule (qui a crié Johnny ? vraiment, c’est pas malin !). Lemmy, c’est le surhomme nietszchien, l’essence platonicienne du Rocker, qui impose le respect idolâtre. Un jeu de basse tellurique, une voix granitique, rauqu’n râle, peaufinée au papier de verre gros grain trempé dans le Jack Daniels et une ribambelle d’hymnes heavy-rock, métal et même punk (foin des étiquettes, Lemmy vous expliquerait que tout ça, c’est  juste du Rock’n Roll et une question de réglage de la pédale distorsion).
La préface résume bien la démarche. En France, on n’arrivera jamais à sortir un groupe comme Motörhead mais on a la BD. Là, on est bons, on sait faire. Alors on va brancher les crayons et les pinceaux et rendre à la bande à Lemmy l’hommage qu’elle mérite.
Mais face à un tel monument, il fallait donc mettre la barre très haut. « Nous sommes Motörhead » (pour ceux qui ne comprennent pas le choix du titre, je ne peux, hélas, rien) s’y est employé. Un format 33 tours, comme à la grande époque, une couv noire (comment faire autrement ?) et un visuel monstrueux de la bête magistralement revisitée par Lamquet.
A l’intérieur, des récits courts, efficaces, des évocations oniriques (Oiry), iconoclastes (Witko), drolatiques (Bouzard), révérencieuses (Josso), mystiques (Micol), autobiographiques (Menu) mais jamais béates. Motörhead, c’est pas pour les groupies. La démarche des auteurs est sincère à l’évidence et tous ont tenu à se mettre à la hauteur et transmettre à leur manière leur admiration pour le trio british. Et cela nous donne une compilation qui constitue désormais une référence en matière d’ouvrages de BD collectif.
Ben, voilà, c’était pas compliqué, il suffisait juste de choisir des auteurs de talent, fleurons de cette fameuse nouvelle BD (pour faire dans le raccourci commode), affranchis de l’héritage académique de la grande école franco-belge et véritablement concernés par le Rock (et donc Motörhead, au cas où vous n’auriez toujours pas pigé) parce que définitivement ils le sont et nous le sommes tous, oui, motherfuckers, nous sommes Motörhead !
Sinon, j’avoue, Demis Roussos en bandes dessinées, ça se fera jamais, il faudrait au moins 300 planches pour être au niveau du sujet et aucun éditeur ne prendrait un tel risque (ou alors une co-édition Weight-Watchers ?). En revanche, Frédéric François par Bouzard, Luz ou Menu, je serais curieux de voir ça…

Et pour en savoir plus sur ce sacré Lemmy, le documentaire éponyme s’impose.

Doomboy

Dessins et textes : Tony SANDOVAL

L’une des particularités du Métal est sa propension à se décliner sous des formes et des étiquettes très diverses, comme s’il constituait en lui même un genre musical à part entière, à côté du Rock, du Jazz, du Blues, du Rap, etc. Et alors ? m’éructeront les plus chevelus des lecteurs de cette chronique, tu découvres l’eau tiède, abruti ?
On se calme les graisseux ! J’voulais pas vexer mais bon, vu de l’extérieur, tout ça c’est quand même un peu la même chose, non ? Bruyant, saturé, violent mais ça reste du Rock. On a beau mettre un adjectif différent devant, Trash, Hardcore, Death, Progressive, Atmosphérique, voire des sous adjectifs, du genre, Brutal ou Old School, ça serait pas un peu artificiel, toutes ces étiquettes ?
Allez, je charrie, je jure sur mon premier Pass Hellfest que j’le pensai pas.

Or donc, Tony Sandoval est mexicain et fan de Métal (en le voyant, on aurait pu s’en douter) dont il joue lui même (sur une Jackson, si ma mémoire est bonne) et ma foi, ça se voit clairement dans ses œuvres. Et vlatipa que lui aussi a créé sur le papier un nouveau genre, le Métal écolo. Ca n’a rien de péjoratif au contraire car à la lecture de Doomboy, on retrouve le thème déjà développé dans « Nocturno », cette intervention de la nature qui donne à l’intrigue une forme onirique et une dimension fantastique assez inattendue.
Cela passe avant tout par un dessin très personnel, épuré, faussement naïf, immédiatement reconnaissable qui donne au récit ce ton et cette atmosphère fabuleux.
Doomboy est un conte moderne et un récit d’une authenticité surprenante malgré les ingrédients fantastiques qu’il emploie. Le héros est un adolescent, guitariste de Métal, qui vient d’être viré de son groupe et de perdre un être cher. Sur les falaises près de chez lui, il va sublimer son chagrin et découvrir, en écoutant la mer, un son étrange, magique et envoutant donnant vie à des créatures fantasmagoriques, sur lequel son jeu de guitare va enfin trouver l’inspiration qui lui faisait défaut. En osmose avec la mer et les éléments, la musique naissant ainsi de sa guitare est aussitôt mise sur les ondes d’une station locale. Elle va faire de lui Doomboy, une légende urbaine.
Sandoval dresse un portrait d’adolescent tout en nuances, aussi bien dans la narration que par une superbe mise en couleurs, restituant parfaitement ce déchirement entre la candeur de l’enfance toujours présente et la révolte du jeune adulte en devenir. Cette ambivalence est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du Métal, musique violente et dont les formes les plus extrêmes sont souvent appréciées par des gens réservés et bien éduqués, si l’on met de côté la longueur de la chevelure et des clous sur les bracelets.
Le récit aborde aussi avec beaucoup de sensibilité le sujet délicat des premiers émois sexuels, qu’ils soient ou non dans la norme.
Malgré un dénouement un poil trop elliptique, Doomboy est un récit fort et puissant comme un riff de Métal qui consacre définitivement le talent de son auteur.

Frank Zappa Comics Tribute

Dessins et textes : COLLECTIF

Pénétrer dans l’univers de Frank Zappa, c’est un peu comme de se lancer dans un marathon : si on n’est pas correctement préparé, on risque fort d’abandonner bien avant d’avoir trouvé son second souffle. Se confronter aux élucubrations sonores du génial compositeur nécessite d’avoir une culture musicale musclée à force de moult écoutes de rock progressif, de jazz, de blues, de musique contemporaine… entre autres ou à défaut de posséder une ouverture d’esprit large comme le Grand Canyon, sachant qu’être doté des deux peut au final s’avérer insuffisant pour apprécier la musique de l’iconoclaste moustachu.
Frank Zappa Comics Tribute © L'Oeuf, 2012Et pour évoquer en images l’œuvre protéiforme d’une des plus excentriques légendes du Rock, le point de vue de plusieurs auteurs est plutôt de bon aloi, d’autant que les collectifs en BD sont devenus monnaie courante, spécialement quand il s’agit illustrer l’ouvre ou la vie de musiciens.
Sur le plan musical, Zappa était un explorateur et un aventurier infatigable. Sur le plan corporel, il attachait une importance particulière à sa moustache et l’odeur de ses pieds. Sur le plan pathologique, il était un fumeur compulsif.
Ces caractéristiques essentielles de la vie de Zappa, auxquelles il faut ajouter un esprit libertaire sans concessions, ont inspiré les dessinateurs de cet effort collectif. Cet hommage à Zappa est ainsi fidèle à son œuvre et c’est sa plus grande réussite : foutraque, irrévérencieux, original, inventif, parfois surréaliste au point de friser l’abscons (les mauvaises langues diront que c’est une contraction d’absolument con). Pas sûr néanmoins qu’il donne envie aux néophytes d’aller y voir de plus près. Pas grave, nous resterons de la sorte entre gens de bonne compagnie, n’est-il pas ?

Rock’n Pylône

La comparaison avec AC/DC est lourde à porter mais les gars d’Airbourne l’assument complètement et en concert, ils se la donnent comme il faut. Au Hellfest 2010, vlatipa que le gars O’Keefe se prend soudain pour feu Patrick Edlinger. Frisson dans le public, solo aérien et pur moment de Rock’n Roll. Bon, j’ai su après que c’était pas la première fois qu’il faisait le coup mais n’empêche, c’était foutrement impressionnant. Et hop, encore un souvenir de concert à raconter à mes petits-enfants.

Lucie in the Skeud

Dessins et textes : JOAN

Pour les moins de 20 ans, le vinyle est souvent un objet un peu bizarre.
Sur cette galette d’un noir profond, contrairement au CD et on ne parle même pas du MP3, on voit la musique, les morceaux sont là, bien délimités par les sillons.
Mais ce qui fascine le plus dans le vinyle et continue à attirer un public sans cesse renouvelé, y compris les susdits moins de 20 ans, c’est la pochette, cette oeuvre graphique à part entière dont l’identité artistique est complètement autonome par rapport au disque même si elle peut en souligner le contenu… ou pas.
Rappelons que quelques grands noms de la BD en ont créé de magnifiques. Crumb (qui en a pondu un paquet) et du côté de chez nous, Serge Clerc, François Boucq ou Jean Solé.
Certains disques ne brillent que par leur pochette et s’avèrent aussi décevants que leur devanture était riche de promesses mais l’on a au moins la consolation de posséder une belle image que l’on ressort à l’occasion pour la montrer aux potes, à la demoiselle dont l’on sollicite les faveurs et si affinités aux mômes éberlués ou indifférents qu’on lui aura collés dans le tiroir.
Y’en a qui font des tags sur les murs, Joan, lui dessine une sale gamine, prénommée Lucie sur des pochettes de disque (prétexte à un jeu de mot débile comme on les aime) . L’un des principaux avantages de ce passe-temps, c’est que ça ne dérange pas les voisins, sauf bien sûr si, dans le même temps, le disque en question tourne à fond les potards sur la chaîne HI-FI.
Le principal intérêt de l’exercice, et ce futé de Joan (qui n’est pas un novice en matière de BD Rock puisqu’il a déjà commis la série des Accros de) l’a bien compris, c’est d’ouvrir en grand la boîte aux souvenirs des fans de Rock bedonnants, burinés, déplumés mais jamais blasés que nous sommes devenus après avoir franchi le seuil fatidique de l’âge où même un gardien de foot commence à se faire vieux (pour les filles, j’ai pas trouvé de comparaison mais tout de façon si elles aiment le Rock, ce sont des princesses, alors elles restent toujours jeunes et belles… ça va, chérie, je peux continuer ?)
Le fait est que Lucie in the Skeud se déguste comme une bonne grosse madeleine, sucrée et beurrée à souhait. Et pour les moins de vingt ans (petits cons !), ce bouquin offre une entrée par la grande porte dans le panthéon du Rock.
Forcément, la part belle est donnée aux albums d’avant l’hégémonie du CD, provocatrices, intrigantes, virtuoses et donc immédiatement reconnaissables. Atom Heart Mother, Deep Purple In Rock, Highway To Hell, Who’s Next, All Wrapped Up (où l’on découvre que ce n’est pas Lady Gaga qui a inventé la haute couture bovine mais les Undertones)… Celles que l’on contemple pendant l’écoute comme si la musique en sortait tout droit. Des chefs-d’œuvre donc mais aussi des albums un peu plus confidentiels dont la mémoire n’a peut-être survécu justement que grâce à leur pochette.
Quelques planches de BD agrémentent le bouquin qui balisent un peu le terrain et le propos de l’auteur avec la dose d’humour et d’autodérision de fan de Rock.
Et puis, n’oublions pas Lucie, cette protopunkette, aux escarpins ringards et au sourire carnassier de serial-killeuse en jupes plissées, qu’on imaginerait bien découper les pédophiles à la tronçonneuse. Elle se fond parfaitement dans le décor de ces bijoux (photo)graphiques dont Joan utilise ou détourne le thème avec burlesque, réussissant souvent la prouesse de nous faire songer que finalement, cette pissouze n’aurait pas déparé sur l’œuvre originale.
Un hommage iconoclaste et irrévérencieux, absolument rock’n roll comme devraient l’être tous ceux offerts à la grande cause du Rock.