Twist and Shout

Dessins et textes : JÜRG

Tout le monde sait pertinemment qu’Elvis Presley n’est pas mort le 16 août 1977. Si le mélange antidépresseurs et sandwich banane-beurre de cacahuète était dangereux pour la santé, ça se saurait. Là où ça se corse, c’est de savoir ce qui lui est réellement arrivé après. Les rumeurs les plus loufoques circulent sur la retraite du King. De nombreuses théories fumeuses ont également été avancées quant à l’existence d’un sosie qui aurait remplacé Elvis à sa mort ou même de son vivant.
Il faut remercier Jürg de lever définitivement le voile en développant la thèse à ce jour la plus crédible en s’appuyant sur des sources et une recherche documentaire des plus rigoureuses…
En lisant Twist and Shout, vous saurez définitivement que :
– Non, Elvis n’est pas mort le 16 août 1977
– Oui, Elvis avait un sosie et c’est lui qui est mort à la dite date
– Elvis a une résidence secondaire à Charleroi, en Belgique
– Elvis a fait de la tôle dans la ville susdite sous le nom de Vanzoutegaime
– Elvis aime le Death Metal
Jürg a hérité de ses gènes belges un goût pour l’humour surréaliste et le talent pour le dessin bien léché dont le dynamisme pourrait servir d’exemple à la thèse controversée sur l’existence d’un graphisme Rock, indépendamment du sujet traité. A lire : Noces de Chien ou Tête de Nègre, pour s’en convaincre. L’homme réalise par ailleurs de superbes portraits de Rockers célèbres (à voir entre autres sur sa page Facebook) où la caricature le dispute à l’hommage.
Il crée ici un Elvis comme on l’aime, gros bourrin d’Amerloque, boudiné, accro et caractériel. Ces petits défauts anecdotiques ne l’empêchent pas d’être toujours animé par la flamme du Rock’n Roll et depuis sa cellule, il va tenter de relancer sa carrière.
La caricature est grosse et l’intrigue est grasse comme un bon vrai hot-dog (you ain’t nothing but a…) des familles, dégoulinant de ketchup et de moutarde mais la précision du trait et l’humour caustique de Jürg en font un délicieux en-cas comique que l’on déguste en gourmet.

Bonus Track : 3 questions à Jürg

Derniers Rappels

Dessins et textes : Alex ROBINSON

Le statut de Rock Star, s’il peut paraître enviable au commun des mortels, comporte certains inconvénients dont la solitude et un certain mal de vivre ne sont pas les moindres. Alex Robinson, bien connu de nos services depuis le prix du meilleur premier album obtenu à Angoulême en 2005 avec De mal en pis, pavé graphique qu’il jetait dans la mare de la nouvelle BD (américaine celle-ci) en livre ici une magistrale illustration.
En tant que leader prolifique du groupe The Tricks, Ray Beam a connu un succès aussi soudain que phénoménal, lui conférant pour un petit bout d’éternité, une aura médiatique et un compte en banque plus que confortables. Mais depuis le split du groupe, Ray se cherche et le plus souvent se perd dans une existence morne de nouveau riche. Soirées branchées, groupies décérébrées (pléonasme ?) et plus si affinités, ne parviennent pas à combler le trou béant creusé par une panne totale d’inspiration qui l’empêche d’écrire l’album solo qui relancerait sa carrière.
C’est alors que Lily rentre au service de Ray dans un rôle de secrétaire multitâches. Sauf que derrière ses apparences de jeune femme simple, discrète et réservée, Lily ne manque pas de caractère, de psychologie et surtout d’empathie, et plus si affinités, toutes choses auxquelles la petite cour qui gravite autour de Ray ne l’avait pas habitué.
Au départ bien éloignés de la tour d’ivoire de Ray Beam, apparaissent d’autres personnages, emblématiques de cette middle-class qui essaie tant bien que mal de tirer son épingle du jeu de société grandeur nature de la grande ville américaine, tels que Phoebe, jeune provinciale à la recherche de son père, Nick, vendeur pas très honnête dans une petite boutique de collectors de sport, Caprice, sentimentale complexée par ses rondeurs… et Steve, informaticien névrosé, déprimé et singulièrement obsédé par Ray Beam dont il connait la carrière par cœur. Son déséquilibre mental grandissant va s’avérer le détonateur de l’intrigue.

Chaque portrait de cette galerie, à laquelle il faut rajouter celui de Marty, l’impavide manager de Ray, est une totale réussite. Robinson leur donne une vraie consistance psychologique, authentique et passionnante, servie par un graphisme sobre et expressif.
Mais c’est surtout dans le procédé narratif que Derniers Rappels prend toute sa saveur. Tous ces destins suivent des trajectoires parallèles, que rien ne semble prédisposer à se croiser… jusqu’au dénouement où Robinson glisse au passage un clin-d’œil à John Lennon.
Derniers Rappels offre au Rock dans la Bande Dessinée, même s’il ne constitue qu’un ingrédient de l’histoire, un nouveau terrain d’expression, celui du roman graphique et de la chronique sociale… et plus si affinités.

Love Song

Dessins et textes : CHRISTOPHER

Si l’on met entre parenthèses son côté provocateur et rebelle, le Rock, au départ, ça se résumait essentiellement à des mecs aux cheveux longs qui utilisaient des instruments amplifiés pour expliquer à d’adorables jeunes filles en fleurs (et en pleurs à leurs concerts) tout le bien qu’ils promettaient de leur faire.
Christopher est un fin connaisseur de Rock et de Pop anglaise. Dans Les Colocataires, une autre série de BD dont il a assuré le dessin, il avait déjà intégré dans ses remerciements en préface de chaque tome une liste particulièrement fournie de ses goûts en la matière.
Love Song ; Christopher © Le Lombard, 2006Avec Love Song, il met sa passion au service de son art en utilisant quatre des plus grands noms du Rock anglais comme trame sonore afin d’illustrer chaque album de cette chronique de quatre hommes, confrontés à un cap de la trentaine qui entrevoit déjà les rivages de la quarantaine.
Manu, Sam, Boulette et Greg sont les héros de cette chronique sentimentale dont ils occuperont tour à tour le devant de la scène au travers de l’album qui leur est consacré. Et bien sûr, ils jouent dans un groupe de Rock, créé du temps de leur jeunesse et dont ils continuent à entretenir la flamme, par habitude autant que par nécessité vitale, un exutoire qui leur fait oublier le temps d’une répète ou d’une fête de la Musique, un quotidien qu’ils avaient rêvé un peu moins ordinaire.
Cette partition qui fait s’entrecroiser ces destins si particuliers malgré le lien musical qui semble les unir aborde avec beaucoup de sensibilité et sans fausse pudeur le thème de l’adultère. Evidemment, les rockers n’ont pas vraiment la réputation d’être fidèles mais le propos n’a ici rien de caricatural. Au contraire, la psychologie des personnages, la justesse des situations (avec un rebondissement garanti à la fin de chaque tome) font de Love Song un portrait tout en finesse du couple du 21è siècle en milieu urbain.
Le Rock, s’il n’est pas le thème central de cette tétralogie, en constitue l’ingrédient majeur, la toile de fond, le fil rouge, le révélateur. A commencer par la couverture de chaque album parodiant avec bonheur la pochette de rien moins que Rubber Soul, After Math, The Kinks Are The Village Green Preservation Society et My Generation dont il ne sera pas fait l’injure au lecteur de rappeler quels groupes ont pondu ces chefs-d’oeuvre des Sixties.
Adoptant un ton ainsi qu’un graphisme résolument dans l’air du temps, Christopher bâtit une de ces oeuvres qui démontrent que le Rock et la BD sont définitivement entrés dans l’âge adulte sans rien perdre de leur vitalité ni de leur modernité.

L’interview de Christopher, c’est ici

Like a Steak Machine

Dessins et textes : FABCARO

L’autobiographie est devenue à la mode ces dernières années dans le monde de la Bande Dessinée. Les auteurs s’y sont mis soit pour montrer qu’ils étaient de vrais artistes avec de vraies choses à dire, soit pour se marrer et faire marrer les autres en maniant l’autodérision comme argument comique, dans des suites de gags. Cela a donné de franches réussites telles The Autobiography of Me too de Bouzard ou Le retour à la Terre de Larcenet et Ferri.
Fabcaro s’est inscrit dans cette veine et dans Like a Steak machine, il y ajoute un ingrédient à la fois fil rouge et madeleine : les chansons qui ont bercé ses jeunes années adolescentes et adultes.
Pour chaque chanson, une anecdote tirée de la jeunesse de Fabcaro dont elle est à l’origine ou constitue la trame sonore.
Le procédé est original et le choix des chansons judicieux. Facile, quand on est un vrai fan de musique, on n’a que l’embarras du choix. Je ne sais plus qui a dit « l’autodérision est une forme de lâcheté ». Fabcaro lui ne manque pas de courage car parmi les chansons qui ont constitué la bande-son de sa jeunesse, il y a quelques titres peu glorieux, peu avouables, pour lesquels il ose confesser sans pudeur le coupable penchant. Goldman, Rick Astley ou Elsa, excusez du peu. Mais il faut croire qu’il faut bouffer de la merde pour vraiment apprécier la gastronomie, car en grande majorité, la compilation est digne de respect.
Like a Steak Machine est donc un véritable florilège de la loose adolescente, une chouette compilation de grands tubes Rock et aussi une restitution fidèle des us et coutumes de la population lycéenne mâle des années 1980.
On se bidonne franchement à lire les déboires et déconvenues du héros et ses grands moments de solitude dont il faut bien s’avouer que l’on a connu les mêmes à peu de choses près. On essayait d’être des héros, d’avoir l’air marginal, rebelle, branché, spirituel, exceptionnel alors qu’on était surtout dans le meilleur des cas passionné et maladroit et le plus souvent con et branleur et c’est pour ça qu’on écoutait du Rock, parce qu’on pensait y trouver des justifications à toutes les conneries qu’on pouvait dire ou faire et que ça nous donnait la sensation d’être immortels comme les idoles qui nous envoyaient leurs décibels entre les deux oreilles. Et c’est aussi pour ça qu’on en écoute encore, parce qu’aucune autre musique n’offrira un meilleur réceptacle à nos pulsions sublimes et dérisoires.

Bonus Track : 3 questions à Fabcaro

En route pour Seattle

Dessins et textes : Peter BAGGE

Quand on voit à quel point les Américains sont fiers de leur grand et beau pays, la patrie du progrès, de la liberté individuelle exacerbée, où tous les possibles deviennent probables, mais où le puritanisme et les valeurs chrétiennes restent la référence, il est réjouissant de voir certains artistes prendre le contre-pied du mythe en créant des anti-héros, risibles, pitoyables et joyeusement immoraux.
C’est ce qu’a fait Peter Bagge avec son personnage, Buddy Bradley, dans son roman graphique, En route pour Seattle.
Buddy est un loser. Même pas magnifique, à peine sympathique, souvent pathétique. Le graphisme de Bagge n’est pas sans évoquer celui de Franquin. Avec son dos vouté, sa tignasse brune, son gros nez, son jean et sa chemise à carreaux, Buddy est une sorte de Gaston Lagaffe, version Grunge.Tout aussi foireux mais bien moins inventif et surtout infiniment plus mesquin et dépravé.
Avec son pote Leonard, surnommé Stinky (en raison d’une hygiène assez approximative), Buddy a décidé d’émigrer du New-Jersey vers Seattle, la ville branchée par excellence. Stinky compte bien y réaliser son rêve de devenir manager de Rock. Sauf que ce parasite adepte de la défonce et de la glandouille, spécialiste des plans merdiques, n’a pas vraiment les qualités requises. Buddy quant à lui vivote grâce à un job chez un bouquiniste. Il partage son appartement avec Stinky et George un grand noir, no-life intello et misanthrope. Sa vie amoureuse et surtout sexuelle se partage entre Valerie, une fille complexée qui fait d’immenses efforts pour paraître équilibrée et moderne et Lisa, une nymphomane refoulée, névrosée et vaguement suicidaire.

Bagge s’emploie à brosser le portrait d’une jeunesse américaine sans idéal, si ce n’est celui de la recherche du plaisir immédiat (qu’il soit sexuel ou psychotrope) et le rejet du modèle économique et familial dominant.
Le propos est en soi déjà bien rock’n roll. Il le devient encore plus quand, par l’entremise de Stinky, Buddy rencontre les Unsupervised Experience, un combo néo-grunge bas du front. De manière assez logique, Stinky devient le chanteur du groupe, rebaptisé Leonard and the Love Gods tandis que Buddy va être promu manager de ces quatre allumés dont le succès dans des clubs crasseux les fait déjà se prendre pour des Rock Stars. Bagge en profite pour explorer le backstage peu reluisant du Rock indé dans cette parodie aussi glauque que burlesque. Ces deux adjectifs résument d’ailleurs assez bien tous les récits de En Route pour Seattle dont les situations improbables et les personnages déjantés en font un petit chef-d’œuvre d’humour noir, sex, drug and rock’n roll. Rien d’étonnant à ce que, de ce côté-ci de l’Atlantique, Peter Bagge revienne souvent dans les premiers cités par les auteurs adeptes de BD Rock.
A déconseiller toutefois si vous militez dans une ligue de vertu évangéliste.

RAF – Interview

Derrière ce court pseudonyme, se cache une jeune auteur (eh ouais, encore une fille qui s’immisce dans le monde un peu trop masculin de la BD, et c’est tant mieux !), basée à Montpellier, au talent précoce et à la productivité qui sied au style de son dessin, le Manga. Du bien de chez nous, avec une originalité et un dynamisme explosif qui collent parfaitement à Debaser, un Manga qui suinte le Rock fort par toutes ses planches. Ça méritait bien d’aller poser quelques questions à la responsable de ce réjouissant vacarme graphique.

Quelle est la part de responsabilité des Pixies dans « Debaser » ? C’est la chanson qui t’a inspiré la thématique de l’intrigue ou bien est-ce venu après coup comme le meilleur titre pour intituler ton récit ?
J’ai grandi avec le rock des années 90. J’adore la scène grunge américaine, Screaming Trees, Alice in Chains, les Melvins, Soundgarden, Nirvana, les Toadies, Stone Temple Pilots, Foo Fighters, Pearl Jam etc. Les Pixies symbolisent bien cette période grunge/garage et j’aimais bien la traduction (approximative) de Debaser, cette idée de casser les bases d’un système. Debaser ; Raf © Raf, 2012

A part le Grunge, quels sont tes autres penchants électriques ?
La britpop d’Oasis, Blur, the Verve etc…et plus tardivement le new metal avec Korn, Incubus, Deftones, tout sauf Linkin Park qui eux ont tué le style, héhé !

« Debaser » décrit une France du futur où une Pop décérébrée est la seule musique autorisée, relayée par des télés-crochets à la mode Star Academy. Est-ce une parabole pour décrire la difficile condition du Rock en France ? Et quels sont les autres thèmes que tu voulais aborder à travers ce récit ?
Le rock est juste un biais pour parler de la condition de la création artistique en général (musique, art, TV, etc…). Il n’y a de place que pour les œuvres très rentables, qui plaisent au plus grand nombre, les éditeurs prennent de moins en moins de risques. Désormais, c’est la partie commerciale/marketing qui décide en amont ce qu’il faut créer, et passe commande à un artiste pour le réaliser. Les artistes deviennent des fournisseurs de contenu plus que des créateurs. Maintenant avec internet et la démocratisation du partage culturel dématérialisé, la donne change petit à petit en faveur des artistes, c’est encourageant.

Debaser est un Manga mais ton graphisme percutant, avec un découpage hyper dynamique, se distingue cependant d’une esthétique purement japonaise. Quelles sont les dessinateurs qui t’ont influencé et quels sont tes propres ingrédients pour créer ce cocktail explosif ?
Mes influences sont principalement japonaises, autant du côté du manga (Oda, Takei, Nakayama…) que de l’animation (Imaishi, Nishigori, Morimoto, Koike…). Je m’intéresse aussi aux comics alternatifs américains, comme Mahfood, Vasquez… et des illustrateurs comme Hewlett. Mon style de dessin n’est pas 100% manga mais un peu hybride, un mélange des différentes BD que j’ai aimées. En France, on a la chance d’avoir accès à pleins de BD du monde entier, quand on fouine dans les librairies spécialisées. Je trainais pas mal dans les librairies japonaises d’imports de manga et des librairies de comics. J’imagine que j’ai mélangé inconsciemment ces influences.

Le titre de chaque chapitre de Debaser reprend un titre du répertoire Rock dont beaucoup sont issus du Punk, du Métal ou du Grunge. Un peu étonnant pour une fille élevée au Club Dorothée, non ?
C’est la culture d’une génération. On zappait entre TF1/la 5e pour les dessins animés et MTV/MCM pour la musique. MCM diffusait même les deux ! Les deux faisaient partie d’une même culture pour les gosses des années 90 !Debaser ; Raf © Raf, 2012

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
J’en vois surtout entre Rock et Manga : du dynamisme, des personnages étranges et énervés, des costumes bizarres et des gens qui hurlent… il suffit de voir le succès du Rock au Japon, ils se sont réappropriés le style à leur sauce, ça donne des choses très baroques.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Pas forcément, mais je pense tout de suite aux artistes américains de la côte ouest qui ont façonné l’imagerie punk rock à partir des années 70 en mixant tatouages, pin-ups, hot rod et low rider, etc… pour moi c’est l’essence du graphisme rock. Il y a aux USA une vraie tradition artisanale de graphisme d’affiches de concerts, de pochettes d’album, des choses réalisées à la main, à la peinture, etc…

Quel regard portes-tu sur les autres Manga Rock (« Beck », « Fool on The Rock », « Detroit Metal City », entre autres) ?
Je ne connais que Beck et DMC, qui sont d’excellents titres. Chacun aborde le thème du rock à sa manière, Beck étant plus réaliste et DMC plus délirant. J’aime beaucoup la simplicité du dessin de DMC, exprimer des idées et de l’humour avec un trait simple, c’est totalement punk !

Debaser est-il connu au Japon ?
Il n’a pas été traduit ni exporté. Quand j’aurai le temps, je ferai une version anglaise pour la distribuer gratuitement sur le Net.

Le premier tome de Debaser est sorti en 2008. Le 8è et dernier sort en 2012. C’est le Rock qui booste ta productivité ?
C’est plutôt une contrainte tacite. Les mangas japonais sortent très régulièrement, les lecteurs sont habitués à lire la suite de leur série au moins tous les 6 mois. Et la visibilité d’un livre peu connu en librairie n’excède pas un mois, on a donc tout intérêt à produire vite pour ne pas se faire oublier. Bon, du coup j’ai appris à dessiner très vite, même si ça se ressent parfois dans la qualité, héhé !

Travailles-tu en musique ?
Oui pour le dessin. Pour l’écriture, c’est difficile d’avoir de la musique avec des paroles dans les oreilles, donc je choisis des morceaux sans textes ou juste le silence, pour changer ! J’aime bien bosser en écoutant du Stoner, comme Kyuss.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Keith Richards, définitivement ! Ce type a traversé les meilleurs époques et a survécu à tout. Il est totalement flamboyant, la classe !

Il y a une une vie après Debaser ?
Oui, d’autres projets pleins les cartons, notamment en numérique sur internet. Après, savoir si ces projets intéresseront un éditeur, c’est la question perpétuelle qui régit la vie des auteurs ! J’adore le format manga, poche en noir et blanc, mais je m’essaierais bien à la couleur la prochaine fois !

La chronique de Debaser, c’est par là

Guillaume BOUZARD – Interview

Guillaume BOUZARD aime les vide-greniers, le football (et même l’équipe de France), Motörhead mais pas que et surtout il prend un plaisir évident à raconter des histoires loufoques et décalées dans lesquelles il glisse parfois quelques ingrédients bien rock’n roll. Ce dévoreur de grands espaces (il habite dans les Deux-Sèvres) et de musique électrique nous livre son Interview of Him too.

Quelle place tient le Rock dans ton imaginaire d’auteur de BD ?
C’est une source d’inspiration et aussi en quelque sorte un art de vivre puisque j’écoute de la musique et notamment du Rock tout au long de la journée.

Parlons justement de tes goûts musicaux. Avec The Autobiography of Me too et tes contributions dans Rock Strips et Nous sommes Motörhead, on devine que tu es un amateur de gros Rock saturé. C’est ton genre préféré ?
Non, c’est pas mon genre préféré. J’en écoute de temps en temps quand j’ai besoin de me donner la pêche mais j’écoute aussi beaucoup de Pop, de la Soul, du Punk, des groupes français… je suis très éclectique mais bon c’est vrai que je reviens souvent au Rock et parfois ça va disons jusqu’à l’outrancier.

Les situations que tu décris dans The Autobiography of Me too ont-elles toutes une part de vérité ? As-tu vraiment un chien qui parle, vas-tu au concert de Rock en tongs, as-tu réellement acheté un disque de bourrée auvergnate dans un vide-greniers etc, etc ?
Bien souvent le début de l’histoire commence par un fait plus ou moins réel puis après bien souvent ça part en cacahuète. J’avais un chien qui parlait pas vraiment. Le pauvre est mort l’année dernière de vieillesse. Ça m’est en effet arrivé d’aller à un concert en tongues, c’était l’été à Rock en Seine, je crois et c’était très bien. Quant aux vide-greniers, ça m’est arrivé de tomber sur des disques qui n’avaient rien à voir avec la pochette. Ce n’était pas forcément de la bourrée auvergnate mais pas non plus des trucs beaucoup plus reluisants !

Il semble que tu aies une relation particulière par rapport à Motörhead. C’est ton groupe culte ?
Non, c’est pas mon groupe culte, c’est surtout Lemmy qui est culte ! Ça a commencé un peu comme une blague de potache, je crois que mon premier truc avec Motörhead c’était dans un vieux numéro de Psykopat. J’avais fait un bulletin d’abonnement à ce magazine où celui qui s’abonnait pouvait rester vautré dans son lit à écouter Motörhead en mangeant des pizzas. C’était à l’époque où ce groupe était encore bien ringard en fait. Au fil des années, j’ai gardé ce petit leitmotiv et puis finalement Motörhead est devenu un groupe culte comme quoi, dès le début, j’étais pas loin de la vérité.

Depuis quelques années, on voit fleurir, indépendamment des biopics, une flopée de récits de Bande Dessinée autour du Rock, souvent par des auteurs estampillés « Nouvelle BD ». Que penses-tu de cette évolution ?
J’ai toujours bien aimé cette idée de mêler le Rock et la Bande Dessinée. Personnellement c’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. Les premiers essais les plus concluants dans le domaine, c’est ce qui s’est passé dans Métal Hurlant ou ce que faisait Jean Solé dans Fluide Glacial avec le Rock progressif ou plus cool, comme Pink Floyd ou les Who. A mon sens, celui qui était arrivé au summum de la chose, c’est Jean-Christophe Menu dans Lock Groove Comix. Pour moi, c’est vraiment le must. J’aime bien aussi, ce qu’a fait Hervé Bourhis avec son Petit Livre Rock. Il y a également ce que Luz fait dans Trois premiers morceaux sans flash, des bouquins autoproduits que je trouve fabuleux où il mixe ses dessin faits sur le vif avec les photos prises pendant les concerts par Stefmel, sa compagne.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Difficile de trouver un point commun comme ça de but en blanc. Souvent les amateurs de BD, si je prends mon propre exemple, sont aussi des amateurs de Rock qui écoutent de la musique tout le temps et vont aux concerts. Maintenant, il ne me semble pas que j’aie un comportement de rocker invétéré, à part faire la fête de temps en temps mais je pense qu’il y a pas besoin d’être rocker pour ça.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
C’est difficile de se dire que tel ou tel dessin est un dessin « Rock ». C’est plutôt le propos qui peut mettre des gens comme moi dans cette catégorie. Dans les festivals BD soi-disant ancrés sur le Rock, tu as toujours plus ou moins les mêmes personnes, Riff Rebb’s, Mezzo, Pourquié, Julien Solé, Relom ou donc moi-même. C’est plus un état d’esprit qu’un graphisme à vrai dire.

Ton dessin se distingue par son originalité et son efficacité. Ton style est unique et inimitable mais existent-t-ils malgré tout des auteurs qui t’ont influencé, que ce soit au niveau du graphisme ou du mode de narration ?
J’ai sûrement des influences qui sont passées dans mon travail mais j’ai du mal à mettre le doigt dessus… j’ai lu du Franquin quand j’étais gamin, ça a dû jouer un rôle. Les auteurs qui m’ont fait rire sont en fait mes plus grosses influences dans la mesure où ça m’a donné moi aussi l’envie de faire rire les gens. Quelqu’un comme Daniel Gossens est pour moi une très grande référence. Pas au niveau du graphisme car je pense que je ne lui arrive pas à la cheville mais il m’a tellement procuré de plaisir à la lecture que j’ai eu besoin de faire pareil. A côté de ça, il y a des gens comme Libon, Winshluss ou Mario Montaigne, dont j’adore le travail avec un humour bien particulier. Comme eux, je partage cette envie de bien bosser pour faire rire les gens.

Travailles-tu en musique ?
Tout le temps. Quand je vais chez moi dans le grenier qui me sert d’atelier, c’est automatique, il me faut de la musique. J’ai des tonnes de disques, tous plus mauvais les uns que les autres (rires). Pas de la musique à fond mais à un volume correct. J’en ai besoin pour me concentrer.

Tu es plutôt MP3 ou Teppaz ?
Je suis plutôt Teppaz, surtout pas numérique. J’écoute beaucoup de vinyles et de CD. J’ai une grosse collection de CD parce que je suis un boulimique et que je chine beaucoup dans les vide-greniers… je me fais plaisir.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Question difficile ! Quelqu’un qui n’est pas mort trop jeune ou qui n’est pas encore mort (rires), la vie courte m’intéresse pas plus que ça… à la réflexion, j’aurais bien aimé avoir eu le parcours de Nino Ferrer. C’était un mec musicalement très fort, il avait une putain de gueule terrible et il a écrit des chansons extraordinaires. Je pense qu’il a eu une belle vie même si elle s’ést terminée de manière tragique. Donc, je me dis qu’avoir eu la gueule de Nino Ferrer et son talent, ça m’aurait bien plu.

Une dernière question à l’auteur de Football Football et à la star du football deux-sévrien. Qui va gagner l’Euro 2012 et pourquoi ?
Qui va gagner l’Euro 2012 ? Mais la France bien sûr ! Parce ce qu’on est les meilleurs, que personne nous attend et que pour l’instant on est une équipe de branques. Il va se passer quelque chose, on va surprendre tout le monde,  et donc on va gagner l’Euro !

La chronique de The Autobiography of Me too, c’est par là

The Zumbies

Dessins : JULIEN – Textes : Yan LINDINGRE

Parmi les embûches innombrables mises sur la route du Rock, les accusations de musique violente, dépravée, satanique, assénées par des ligues de vertu, les autorités religieuses ou les politiciens réactionnaires se sont avérées au final parmi celles qui ont le plus contribué à pousser la jeunesse à y regarder de plus près.
Ce doux parfum de danger et d’interdit, on le retrouve dans les films d’épouvante qui ont eux aussi connu le même ostracisme avant d’acquérir le statut de genre culturel à part entière.
Quand on met dans la même phrase Rock et film d’épouvante, un groupe vient forcément à l’esprit, les Cramps, combo amerloque complètement déjanté, promoteur du genre Psychobilly. Voix d’outre-tombe, guitares caverneuses, rythmiques hypnotiques, des concerts grand guignolesques et un look inspiré de cette imagerie de série B, vampires, loup-garous et autres zombies.
Les zombies, justement, sont redevenus très à la mode ces derniers temps, notamment avec une flopée de films et côté Bande Dessinée l’excellent Walking Dead, l’un des meilleurs comics de ces dernières années.
Sur l’instigation de Julien Solé (dit tantôt Julien, tantôt Ju/Cdm, on ne sait plus), Yan Lindingre a bouffé de ces films de série Z à la louche et s’en est inspiré pour concocter l’intrigue de ces Zumbies, d’anciens variéteux morts et ressuscités en rockers par Jesse Garon (oui, les plus cultivés auront reconnu l’hommage au frère mort-né d’Elvis Presley, à moins qu’il ne s’agisse d’une allusion perfide au défunt néo-rockabilleux franchouillard du début des 80’s qui cachetonnait le dimanche après-midi chez feu Jacques Martin). Mais là où les zombies traditionnels affichent un Q.I. de poisson rouge et se trainent comme des somnambules à la recherche de leur ration de barbaque humaine, les Zumbies sont des cannibales doués d’intelligence et de réflexion, entièrement mis au service de leur art.
En 2023, dans un monde qui évoque France rurale profonde et Bayou profond (ou le contraire), ces trois zicos et leur chanteuse bravent les communautés religieuses intégristes qui tentent d’imposer leur loi. Leur tournée sanglante les amène à découper en rondelles les calotins ou à déguster quelques teenagers égarés.
Avec un humour potache qui ne fait pas dans la dentelle, les auteurs s’amusent à détourner les clichés des films d’horreur et à glisser quelques clins-d‘œil au gros Rock qui tâche comme une bonne giclée d’hémoglobine. Du côté cinoche, on pense notamment à Une nuit en enfer et s’agissant du Rock, aux Cramps, bien sûr.
Pour servir le propos, Julien utilise une mise en couleurs bien glauque (au sens propre du terme) éclairée par le rouge du sang versé par litres.
Afin d’entretenir le mystère, la première version de l’album est parue avec sur la couverture un Z énigmatique et sans la mention des auteurs.
Depuis, les coupables ont été identifiés mais toujours pas appréhendés et ils ont même osé récidiver. Mais que fait donc le Vatican ?

Bonus Track : 3 questions à Julien/Cdm

Heilman

Dessins et textes : Alain VOSS

Dans l’avènement de la BD Rock en France, Métal Hurlant a été décisif. Sauf qu’il ne faut pas oublier que, mis à part l’esprit éminemment rock’n roll de la démarche de ses fondateurs, de sa gestion et de ses choix éditoriaux, le magazine créé par Jean Giraud, Philippe Druillet, Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas faisait une part belle et prépondérante à la Science-Fiction. Rock, Science-Fiction et donc Bande Dessinée, trois sous-genres à l’époque, que Métal Hurlant s’est évertué à promouvoir.
S’il est un auteur qui incarnait parfaitement cet esprit frondeur, novateur et outrancier, c’est bien Alain Voss, dessinateur d’origine brésilienne débarqué en France en 1972, dont les récits dans Métal Hurlant mariaient allègrement Rock et Science-fiction.
Alliant un graphisme classique, précis et percutant, ses intrigues déjantées donnaient vie à des personnages au look très influencé par le Glam, le Punk et les films de Science-Fiction de l’époque, mélange assez réussi d’élégance et de provocation.
Groupe de Rock voguant dans la galaxie, Gladiateurs affrontant sur la scène une plèbe déchaînée, clones de Rolling Stones se transformant en fauves rugissants… Voss parsemait ses histoires de sexe, de violence et de Rock déchainé.
Heilman, paru en 1978 est un condensé exacerbé de tous ces thèmes. Le seul récit Rock paru en album qu’ait produit Voss et sans conteste le plus délirant.
L’intrigue met en scène une Rock Star dont l’accoutrement inspiré du Glam-Rock et de la Science-Fiction se pare de symboles nazis (sans doute une influence du Punk alors en plein essor), ce qui donne à ce Guitare Héros androgyne une ambiguïté suggestive et provocatrice, tout à fait dans la veine de l’époque mais dont on peut se demander comment elle serait accueillie aujourd’hui.
Au fil d’aventures assez improbables, Heilman, sorte de demi-dieu électrique, affronte avec sa guitare une divinité maléfique, se bat en duel contre un Rocker à banane et meurt plusieurs fois pour se réincarner dans d’autres plans de réalités cosmiques.
Mysticisme, Mythologie, New-Age, Science-Fiction et Rock sont les ingrédients de Heilman, une sorte d’OVNI dans l’histoire de la Bande Dessinée, un récit inclassable dont on ne sait trop que penser. Œuvre géniale ou élucubrations fantasmatiques d’un dessinateur sous influence psychotrope, cela reste une œuvre culte de la BD-Rock qu’il faut avoir lu, comme témoignage de la grande époque de Métal Hurlant.
Alain Voss avait disparu de la circulation franco-belge depuis un certain temps pour émigrer au Portugal où il est hélas décédé le 13 mai 2011. On ne peut aujourd’hui que regretter qu’un tel talent n’ait pas rencontré un public plus large au sortir des années 1980.

The Autobiography of Me too

Dessins et textes : Guillaume BOUZARD

Après une relative accalmie durant les années 1990, la BD Rock qui avait vu le jour en France avec Métal Hurlant à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, a connu une sacrée embellie avec le nouveau millénaire. Une vague de jeunes auteurs est apparue, officiant dans de « petites » maisons d’édition elles aussi fraichement débarquées dans l’océan peu pacifique de la BD.
Ces petits nouveaux ont eu envie d’une part de bousculer les codes graphiques et les thèmes classiques de la Bande bien dessinée, qui en créant des personnages décalés dans des récits déjantés (et vice-versa) qui en causant un peu de leur petite vie à peine plus fondamentale que l’avenir de la galaxie ou la longueur des poils de trolls, et d’autre part de s’éclater en essayant de vivre de leur art si mineur fut-il.
Une démarche rock’n roll s’il en est et donc rien d’étonnant à ce que ces jeunes iconoclastes soient complètement imprégnées d’une solide culture Rock.The Autobiography of Me too two ;  Bouzard © Les Requins Marteaux, 2005Parmi les tenants de cette « nouvelle BD », Guillaume Bouzard, auteur prolifique d’œuvres inénarrables comme Le Club des Quatre, Plageman, Les pauvres types de l’Espace, La nuit du Canard-Garou ou Football Football, fait un peu figure de parangon (surtout pas de vertu) de ces auteurs fins connaisseurs du Rock sous toutes ses formes, fidèles à la cause vinylique et que l’on retrouve dans les bons coups des remarquables collectifs Nous sommes Motörhead et Rock Strips. Bouzard y pond à chaque fois l’un des meilleurs récits (sur Nirvana dans Rock Strips) où l’on retrouve ce qui fait le sel et le poivre de The Autobiography of Me too dont c’est y qu’on va donc causer maintenant.
Le concept est entièrement résumé dans le titre. L’auteur se raconte sans se la raconter parce qu’après tout il le vaut bien et comme en plus c’est devenu à la mode… Bouzard évoque sur un mode décalé sa vie insignifiante de star de la BD reclus dans les Deux-Sèvres ponctuée par les facéties de Flopi un grand chien placide et bipède doué de la parole et qui n’a rien de domestique, les affres de la vie rurale, les sorties hautement philosophiques entre potes et donc le Rock qui est l’ingrédient de quelques récits.
Parmi ces perles d’humour du quotidien où l’anecdote personnelle sert de prétexte à la digression comique, on trouvera bien sûr, entre autres, Motörhead dont l’écoute du dernier album ou un concert s’avèrent plus compliqués que prévu, la recherche du vinyle collector âprement négocié dans un vide-grenier ou encore une tournée de courrier avec du Punk à fond les manettes dans la fourgonnette. L’auteur dévoile son penchant pour le Rock qui cogne avec un humour féroce et un sens de l’autodérision qui donnent à ces chroniques de vie ordinaire une justesse et une drôlerie incomparables, servi par un trait vif et efficace. The Autobiography of Me too apporte à l’autobiographie en Bande Dessinée une version moins intello et beaucoup plus débridée.
En prime, petite anecdote tirée de ma modeste autobiographie à moi aussi, qui me laisse à penser que le gaillard a peut-être un don de prémonition, sans doute acquis lors d’un pacte avec Satan : Dans le troisième opus, le héros a la mauvaise idée de se pointer en tongues à un concert de Motörhead, ce qui sera lourd de conséquences. Hellfest 2010, concert de Motörhead, pour de vrai cette fois et soudain pendant Going to Brazil, si ma mémoire est bonne, une paire de tongues s’est envolée au-dessus de la masse des métalleux extasiés. Et là, définitivement je dis : Jump Lapin !

L’interview de Guillaume BOUZARD,  c’est ici

Une vie sans Barjot

Dessins : Stéphane OIRY – Textes : APPOLLO

Dans la carrière du fan de Rock, l’adolescence est sans doute la période la plus déterminante. Celle des premiers émois amoureux et des premières révoltes contre toutes les figures imposées de l’âge adulte et tout ce qui empêche d’être ce que l’on voudrait être sans d’ailleurs en avoir une idée vraiment précise. Et pour ces deux apprentissages, le Rock fournit un mode d’emploi idéal, provocateur et transgressif.
Cette époque de tous les possibles est ponctuée de quelques moments décisifs, de ceux où il faut bien se confronter à des choix que l’on n’a pas forcément envie de faire. C’est cette part d’enfance qu’il faut se résoudre à tuer, quand on découvre qu’il sera définitivement impossible d’avoir tous les jouets dans la vitrine.
Au milieu de ça, le Rock dispense une part de certitude à laquelle on peut toujours se raccrocher quand le cœur bat la chamade et que l’abîme insondable de l’avenir donne le vertige. Un disque qui tourne en boucle sur la platine, un concert qui laisse les tympans en vrac et l’échine en sueur et l’angoisse du lendemain s’estompe pour un court instant.

Une vie sans Barjot parle un peu de tout ça. Le récit se déroule en une nuit, la dernière des vacances, les dernières vacances après la dernière année de lycée avant que Mathieu ne parte le lendemain pour suivre ses études à Paris, loin du confort de sa ville de Province (Nantes, en l’occurrence dont est originaire Stéphane Oiry).
La perspective de cette nouvelle vie angoisse Mathieu, d’autant qu’elle risque de lui faire perdre la trace de Noémie. Cette dernière est la bassiste des New Girls et joue ce soir-là au Bateau Ivre. C’est depuis ce lieu au nom évocateur, à l’issue d’un concert de Death Metal, que le héros va entamer un long périple à la recherche de sa Dulcinée qui lui a donné rendez-vous à la soirée chez une copine… dont il ignore l’adresse. Mathieu va se lancer dans cette quête au cours d’une errance nocturne, une Odyssée rimbaldienne émaillée de sexe, parfois un peu glauque, de drogue, juste ce qu’il faut, et bien sûr de rock’n roll. Son chemin va croiser toute une série de personnages sublimes ou dérisoires, de ceux que l’on a tous connus au lycée.
Et parmi eux Barjot, fil rouge de l’intrigue, le copain zarbi dont on n‘arrive pas à se défaire et qui derrière le masque de clown foireux, cache une personnalité qu’on ne soupçonnait pas. Barjot, c’est le Godot qu’on n’attend plus mais dont l’existence est un vrai repère dans l’existence de Mathieu.
Une vie sans Barjot est un récit romanesque passionnant, d’une justesse et d’une modernité irréprochables, la fresque d’une jeunesse urbaine tout aussi flamboyante que désabusée à la recherche d’un temps qu’elle sait perdu d’avance et qu’elle essaie de retenir tant qu’elle peut, avant qu’il ne lui file entre les doigts.
Avec le recul, ma BD préférée de l’année 2011.

L’interview de Stéphane Oiry, c’est ici.

MetaL ManiaX

Dessins : SLO – Textes : FEF

Sur les pochettes de leurs disques, ils ont l’air très méchants. A l’écoute, quand rugissent les guitares, que tonne la batterie et que s’élèvent les hurlements du chanteur, le doute n’est plus permis, ils sont très fâchés et ils veulent que ça se sache. Quand ils sont contents, ils replient l’annulaire et le majeur, pour former les cornes de Satan.
Vous ne les connaissez pas et nombre d’entre vous ne soupçonnent même pas que de telles créatures et qu’une telle… « musique » puissent exister. Et pourtant, ils sont bien là, ils vivent parmi vous et ils célèbrent leurs rites sataniques en toute impunité, suivis par des millions d’adeptes dévots à travers le monde. Eux, ce sont les Métalleux.
Pénétrer dans l’univers du Métal a tout d’une expérience ésotérique tant ce style musical recèle de codes et de chapelles, Heavy, Trash, Black, Death, Hard Core, Stoner… avec des variantes Old School ou Néo. Pour les voisins ou votre Mamie, tout ça c’est de la musique de singes sauvages mais pour les puristes, n’allez surtout pas mettre dans le même panier Metallica et Satyricon, Megadeth et Cannibal Corpse ou les flammes de l’enfer risquent bien de vous réduire en cendres en moins de temps qu’il ne faut à un de ces disciples de Belzébuth pour écluser une pinte de bière.
Metal ManiaxHeureusement on peut rire de tout et le mieux c’est de le faire en bonne compagnie avec de fins connaisseurs. Slo et Fef font partie de ces passionnés qui composent le public Métal. Avec Metal Maniax, ils mettent en scène une bande de Métalleux bien typés, incarnant chacun un style de Métal, Vince le fan de Death, inconditionnel de binouze en version Happy Hour, Marco, le Blackeux sombre et satanique tombeur de gonzesses, Spike, le Hardcoreux, bardé de tatouages et rompu aux pogos les plus sauvages et enfin Sam, l’amateur de Heavy et de Glam, moins looké mais non moins allumé. Ce quatuor passe le plus clair de son temps libre dans leur troquet fétiche, le Dark Knight, managé de main de maître par Tony son patron irascible mais comme un père pour ces grands gamins qui se gavent de décibels et de houblon bien frais.
Au travers de gags bien sentis, à l’humour potache et efficace comme un bon gros riff d’AC/DC, les auteurs livrent quelques clés de lecture au béotien pour mieux comprendre cette culture à part et à part entière que constitue le Métal tout en parsemant leurs histoires de clins d’œil qu’apprécieront les fans du genre.
Au programme, entre autres, initiation d’un d’jeune novice au culte métallique, querelles d’esthètes sur les divers genres du Métal avec l’inénarrable Defenestrator comme groupe fil rouge, grivoiseries autour de Nina la barmaid qui n’a froid nulle part, recherche compliquée d’un job stable pour Spike et d’un co-loc compatible pour Sam, incantations maléfiques de Marco… les tribulations bruyantes et alcoolisées de cette bande de mélomanes rappellent opportunément que nonobstant le folklore, tatouages, maquillages et quincaillerie, le Métal, c’est avant tout du Rock’n Roll et que ses aficionados, au-delà de cette caricature avisée, méritent le respect et la sympathie dus aux vrais fans de musique.

Backstage

Dessins : Boris MIRROIR – Textes : JAMES

Le gag est sûrement l’exercice le plus difficile de la Bande Dessinée. Je parle bien sûr du gag qui fait rire et quand on voit le niveau moyen de la production, ça n’a rien d’un pléonasme.
Pour un Franquin, combien de … (rayer la mention inutile). Ce dernier était un maître dans le domaine. Même si les premiers gags de Gaston en une demi-page ne sont pas mes préférés, moins virtuoses et moins inventifs, ils ont justement cette qualité tant au niveau du graphisme que du scénario d’aller à l’essentiel. Faire marrer en une demi-douzaine de cases et au pire garder les zygomatiques du lecteur en éveil, c’est du grand art. De nos jours, peu y arrivent. Diego Aranega avec son Victor Lalouz fait partie de ceux-là, avec une originalité : l’enchainement des gags raconte une histoire ou du moins marque une progression narrative.
Avec Backstage, Fluide Glacial, qui depuis peu s’est lancé dans la BD Rock, comme en témoignent l’arrivée de Lucien dans le catalogue ou les deux collectifs consacrés respectivement aux Beatles et aux Rolling Stones, reprend cette formule de la narration gaguesque (je dis c’que j’veux !) en 6 cases.

JAGGER - RICHARDS par Mirroir

Et en l’appliquant au Rock, Fluide inaugure même un nouveau genre, le biopic en gags. Et tant qu’à faire, on tape dans le gratin avec les Rolling Stones. Cette succession de strips retrace dans ce premier tome, les premières armes de Little Boy Blue and the Blue Boys, le patronyme originel des Pierres (on regrette pas qu’ils aient changé). James, déjà rompu, en tant que dessinateur, à l’exercice du gag en 6 cases avec l’excellent Amour, passion & CX diesel (toujours chez Fluide), prend ici les rênes du scénario, Boris Mirroir assurant le dessin.
Si la plupart des gags sont efficaces et pour beaucoup d’entre eux franchement bidonnants, ce n’est pas qu’un simple délire potache dans la plus pure tradition fluidesque mais bien une véritable biographie détournant les grandes étapes et les petites anecdotes réelles ou supposées comme telles, car entrées dans la légende, qui ponctuent la carrière des Stones. La rencontre de Jagger et Richards sur le quai de gare, les cendres du Hamster de Richards, le pudding de la mère de Jagger et le thé de celle de Richards, les balbutiements du jeu de scène de Jagger, l’hypocrisie envers les premiers partenaires, tout y est. De l’humour décalé et flegmatique, so british, et des personnages dont les auteurs exploitent à merveille les travers, tels le côté calculateur de Jagger ou les penchants addictifs de Richards, sans pour autant négliger de rendre hommage à leurs qualités de musiciens.
Les auteurs ont mis au point des dialogues et un style graphique astucieusement caricaturaux (Mirroir revisite savoureusement les coupes à la garçonne ou la lippe de Jagger) tout à fait en rapport avec leur sujet. C’est drôle mais c’est crédible, tant les modèles originaux, en multipliant les outrances tout au long de leur carrière, nous ont habitué au grand n’importe quoi.
On n’en est qu’au premier tome, les Stones n’ont pas encore choisi leur nom, Jones, Wyman et Watts manquent encore à l’appel mais on a hâte de voir comment les auteurs vont s’emparer des chapitres les plus célèbres de la saga stonienne.
En attendant, le flambeau de Franquin brûle toujours et en plus maintenant, il joue du Rock’n Roll.

Bonus Track : 3 questions à James

Debaser

Dessins et textes : RAF

Un titre pareil, forcément, ça excite la curiosité de l’amateur de Rock. On parle bien du morceau d’ouverture de Doolittle, l’album décisif des Pixies, cet hymne pré-grunge, puissant, mélodique et percutant qui vous agrippe les tympans dès la première note et ne vous les lâche plus pendant 2 minutes et 52 secondes ?
Debaser ; Raf © AnkamaQu’est-ce qu’un manga vient faire là-dedans ? Enfin, un manga, si on veut, vu qu’il se lit à l’occidentale, de gauche à droite. Et puis ce graphisme a un petit je ne sais quoi qui ne sonne pas tout à fait nippon. Vu que ça se passe en France, le doute n’est plus permis.
Un manga français dédié au Rock donc, ça c’est du neuf et c’est du lourd car le moins que l’on puisse dire c’est que ces brûlots graphiques de 180 pages vous pètent à la tronche comme un concert de punk rock.
Nous sommes en 2020, en France dans une société réactionnaire où seuls les hommes font des études supérieures et où les filles sont reléguées au rang de potiches bimbos vouées à une carrière de femme au foyer. Seule la musique officielle promue par le gouvernement est autorisée. Une pop acidulée, prédigérée, décérébrée, formatée pour museler une jeunesse qu’il faut préserver de toute velléité de révolte et de pensée autonome et qu’il faut conditionner à la consommation et au conformisme. Cette soupe sans saveur est produite par la société Mundial (toute ressemblance avec une grosse maison de disques actuelle est tout sauf fortuite) et relayée dans des émissions de télé crochet dans la grande tradition des Daube Academy qui ont sévi ces derniers temps dans la vraie vie.
Face à cet ordre établi, Joshua et Anna, deux jeunes rebelles comme le Rock les aime vont fonder un groupe de Rock, Debaser (nous y voilà !) et organiser la résistance. Debaser ; Raf © Raf, 2012
Raf dessine pied au plancher et se donne à fond sur les planches même si les siennes sont à dessin. Un découpage et un trait tranchants comme des riffs de guitare bien saturée, des personnages forts et expressifs. Cela donne des pages explosives où la violence cathartique du Rock s’exprime dans une intrigue aux nombreux rebondissements, comme il se doit dans un bon manga. Un tel enthousiasme, une telle soif de raconter et de transmettre sa passion pour le Rock (chaque chapitre reprend le titre d’un standard du Punk, du Métal et autres musiques énervées) forcent le respect. Raf a de la suite dans les idées et des idées, la demoiselle (eh oui, encore une dessinatrice rockeuse qui nous file un sacré coup de pied au cul) n’en manque pas, sur la société contemporaine, la politique, la jeunesse… Il n’est pas sûr que le Rock soit capable de changer la face du monde mais avec des récits engagés et débridés comme Debaser, on a vraiment envie d’y croire.

L’interview de RAF, c’est ici

Godspeed, une vie de Kurt Cobain

Dessins : Mc CARTHY et FLAMEBOY – Textes : LEGG

Beaucoup de choses ont été écrites sur la carrière météorique de Nirvana et sur la mort de son leader. En BD, Petit à Petit a sorti une biographie passionnante qui fait tout le tour de la question.
Alors quoi de plus ? Le parti pris de Godspeed est de mettre de côté le groupe et de se placer du point de vue unique et subjectif de Kurt Cobain.
Ce dernier y est présenté comme un ange qui glisse vers la déchéance. Un destin tracé entre les deux écueils insurmontables du divorce de ses parents et d’effroyables douleurs gastriques. Deux épreuves insoutenables qui le pousseront vers la drogue et l’autodestruction même si elles l’amèneront à trouver refuge dans la musique.
Les souffrances, les angoisses, le mal de vivre mais aussi la quête vaine d’un amour pur et sincère sont les thèmes que cette biographie développe dans l’optique d’expliquer que le suicide de Cobain était inéluctable.

Il n’est pas évident d’adhérer à cette thèse visant à faire de Cobain le seul responsable de son suicide mais cette approche a le mérite d’être cohérente et de donner une explication plausible à l’issue finale.
J’adhère franchement moins au graphisme dont l’académisme Comics et une mise en couleurs informatique flashy et sans relief ne paraissent guère appropriés au sujet. La ressemblance avec les personnages réels est peu évidente et surtout fluctuante, avec un Novoselic et un Grohl vraiment méconnaissables. Seule Courtney Love est assez réussie (un paradoxe, vu qu’elle n’a franchement pas le beau rôle). Dommage, car le petit cahier graphique, à la fin du livre montre que sur ce plan, les auteurs auraient pu livrer une bien meilleure version.
Toutefois, Godspeed dresse un portrait sincère de Cobain, restituant la personnalité fragile et sensible de l’un des meilleurs song-writers de l’histoire du Rock.