A propos de Pure Fucking People, 3 questions à Will ARGUNAS
Comment est né le concept de Pure Fucking People… une envie soudaine ou un projet mûrement réfléchi ?
Pure Fucking People est né à mon insu, car au départ, quand j’ai découvert le Hellfest (en 2009), son ambiance, et ses festivaliers, j’ai juste pris des photos, en souvenir, comme le fait tout le monde. C’était un cadeau pour les 40 ans de ma compagne. Ca faisait des années qu’on allait plus en concert. Nous étions partis des Yvelines pour une petite ville du Loiret. Et parce qu’on avait 3 enfants en bas âge. Du coup, en 2009 j’ai voulu marqué le coup ! Le seul truc dont on ne te parle pas, c’est le spleen qui suit un tel festoche. Du coup, étant dessinateur et coloriste (à l’époque), j’ai transformé cette espèce de frustration en me mettant à dessiner les festivaliers qu’on y avait croisés, à partir de mes photos de souvenir. J’ai ainsi fait une première série de 30 dessins en 2009. En 2010, on retourne au Hellfest. Je reprends pas mal de photos. Et je me remets à dessiner à mon retour. Entre temps, j’ai exposé, et découvert l’intérêt des gens de tous horizons pour ce travail de « documentariste ». Du coup, venant de la BD, je décide de présenter ce projet à des éditeurs. Tout le monde me dit non. C’est là que j’ai décidé de m’auto-publier. J’avais une soixantaine de dessins, de quoi remplir un premier artbook de 64 pages N/B. et depuis, je me suis pris au jeu, en essayant de me renouveler. Des premiers dessins très chargés de 2009 (des foules), je suis passé à des « portraits de personnages ». J’ai viré les décors, pour ne conserver que les attitudes.
Par rapport à tes bandes dessinées, ton dessin est plus épuré, plus « ligne claire » dans Pure Fucking People. Comment s’opère la transition entre les modèles originaux, pris en photos sur le vif au Hellfest et le rendu final sur le papier ?
En 2010, j’ai découvert la sérigraphie de concert, la technique des trames … dont j’ai décidé de me servir pour certaines parties de dessins, trop complexes à dessiner, où trop dévorantes en temps, car tout ça n’est pas encore très lucratif. Quand je commence un dessin, venant de la pub et du rough (j’ai bossé pendant 13 ans dans le milieu parisien des agences de pub), j’essaie d’aller à l’essentiel, dans un temps limité. J’utilise donc des techniques qui me font gagner parfois du temps, en testant des trucs. Pure Fucking People est une espèce de laboratoire graphique depuis le début, un exutoire, une façon de faire converger deux passions : la musique (Métal) et le dessin.
Par rapport à mon travail en bande dessinée, mon trait est plus épuré sur les parties de chairs, les visages, mains, bras, en effet. Pour le reste, on retrouve mon goût pour la hachure, et ma gestion des noirs. Mais tu verras que dans mon prochain album (qui sort fin août), les hachures disparaissent aussi des visages. C’est dû à 2 choses : une demande de mes éditeurs d’alléger mon trait, qui rend parfois les visages un peu durs (en particulier chez les personnages féminins), et d’une envie de ne sculpter que les corps, pour évoluer dans ma façon de travailler. Du coup, sur les parties de visage ou corps dénudés, je m’éloigne du réalisme des photos, ce qui contribue à mettre du faux dans le vrai, encore plus vrai quand je rajoute sur certains tirages de la couleur en aplat, façon sérigraphie. Tout ça se fait donc de plus en plus en étant mûrement réfléchi, tout en essayant de garder une grande liberté.
Quels sont les critères de choix de tes modèles, originalité, authenticité… ?
Mes choix sont purement subjectifs. Je regarde mes photos après coup, tout au long de l’année, dès que j’ai envie ou besoin de faire un nouveau dessin, et je me laisse guider par ça. Je suis très sélectif. J’essaye de faire un max de photos en festoche car je ne sais jamais au moment où je prends le cliché si j’en ferai vraiment un dessin, ou pas. Par contre, une fois que je revois les photos, tout m’apparaît clairement. Un dernier facteur entre en ligne de compte, c’est le fait que je ne veux pas me répéter dans les attitudes (on me l’a un peu reproché pour le tome 2 par rapport au tome 1). Du coup, des textes sont apparus dans le tome 3 ainsi que des mises en scène et en page très différentes. Ainsi, quand j’attaque un nouveau dessin, j’essaie de m’interdire de refaire ce que j’ai déjà fait. D’ailleurs, cette année, au Hellfest, j’ai expérimenté un nouveau truc, le dimanche. Je suis allé à la rencontre des festivaliers, plus frontalement qu’avant, et du coup, après avoir pris une photo d’eux, je leur ai filé une carte postale de mes Pure Fucking People, histoire qu’ils se disent, s’ils connaissent mon travail, ou s’ils avaient vu l’expo et la déco du Leclerc de Clisson, qu’ils seront peut-être dans le tome 4. C’est comme ça que j’ai pu engager la conversation avec certains. Et n’ayant pas un appareil de pro, ça faisait un peu moins le touriste qui prend les autres en photos. Le retour a été très positif, et je pense que je vais continuer, pour que le tome 4 soit encore très différent. Même si les festivaliers posent, se griment, se travestissent, se maquillent, se déguisent, ils restent très authentiques dans leur façon de faire, très naturels. Ils sont là pour s’éclater entre potes, oublier les soucis du quotidien, et vivre leur passion à fond !