JANO – Interview

Avec Lucien et les Closh, Kebra constitue l’un des piliers de la BD Rock en France et l’une des séries emblématiques de Métal Hurlant dont ce zonard a écumé les pages en y semant l’écho distordant des moteurs de mobylettes chouravées, des chaînes de vélo s’écrasant sur les mâchoires et bien sûr du son cradingue de son groupe, Les Radiations. Un tel comportement déviant et antisocial justifiait d’aller demander à son papa pourquoi il a donné une si mauvaise éducation à son rejeton.

Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : Comment Kebra est-il né ?
Je viens de la banlieue parisienne, j’y ai passé mon adolescence à trainer dehors. J’étais pas non plus un Kebra mais Kebra est inspiré de copains de mes potes, de gens qu’on voyait… c’est pas un seul personnage mais une synthèse de plusieurs personnes réelles. Avec Tramber, on a donné à Kebra son caractère et son profil psychologique mais au départ c’est moi qui ai créé le bestiau graphiquement à partir de zonards que je connaissais par ci par là.

Comment Kebra est-il entré dans Métal Hurlant ? En demandant poliment ou en mettant un grand coup de tiag dans la porte ?
Ce qui s’est passé, c’est qu’on avait déjà commencé à faire du Kebra, publié dans BD Hebdo, aux éditions du Square et une de ses histoires était également parue dans Charlie Mensuel. Mais comme ça avançait pas vraiment et que par ailleurs Charlie avait déjà des armoires pleines d’histoires à sortir, on s’est dit avec Tramber qu’il fallait aller voir d’autres journaux. On a bien sûr pensé à Métal et justement Philippe Manœuvre avait vu cette histoire parue dans Charlie Mensuel. Il avait flashé dessus, en avait parlé à Jean-Pierre Dionnet et donc quand on leur a présenté notre dossier, ils ont tout de suite été intéressés. C’est comme ça qu’on est rentrés à Métal mais je te rassure, on y est allés tout à fait poliment ! (rires)

Comment se répartissaient les rôles entre toi et Tramber ?
C’est très simple : on faisait les scénarios ensemble intégralement. L’un lançait une idée, l’autre la reprenait, la retraficotait, injectait une autre idée… on faisait les dialogues et le découpage ensemble. Par contre, au niveau du dessin, Tramber faisait tous les décors, ces immeubles très noirs, un peu abstraits et moi je faisais les personnages. Je m’occupais de tout ce qui bougeait, les personnages donc et aussi les bagnoles, les scooters et dans Le Zonard des étoiles, les engins spatiaux. Si on compare avec un morceau de Rock, c’est un peu comme si moi, j’avais fait le chant et la guitare et que Tramber avait assuré la batterie et la basse. En précisant bien que les compositions, paroles et musiques étaient faites ensemble.

La description de cette banlieue implacable où ne survivent que les bad boys sans foi ni loi était inspirée par quoi ? L’envie de dépeindre une réalité sociale, d’apporter un ton nouveau dans la BD en créant une histoire sex, drug and rock’n roll bien provocante ?
A l’époque, personne ne parlait des banlieues. Aujourd’hui, on nous en rebat les oreilles, les banlieues, les jeunes des banlieues mais à l’époque, c’était le contraire, le black-out total, on parlait pas des banlieues. Je me rappelle, dans les bandes de loubs, y’avait des mecs de seize ans qui se faisaient descendre par les flics, nous on le savait mais sinon, ça n’intéressait personne, ça paraissait pas dans le journal, même pas un entrefilet dans un coin de page. Les gens s’en foutaient de ces histoires, ça n’existait pas. C’était complètement occulté par les médias, la banlieue c’était rien. Et donc, nous, on voulait parler de ça un peu mais en même temps, on voulait aussi déconner. On se prenait pas au sérieux, on voulait pas faire carrière, on faisait ça pour s’marrer. A l’époque, avec Tramber, on était encore aux Beaux-Arts, on faisait de la peinture et la BD, c’était vraiment pour s’amuser.

L’une des qualités de Kebra, outre l’humour et le dynamisme de la narration est la justesse de ton. Le lecteur est vraiment immergé dans le milieu des loulous de banlieue, que ce soit au niveau des situations, des comportements et bien sûr des dialogues avec cet argot parfaitement restitué. C’était quoi le secret ? Allez, avoue, combien toi et Tramber avez-vous volé de mobylettes et piqué de larfeuilles dans votre jeunesse ?
Comme je t’ai dit, moi j’étais pas un loubard. Pour pouvoir commencer à écrire là-dessus, faut avoir du recul et sans ce recul, on se serait juste contentés de voler des mobylettes. On traînait dans les rues, on était des jeunes prolos, ados, et pas de tunes. On dragouillait les nanas dans les coins, on faisait les cons… on essayait de passer le temps, tout simplement. Mais on était pas des loubards des cités. On en connaissait certains, on était allés à l’école avec. On les fréquentait, on se croisait et puis on entendait les histoires. Mais non, j’étais pas à piquer les larfeuilles. Quand on a commencé Kebra, j’avais dans les 21 ans et je m’inspirais des histoires que j’avais connues quand j’avais 16, 17 ans, donc, j’avais ce recul.

Pourquoi avoir choisi un graphisme animalier ?
Vu que je dessinais les personnages, ça me permettait de faire des caractères bien marqués. Par exemple, Kebra, c’est un rat et ce fait là indique déjà toute une personnalité, une façon de vivre, une certaine mentalité. Juste parce qu’il a une tête de rat, tu comprends qu’il survit, qu’il est pas dominant, face à des loups ou des bergers allemands (qui représentaient les patrons de troquets). Lui, c’est un rat, il a pas la supériorité physique, il faut qu’il fasse autrement, qu’il louvoie dans les emmerdements. Quand y’a la bande à Kruel qui déboule… la bande à Kruel, c’est des loups et rien que par leurs gueules, ça indique qu’ils sont méchants, forts, brutaux, cruels justement (rires). Après, si tu fais un canard, c’est un peu con, un canard, ça fait penser à Donald, coin-coin, etc. et tu te dis que lui, c’est un peu un crétin. Et ainsi de suite. C’est vachement drôle de jouer avec ça.

Est-ce qu’il y a des dessinateurs qui t’ont influencé ?
Bien sûr, y’en pas mal. J’ai appris à lire dans Tintin. Hergé m’a influencé même si ça se voit pas directement mais ça m’a quand même donné envie de dessiner et quand même dans le trait, ça reste un peu. Moebius aussi même si là non plus, c’est pas évident mais il y a ce travail sur les hachures notamment.
Mais mon modèle à l’époque, et peut-être aussi celui de Tramber, ça a été Fritz le chat de Crumb. J’avais trouvé ça génial et je pense toujours que c’est un auteur très important. On avait été élevés aux Spirou, Tintin ou Blake et Mortimer et d’un seul coup, blam ! tu te prends Fritz le chat dans la gueule, les States, la drogue, les filles… C’était un héros de l’underground, un héros moderne. Et donc, quand je faisais Kebra, j’avais toujours un peu ça en tête, cet esprit de Fritz le chat, rebelle et confus en même temps… on mélange tout et il en sortira bien quelque chose !
Le deuxième après Crumb, c’est Shelton qui faisait partie de ces auteurs underground américains dont les BD sont sorties en France quand j’étais ado dans les premiers numéros du magazine Actuel, en 1971, 1972. A part Crumb, Shelton, il y avait aussi Corben. Tout cet underground américain était traduit salement par les mecs d’Actuel (rires) et ils le publiaient en le piratant mais pour moi ça a été fondateur, comme pour beaucoup de dessinateurs européens, dont nous les Français élevés à la BD franco-belge. C’était vraiment un choc de voir ça. Ça correspondait aussi à l’époque où les Mandrika, Gotlib ont commencé à faire l’Echo des Savanes. Avant, y’avait Pilote et le couvercle maintenu par Goscinny… fallait pas déconner. Ça a été une sorte d’explosion, de passer à une BD adulte qui parlait de sexe, de dope. On a vécu ça quand on était ados, ce qui fait qu’on on a pris le relais juste après, quelques années plus tard, le premier Kebra étant dessiné et paru en 1978… tout ça se tenait.

Kebra a-t-il suscité des réactions négatives, scandalisées, de la presse ou du public ?
Oui, bien sûr. Il y a avait des gens qui ne comprenaient pas du tout… (rires). Je me rappelle d’une fois dans Libé, on avait eu un article très salé, comme quoi on était fascistes, nazillons, je sais plus bien. Je m’en rappelle parce que c’était tellement caricatural. Donc, oui, il y eu des réactions comme ça à droite à gauche mais en même temps à l’époque dans les médias, y’avait tellement rien. Les seuls qu’auraient pu être critiques envers nous, c’était Métal mais comme ils nous publiaient… (rires). Et puis quand on a commencé Kebra au début des années 80, y’avait que dalle, il faut revoir le paysage culturel de l’époque. Métal, c’était un phare dans la nuit. Bon là, je pousse un peu, je fais dans le lyrisme mais c’était presque ça, Métal Hurlant, un objet par lequel tu pouvais avoir accès à une culture un peu zarbi, qu’il y avait nulle part ailleurs. Y’avait pas d’Internet, même pas d’émission de Rock à la télé. Ce n’est que quelques années plus tard que Dionnet et Manœuvre ont fait les Enfants du Rock. Donc mettre du Rock dans une BD, personne ne concevait ça encore. Kebra venait comme un cheveu sur la soupe là-dedans. A l’époque, les banlieues, le Rock, la déconnade… personne faisait ça, à part Margerin, Vuillemin, un peu Dodo et Ben Radis même si eux, c’étaient plus les branchés parisiens que la banlieue.

Justement, avec Lucien et les Closh, Kebra était le troisième larron de ce triumvirat de héros Rock apparus dans Métal Hurlant. Il y avait-il une émulation avec Margerin, Dodo et Ben Radis ?
Oui, tout à fait. On a même fait une BD tous les cinq ensemble. Ça s’appelait Scalpel Rock, un récit de cinq pages paru dans Métal. On est devenus copains très vite et très fort. Tu sais, on était très isolés comme artistes et dès qu’on a rencontré ces gens-là, ça a collé vachement bien. Il y avait également Serge Clerc qui faisait de la BD Rock. Après, il y en a d’autres qui sont arrivés, Max, Schlingo avec qui on est devenus aussi très copains. Et même des gens comme Chaland qui n’étaient pas estampillés Rock étaient dans cet esprit Métal. C’était un peu une famille, on avait le même humour, la même vision, le même regard sur les choses.

Kebra est devenu une référence dans la BD Rock en tant que leader du groupe Les Radiations, au travers de récits d’anthologie montrant des répètes ou des concerts sauvages. Si l’on pouvait entendre les Radiations, ça sonnerait comme quoi ? Punk, Rockabilly, Hard Rock ? Personnellement, ça me fait toujours penser aux Ramones.
Ouais, un mélange de Punk et de Rock, pas trop hard mais un peu lourd, un peu primaire. En plus, ils savent pas jouer, ils jouent comme des pieds (rires). Ils ont des amplis et un son pourris. On pourrait imaginer les pré Clash, genre les 101’ers, le premier groupe de Strummer, tu vois, ce serait un peu ça. Avec la patate et un son de merde mais on s’en fout, ce qu’on voit, c’est qu’il y a l’énergie.

Et les paroles sont fabuleuses… « Mon Teppaz est naze », « Le Rock’n Roll lui colle aux grolles »…
Ouais, on imagine Kebra les écrire sur un coin de nappe, en buvant des bières, au fond d’un troquet. A l’époque, en France il y avait Starshooter, Téléphone qui démarraient tout juste et sinon la vague Punk. Le premier Kebra, on l’a fait pendant l’été 1977, en écoutant Patti Smith à fond. Et donc ouais, t’as raison, les Radiations, ça pourrait être les Ramones à la Française.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Pour moi, le point commun évident, mais c’est en train de changer, c’est qu’il s’agissait d’arts populaires, non contrôlés ou mal contrôlés, qui avaient échappé au regard des classes dominantes et qui fonctionnaient en dépit du reste des médias. C’étaient des espaces de liberté où on pouvait trouver des gens un peu rebelles, hyper créatifs et qui pouvaient faire leur truc et avoir leur public. Maintenant ils se servent de la BD pour que les mômes lisent (rires). Mais à l’époque, à part les quelques grands classiques, genre Tintin, qu’on trouvait dans les bibliothèques, si tu lisais un Zembla ou un Pepito, c’était vraiment mal vu. Et pour le Rock aussi, à l’époque, les gens un peu plus âgés écoutaient du Jazz et du Classique, le Rock, c’était de la musique de sauvages, ça leur échappait, c’est ça qui était intéressant.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Non, je ne pense pas que ça ait à voir avec le graphisme. C’est l’esprit qui est rock ou pas. C’est même pas les histoires que tu racontes. Tu peux faire des histoires que je qualifierais de rock où ça parle pas spécialement de Rock… je te parlais de Fritz le chat tout à l’heure, y’a pas grand-chose sur le Rock dedans, d’ailleurs Crumb déteste le Rock mais c’est l’esprit global du truc. Fritz, c’est un étudiant qui flippe, qui se met à déjanter et à faire n’importe quoi. Les gens qu’on qualifie d’auteurs rock comme Tramber et moi, avec un graphisme animalier, un dessin un peu sale, beaucoup de hachures… si tu compares avec Margerin qui est beaucoup plus propre, lui c’est du gros nez et à côté de ça, tu peux avoir Baru qui est très différent, vachement expressionniste, très réaliste dans ses décors. Tu peux même avoir un Jean-Claude Denis qui fait un truc un peu rock avec un dessin très posé, calme. Le graphisme, c’est la personnalité du dessinateur. Ce qui compte, c’est ce dont tu parles, ta vision du monde. Le dessin, c’est juste le support, il te sert à faire passer des choses mais il faut d’abord avoir des choses à faire passer.

Travailles-tu en musique ?
Oui, quand je dessine. Pour écrire, surtout pas. Mais quand tout est bien écrit, bien découpé et que je passe au dessin, là oui, je me mets de la musique.
J’écoute ce que je peux (rires), j’ai une collec de Rock et de Blues, mais je peux aussi bien mettre la radio par moments et je peux écouter d’autres musiques à l’occasion, un peu comme ça me tombe, des trucs d’Afrique, du Brésil…

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
J’ai le droit aux morts ? Je pourrais dire Willy DeVille, un prince du Rock’n Roll, il a la classe. Ouais, j’veux bien ça (rires).

Quels sont tes projets et peut-on envisager une nouvelle vie pour Kebra ?
J’ai fini le tome 2 de Gazoline. Ça aussi, c’était bien rock’n roll même s’il n’y avait pas du tout de Rock dedans. Je ne sais pas encore chez quel éditeur il va sortir, ni quand. C’est un recueil d’histoires courtes de Gazoline dont une partie était déjà parue dans l’Echo des Savanes avant que ce soit racheté par Glénat. Ce n’est pas la suite du premier tome mais ça reprend le même univers. Pour ce qui est de Kebra, il est un peu dans les limbes. Le problème, c’est qu’il n’y a plus vraiment de journaux pour prépublier ce genre d’histoires. Là, après avoir fini Gazoline, je suis entre deux, j’ai un projet mais c’est encore en chantier et je ne peux pas en dire plus pour le moment.

La chronique de Kebra, c’est par là

Le Journal

Dessins et textes : Serge CLERC

Impossible de parler BD Rock en France sans évoquer Métal Hurlant. L’apport de ce magazine créé en 1975 par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Moebius et Bernard Farkas a été déterminant dans l’émergence du Rock sur les planches. Une épopée qui a mis un coup de pied au cul de la BD en mettant sur le devant de la scène deux sous-genres méprisés par l’intelligentsia : la Science-Fiction et le Rock, qui plus est dans un magazine de Bandes Dessinées… le comble du mauvais goût pour une sous-sous culture dont ce nouvel avatar avait comme tare subsidiaire de s’inspirer de l’underground américain.
Après l’émergence de cette nouvelle vague, la BD ne sera plus jamais la même. Parmi les auteurs qui allaient mettre de l’électricité dans leurs dessins, un trio se détache. Frank Margerin (Lucien), Dodo-Ben Radis (Les Closh) et Tramber-Jano (Kebra). Plus Serge Clerc, un quatrième mousquetaire, qui avait pour point commun avec son illustre prédécesseur dumassien (ça doit pas se dire, donc je le garde) d’être le plus jeune de la bande, un fanzineux de 17 ans qui envoie ses planches à Dionnet, un peu comme il les aurait montrées à son grand-frère. Sauf que Dionnet est à l’affut de nouveaux talents, même en devenir et qu’il repère immédiatement le potentiel du jeune Lyonnais. Il le fait venir à Paris, le bac pas encore en poche (que Clerc n’aura d’ailleurs jamais). Serge Clerc a ainsi vécu en tant qu’auteur, acteur et spectateur tous les chapitres de ce Journal de bandes dessinés pas comme les autres.
Le Journal n’est pas vraiment un biopic mais plutôt une chronique mêlant autobiographie et allégorie. Avec pas moins de 232 planches, l’œuvre est dense, touffue, limite bordélique par moments, l’auteur se souciant peu de précision historique et de rigueur narrative, émaillant son récit d’une foultitude de références graphiques de l’époque, notamment des couvertures d’albums et de magazines de BD, Métal Hurlant au premier chef. Le tout forme un maelstrom d’images qui était sans doute l’un des parti pris les plus appropriés pour restituer l’aventure un peu démente de Métal Hurlant.
Une folie à l’image de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Dionnet, auquel Serge Clerc rend un hommage vibrant, sismique même. Un allumé de première, érudit et passionné, qualités qui compensent largement ses carences en matière de gestion et de comptabilité et ont permis, malgré les embuches innombrables, juridiques entre autres (le fameux classement « réservé aux adultes » qui a handicapé le magazine tout autant qu’il a contribué à sa réputation) de faire durer l’aventure pendant une dizaine d’années.
Deux autres personnes sont particulièrement mises à l’honneur dans Le Journal. Philippe Manœuvre d’abord, scénariste attitré de Serge Clerc et mentor de ce dernier en matière de Rock. Et puis Yves Chaland, talent précoce tout comme lui, dessinateur génial et visionnaire qui va avoir une influence déterminante dans l’évolution de son graphisme en l’emmenant vers la ligne claire.
Pour un mec de 17 ans, fan de Rock et de BD, débarquant à Paris avec pour seuls bagages son insouciance et son enthousiasme, devenir un pilier de Métal Hurlant en pleine explosion Punk était une expérience hors du commun. Serge Clerc projette dans ces dessins un brin de nostalgie et beaucoup d’auto-dérision pour évoquer ses doutes graphiques et ses déboires amoureux. Crobardeur effréné à la recherche de son style, il a trouvé grâce au Journal la concrétisation de ces innombrables heures de recherche.
Alors bien sûr, ce patchwork baroque pourra en décontenancer certains et Le Journal n’est pas forcément la porte d’entrée la plus évidente pour bien comprendre l’histoire de Métal Hurlant (pour ça, la lecture de l’ouvrage Métal Hurlant, la machine à rêver de Gilles Poussin et Christian Marmonnier est tout indiqué).
Mais l’originalité de la démarche de Serge Clerc est tout à fait adaptée à l’esprit de Métal Hurlant, rock’n Roll et sans tabous. Dionnet, Manœuvre, Clerc, Margerin et toute la bande ont fait plus que capter l’air du temps, ils l’ont insufflé et mis en images. Rien que ça…

L’interview de Serge Clerc, c’est ici

Guillaume BOUZARD – Interview

Guillaume BOUZARD aime les vide-greniers, le football (et même l’équipe de France), Motörhead mais pas que et surtout il prend un plaisir évident à raconter des histoires loufoques et décalées dans lesquelles il glisse parfois quelques ingrédients bien rock’n roll. Ce dévoreur de grands espaces (il habite dans les Deux-Sèvres) et de musique électrique nous livre son Interview of Him too.

Quelle place tient le Rock dans ton imaginaire d’auteur de BD ?
C’est une source d’inspiration et aussi en quelque sorte un art de vivre puisque j’écoute de la musique et notamment du Rock tout au long de la journée.

Parlons justement de tes goûts musicaux. Avec The Autobiography of Me too et tes contributions dans Rock Strips et Nous sommes Motörhead, on devine que tu es un amateur de gros Rock saturé. C’est ton genre préféré ?
Non, c’est pas mon genre préféré. J’en écoute de temps en temps quand j’ai besoin de me donner la pêche mais j’écoute aussi beaucoup de Pop, de la Soul, du Punk, des groupes français… je suis très éclectique mais bon c’est vrai que je reviens souvent au Rock et parfois ça va disons jusqu’à l’outrancier.

Les situations que tu décris dans The Autobiography of Me too ont-elles toutes une part de vérité ? As-tu vraiment un chien qui parle, vas-tu au concert de Rock en tongs, as-tu réellement acheté un disque de bourrée auvergnate dans un vide-greniers etc, etc ?
Bien souvent le début de l’histoire commence par un fait plus ou moins réel puis après bien souvent ça part en cacahuète. J’avais un chien qui parlait pas vraiment. Le pauvre est mort l’année dernière de vieillesse. Ça m’est en effet arrivé d’aller à un concert en tongues, c’était l’été à Rock en Seine, je crois et c’était très bien. Quant aux vide-greniers, ça m’est arrivé de tomber sur des disques qui n’avaient rien à voir avec la pochette. Ce n’était pas forcément de la bourrée auvergnate mais pas non plus des trucs beaucoup plus reluisants !

Il semble que tu aies une relation particulière par rapport à Motörhead. C’est ton groupe culte ?
Non, c’est pas mon groupe culte, c’est surtout Lemmy qui est culte ! Ça a commencé un peu comme une blague de potache, je crois que mon premier truc avec Motörhead c’était dans un vieux numéro de Psykopat. J’avais fait un bulletin d’abonnement à ce magazine où celui qui s’abonnait pouvait rester vautré dans son lit à écouter Motörhead en mangeant des pizzas. C’était à l’époque où ce groupe était encore bien ringard en fait. Au fil des années, j’ai gardé ce petit leitmotiv et puis finalement Motörhead est devenu un groupe culte comme quoi, dès le début, j’étais pas loin de la vérité.

Depuis quelques années, on voit fleurir, indépendamment des biopics, une flopée de récits de Bande Dessinée autour du Rock, souvent par des auteurs estampillés « Nouvelle BD ». Que penses-tu de cette évolution ?
J’ai toujours bien aimé cette idée de mêler le Rock et la Bande Dessinée. Personnellement c’est quelque chose qui m’a toujours intéressé. Les premiers essais les plus concluants dans le domaine, c’est ce qui s’est passé dans Métal Hurlant ou ce que faisait Jean Solé dans Fluide Glacial avec le Rock progressif ou plus cool, comme Pink Floyd ou les Who. A mon sens, celui qui était arrivé au summum de la chose, c’est Jean-Christophe Menu dans Lock Groove Comix. Pour moi, c’est vraiment le must. J’aime bien aussi, ce qu’a fait Hervé Bourhis avec son Petit Livre Rock. Il y a également ce que Luz fait dans Trois premiers morceaux sans flash, des bouquins autoproduits que je trouve fabuleux où il mixe ses dessin faits sur le vif avec les photos prises pendant les concerts par Stefmel, sa compagne.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Difficile de trouver un point commun comme ça de but en blanc. Souvent les amateurs de BD, si je prends mon propre exemple, sont aussi des amateurs de Rock qui écoutent de la musique tout le temps et vont aux concerts. Maintenant, il ne me semble pas que j’aie un comportement de rocker invétéré, à part faire la fête de temps en temps mais je pense qu’il y a pas besoin d’être rocker pour ça.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
C’est difficile de se dire que tel ou tel dessin est un dessin « Rock ». C’est plutôt le propos qui peut mettre des gens comme moi dans cette catégorie. Dans les festivals BD soi-disant ancrés sur le Rock, tu as toujours plus ou moins les mêmes personnes, Riff Rebb’s, Mezzo, Pourquié, Julien Solé, Relom ou donc moi-même. C’est plus un état d’esprit qu’un graphisme à vrai dire.

Ton dessin se distingue par son originalité et son efficacité. Ton style est unique et inimitable mais existent-t-ils malgré tout des auteurs qui t’ont influencé, que ce soit au niveau du graphisme ou du mode de narration ?
J’ai sûrement des influences qui sont passées dans mon travail mais j’ai du mal à mettre le doigt dessus… j’ai lu du Franquin quand j’étais gamin, ça a dû jouer un rôle. Les auteurs qui m’ont fait rire sont en fait mes plus grosses influences dans la mesure où ça m’a donné moi aussi l’envie de faire rire les gens. Quelqu’un comme Daniel Gossens est pour moi une très grande référence. Pas au niveau du graphisme car je pense que je ne lui arrive pas à la cheville mais il m’a tellement procuré de plaisir à la lecture que j’ai eu besoin de faire pareil. A côté de ça, il y a des gens comme Libon, Winshluss ou Mario Montaigne, dont j’adore le travail avec un humour bien particulier. Comme eux, je partage cette envie de bien bosser pour faire rire les gens.

Travailles-tu en musique ?
Tout le temps. Quand je vais chez moi dans le grenier qui me sert d’atelier, c’est automatique, il me faut de la musique. J’ai des tonnes de disques, tous plus mauvais les uns que les autres (rires). Pas de la musique à fond mais à un volume correct. J’en ai besoin pour me concentrer.

Tu es plutôt MP3 ou Teppaz ?
Je suis plutôt Teppaz, surtout pas numérique. J’écoute beaucoup de vinyles et de CD. J’ai une grosse collection de CD parce que je suis un boulimique et que je chine beaucoup dans les vide-greniers… je me fais plaisir.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Question difficile ! Quelqu’un qui n’est pas mort trop jeune ou qui n’est pas encore mort (rires), la vie courte m’intéresse pas plus que ça… à la réflexion, j’aurais bien aimé avoir eu le parcours de Nino Ferrer. C’était un mec musicalement très fort, il avait une putain de gueule terrible et il a écrit des chansons extraordinaires. Je pense qu’il a eu une belle vie même si elle s’ést terminée de manière tragique. Donc, je me dis qu’avoir eu la gueule de Nino Ferrer et son talent, ça m’aurait bien plu.

Une dernière question à l’auteur de Football Football et à la star du football deux-sévrien. Qui va gagner l’Euro 2012 et pourquoi ?
Qui va gagner l’Euro 2012 ? Mais la France bien sûr ! Parce ce qu’on est les meilleurs, que personne nous attend et que pour l’instant on est une équipe de branques. Il va se passer quelque chose, on va surprendre tout le monde,  et donc on va gagner l’Euro !

La chronique de The Autobiography of Me too, c’est par là

Frank MARGERIN – Interview

On ne présente plus Frank Margerin. Pionnier de la BD Rock, à la grande époque de Métal Hurlant, le papa de la banane la plus profilée de l’histoire du Rock’n Roll, a fait de Lucien l’un des héros les plus célèbres de la Bande Dessinée. Musicien, motard, collectionneur de collections d’objet vintage dont il remplit inlassablement son atelier, le Rock lui colle à la peau et au crayon.

Q- Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Ce sont des médias jeunes. La bande dessinée est un peu plus vieille que le Rock mais a beaucoup évolué dans les années 1970. Moi, quand j’étais gamin, j’avais vingt ans le Rock et j’aimais la BD et nous étions, je pense, nombreux dans ce cas.
Maintenant, il n’y a pas de points communs directs puisqu’il s’agit de deux disciplines très différentes, d’un côté le dessin, de l’autre la musique, le rythme. Mais malgré ces différences, elles touchent les mêmes gens.

GUITARISTE A LA BANANE par Margerin

 

Q- Le rock est souvent traité de manière caricaturale ou parodique dans la BD, que ce soit dans les scénarios ou dans le graphisme. C’est un bon filon pour un auteur de BD humoristique ?
Le Rock pour moi, c’est une mine de gags. Tous les gens qui ont fait du rock ont des anecdotes à raconter. Ce sont souvent des galères, parce que c’est un métier, si on peut appeler ça un métier, dans lequel on a du mal à vivre confortablement avec beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Il y a des groupes effectivement qui sont de grosses locomotives, les Rolling Stones, les Beatles, etc. et puis derrière il y a des milliers de petits groupes qui rêvent de connaître le même destin et qui galèrent, qui jouent dans des salles pourries avec du matériel pourri et à qui il arrive des tas d’anecdotes. Pour moi qui fais de l’humour, c’était une source inépuisable. En plus, c’est quelque chose que j’ai approché, donc j’ai tout de suite vu qu’en effet c’était un bon filon.

Q- Existent-ils des groupes ou des artistes de rock qui ont pu avoir un impact sur ton travail ?
Les groupes de rock ne m’ont pas vraiment influencé dans mon travail. Je les appréciais, je pouvais ressentir plein de choses en écoutant leur musique mais dans la BD, ce sont plutôt des graphistes qui m’ont inspiré.

Q- Justement, en BD, quels sont les dessinateurs qui t’ont influencé ?
Quand j’étais gamin, je lisais des bandes dessinées qui n’étaient pas du tout Rock, comme Astérix, Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe, Lucky Luke… des choses très classiques, très franco-belges. Et puis la bande dessinée est devenue adulte en même temps que moi. Mes « aînés », des gens comme Gotlib, Moebius, Druillet… ont fait tomber des tabous. La BD a en quelque sorte explosé. J’ai aussi découvert à cette époque la bande dessinée underground américaine où là les mecs se lâchaient vraiment avec du sexe, de la drogue, des trucs qu’on ne pouvait pas imaginer voir en BD autrefois. C’est comme cela que j’ai découvert Crumb et Shelton qui m’ont marqué.
Désormais, on n’avait plus l’obligation de faire des aventures « grand public ». J’ai réalisé que la BD a ceci de génial, qu’elle ne demande pas des gros moyens techniques ou financiers pour débuter. Il suffit juste d’avoir le goût du dessin et de l’imagination et on peut raconter ce qu’on veut.
Sur le plan graphique, Franquin m’a beaucoup apporté avec sa richesse dans le dessin et dans le mouvement des personnages.
Et puis il y a Dubout qui était un illustrateur prodigieux. Enfant, j’adorais son travail, je voyais les affiches des films de Pagnol, il y avait du délire là-dedans. Et c’est peut-être grâce à lui que j’ai inséré tous ces petits détails dans mes dessins.

Q- Lucien, Ricky, Gillou et Riton apparaissent au début des années 1980. On est en pleine New Wave et à l’apogée du Punk. Or tes héros sont des fans de rock’n roll des années 1950. Pourquoi ce décalage temporel ?
En fait, quand Philippe Manoeuvre est arrivé à « Métal Hurlant », il a amené cette petite touche de rock qui a commencé à pointer dans ce magazine, au départ essentiellement orienté vers la science-fiction. Mais on était déjà dans la mouvance, ça commençait un peu à se profiler. Manœuvre a suggéré que l’on fasse un numéro spécial Rock (NDR : Métal Hurlant, Hors Série n° 39 bis, mars 1979) et c’est pour ce numéro que j’ai créé une bande de copains qui jouent du Rock. A l’époque, à la fin des années 1970, quand je pensais Rock, ça aurait pu m’évoquer Led Zep, Jimmy Page, le genre cheveux super longs… mais non, je voyais vraiment le début du Rock, les mecs avec la banane gominée, les rouflaquettes et tout ça et je me suis dit que j’allais faire une bande dessinée là-dessus. En plus, quelques années auparavant, on avait monté un groupe de Rock, avec des copains où l’on ne faisait que des reprises de vieux tubes Yé-Yé, des trucs du genre « Eddy, sois bon », « Dactylo Rock », les tubes des Chats Sauvages, Chaussettes Noires et compagnie.
J’ai donc créé cette histoire (NDR :« Les rois du Rock ») mais dans mon esprit, ce n’était qu’un One-Shot sur le thème du Rock, les personnages n’étaient pas censés revenir. Donc, j’ai fait ça très rétro, les personnages roulaient sur des cyclos-sports, genre Flandria et fréquentaient des troquets où il y avait des juke-box…
En fait, j’ai pris beaucoup de plaisir à créer ce récit, d’autant que c’était la première fois que je ne racontais pas une histoire qui n’était pas totalement inventée (auparavant, je faisais des parodies de science-fiction). Là, j’avais puisé dans mes souvenirs de répètes, avec les mecs qui montent le volume, etc. et j’ai eu un petit déclic. Je me suis aperçu que c’était vachement plus rigolo de raconter des trucs vécus que d’inventer des histoires improbables de Martiens. J’ai également eu un bon retour des potes qui avaient lu ma BD et que ça avait bien fait marrer. Tout ça m’a encouragé à continuer et petit à petit, Lucien s’est imposé.
Par la suite, je n’ai pas voulu rester coincé dans les années1960 et j’ai progressivement commencé à retirer du décor les vieilles voitures et les Teppaz et à faire des personnages un peu plus intemporels.

Q- Une des clés du succès de Lucien, hormis l’efficacité du graphisme et des gags, réside dans le fait que les personnages, malgré leur aspect caricatural, sonnent parfaitement juste. Quelles sont tes sources d’inspiration ?

BATTEUR ÉNERVÉ par Margerin

On ne peut parler bien que de ce que l’on connaît. Ce qui a fait le succès de Lucien, c’est que les héros se retrouvaient dans des situations tout à fait crédibles. Si je n’avais pas eu cette expérience avec « Los Crados », le groupe dans lequel je jouais aux Arts Appliqués, j’aurais peut-être eu une vue plus extérieure du Rock. Or ce qui est important pour moi, c’est de connaître vraiment les choses de l’intérieur. La plupart des histoires que j’ai racontées ont été plus ou moins vécues, soit personnellement, soit par des copains.

Q- Lucien s’est progressivement affirmé comme le personnage principal de ta bande de rockers. Qu’est-ce qu’il avait de plus que les autres ?
Tout simplement : la Banane ! (rires). Quand j’ai créé mes personnages, je les ai tous faits un peu typés, comme on fait souvent en BD. Lucien au départ, c’était un peu le petit gros de la bande, un personnage de second plan, le héros étant Ricky Banlieue. Je ne sais pas pourquoi je l’ai affublé de cette banane mais je me suis dit que cette coiffure était plus marrante que les autres. Lucien s’est donc tout simplement imposé par cette coiffure qui le rendait à la fois plus rigolo et plus rock’n roll que les autres personnages sans que je m’en rende compte tout de suite. Au bout de deux, trois histoires, je me suis aperçu qu’il avait pris la vedette, un peu à mon insu.

Q- Tu es aussi musicien. Tu aurais préféré être une rock-star qu’une star de la BD ?
Je suis devenu musicien par la suite. Je ne l’étais pas quand j’avais 20 ans et que j’ai commencé à réfléchir à ce que j’allais faire. Depuis que je suis tout petit, je n’arrête pas de dessiner, c’est une vraie passion, d’ailleurs dans ma famille, on est tous dans le dessin, la Fée du Dessin s’est penchée sur notre berceau. J’ai découvert la musique sur le tard. J’étais fasciné par les rock-stars mais je n’ai jamais pensé pouvoir en devenir une, j’étais trop timide. Alors que le dessin, c’est un truc d’intraverti, je restais chez moi, je n’arrêtais pas de dessiner et ça me convenait bien.
Après, la BD m’a amené à me retrouver sur une scène. Un jour, Philippe Manoeuvre a dit que ce serait bien de reformer le groupe des Arts Appliqués, « Los Crados »… ça a donné le « Denis Sire Quartet », puis on a monté un nouveau groupe, « Dennis’ Twist ». Mais ce sont des concours de circonstances qui ont fait que je me suis retrouvé à faire des disques, ce dont je ne m’imaginais pas capable.

Q- Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Roger Pougnard, un vrai rocker inconnu ! (rires). Non, quitte à se réincarner dans la peau d’une rock-star, autant prendre le top, comme Eddie Cochran, un de ces purs et durs restés mythiques car mort jeune et en pleine gloire. Sinon, dans un autre genre, David Bowie, qui était une véritable icône dans les années 1970. J’aurais aimé être un mec comme ça, quelqu’un qui sorte un peu du lot. Tout compte fait, un des quatre Beatles me conviendrait très bien. Ce que j’appréciais chez eux, c’étaient quatre stars, individuellement talentueux mais en plus drôles et sympathiques.

Q- Travailles-tu en musique ?
Oui, principalement. J’écoute pas mal la radio et puis j’ai des CD qui tournent sur ma chaîne toute la journée ou sur mon ordinateur. Par contre je ne suis pas fixé sur un style particulier. J’écoute de tout, souvent en lecture aléatoire, du Rock bien sûr, de la chanson française, du Blues, de la Soul, des musiques du Monde… J’aime bien la diversité.

Q- Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Un style de dessin, je ne pense pas. Des auteurs comme Serge Clerc, Tramber et Jano, Dodo et Ben Radis ont raconté des histoires de Rock mais chacun avec leur style, leur graphisme. Un esprit Rock, oui, même si ça reste difficile à définir. Il y a des jours où l’on peut se sentir Rock et d’autres non… Ca doit être dur d’assumer d’être Rock tout le temps. Certains peuvent donner cette impression mais si l’on débarque chez eux, on les surprend en charentaises… (rires).
Non, c’est juste un état d’esprit que l’on peut éventuellement exprimer à travers un look si on le ressent comme ça…

Q- Avec Dodo, Ben Radis, Tramber et Jano ou bien sûr Serge Clerc, tu es l’un des précurseurs de l’apparition du Rock dans la BD, à la grande époque de Métal Hurlant. Est-ce pour toi l’âge d’or de la BD Rock  et à titre personnel, tu en a gardé quoi ?

SAXOPHONISTE par Margerin

L’âge d’or ce serait prétentieux mais c’est vrai que nous étions un peu les précurseurs et on a touché les gens parce que c’était nouveau. A l’époque, on a marqué les esprits. On ne savait pas bien dessiner… souvent quand un truc est approximatif, on dit « c’est rock’n roll » et là, ça l’était un peu au niveau du graphisme.On s’est bonifiés par la suite, peut-être en perdant un peu ce côté rock’n roll mais en gagnant en qualité dans le dessin et en étant plus proche de ce qu’on aurait voulu faire à l’époque. Ce n’était pas très important car on ne m’a jamais fait de reproches à ce niveau-là… En revoyant mes premières BD, je me dis que les éditeurs étaient bien sympas de me publier car graphiquement, c’était plein de maladresses. Les jeunes dessinateurs maintenant sont beaucoup plus « techniques » et très performants graphiquement mais on essaie de les formater, ils travaillent à l’ordinateur, ils ont des styles qui ont tendance à se ressembler et puis on leur fait faire ce que les gens ont envie de lire et c’est un peu dommage.

Q- Justement, quel œil portes-tu sur le traitement du rock dans la BD aujourd’hui ?
J’adore ce que fait MO/CDM avec Gaël (« Les Blattes ») ou avec Julien/CDM (« Cosmik Roger »). On trouve cet esprit Rock chez pas mal d’auteurs mais des séries de BD purement Rock qui traitent des groupes, de leurs galères…il n’y en pas tant que ça. Je suis toujours heureux de lire des œuvres actuelles. Je trouve que la BD évolue bien. Le seul vrai problème, c’est qu’il y en a peut-être un peu trop et que le marché est saturé. Les lecteurs de BD ont parfois un rejet parce qu’on leur propose trop de choses et souvent les mêmes.

Q- Reverra-t-on encore Lucien dans d’autres aventures autour du Rock ?
Je continue Lucien mais je n’ai pas envie de refaire l’histoire du groupe. Je ne veux pas lasser en racontant la reformation du groupe de Lucien, les tournées, l’enregistrement de disques, etc… On peut imaginer que ça va bien marcher pour eux. Peut-être que par la suite, je reviendrai vers le rock’n roll mais pas pour l’instant.

Q- En paraphrasant Flaubert, peut-on dire « Lucien, c’est toi ? »
Il y a de plus en plus de moi dans Lucien. Ca ne l’était pas au début et puis petit à petit, je me suis projeté dans Lucien, plus dans certaines histoires, comme « Lulu s’maque » par exemple et moins dans d’autres. Par contre dans les deux derniers albums, Lucien a 50 ans, il a des enfants, là c’est quasiment du copier-coller dans certaines situations comme le conflit entre la Play Station et les devoirs à faire du gamin, la femme scotchée sur My Space ou Facebook, la fille qui écoute la musique à fond et qui t’envoie péter à la moindre réflexion…
Mais sinon, Lucien redevient Lucien avec ses copains, sa musique. Je crois que l’on est nombreux, à l’approche de la retraite, à avoir envie de revenir à nos premières émotions de jeunesse. Je pense qu’il y a beaucoup de lecteurs de « Lucien » qui ont passé la cinquantaine et se retrouvent de nouveau dans ce personnage avec peut-être la même envie de remonter un groupe. « Rock’n roll never die » comme on dit !

© Editions L’àpart 2011

Christopher – Interview

L’auteur de la magistrale tétralogie « Love Song » est, atavisme oblige, un brit-pop addict qui ne conçoit pas la BD sans musique. Pour lui le Rock et la BD vivent une relation parfaitement légitime et tout aussi excitante qu’un adultère en bonne et due forme.

 

L’adultère est le thème central de « Love Song ». Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Etait-ce celui qui te semblait le mieux s’accorder avec une « bande-son » Rock » ?
En fait, l’idée de départ était cette affirmation : la solitude de l’homme dans l’adultère. J’avais vraiment envie de délirer un peu sur ce sujet-là. Et d’un délire au début, c’est devenu quelque chose de beaucoup plus grave. Parler de quatre amis qui voulaient monter un groupe me permettait de jouer vraiment de cette amitié de groupe. Ayant grandi dans l’univers du Rock et de la musique, l’idée m’est alors venue de décliner ça sous une forme Rock, avec une bande-son qui agrémenterait la bande dessinée avec les titres d’un groupe dans chacun des épisodes. Dans le premier par exemple, on trouve dix ou onze chansons des Beatles. Ce qui permet d’avoir la parfaite bande originale pour accompagner la lecture.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Je crois que le principal point commun entre les deux, c’est le côté populaire. La bande dessinée reste encore un art vraiment populaire, comme le Rock. C’est peut-être la chose qui les rapproche le plus. Après, je ne vois pas d’autres similitudes car ce sont deux univers totalement différents, si ce n’est ce côté immédiat et généreux dans l’effort, dans lequel je me retrouve.

Duquel des quatre personnages de « Love Song » te sens-tu le plus proche ?
J’aurais tendance à dire tous et aucun, mon capitaine ! Chacun des personnages correspond à un trait de mon caractère. Je n’ai pas plus de sentiments ou de préférence pour l’un ou pour l’autre.

Le Rock, notamment au travers du groupe qu’ils ont fondé, constitue le trait d’union entre les quatre héros de « Love Song ». Le Rock apporte-t-il une dimension particulière à cette amitié et aurait-elle pu survivre sans lui ?
Je crois que la musique qui unit ces quatre potes au travers de leur groupe fait qu’ils ne se sont jamais quittés. Et ça, c’est vraiment quelque chose que je vis avec mes amis que je connais depuis le collège et le lycée à traLove Song ; Christopher © Le Lombard, 2006vers ce groupe qu’on avait formé à l’époque et qui fait qu’on est toujours là les uns pour les autres. Le groupe constitue une entité à part entière. Il y a la cellule familiale, la cellule professionnelle et il y a elle qui se crée autour du Rock puisqu’il y a une aspiration et un but communs avec ce groupe où l’on va chacun partager les mêmes émotions, les mêmes envies d’aller de l’avant.

Le Rock est un sujet qui dans la BD n’a commencé à faire l’objet d’un traitement plus dramatique (et plus seulement parodique, caricatural ou biographique) que très récemment. A quoi attribues-tu une évolution aussi tardive ?
Ce n’est pas forcément de la part des auteurs. Je me souviens par exemple de planches de Kent ou de Cornillon fin des années 70. Ce sont plutôt les éditeurs. Il fallait attendre que les jeunes amateurs prennent la direction de différentes maisons d’édition pour que l’on voit arriver des projets rock enfin signés. Ce qui fait que cette évolution s’est produite de façon un peu plus tardive. Le Rock est devenu plus grave à partir de 1968 et on en a vraiment pris conscience à la fin des années 70. Le temps que de nouveaux directeurs de collection prennent le pouvoir chez les éditeurs, cela fait à peu près vingt ans d’écart, ce qui est assez logique.

Quels sont, selon toi, le ou les auteurs(s) de Bande dessinée qui ont le mieux retranscrit l’esprit et la culture Rock ?
S’agissant de l’esprit Rock, Gilbert Shelton ou Peter Bagge sont bien dedans. Du côté franco-belge, je ne peux pas écarter Serge Clerc. Il y a également Kent. L’esprit Rock ne va pas forcément se retrouver dans le sujet qui va être développé par l’auteur mais plutôt dans la force de la narration. Un esprit un peu militant qu’on pourrait retrouver chez un Davodeau ou un Kris. Un Rock assez sensuel, assez fin chez Frederik Peeters, ou un peu fou, voire complètement barré avec des auteurs comme Gotlib ou Franquin et son Gaston.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Oui, il y aurait peut-être un style, avec au premier abord quelque chose d’assez noir, je pense à un Charles Burns ou un Munoz Sampayo. Maintenant, on peut trouver autant de folie Rock chez un Franquin ou un Peeters que dans un Jean-Claude Menu, un Killofer ou un Matt Konture.

Travailles-tu en musique ?
Je ne travaille jamais sans musique, elle est omniprésente. On en parlait une fois avec Clarke (NDR : auteur de « Mélusine » et « Mister President ») qui me disait que le matin, il démarrait plutôt avec une musique calme et en fin de journée, il était plutôt avec du Punk Rock pour finir sa planche. Il y a un peu de vrai là-dedans mais pour moi c’est vraiment en fonction de ce que j’ai envie d’écouter, entre musique d’ambiance, Punk ou Rock sixties ou seventies et pas en fonction de ce que je dessine.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Je n’ai pas vraiment d’idée bien arrêtée, je suis tellement éclectique dans mes goûts musicaux… Je pourrais être un Paul Mc Cartney en 1966 qui fait les vernissages d’expos, puis passer par Ian Curtis et revenir sur la scène Pop française. Il n’y a pas forcément un artiste précis. Ce seraient plutôt tout un univers ou des mouvements passionnants à explorer. Les sixties en Angleterre, la scène Punk dans les années 70 à Londres ou encore l’explosion musicale à Manchester dans les années 80 ou 90.

Le Rock et la Pop anglaise semblent occuper une place prépondérante dans tes références musicales. Qu’est-ce que les Anglais ont de plus que les Américains ?
Chez les Anglais, il y a cette culture où la musique Pop est vraiment ancrée dans la vie. On vit, on transpire Pop. Qu’on soit dans un supermarché, dans un ascenseur, les gens chantent, écoutent des musiques et ça c’est toujours quelque chose qui m’a plu. Je me souviens d’être allé en boîte de nuit à Manchester. On n’y est pas pour draguer comme en France mais pour danser sur de la musique, c’est un état d’esprit complètement différent qui fait que l’on se retrouve à chanter plus fort que le DJ sur certaines chansons. J’ai moins de références américaines parce que je connais moins les Etats-Unis où la musique est parfois plus dans une forme de militantisme, je pense à Dylan ou Springsteen, mais franchement je préfère le Rock anglais avec ce côté British qui résonne plus en moi, étant moi-même anglais.

Question rituelle à un fan de Rock anglais, tu es plutôt Beatles ou Rolling Stones ?
Je suis obligé de dire que je suis plutôt Beatles. J’ai grandi avec eux, c’est comme ça. Pour moi ce sont des albums somptueux, quasiment pas de déchets, cette musique-là me fait tripper, me fait sourire, me fait pleurer… Bon, les Rolling Stones, il y a des chefs-d’œuvre… mais ce ne sont pas les Beatles !

La chronique de Love Song, c’est par là