Bonus Track : Julien/Cdm

A propos de The Zumbies, 3 questions à JULIEN/CDM

Quelle est la formule satanique qui vous a permis à Lindingre et toi de faire revenir à la vie ces quatre décharnés Rock’n Roll ?
La formule satanique ? C’est Ramones meet Romero. Je jure que c’est comme ça que je l’ai présenté à Yan Lindingre à l’époque où j’en bavais sur le scénario et où je lui ai demandé s’il pouvait me donner un coup de main. Il m’a dit « C’est quoi le pitch ?» et je lui ai répondu ça. A partir de là, tout est possible. On a discuté un peu plus quand même, sur les développements, combien ils étaient… Le groupe, je l’avais déjà créé pour une série de tee-shirts pour une boîte qui s’appelle Goéland avec qui je bosse depuis des années. Je les ai donc trouvés visuellement tout seul et après j’ai eu envie des les faire vivre parce qu’ils m’éclataient. Mais j’en chiais avec le scénar, comme d’habitude. J’ai fait appel à Yan parce que je savais qu’on avait les mêmes centres d’intérêt culturellement, moi plutôt cinoche et lui un peu plus pointu que moi sur les Cramps, les Ramones, des trucs comme ça. On a confronté tout ça et c’est comme ça que c’est né, tout simplement.

Zumbie bassisteSi on écoute bien entre les cases, les Zumbies, ça sonne comme quoi ou comme qui ?
Les références, elles sont un peu dedans déjà. Ça peut être Link Wray, Hasil Adkins, les Cramps, du Punk anglais, un peu dandy parce qu’ils sont en costard… ça sonne sale, ça sonne Bayou, on est entre l’Angleterre et les Etats-Unis. C’est un gros mix de tout ça. Chaque musicien a sa petite danseuse musicale mais on est sur les Cramps essentiellement avec cette envie qu’ils avaient eux aussi de puiser dans un héritage musical qui allait du Blues au Surf, au Punk, à la musique de film… Le chanteur, Lux Interior, était un fou de cinoche de genre, de série B. On est assez fidèles à cet univers et musicalement ça sonne un peu comme ça.

Quelles sont les références cinématographiques ou graphiques qui inspirent plus particulièrement l’esthétique des Zumbies ?
Je suis dans la pire des positions pour répondre à cette question parce que c’est dur de dire soi-même à quoi on fait allusion tellement c’est intériorisé. Évidemment que par rapport à une série comme Cosmik Roger, changement de technique, changement de format. Moi mon truc, c’était de mettre plus de noir, de travailler plus au pinceau, avec un encrage plus à l’anglo-saxonne. Les références sont à prendre au second degré, sans se comparer du tout à eux, sur du Will Eisner, du Milton Caniff, avec des noirs et blancs beaucoup plus francs. Je voulais que les planches fonctionnent en noir et blanc sans qu’on ait besoin de mettre de couleur. La couleur, c’est une sorte de bichromie avec des trames, en référence au Pulp, aux trucs mal imprimés de la presse magazine en souple américaine, un papier un peu jaune… L’influence, elle est clairement plus anglo-saxonne, ne serait-ce que par les choix d’outils et de technique. Après, quand tu as ce type de références en tête, ça peut être totalement bloquant parce que c’est du lourd, c’est du génie et donc évidemment, tu fais ta sauce avec tes qualités et tes faiblesses. Il fallait trouver une sorte de classe, moins cartoon que dans Cosmik Roger, il y a moins de gros nez, on est plus sur du semi-réaliste avec une vraie ambiance, plus noire, plus obscure, tout en gardant des giclées délirantes en contrepoint.

Punk Rock & Mobile Homes

Dessins et textes : Derf BACKDERF

C’était dans une librairie du quartier Saint Michel, des lieux comme on en fait plus, où des piles de bouquins défient les lois de l’équilibre, où la largeur entre les rayonnages permet tout juste aux visiteurs de se mouvoir de profil en rentrant le ventre mais sans bomber le torse, surchargés pondéraux s’abstenir. Dès qu’on est plus de trois, c’est le carré magique, il faut qu’il y en ait un qui se déplace pour qu’un autre puisse bouger. Le regard se perd parmi ces milliers de livres qui semblent n’être là pour personne, juste pour combler l’espace.
« Est-ce que vous avez une BD sur le thème du Rock ? » finis-je par demander au maître des lieux, un type un peu taciturne qui me répond du tac au tac : « Du Rock ? J’ai pas grand chose… Attendez… Paaardon ». La maigre silhouette (bien obligé, c’est le patron) se faufile entre deux rayonnages, jette un bref coup d’œil au mur de bouquins sur la droite, avise une pile sur le sol, dont il soulève les vingt premières briques et extirpe une BD brochée format Comics. « Tenez, j’ai que ça, c’est en anglais… je l’ai rentré cette semaine.» Punk Rock Mobile Homes 1Je feuillette l’opus, le graphisme est surprenant, un noir et blanc peu académique, avec des décors, assez approximatifs et des tronches ultra caricaturales, ça ne ressemble à rien de ce que j’ai déjà vu. Du papier bas de gamme, des pages mal coupées, ça fait penser à un fanzine, mais les trognes sont marrantes et très expressives, ça fourmille de détails et surtout je repère les Ramones, les Clash et des scènes de pogos. Avec un dico, je devrais arriver à m’en sortir. « C’est combien ? demandai-je… Ah ouais quand même… et vous prenez pas la carte ? »
Je n’ai pas eu besoin de dico… ni pour savourer les dialogues de Punk Rock and Trailers Park (Mobile Homes in french) ni pour comprendre qu’il s’agissait là de l’une des meilleurs BD jamais réalisées sur le Rock. D’autant que ce récit publié en 2004 vient (enfin) d’être traduit en français. Akron, dans l’Ohio, compte à peine plus de 200 000 habitants, même pas la capitale de l’État. On y fabrique une grosse partie des pneus produits aux U.S.A. Pas de quoi rêver. Et pourtant, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, Akron abrita une salle de concert mythique nommée The Bank, un immeuble de brique rose de sept étages, assez cossu (destination originelle oblige). D’abord club de jazz, le patron réalisa que le Punk attirait bien plus de monde et assurait une chiffre d’affaires en bière autrement plus rémunérateur. Seul groupe vraiment connu originaire d’Akron, Devo fut parmi les premiers pensionnaires. Mais d’autres encore plus prestigieux allaient le suivre. The Clash, les Ramones, Ian Dury, les Plasmatics, Klaus Nomi… Pendant une poignée d’années, The Bank sera l’une des places to be de la scène Punk. Derf fait revivre cette époque glorieuse, sans nostalgie niaiseuse, à travers une fiction qui fleure bon le Teen Spirit. Et pour l’occasion crée un de ces personnages improbables et hauts en couleurs, comme seule l’imagerie rock’n roll est capable d’en produire.
Otto est un grand binoclard qui se fait appeler le Baron. Un mec hors norme qui glandouille au lycée et habite avec son oncle dans une caravane. Il conduit une vieille Ford Cougar de 1968, au plancher défoncé et au volant minuscule. Ses double-foyers, ses rouflaquettes et son inamovible sourire le distinguent immédiatement du reste de ses congénères. Otto est un proto geek d’avant les jeux vidéos, amateur de SF et de Fantasy (il cite Tolkien à tout bout de champ), un weirdo qui enregistre ses pets et même s’il joue du trombone dans la fanfare du Lycée, c’est un grand fan de Punk. Et comme il est fort bien doté de cette dose d’inconscience et d’anormalité que possèdent tous ceux qui vivent dans leur monde sans se soucier de ce que pensent les autres, il ne se laisse jamais démonter, sauf peut-être quand la belle et inaccessible Teri daigne lui adresser la parole.
Punk Rock Mobile Homes 2Otto découvre The Bank et ne va pas tarder à en devenir la figure de proue, le factotum qui sert les bières au bar et assure l’intendance des groupes invités. Ce qui donne lieu à des scènes d’anthologie, comme une dégustation de burgers avec les Ramones ou une partie de bowling avec les Clash et Lester Bangs, le célèbre journaliste Rock. L’auteur en profite pour égratigner au passage le Hard Rock FM qui régnait alors sur les ondes et dans les stades tandis que les icônes Punk écumaient des clubs tels que The Bank. Mais aujourd’hui, qui connaît encore Journey ?
Fort logiquement, la personnalité du Baron va le conduire à monter à son tour sur les planches en devenant le chanteur d’un groupe local, histoire d’alimenter sa légende.
Hormis le Baron, Derf met également en scène de nombreux personnages secondaires qui renforcent l’originalité et l’humour déjanté du livre, comme cette catho militante et nymphomane (et enceinte !) ou cet oncle alcoolique qui ne se déplace qu’en motoculteur.
Le Sexe et le Rock occupent une place centrale (pas besoin de drogue, le Baron étant suffisamment allumé comme ça) de ce récit dense et drolatique. Backderf décline en BD l’idéal du Do It Yourself, en créant son propre univers graphique, libéré des codes et évoque de la meilleure façon qui soit la grande et météorique époque du Punk et de quelques-uns de ses groupes culte mais aussi le rêve adolescent, pas forcément incompatible avec le grand rêve américain. Si je devais conseiller un livre pour expliquer aux non initiés ce qui peut bien pousser des adolescents à se jeter à corps perdus dans le binaire primaire et quelle satisfaction ils peuvent trouver à s’empoigner comme des barjots pendant les concerts, Punk Rock & Mobile Homes me semblerait la meilleure référence car Backderf excelle à restituer la frénésie collective du public Punk galvanisé par l’énergie des groupes sur scène. C’est avec un brin de mélancolie qu’on laissera le Baron, tel un cow-boy solitaire, partir vers son sublime destin au volant de sa caisse pourrie… ah merde, je viens de raconter la fin ! Punk’s not dead, for sure !

Bonus Track : 3 questions à Derf BACKDERF

Punk Rock Jesus

Dessins et scénario : Sean MURPHY

Dans le registre du « Plus, c’est gros, mieux ça passe », les Amerloques sont les rois (oui, bon les Japonais sont pas mal non plus). Certes, il faut adhérer au postulat de départ, mais si c’est le cas, c’est foutu, impossible de décrocher. Prenez les Super Héros, tous ces types qui grimpent sur les murs ou dégomment des buildings d’une pichenette, si on prend juste deux secondes de recul, c’est franchement n’importe quoi. N’empêche, ça fait plus de soixante-dix ans que ça dure. Au demeurant, ceux qui font vivre ces beaux messieurs et ces charmantes demoiselles dans leur combinaison moulante sont souvent des artistes accomplis, Stan Lee, Jack Kirby, John Buscema, Frank Miller ou Bill Sienkiewicz (par ailleurs, dessinateur du sompteux Jimi Hendrix, la légende du Voodoo Child) qui ont donné au genre ses lettres de noblesse.
Punk Rock Jesus 1Et puis il y a bien longtemps que les Comics ne se limitent plus à des mecs qui combattent le mal avec le slip au dessus du collant en affrontant des méchants verdâtres lookés comme des gargouilles. Des auteurs comme Will Eisner, Robert Crumb, Joe Sacco ou Art Spiegelman illustrent toute la diversité de la BD américaine à l’instar de sa cousine francophone. Harvey Kurtzman, fondateur du magazine MAD, a d’ailleurs largement influencé des auteurs comme Gotlib et donc indirectement la BD Rock en France. Tout comme de ce côté-ci de l’Atlantique, le roman graphique a également pris son essor grâce à des auteurs comme Craig Thompson, Charles Burns ou Alex Robinson, pondant des œuvres aussi originales que personnelles.
Sean Murphy, dans Punk Rock Jesus s’inscrit dans cette veine tout en adoptant un postulat dont l’énormité ne déparerait pourtant pas dans un bon vieux récit de Super Héros. A savoir créer un clone de Jésus à partir de traces d’ADN prélevées sur le Saint Suaire. Non, sérieux, c’est quoi cette connerie, Sean ? (pardon, c’était plus fort que moi). C’est pas un peu too much, là ?
Bon, d’accord, rien que pour le titre et la couverture, validons le postulat et laissons nous embarquer pour quelques 224 pages d’une intrigue foisonnante.
Or donc, cette réplique du Christ, fécondé in vitro devient dès sa naissance le héros d’une émission de télé-réalité, filmé 24 heures sur 24 dans une luxueuse et gigantesque propriété high-tech, gardée comme une forteresse. Tout baigne, l’audience grimpe, entre passion malsaine et réaction exacerbée de l’Amérique conservatrice. Tout ça ne pouvait que mal tourner, ou plutôt, très bien, du point de vue des fans de binaire primaire, car ce petit Jésus, Chris pour les intimes, va s’affranchir de ses leçons holographiques de catéchismPunk Rock Jesus 2e à l’eau de rose pour devenir, au détour de l’adolescence, une icône Punk avec son groupe, les « Flak Jackets ». Réjouissante évolution et jouissive révolution au travers de laquelle Murphy donne sa version irrévérencieuse de quelques thèmes identitaires des U.S.A. : Religion, violence ou pouvoir exorbitant des médias. Outre Chris, prophète d’un athéisme militant, cette évangile Rock égratigne une autre figure emblématique du Christianisme, la vierge Marie, ici prénommée Gwen, pauvre fille fragile qui ne tarde pas à sombrer dans la drogue et la dépression.
S’ajoutent à cette galerie de portraits une scientifique écolo, une virago chrétienne intégriste, chef de la N.A.C. (Nouvelle Amérique Chrétienne) et un producteur cupide et sans scrupules. Mais le personnage secondaire le plus fascinant est sans conteste Thomas, colossal garde du corps, ex-terroriste repenti de l’I.R.A., père de substitution de Chris… et fan des grands groupes du Punk britannique, Sex Pistols, Clash et bien sûr les Nord-Irlandais Stiff Little Fingers.
Tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail que le dessin fait exploser avec une précision chirurgicale et une densité impressionnante, notamment dans des scènes d’action d’une efficacité bluffante. Certaines planches offrent une telle profusion de détails qu’on hésiterait presque à s’y plonger. Pour apprécier pleinement un tel récit, mieux vaut donc s’y lancer à fond, sans avoir peur d’être ballotté, voire franchement bousculé, comme dans un pogo furieux. Dessin époustouflant, scénario captivant, rythme trépidant, Punk Rock Jesus est une œuvre majeure de la BD Rock tant par sa virtuosité graphique que par son approche résolument moderne et iconoclaste.

The Joke

Dessins et textes : LUZ

C’est dur d’être fan du meilleur groupe de Rock du monde, spécialement quand on est l’un des rares à en être vraiment convaincu, et encore plus quand il s’agit de The Fall. Un groupe dont la notoriété se limite à un petit cercle d’initiés mais qui compte quand même à son actif une trentaine d’albums, figure dans la bande originale de quelques films (dont Le Silence des agneaux) et peut donc revendiquer sans problème le statut de groupe culte.
The Fall est un groupe de Manchester, fondé en plein vague punk par un certain Mark E. Smith, un mec hors normes, intransigeant, déjanté, misanthrope, en résumé, soit un allumé génial, soit un connard de première.
Luz, qui est un fin connaisseur du binaire primaire et possède en outre l’indéniable qualité de ne pas aimer la chanson française, a opté pour la première option sans pour autant écarter définitivement la seconde.
The Joke commence par présenter les étapes essentielles de l’épopée punk, post-punk, kraut-punk, etc. de The Fall. Juste de quoi permettre au lecteur de savoir en gros de quoi il retourne. Pour le reste, il s’attaque avec une délectation ostentatoire et sado-masochiste au personnage de Mark E. Smith, ses travers, ses addictions, bref ses traits les plus marquants, à commencer par une improbable voix de canard ainsi qu’un sale caractère confinant au despotisme qui a fini par faire de lui le seul survivant de la formation originale de The Fall en même temps que son âme (damnée).
Tout cela donne prétexte à des gags iconoclastes et de joyeuses caricatures (Mark E. Smith est impayable en Canardo destroy). Mais derrière l’ironie mordante et sans concession (une caractéristique du travail de Luz) pointe l’admiration idolâtre. Qui aime bien chambre bien est le credo de The Joke.
Initialement paru en 2003, Les Requins Marteaux rééditent The Joke aujourd’hui, dix ans après, dans une version augmentée d’un épilogue de quinze pages que Luz a créé à l’occasion de la sortie du nouvel album de The Fall, « Re-Mit ». Selon les spécialistes, cet opus s’avère assez décevant. C’est peut-être ce qui a poussé Luz à imaginer une rencontre mystico-numérique avec le Mister Smith, dont l’issue délirante apporte la touche finale qui s’imposait pour parachever cet autoportrait de fan hardcore.
Ah, au fait, pourquoi The Joke ? Certes, on pourrait croire qu’il résume à lui seul la carrière de The Fall mais l’explication officielle est toute autre. Pour la connaître, ben, lisez le bouquin.

La véritable histoire de Beethoven

Dessins et textes : LAURENT-EX-LAURENT

Au milieu des années 1980, ça s’est mis à exploser de partout en France. Dix ans après qu’une poignée de groupes ait commencé à sortir le Rock de son ghetto, quand Téléphone lorgnait vers les sommets du hit-parade après avoir appris par cœur tous les plans des Stones ou quand Guy Lux a programmé Trust à la télé. Sans oublier pour la caution intellectuelle ou branchouille chère à nos journaleux hexagonaux, des Marquis de Sade, des Bijou et des Starshooter. Reste que cela constituait une caste fort restreinte bénéficiant du rare privilège d’exister sur disque et de faire une « carrière ».
Et puis quasiment du jour au lendemain, le Rock « alternatif » a déboulé, suivant de peu d’ailleurs l’intrusion du Rock dans la BD. Les maxi singles, rapidement suivis d’albums brulots, urgents et immédiats ont débarqué dans les bacs des disquaires (oui, en ce temps là, il existait des magasins qui ne vendaient QUE des disques) et partout dans l’hexagone, dans des salles plus ou moins grosses, avec un son plus ou moins pourri mais avec une pêche et une fraîcheur qu’on n’espérait plus, nous les fans condamnés à voir nos équipes stagner en seconde division, on a vu des groupes capables de faire un truc qui saBeethoven 1ns réinventer le machin, sonnait comme une ébauche de ce qu’on pouvait enfin désigner sans rigoler comme une scène Rock française, qui a même commencé à attirer l’attention des Anglo-saxons sans chercher à les copier et sans l’aide de la télévision et des radios (ça fait rêver, hein, Johnny ?).
L’éclosion de labels indépendants a en grande partie contribué au mouvement et permis à des groupes encore balbutiants de découvrir les joies et les affres du studio. Le niveau artistique de ces jeunes fous ne leur permettaient souvent guère plus que de faire du Punk, tout du moins à leurs débuts, et tant mieux car cela permettait, même avec une dizaine d’années de retard, de vivre de ce côté-ci de la Manche, l’effervescence d’un renouveau du Rock qui en ce qui nous concerne s’apparentait plutôt à une Nativité électrique, braillarde et incontrôlée.
Avec le recul, ressortaient dans cette scène protéiforme deux mouvances principales, même si la frontière n’était pas étanche, qui ont fourni l’essentiel de ses fleurons : Une frange adepte d’un Rock radical et contestataire, anarchiste et libertaire, et une autre composée de joyeux huluberlus, dont le seul message était de marier franche déconne et électricité. Avec comme groupes phares, d’un côté, Bérurier Noir et de l’autre Ludwig Von 88… Les Bérus et les Ludwigs pour les intimes connaisseurs.
Alors voilà, comme dirait le grand Serge, la véritable histoire de Beethoven, narrée par l’un de ses protagonistes, Laurent Manet, le bassiste. Et parce que ces joyeux Keupons, il fallait surtout les voir pour y croire, c’est en images qu’il a décrit l’épopée des premières années, de la naissance en banlieue parisienne jusqu’à la consécration… du deuxième album.
Avec un vrai talent de conteur, Laurent fait revivre cette saga, de l’inévitable rencontre au bahut, en passant par les répètes dans un local pas bien isolé au goût du voisin, les premiers concerts foireux dans des rades crasseux, les road-trips épiques dans une une Citroën LN même pas tunée, les laborieuses séances d’enregistrement studio… et puis, malgré l’amateurisme musical et grâce à une créativité foisonnante et quelques vide-greniers, la construction d’une vraie identité et le chemin vicinal vers la gloire internationale. Bon, pour l’International, c’était surtout en Espagne à l’heure de l’apéro et des tapas.
Bourré d’anecdotes, de clins d’œil, pétillant d’humour et d’auto-dérision ce roman-photo est hautement évocateur de l’esprit Ludwig Von 88 et plus généralement celui du Rock alternatif. L’objet graphique est bien représentatif de ce qu’étaient les Ludwigs, un truc sans prétentions avec un dessin d’amateur genre gros nez, cantonné à des personnages plaqués sur des photos noir et blanc en guise de décors. Minimaliste, astucieux mais efficace, qui vous immerge dans une vraie histoire, comme une grosse blague qui vous fait marrer mais que vous n’oublierez pas et que vous serez fiers de ressortir à vos potes. Les disques et les concerts des Ludwigs mariaient Punk et clowneries avec efficacité et laissent aujourd’hui un souvenir impérissable et une jubilation intacte.
Laurent a quitté les Ludwig au faite de leur notoriété… en 1988. Le Rock alternatif a quant à lui commencé à s’évaporer au détour des années 1990, de guerre lasse (comme ce fut le cas pour les Bérus, malgré plus de 250 000 disques vendus) ou pour certains d’entre eux après une signature dans une grosse maison de disques qui a un peu retardé l’échéance. En attendant, ils nous auront bien fait profité de notre folle jeunesse et accessoirement largement contribué à décomplexer le Rock français. Merci à eux.

Woodstock

Dessins et textes : Yukai ASADA

Ah ben y’avait longtemps. Un nouveau Manga Rock, avec un titre qui annonce d’emblée que l’on va faire dans le vintage et l’évocation révérencieuse (sont très forts pour ça les Nippons, le respect des traditions ancestrales, tout ça…) de la glorieuse époque des Sixties.
Même si le festival mythique de 1969 est évoqué au début, c’est avant tout de Punk et de ses icônes dont il est question ici. Gaku, le héros, est en effet un fan inconditionnel des Clash, Sex Pistols ou de Johnny Thunders, ce qui est déjà un poil plus original.
Jeune compositeur inspiré, excellent guitariste, Gaku fait le Buzz sur le Net avec son groupe, Charlie, dont il est le seul et unique membre (Tiens, ça me rappelle une de mes récentes chroniques, Cyril, si tu nous écoutes…). WoodstockEt bien sûr, le petit prodige, mignon tout plein, est un grand timide, surtout quand il est face à Shiina, belle batteuse de son état qui ne va pas tarder à percer le secret de ce jeune livreur qui ose à peine lui adresser la parole. Et dès lors, la demoiselle essaie de lui mettre le grappin dessus, musicalement du moins, dans un premier temps. Gaku fait aussi la connaissance de Machida, un nouveau collègue de boulot qui a lâché son groupe après avoir écouté un des morceaux de Charlie. Sauf que la timidité quasi maladive de Gaku ne simplifie pas les choses et qu’il est encore incapable de franchir le cap qui lui permettrait de fonder son groupe.
Refermé ce premier tome, une première remarque s’impose. Woodstock est bien parti pour faire une bonne histoire. Il possède tous les ingrédients qui font l’essence d’un bon Manga dont l’on ne se lassera pas, même après une vingtaine de tomes, avec des personnages attachants et bien typés, servi par un graphisme élégant, des rebondissements en pagaille, un peu de Pathos et en ce qui concerne le Rock, un petit côté didactique qui donnera aux jeunes mécréants un vernis de culture Rock de base et même un peu plus (le Woodstock japonais, vous connaissiez?) ainsi que peut-être l’envie d’en connaître plus sur le sujet et d’aller jeter un coup d’oeil dans la discothèque de leurs ancêtres.
Petit bémol cependant, qui pourrait en devenir un gros pour certains, c’est que Woodstock arrive un peu après la bataille, celle déjà menée par Beck, Fool on The Rock ou Bremen. Le jeune Zicos complexé qui rêve de venir une Rockstar, la love-story platonique, le line-up du groupe dont la finalisation va encore prendre des milliers de pages… Perso, j’ai déjà donné et j’ai envie de passer à autre chose. Cela dit, je ne peux déconseiller d’aller y faire un tour, avec le risque de tomber dans l’addiction que déclenche souvent ce genre de récit. En ce qui me concerne, j’attends le prochain Manga qui renouvellera vraiment le truc (paradoxalement, c’est justement dans Woodstock, l’une des principales qualités reconnues à Charlie par ses fans)… un nouveau Debaser ou Detroit Metal City, si vous voyez ce que je veux dire.

La grande escroquerie

Dessins : Christophe QUET – Textes : Fred DUVAL

L’histoire du Rock est émaillée d’instants décisifs, fondateurs, comme autant de repères qui balisent la voie. Une ribambelle de disques cultes que l’on s’accorde à qualifier de chefs-d’œuvre. Quelques concerts légendaires dans des salles mythiques. Et bien sûr une flopée de demi-dieux fauchés en plein jeunesse, camés ou alcoolisés jusqu’à la moelle et assurés du même coup d’une place de choix au Panthéon du binaire primaire.
Et puis, il y a toutes ces anecdotes dont beaucoup ont été consignées dans des rapports de police, souvent dérisoires, parfois ridicules qui, mis bout à bout, ont fait la petite histoire et ont créé l’imagerie du Rock et sans lesquels il faut avouer que celui-ci perdrait beaucoup de son charme.
Grande escroquerieDans le grand livre des faits-divers du Rock, il en est un qui remplit à lui seul l’intégralité du cahier des charges : la sortie du single God Save the Queen, des Sex Pistols,  en plein jubilé des 25 ans du règne d’Elisabeth II, offrant le prétexte à un concert privé sur une péniche, au beau milieu de la Tamise et devant le Parlement britannique. Le gig s’est soldé par une descente de police et les réactions d’une presse horrifiée dont les chroniques le lendemain ont définitivement gravé dans le marbre la réputation de ces punks dégénérés et antisociaux (qui n’en ont pas pour autant perdu leur sang-froid sur ce coup-là).
Après ça, tout était dit et les Sex Pistols ayant mis la barre sacrément haut, niveau esprit rebelle et provocateur, l’idéal punk avait désormais sa charte de déontologie et il faut bien avouer que l’on n’a guère eu depuis de répliques très marquantes de ce tremblement de terre londonien de juin 1977.
Il y avait déjà là matière à un récit assez palpitant, rien que pour narrer ce morceau de bravoure rock’n rollesque mais Fred Duval, éminent scénariste d’excellentes séries de science-fiction (Carmen Mc Callum, Travis…) s’est amusé à en faire le décor et le postulat d’un ambitieux récit de polar. Pour la faire courte, c’est à l’occasion de ce concert des Sex Pistols que va avoir lieu le plus gros deal de l’histoire des Stups, avec rien moins que le stock de dope de la fameuse French Connection.Une histoire qui sent la poudre autant que la colle et qui met en scène son lot de caïds de la pègre, malfrats cyniques et sans morale, de junkies et de flics dépassés par les évènements et toute une cohorte de punks dont pour certains, la violence n’est pas seulement simulée lors de festifs pogos.
L’atmosphère de ce Spitting London de la fin des années 1970 est bien restituée ; quartiers populaires cradingues, tronches de prolos mal dégrossis et looks iconoclastes des Punks, grâce au dessin réaliste et sobre de Christophe Quet, rehaussé d’une mise en couleur ce qu’il faut de trashy pour évoquer le No Future de cette Angleterre en plein marasme économique, rongée par le chômage, les affrontements sociaux, le Rock rageur et désabusé des Sex Pistols en constituant la bande-son idéale.
Grande escroquerie 2S’agissant du Rock, les auteurs ont bossé le sujet. Biographies et documentaires tels ceux de Julian Temple, The Filth and  the Fury et  The Great Rock’n Roll Swindle (soit La grande escroquerie du Rock’n Roll... y’a pas de hasard) qui permettent de retracer fidèlement le concert fluvial des Sex Pistols, péniche, tenue de scène et coups de pieds dans les bollocks (pas si « never mind » que ça, en l’occurrence!). La révolution culturelle apportée par les poulains de Malcom Mc Larren est évoquée avec beaucoup de crédibilité, tant sur le plan musical (le tee-shirt « I Hate Pink Floyd », arboré dès les premières pages par un Punk* illustre sommairement le débat) que générationnel (le conflit entre le père flic et son rejeton punk qui est l’un des ressorts de l’histoire). Le doigt d’honneur de Rotten résume à lui seul toute la problématique de l’époque.
Reste l’intrigue policière. Là, j’avoue que j’ai moins accroché. Non qu’elle ne soit plausible et bien ficelée (dans le registre, on a bien vu bien plus délirant) et l’idée de croiser Rock et Polar était aussi astucieuse qu’originale. Mais cela aurait sans doute mérité un peu plus de développements pour l’exploiter pleinement, faire monter la tension et éviter un épilogue un poil lapidaire. En même temps, on ne pourra pas reprocher aux auteurs d’avoir traîné en longueur. On parle de Punk, là, pas de Rock progressif !

* En réalité, c’est Johnny Rotten qui s’était confectionné ce tee-shirt.

Rock’n’Vrac

Dessins : Michel JANVIER – Textes : MAGIK TEAM

Le Rock, c’est à la fois une chose extrêmement sérieuse et l’une des plus grosses fumisteries du monde civilisé (et sa dernière aventure, selon OTH). Si les différents genres musicaux ont tous leurs héros, leurs légendes, leurs splendeurs, leurs excès et véhiculent leur lot de codes et de clichés, le Rock en est certainement le pourvoyeur le plus généreux. C’est sans doute lié à son caractère protéiforme et aussi à sa dimension populaire. En tout cas, il est une source inépuisable pour tout auteur en mal d’inspiration, quel que soit le registre. Et si c’est un humoriste, il lui suffit de piocher dans le catalogue pour y trouver matière à caricatures, gags et autres parodies.
Rockn Vrac 1Reste à avoir du talent, et sur ce plan, avec Michel Janvier, pas d’inquiétude. Car nous avons là l’un des héritiers de cette veine graphique de la BD d’humour franco-belge, alliant maîtrise, précision et expressivité. Un dessin classique, au sens noble du terme qui peut servir tout propos et avec lequel l’intéressé a pu ainsi passer sans sourciller de Rantanplan et Lucky Luke à Rob, Wed & C°, une bande de hardos en culottes courtes, aussi connus sous le nom de Musicos.
Car Michel Janvier, s’il est devenu un spécialiste de « Hound Dog », tant il est vrai, comme le clamait Elvis, que Rantanplan n’a jamais attrapé de lapin, est aussi et surtout un vrai connaisseur de de la cause électrique, de ses racines blues à ses rejetons les plus saturés et les plus radicaux. Ce n’est pas pour rien qu’il est devenu un habitué du Hellfest (vous savez, ce rassemblement annuel de chevelus décérébrés qui, selon certaine politicarde récemment lacrymogénisée, rêvent tous de sataniser la jeunesse afin de l’inciter à brûler des églises, tout en buvant de la bière au litre). Il y vient chaque année faire écho avec ses dessins aux riffs furieux des groupes de Métal (et vice-versa).
Rien de plus normal de le voir ainsi, dans Rock’n’Vrac, nous gratifier d’un petit tour d’horizon de quelques grands thèmes du binaire parfois franchement primaire dont il s’est amusé à détourner les clichés et moquer les figures de prout (désolé, ça m’a échappé). Blues, Rock’n Roll, Hard Rock, Punk, Reggae et l’éternelle aporie (redésolé, ça m’a encore échappé) du Rock français… avec en prime la réRockn Vrac 2ponse à quelques question métaphysiques, du genre : Le Rock est-il animal ou permet-il de conserver la jeunesse ? Pour ce faire, il a convoqué sur les planches toute une flopée de compères sévissant déjà pour la plupart dans le registre de la BD d’humour afin de lui concocter tous ces scénars iconoclastes. Le tout sur un ton potache, et une mise en images où s’exprime pleinement l’efficacité de son trait.
Un florilège qui s’adresse autant aux amateurs qu’aux béotiens et une petite anthologie d’humour Rock où l’on retrouve la tradition franco-belge citée plus haut mais à la sauce rock’n roll, ce qui crée un décalage plutôt savoureux… un peu comme si Lucky Luke avait troqué son colt et Jolly Jumper contre une Les Paul et un Marshall.

Bonus Track : Richard Di Martino

A propos de Eddy l’Angoisse, 3 question à Richard DI MARTINO

Eddy l’Angoisse est une fiction, pourtant on a l’impression de lire le biopic d’un de ces groupes « indépendants » reconnus par le milieu Rock mais méconnus du grand public. De quoi t’es-tu inspiré pour bâtir ton récit ?
De plein de choses, de mes expériences persos vécues au travers de mes groupes puisque j’ai moi-même pas mal joué (Métal et Rock) à la fin des années 1980 et début 1990, mais aussi d’anecdotes glanées à droite et à gauche dans le milieu de la musique. La musique est un des éléments les plus importants dans ma vie, avec la BD. Je voulais vivre de l’un ou de l’autre, ça a été la bd, j’ai donc rendu hommage à la musique à travers ce livre.

Grunt, c’est un nom de groupe qui évoque d’emblée un Rock bien saturé. Si on pouvait l’écouter, il sonnerait comme quoi… ou comme qui ?
Une sorte de Nirvana/Foo Fighter/Weezer/PearlJam/Noir Désir… Je ne sais pas trop en fait, quelque chose qui se situerait entre gros Rock qui déboite et Métal… ce que j’aime en fait. Ce qui est marrant, c’est que j’ai eu une fois un rappeur en dédicace qui m’a dit avoir adoré « Eddy » car il se retrouvait complètement dedans, le côté vécu des galères inhérentes à se produire et à exister en tant que musicos. On peut donc y entendre ce qu’on veut…

Penses-tu que l’on pourrait faire un parallèle entre la condition du Rock et celle de la BD en France ?
Complètement, j’ai pas mal d’amis musicos qui en bavent aussi pour survivre avec des p’tits boulots à côté, de type technicien son, lumière, voire même tout autre chose. Dans la BD c’est pareil : à moins d’avoir fait un best-seller, tu dois trouver des petits plans Comm ou Presse, animer des ateliers avec des enfants, vendre des originaux, etc, pour arrondir les fin de mois, sinon c’est dur dur de vivre avec si peu.
En plus en BD on n’a pas droit à l’intermittence, pas de chômage, rien ; Donc, quand t’as pas de contrat, bin, t’as intérêt a vite rebondir.

Ketchup Boy

Dessins : Guillaume BERTELOOT – Textes : Gilles POUSSIN

L’une des figures de proue dans la galerie de portraits des héros Rock, c’est bien sûr l’adolescent rebelle, en révolte contre ce qu’il croit être le système, les parents, les profs… en gros les adultes. Un anarchiste en herbe qui cache derrière son attitude provocatrice, une soif inextinguible de reconnaissance.
Servi par un graphisme réaliste et assez classique, peu utilisé dans la BD Rock jusqu’alors, Ketchup Boy raconte le destin d’un de ces personnages emblématiques du Rock avec une empathie qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’une biographie.
Le livre recrée l’atmosphère de la fin des années 1970 dans la France profonde même si l’on pourrait regretter de ne pas y voir évoqués le phénomène Disco et aussi le Hard Rock en pleine émergence (Hard-Rock et Punk/New Wave divisaient âprement les critiques Rock dans les colonnes de Best et Rock & Folk ).
A cette époque, dans un lycée de province (fusse dans une grande ville de province comme Nantes), être un fan de Punk n’avait rien d’évident. Le genre était récent et n’avait que peu de représentants dans la scène française (« Starshooter » et « Bijou » entre autres). Son imagerie déjantée, iconoclaste (qui venait de fait réveiller l’esprit rock’n roll) et, du moins au début, très approximative sur le plan musical, se heurtait aux vielles valeurs bien installées d’un Rock devenu emphatique et mercantile.
Le Punk, Lucien (tiens, tiens…) Bastardi (un vrai patronyme rock’n roll !) veut le jouer, quoi qu’il en coûte et il est prêt pour cela à tous efforts (des innombrables heures d’apprentissage et de pratique de sa basse) les sacrifices et aussi toutes les trahisons. Son rêve, il va le réaliser mais devra en payer le prix.
Même si l’enthousiasme et l’optimisme animent le parcours de Ketchup Boy, le récit n’est pas idéaliste pour autant et met en avant les aspects négatifs de l’existence d’un musicien de Rock. Lucien est un jouisseur qui réserve sa fidélité à la musique et surtout pas aux filles, même celle pour laquelle il éprouve de vrais sentiments. C’est un aussi un sacré chercheur d’embrouilles et peu importe si ce n’est pas un as de la baston. Évidemment, il ne rate pas non plus une occasion de se bourrer la gueule et n’est pas le dernier pour les pétards même s’il est clairement opposé aux drogues dures, ce qui n’est pas le cas de tous les membres de Kamikaz Zone, son deuxième groupe. Ketchup Boy ; Berteloot - Poussin © Librairie L’Atalante, 2008Malgré ses défauts et les erreurs de parcours, Ketchup Boy
s’accroche à son rêve et ne dérive pas de son objectif de devenir un vrai musicien de Rock.
Avec le groupe suivant, Plexiglass, Lucien décrochera un disque d’or mais sa personnalité trop intransigeante se retournera une fois de plus contre lui.
Le destin de Ketchup Boy évoque avec justesse ces musiciens et ces groupes qui ont affronté tous les écueils sur la voie du Rock, surtout en France et encore plus à cette époque, et ont réussi malgré tout à faire tant bien que mal, ce qu’il convient d’appeler une carrière, si éphémère fut elle.

Bonus Track : 3 questions à Gilles Poussin

Bonus Track : Benoît Barale

A propos des Identités Remarquables, 3 questions à Benoît BARALE

Le récit nous replonge dans la France des années 1980, époque musicale mitigée entre la variété la plus daubesque et le Rock alternatif. Pourquoi avoir choisi cette période ?
Je suis né en 1971, j’ai donc passé toute mon adolescence dans les années 80. J’ai beaucoup de souvenirs de cette époque, c’est forcément dans ces années que s’est forgé l’essentiel de mes goûts musicaux, et ça faisait très longtemps que je voulais aborder tous ces thèmes autrement que sous un angle autobiographique. J’ai volontairement situé l’action en 1989. C’est une année charnière, je pense, outre le changement de décennie qui s’annonçait. La Mano avait signé chez Virgin, les Béru raccrochaient après leur baroud d’honneur à l’Olympia, on assistait à la fin de l’utopie du Rock alternatif. Tous les grands mouvements des 80’s, la Noisy Pop, la Cold Wave, le Heavy Metal se délitaient. A côté de ça, il y avait plein de nouveaux sons qui déferlaient avec l’émergence de la House et de la Newbeat. C’étaient véritablement la fin d’une époque et le début d’une autre. Tout cela était finalement assez excitant même si personnellement, je ne m’en suis rendu compte que quelques années plus tard. Je manquais alors cruellement de recul, mais c’est, je crois,dans l’ordre des choses. J’ai pris également plaisir à dessiner quelques scènes dans des boutiques de disques. Leurs rayons étaient encore, cette année là, majoritairement occupés par des vinyles. Deux ans après, ces mêmes disquaires bradaient leurs stocks, et moins de 10 ans plus tard, ils mettaient pratiquement tous la clé sous la porte. Le type que l’on aperçoit à la case 6 de la page 31 a réellement existé (et son magasin, Poly-Sons également). Il s’appelait Tristan et je lui dois un bon quart de ma discothèque. J’ai commencé le livre à la fin de l’été 2010. Ce même été, Arte avait diffusé une série de reportages sur les années 80. Outre un immense spleen, ces émissions ont généré le besoin impérieux de me replonger dans cette époque. Finalement, avec ce livre, je me suis offert un petit voyage dans le temps.

Quelle est la part d’autobiographie dans les remarquables identités de ce récit ?
Elle est énorme et nombre de situations sont empruntées à la réalité. J’ai convoqué pas mal de souvenirs et d’anecdotes vécues par moi ou mes amis d’alors mais j’ai pris soin de les distordre et de jouer avec pour en sortir quelque chose de neuf. Comme mes deux héroïnes, j’ai fait pas mal de musique et d’ailleurs, les chansons qu’interprète Virginie (« November » et ‘La lumière de Lolita’) existent vraiment sur maquettes. Finalement, même si, au fil des pages, je me suis largement identifié au personnage de Virginie jusqu’à lui donner pratiquement le look que j’avais à l’époque (les cheveux longs en moins), Les identités remarquables demeure avant tout une œuvre de fiction.

Qu’est-ce qui t’as motivé à choisir deux héroïnes à une époque où les filles n’avaient pas beaucoup voix au chapitre dans le Rock français ?
J’ai toujours eu un faible pour les Calamités, et pour Muriel de Niagara aussi. Plus sérieusement, je pense que si j’avais traité le sujet d’un point de vue masculin, je me serai retrouvé à faire de l’autobiographie pure et dure. C’est un genre que j’ai suffisamment exploité dans pas mal de mes précédents ouvrages et j’avais l’envie et le besoin d’explorer d’autres pistes d’écriture. Me servir de personnages féminins ôtait d’emblée toute ambiguïté et me donnait en outre une certaine liberté de ton. Mais pour dire la vérité, je n’ai réfléchi à tout ça qu’en cours de route et les personnages se sont imposées d’elles même quand j’ai posé les premières bases du récit.

Le Stéréo Club

Dessins : Rudy SPIESSERT – Textes : Hervé BOURHIS

C’était un temps où gagner sa vie en vendant des disques ne se résumait pas à être employé à la FNAC ou au rayon « Culture et Bricolage » d’une grande surface. Dans chaque mégapole française (disons à partir de 10 000 habitants, à l’échelle hexagonale), on trouvait au minimum un « petit » commerçant spécialisé dans la vente de disques, de vrais disques s’entend, des vinyles biens noirs avec de jolies pochettes.
Cette race aujourd’hui en voie d’extinction dont ne restent plus que quelques spécimens très menacés, uniquement dans les très grandes villes, a contribué à faire l’éducation musicale de nombre d’adolescents et à prolonger celle des adultes restés branchés. On y trouvait de tout et pour tous les goûts, une diversité et une richesse au milieu de laquelle les professionnels qui bossaient la boutique étaient capables de vous guider.
Le Stéréo Club évoque cette relation particulière qui unissait le vendeur et ses clients et dépassait la simple dimension commerciale, au travers de trois récits dont l’intrigue gravite autour d’un magasin de disques, le Stéréo Club donc, propriété de Jacky, qui l’a ouvert en 1946. Secondé par Machin, un rondouillard très branché Métal, Jacky résiste encore et toujours à l’envahisseur, un promoteur immobilier qui rêve de lui racheter son commerce, idéalement placé en centre-ville. Mais jusqu’à quand Jacky tiendra-t-il ?
Chacune des parties de cette trilogie illustre un thème central : conflit de générations père-fille, parcours du combattant pour faire une carrière de chanteur, fête de la musique… avec en prime d’autres intrigues parallèles et complémentaires et en toile de fond la situation précaire du Stéréo Club.
Hervé Bourhis, encyclopédiste du Rock en BD (le Petit Livre Rock, le Petit Livre Beatles, 45 Tours Rock) a tissé un récit dense, émaillé de nombreuses références musicales, impeccablement mise en images par le trait moderne et expressif de Rudy Spiessert. Chaque partie aborde également un style musical fil rouge, le Jazz d’abord (avec Britney Spears en contrepoint !), la chanson française ensuite et enfin le Rock. Ces histoires et ces destins mêlés convoquent toute une série de personnages, parfaits archétypes de leurs époques et de leurs addictions musicales, bien campés et plutôt attachants, entre le quadra mélomane  spécialiste du jazz, le variéteux sans talent (pléonasme ?)  qui s’accroche à son rêve, le producteur rapace (re-pléonasme ?), le groupe amateur qui répète dans la cave du Stéréo Club à l’insu de son propriétaire…pour ne citer que ceux-là, sans oublier bien sûr Jacky et Machin, Mohicans perpétuant la tradition des disquaires de quartier et au-delà des petits commerces de centre-ville.
Cette chronique sociale n’est pas sans évoquer dans son approche le travail de Dupuy-Berbérian ou Jean-Claude Denis mais sans toutefois se réduire à une simple comparaison avec ces illustres prédécesseurs même s’il y a en commun une juste restitution de l’air du temps en milieu urbain. Le Stéréo Club rend un bel hommage aux disquaires, sans nostalgie larmoyante et au contraire avec une bonne dose d’humour (et aussi d’amour tant qu’on y est) en démontrant une fois de plus que la musique est l’un des meilleurs vecteurs pour parler des mœurs de nos contemporains.

Bonus Track : 3 questions à Hervé Bourhis

Allegretto Deprimoso

Dessins et scénario : Romain DUTREIX

Voilà typiquement le genre de livre qui aurait justifié qu’on y colle sur la couverture quelques stickers aussi préventifs que racoleurs dont l’industrie du disque a depuis longtemps compris tout le potentiel commercial. Le « Parental Advisory Explicit Lyrics » ne déparerait pas : Comme toute production Fluide Glacial digne de ce nom, les doux bambins de moins de douze ans ne sont pas vraiment les cœurs de cible. Pourtant, la quatrième de couverture appâte perfidement le lecteur en lui promettant divertissement et culture à lire en famille au coin du feu.
On est ici face à un cas exemplaire de tromperie sur la marchandise car prévenons sans ambages les amateurs de musique : on aura du mal à trouver meilleure illustration de l’adjectif « iconoclaste » que cette petite parodie outrancière des principaux courants musicaux.
Tous y passent, Classique, Blues, Punk, Rap, Métal…dans une moulinette qui hache menu les clichés de ces différents genres… ainsi qu’un panel de ses idoles. Elvis Presley, Kiss, Jimi Hendrix, Marylin Manson et même le grand Herbert von Karajan.
L’humour est noir et féroce et le ton neutre et didactique employé par l’auteur en accentue le décalage. Dutreix s’amuse à placer ses personnages dans des situations improbables ou en jouant sur le contre-pied : Rappeurs grabataires qui dealent en maison de retraite, parents Punks désespérés par leur garçon « normal », sosies de rockstars à l’origine de cultes fétichistes dans la jungle amazonienne… du Grand-Guignol au Xème degré, d’autant plus efficace qu’il tape là où ça fait mal dans les travers les plus saillants de l’imagerie musicale. Hormis les artistes, les producteurs et managers avides ou incompétents en prennent aussi pour leur grade, ce qui est un juste retour sur investissement.
Tout cela dénote une bonne connaissance de ses sujets (ou alors l’auteur cache bien son jeu) tant les clins d’œil et les références abondent, au grand plaisir des esthètes que nous sommes.
Le graphisme taillé au scalpel ainsi que des textes bidonnants servent parfaitement cette suite de caricatures imparables et sadiques dont les victimes connaissent un destin funeste qui s’achève très souvent en pièces détachées.
En fait, le sticker le plus approprié serait « A ne pas lire la bouche pleine, risque de projections non contrôlées » ou un truc dans le genre pour résumer cet humour gore et raffiné qui mettra à rude épreuve les zygomatiques des mélomanes. Sans conteste l’une des BD les plus hilarantes de la maison Fluide Glacial.

Bonus Track : 3 questions à Romain Dutreix

Faire danser les morts (Rock, Zombie !)

Dessins et textes : TANXXX

Les concerts de Rock, c’est dangereux. Tout le monde sait ça. C’est plein de jeunes gens sales et fortement alcoolisés, qui fument des substances illicites et qui s’abrutissent les tympans avec une bouillie sonore qu’ils appellent de la musique. Le pire, ce sont les concerts de Punk ou de Métal. Là, on touche le fond et on creuse dans la fange. Tous ces petits crétins hurlent comme des singes qu’on égorge, brandissent leurs poings en faisant le signe du Diable, se rentrent dedans et se marchent dessus avec un grand sourire idiot.
Il y a même des filles. Elles sont encore pires que les garçons. Et spécialement l’héroïne de Rock Zombie ! En se rendant au festival de Rock du même nom, elle réclamait sa dose de décibels, de bière et de violence et elle a été servie, au delà de ses espérances. A force de jouer avec les forces du mal, il fallait bien que celles-ci se manifestent pour de bon. Le Rock a transformé ces dégénérés en zombies, avides de sang et de chair fraiche. Du coup, la donzelle a dû exterminer tous ces monstres à coup de guitare électrique puis s’en est allé vers le soleil couchant, ses Doc’ piétinant avec indifférence les cadavres putrides.
C’était en 2005 et nous croyions être définitivement débarrassés de cette Virago. Mais Tanxxx a de la suite dans les idées et a décidé de la remettre dans le circuit avec un deuxième tome intitulé Faire danser les morts.
Encore plus de Rock et de zombies avec en prime, cette fois, de la couleur ! L’héroïne, de retour au bercail, s’aperçoit que toute la ville est infectée de zombies. Après avoir zoné quelques jours à la recherche de produits de première nécessité (bières, clopes et croque-monsieurs), elle va finir, pour tenter de venir à bout de ces créatures, de s’allier à une bande de mecs.
Ces derniers, en organisant des concerts Punk zombifiés, avec des groupes qu’ils ont réussi mettre de côté, ont découvert que l‘état de zombie n’est pas rédhibitoire et que la musique peut les ramener à la vie. Ça ouvre des perspectives. Le problème c’est que la musique écoutée majoritairement dans notre douce France, avant qu’elle ne soit infestée par les cadavres ambulants, cette soupe populaire servie à grandes louches par la caste dominante des flics et des banquiers n’a rien à voir avec le Rock bruitiste et libertaire prisé par la Punk et ses compagnons. Johnny Halliday (lui, avec la DHEA et la chirurgie esthétique, ça fait longtemps qu’il avait viré zombie) contre Unsane… la construction du nouveau monde idéal, c’est pas gagné.
On l’aura compris, ce deuxième opus bastonne encore plus que le premier. Un scénario plus étoffé, des dialogues pêchus et un dessin sous influence Comics trash, du vrai graphisme Rock. Le personnage de cette nana qui n’a froid nulle part et affectionne le Rock qui dépote est tout à fait de bon aloi par les temps qui courent. Et puis se payer la trogne du Belge défiscalisé, chais pas pour vous, mais moi, ça me met toujours en joie.
Avec Faire danser les morts, l’année 2013 démarre fort !

Le Roman du Rock

 

Auteur : Nicolas Ungemuth

Le titre peut surprendre et l’entreprise paraître prétentieuse. Comme s’il était possible de narrer en quelques 250 pages et une vingtaine de chapitres six décennies d’histoire musicale, de cet art populaire, commodément dénommé Rock mais qui recoupe tant de catégories, de formes et de héros obscurs ou légendaires. Il suffit pourtant de lire le sommaire pour se rendre compte que, pour l’essentiel, tout ce qui mérite d’être mis en avant dans la genèse du Rock semble bien être là, d’Elvis à la nouvelle vague du Rock indé anglais. Et tant qu’à faire des choix, autant se concentrer sur l’essentiel.
Reste le contenu, ce qui nous ramène au titre de l’ouvrage. Un roman ? Eh bien oui, définitivement. Quand Ungemuth retrace la carrière des plus grandes icones du Rock ou dépeint ses principaux courants, c’est bien une histoire qu’il nous conte. Une histoire qui sous sa plume prend la dimension dramatique propre à maintenir l’intérêt du lecteur. Celle de ces grands destins, de ces héros magnifiques, le plus souvent rimbaldiens (j’aime cet adjectif, ça fait super genre « je m’y connais à mort en littérature ») qui créent tous leurs chefs-d ’œuvres dans leurs jeunes années. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de cette grâce, de ce feu sacré qui brûle dans les veines de ces géniaux compositeurs avant que les seringues de dope n’en tarissent la sève. Ce feu dont les survivants arrivent parfois à entretenir la braise mais qui pour beaucoup s’éteint définitivement, passé la trentaine. L’intrigue est quasi immuable mais toujours aussi passionnante.
Ce qui fait aussi le charme de l’opus réside à l’évidence dans l’approche résolument subjective et partiale de l’auteur. Il ne s’agit pas d’une suite de chroniques plates et neutres. Ungemuth prend parti. Il dresse des mausolées avec le même aplomb qu’il démolit les temples. Comme dirait Pascal Rabaté, il ne juge pas, il condamne. A l’instar d’un Lester Bangs, la critique est sans ambages. Chef-d’œuvre ou daube, voire grosse daube. Forcément, quand le lecteur est du même avis, et c’est mon cas à 90 % en l’espèce, c’est assez jubilatoire. Reste 10 % de désaccord, où l’on aurait bien envie de crier à l’erreur judiciaire face à un verdict aussi arbitraire.
Pour Ungemuth tout s’est joué avant 1970 et depuis le Rock n’est qu’une suite de redites parfois brillantes ou inspirées, tel l’épisode du Punk, mais qui n’atteindront jamais le niveau des pierres philosophales empilées tout au long de cet âge d’or.
En partant de cet axiome insurmontable, cela permet d’expédier en quelques pages le Rock progressif et le Heavy Métal sans vraiment se pencher sur la question. Mais j’ai trop de recul par rapport à ça pour m’offusquer de la chose et je ne concèderai tout au plus qu’une pointe d’agacement. D’autant que Ungemuth règle par ailleurs son compte au Rock français de manière assez magistrale et pour le coup plutôt bien argumentée, tout en réservant un petit éloge aux Thugs, ce dont mon chauvinisme angevin ne peut que se réjouir.
Sinon, il est indéniable que le Roman du Rock est le vade-mecum indispensable pour briller en société et y passer pour un puits de science en matière de Rock, tout en constituant un ouvrage initiatique pour les apprentis critiques quant à l’art exigeant de prononcer des sentences irrévocables.