On les a tous connus ces concerts où on aurait bien voulu profiter du spectacle, suffisamment près de la scène pour ne rien rater de ces moments dérisoires d’anthologie qui font le sel du rock’n roll show, du genre quand le gratteux jette un regard dépité vers la console de retours, la petite moue complice du chanteur, le pins sur la casquette du bassiste… On est pas arrivés assez tôt pour être au premier rang ou bien on n’avait pas envie de passer deux heures, compressés comme un joint de bocal à cornichons, contre les barrières. Mais là, c’était nickel, la place idéale, légèrement excentrée, à portée de vue. Et puis le concert a démarré, on a bougé de vingt mètres en dix secondes, les premiers slammeurs vous sont tombés sur la tronche (que des barbus ventripotents évidemment, les petites meufs vous passent loin des paluches) et vous vous êtes pris les vagues de pogo (ou de mosh selon le degré de distorsion) à intervalles réguliers. Moyennant une côte fêlée, un orteil écrasé et un hématome au sommet du crâne, vous aurez vécu l’histoire du Rock avec un grand H. Mais bon, il faut la mériter sa place au Paradis. Et plus tard vous pourrez dire d’un ton détaché, à l’heure du thé devant un auditoire admiratif et vaguement jaloux : Le concert de Hope In Hell (du Rock tranchant!) à Trifouillis Sur Seine, ouais, j’y étais… devant !
Ces moments de solitude de masse, Luz les a vécus aussi, dans des centaines de concert, souvent aux premières loges, dans la fosse. A un petit détail près, il tenait (ou plutôt agrippait) dans ses mimines un carnet et un crayon et il crobardait les artistes. Parfois de loin, parfois à la lisière du pogo mais parfois aussi DANS le pogo. Imaginez le mec en plein concert de Motörhead. De la folie pure. « We are Luz and we drawing Rock’n Roll ». Tous ces instantanés de concert, pris sur le vif, outre le témoignage brut de fonderie qu’ils donnaient du spectacle, constituaient un parfait indicateur de sa qualité. Si les dessins étaient trop clean, c’est que le concert était nul. Luz parvient à restituer l’énergie et l’ambiance d’un concert avec juste quelques traits, allant à l’essentiel, immortalisant les Rockers, dépouillés de tout artifice, un peu à la manière d’un Reiser car s’y ajoute un humour corrosif, pimenté d’une bonne couche d’auto-dérision.
La couverture de ce plantureux recueil des dessins de concert de Luz illustre à elle seule cette démarche sans concessions, comme leur auteur. Alive est donc une anthologie comprenant les dessins réalisés entre 1999 et 2015 et parus dans diverses publications, dont Charlie Hebdo, Fluide Glacial ou Rock & Folk ainsi que l’album Claudiquant sur le Dance Floor. Un manifeste à la gloire du Rock où cependant la caricature sans pitié le dispute sans cesse à l’hommage pasionné. Outre les dessins de concert, le pavé, lourd comme un riff de Stoner Metal, intègre toutes les productions que Luz a faites autour du Rock (mais n’y cherchez pas The Joke) ainsi que des illustrations originales créées spécialement pour le livre, dont quelques planches récentes mettant en scène l’auteur et sa fille, encore bébé, à qui le papa s’efforce de transmettre le flambeau. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Entretenir la flamme d’un style musical qui a dépassé l’âge de la retraite et dont les icônes sont soit mortes, soit bien fripées. Difficile d’entretenir un idéal de liberté, de rébellion et de provocation, même chez les jeunes quand tout semble avoir été dit. L’interview croisée de Luz et Philippe Manoeuvre qui sert de préface au bouquin ne laisse guère optimiste sur l’avenir du Rock mais en attendant, il nous reste une flopée de putains de bons disques, de chauds concerts en perspective et donc désormais les dessins d’Alive pour nous remémorer ce que le Rock aura toujours de jouissif. Rien que pour ça, merci Luz, et tiens bon !