En 2008, sortait aux éditions Paquet un récit que je plaçais d’emblée très haut dans mon Panthéon personnel. Quelle joie d’apprendre que l’opus a été réédité chez Snorgleux, dans un plus grand format qui met mieux en valeur le dessin de Rich (Richard Di Martino pour les intimes) et s’enrichit d’une nouvelle piste (au lieu de chapitre puisqu’il est ici question de musique) de quinze planches inédites. Douze années plus tard plus tard, après une palanquée d’albums de BD Rock parus dans l’intervalle, Eddy l’Angoisse reste toujours une référence que je cite et recommande à l’occasion aux amateurs, plus de Rock que de BD d’ailleurs, car il compile les éléments permettant d’ébaucher une première esquisse de réponse à la vaste question, « c’est quoi un groupe de Rock ? »
La genèse de ce groupe amateur qui se forge petit à petit un destin est une peinture réaliste et crédible de la condition du Rock en France. Les petits boulots, les concerts aux quatre coins du pays, les soirées pétards, binouzes… et les filles. Malgré les galères, à force de volonté et de foi en leur musique, les membres de « Grunt » vont réussir à sortir de l’anonymat, enregistrer leur premier disque et entamer ce qu’il est convenu d’appeler une carrière. Car le challenge est bien là : sortir et exister en dehors du local de répète.
Le portrait de ces rockers est juste, parfois drôle mais sans complaisance. Il est principalement axé sur Édouard, le leader du groupe, une personnalité complexe, un peu torturée ; loin d’être parfait donc mais qui en dépit de ses défauts et du désordre de sa vie amoureuse (l’éternelle quête de la fille parfaite) ou professionnelle (un job alimentaire de graphiste), garde la flamme, celle qui permet d’aller plus loin que les soirées picole et les tournées de pétard, pour jouer du Rock pour essayer d’en vivre et pas seulement en faire.
« Eddy l’Angoisse », c’est aussi une belle histoire d’amitié entre ces trois potes très différents que la musique a réunis. Franky le bassiste est lui un séducteur invétéré, collectionneur de filles, tout le contraire de Pof le batteur, très mal à l’aise avec la gente féminine.
Avec un dessin dans la tradition de la BD d’humour franco-belge, Rich brouille les cartes en mettant son trait dynamique et expressif au service d’un récit résolument moderne tant dans le sujet que le mode de narration. Les références au Rock sont légion avec un florilège de standards qui émaillent le récit et dont la play-list est opportunément retranscrite au début du bouquin. Et puis il y a cet épilogue cinglant qui résume à lui seul en une seule page, presque comme un gag d’humour noir, toute la triste réalité du Rock en France. Sur ce point, force est de constater hélas que les choses n’ont guère évolué.
Après une année 2020 qu’on risque de ne pas oublier, pour débuter 2021 du bon pied, on ne peut que conseiller aux fans de Rocks comme de BD, ainsi qu’aux autres, ce récit hautement Sex, Drugs and Rock’n Roll (à ne pas mettre devant toutes les mirettes), en relisant ou découvrant Eddy l’Angoisse, histoire de se libérer un peu des nôtres.
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Les Métalleux
Dessins : Rich – Textes : Rich et Chloé O’
Tant de corporations, communautés, professions… ont été caricaturées en BD, avec plus ou moins de bonheur dans des séries commençant invariablement par « Les… » que forcément il fallait bien que ça arrive un jour à ces charmants bipèdes, souvent velus et poilus, amateurs de musique puissante, les Métalleux donc. Et tant qu’à faire, il était préférable que ce soit fait par un connaisseur, pratiquant lui-même cette musique sursaturée de décibels. Richard Di Martino, ici sous le pseudo de Rich (mais c’est raté, on t’a reconnu, Richard !) s’est donc attelé à la tâche en accouchant de ce recueil de gags qu’aux dires mêmes de l’intéressé, il avait dans la tête depuis pas mal de temps mais dont il redoutait un peu le passage sur les planches.
Car pas question de se planter quand il s’agit de parodier le style musical dont on est passionné, qui rythme sa vie, son quotidien et sa façon de voir le monde. Le style « gros nez » (terme certes un poil dépréciatif mais imparablement évocateur) dans lequel il est très à l’aise, efficace et bien gratté, permet certes d’assurer le côté humoristique. Mais il pouvait faire basculer l’opus dans la moquerie facile et le cliché. A l’inverse, le fait d’être un fan de Métal aurait pu limiter le propos pour ne pas trop égratigner son modèle.
Un exercice délicat dont l’ami Rich s’est parfaitement sorti avec le concours de Chloé O’ pour les scénarios. Cela donne une suite de gags souvent efficaces, drôles et bien vus. Les personnages sont authentiques, juste ce qu’il faut de caricatural sans tomber dans la moquerie, les situations et les dialogues tapent juste et au final cela donne un album de BD humoristique plutôt réussi. On sent une certaine tendresse, inévitable de la part de l’auteur mais aussi ce qu’il faut de regard critique, dans le respect du principe « qui aime bien châtie bien ».
Déjà, les pages de garde donnent résolument le ton avec une chouette scène dressant un florilège de toutes les chapelles métalliques, Hard, Heavy, Trash, Death, Black, etc. et un condensé des petits moments qui font le sel d’un concert de Rock en général et de Métal en particulier. On retrouve au début de l’album un bestiaire de tous ces styles, histoire de donner au lecteur béotien les quelques clés de lecture. Et ensuite c’est parti pour une petite trentaine de pages évoquant les principaux éléments de la culture Métal. Il y a bien sûr les incontournables du genre, concerts, répètes, looks et gros son mais aussi des situations de tous les jours auxquels sont confrontés les Métalleux comme le commun des mortels. Les amateurs du genre seront donc en terrain connu et les autres découvriront que, oui c’est bien une culture au sens propre et oui, on peut se marrer avec tout le folklore qu’elle draine, les cornes du diable, la bière et tout le reste.
En définitive, le seul défaut de l’opus, c’est sa taille. On aurait vraiment aimé qu’il y en ait un peu plus, juste pour continuer à se marrer. Ce sera peut-être pour le tome 2 ?
Bonus Track : Richard Di Martino
A propos de Eddy l’Angoisse, 3 question à Richard DI MARTINO
Eddy l’Angoisse est une fiction, pourtant on a l’impression de lire le biopic d’un de ces groupes « indépendants » reconnus par le milieu Rock mais méconnus du grand public. De quoi t’es-tu inspiré pour bâtir ton récit ?
De plein de choses, de mes expériences persos vécues au travers de mes groupes puisque j’ai moi-même pas mal joué (Métal et Rock) à la fin des années 1980 et début 1990, mais aussi d’anecdotes glanées à droite et à gauche dans le milieu de la musique. La musique est un des éléments les plus importants dans ma vie, avec la BD. Je voulais vivre de l’un ou de l’autre, ça a été la bd, j’ai donc rendu hommage à la musique à travers ce livre.
Grunt, c’est un nom de groupe qui évoque d’emblée un Rock bien saturé. Si on pouvait l’écouter, il sonnerait comme quoi… ou comme qui ?
Une sorte de Nirvana/Foo Fighter/Weezer/PearlJam/Noir Désir… Je ne sais pas trop en fait, quelque chose qui se situerait entre gros Rock qui déboite et Métal… ce que j’aime en fait. Ce qui est marrant, c’est que j’ai eu une fois un rappeur en dédicace qui m’a dit avoir adoré « Eddy » car il se retrouvait complètement dedans, le côté vécu des galères inhérentes à se produire et à exister en tant que musicos. On peut donc y entendre ce qu’on veut…
Penses-tu que l’on pourrait faire un parallèle entre la condition du Rock et celle de la BD en France ?
Complètement, j’ai pas mal d’amis musicos qui en bavent aussi pour survivre avec des p’tits boulots à côté, de type technicien son, lumière, voire même tout autre chose. Dans la BD c’est pareil : à moins d’avoir fait un best-seller, tu dois trouver des petits plans Comm ou Presse, animer des ateliers avec des enfants, vendre des originaux, etc, pour arrondir les fin de mois, sinon c’est dur dur de vivre avec si peu.
En plus en BD on n’a pas droit à l’intermittence, pas de chômage, rien ; Donc, quand t’as pas de contrat, bin, t’as intérêt a vite rebondir.
Eddy l’Angoisse
Dessins et textes : Richard DI MARTINO
A la vaste question, « c’est quoi un groupe de Rock ? », il est bien sûr impossible de répondre de manière simple et définitive. Pourtant, avec Eddy l’Angoisse, nous ne sommes pas loin d’avoir désormais un aperçu complet des divers éléments qui pourraient contribuer à le faire.
La genèse de ce groupe amateur qui se forge petit à petit un destin est une peinture réaliste et crédible de la condition du Rock en France. Les petits boulots, les concerts aux quatre coins du pays, les soirées pétards, binouzes… et les filles.
Malgré les galères, à force de volonté et de foi en leur musique, les membres de « Grunt » vont réussir à sortir de l’anonymat, enregistrer leur premier disque et entamer ce qu’il est convenu d’appeler une carrière. Car le challenge est bien là : sortir et exister en dehors du local de répète.
Le portrait de ces rockers est juste, parfois drôle mais sans complaisance. Il est principalement axé sur Edouard, le leader du groupe, une personnalité complexe, un peu torturée ; loin d’être parfait donc mais qui en dépit de ses défauts et du désordre de sa vie amoureuse (l’éternelle quête de la fille parfaite) ou professionnelle (un job alimentaire de graphiste), garde la flamme, celle qui permet d’aller plus loin que les soirées picole et les tournées de pétard, pour jouer du Rock et pas seulement en faire.
Eddy l’Angoisse, c’est aussi le récit d’une histoire d’amitié entre ces trois potes aux personnalités très différentes que la musique a réunis. Franky le bassiste est lui un séducteur invétéré, collectionneur de filles, tout le contraire de Pof le batteur, très mal à l’aise avec la gente féminine.
Avec un dessin dans la tradition de la BD d’humour franco-belge, Di Martino brouille les cartes en mettant son trait sobre et expressif au service d’un récit résolument moderne tant dans le sujet que le mode de narration. Et puis il y a cet épilogue cinglant qui résume à lui seul avec un humour noir et en une seule page, toute la triste réalité du Rock en France.