Pure Fucking People

Dessins et Textes : Will ARGUNAS

Pour mon anniversaire en 2010, un pote m’a offert un art book réalisé par un dessinateur rencontré au festival de Blois. Le titre, la couverture et le contenu constituaient une bonne idée de cadeau pour un type comme moi, amateur de Hard-Rock, Heavy Métal, Stoner (un même un peu de Death ou de Black quand je suis d’humeur légère).
Pure Fucking 3A l’intérieur, de superbes illustrations montrant dans des attitudes plus vraies que nature un panel de Métalleux de tous sexes, tous ages et tous styles, pris sur le vif au Hellfest. Le Hellfest, je rappelle, pour ceux qui reviendraient d’un long exil, Guantanamo, monastère tibétain, classe-prépa, etc. est l’un des plus gros festivals de Rock de l’Hexagone, d’Europe s’agissant plus spécifiquement de Métal. Compte tenu de la programmation très éclectique des autres gros évènements du même genre, tels Vieilles Charrues ou Printemps de Bourges, on peut même dire que c’est le plus gros festival de Rock de France. Evidemment, la musique des groupes qui s’y produisent n’est pas à mettre entre toutes les esgourdes, surtout si elles sont catholiques pratiquantes. Une certaine Christine a d’ailleurs lancé en 2009 une de ses croisades moyenâgeuses contre le festival, n’hésitant pas à demander au patron de Kronenbourg de ne pas le sponsoriser (un peu comme si on demandait à Adidas de ne pas sponsoriser les J.O.). Ça nous a bien fait marrer et accessoirement, ça a fait une bonne pub au Hellfest, sold-out pour la première fois cette année là.
Mais au Hellfest, outre les descendants de Vikings gardant toujours une dent contre les Chrétiens, il y en a vraiment pour tous les goûts et toutes les chapelles du Métal, auquel s’ajoutent le Punk, le Progressif et le bon vieux Hard-RoPure fucking 1ck des familles. Avec une telle diversité, le spectacle est aussi devant la scène dans un joyeux mélange de looks, des plus passe-partout au plus extrêmes. Mais tout cela se déroule dans la bonne humeur et dans un grand esprit de tolérance. Sans doute se crée-t-il une tacite connivence, une reconnaissance mutuelle, liées au fait que l’on y vient pour écouter une musique boudée et incomprise par les médias, rebutés par son agressivité (positive) et sa radicalité.
Pure Fucking People nous plonge dans cette ambiance et rend un bel hommage avec empathie et, malgré ce que l’expression pourrait avoir de paradoxal en l’espèce, une certaine tendresse pour ces allumés de musique qui s’enfilent goulument décibels et litres de bière.
Travaillant d’après photos, le dessin hyper-réaliste de Will Argunas restitue dans un noir et blanc somptueux, d’un trait élégant et précis, l’attitude de ces fans de musique. Ils y sPure Fucking People 2ont tous, tatoués, casqués, cloutés, en short, en cuir, en Docs, en déguisements improbables ou sans look particulier. Mecs et nanas, capturés dans des poses banales ou excentriques, statiques ou en mouvement. Chaque portrait raconte une petite histoire, une tranche de vie de chacun de ces festivaliers, soudain sublimés et embellis par le truchement de l’illustration.
Dans le troisième tome paru très récemment, l’auteur a innové en rajoutant à chacun de ses dessins une légende qui apporte un réel éclairage sur son travail et permettra aussi de s’immerger encore plus dans l’atmosphère du Hellfest. Un ouvrage dans lequel les uns se reconnaitront tandis que les autres découvriront et comprendront peut-être mieux ces vrais fans de Rock (et vice-versa), pure fucking people, définitivement.

Bonus Track : 3 questions à Will ARGUNAS

La grande escroquerie

Dessins : Christophe QUET – Textes : Fred DUVAL

L’histoire du Rock est émaillée d’instants décisifs, fondateurs, comme autant de repères qui balisent la voie. Une ribambelle de disques cultes que l’on s’accorde à qualifier de chefs-d’œuvre. Quelques concerts légendaires dans des salles mythiques. Et bien sûr une flopée de demi-dieux fauchés en plein jeunesse, camés ou alcoolisés jusqu’à la moelle et assurés du même coup d’une place de choix au Panthéon du binaire primaire.
Et puis, il y a toutes ces anecdotes dont beaucoup ont été consignées dans des rapports de police, souvent dérisoires, parfois ridicules qui, mis bout à bout, ont fait la petite histoire et ont créé l’imagerie du Rock et sans lesquels il faut avouer que celui-ci perdrait beaucoup de son charme.
Grande escroquerieDans le grand livre des faits-divers du Rock, il en est un qui remplit à lui seul l’intégralité du cahier des charges : la sortie du single God Save the Queen, des Sex Pistols,  en plein jubilé des 25 ans du règne d’Elisabeth II, offrant le prétexte à un concert privé sur une péniche, au beau milieu de la Tamise et devant le Parlement britannique. Le gig s’est soldé par une descente de police et les réactions d’une presse horrifiée dont les chroniques le lendemain ont définitivement gravé dans le marbre la réputation de ces punks dégénérés et antisociaux (qui n’en ont pas pour autant perdu leur sang-froid sur ce coup-là).
Après ça, tout était dit et les Sex Pistols ayant mis la barre sacrément haut, niveau esprit rebelle et provocateur, l’idéal punk avait désormais sa charte de déontologie et il faut bien avouer que l’on n’a guère eu depuis de répliques très marquantes de ce tremblement de terre londonien de juin 1977.
Il y avait déjà là matière à un récit assez palpitant, rien que pour narrer ce morceau de bravoure rock’n rollesque mais Fred Duval, éminent scénariste d’excellentes séries de science-fiction (Carmen Mc Callum, Travis…) s’est amusé à en faire le décor et le postulat d’un ambitieux récit de polar. Pour la faire courte, c’est à l’occasion de ce concert des Sex Pistols que va avoir lieu le plus gros deal de l’histoire des Stups, avec rien moins que le stock de dope de la fameuse French Connection.Une histoire qui sent la poudre autant que la colle et qui met en scène son lot de caïds de la pègre, malfrats cyniques et sans morale, de junkies et de flics dépassés par les évènements et toute une cohorte de punks dont pour certains, la violence n’est pas seulement simulée lors de festifs pogos.
L’atmosphère de ce Spitting London de la fin des années 1970 est bien restituée ; quartiers populaires cradingues, tronches de prolos mal dégrossis et looks iconoclastes des Punks, grâce au dessin réaliste et sobre de Christophe Quet, rehaussé d’une mise en couleur ce qu’il faut de trashy pour évoquer le No Future de cette Angleterre en plein marasme économique, rongée par le chômage, les affrontements sociaux, le Rock rageur et désabusé des Sex Pistols en constituant la bande-son idéale.
Grande escroquerie 2S’agissant du Rock, les auteurs ont bossé le sujet. Biographies et documentaires tels ceux de Julian Temple, The Filth and  the Fury et  The Great Rock’n Roll Swindle (soit La grande escroquerie du Rock’n Roll... y’a pas de hasard) qui permettent de retracer fidèlement le concert fluvial des Sex Pistols, péniche, tenue de scène et coups de pieds dans les bollocks (pas si « never mind » que ça, en l’occurrence!). La révolution culturelle apportée par les poulains de Malcom Mc Larren est évoquée avec beaucoup de crédibilité, tant sur le plan musical (le tee-shirt « I Hate Pink Floyd », arboré dès les premières pages par un Punk* illustre sommairement le débat) que générationnel (le conflit entre le père flic et son rejeton punk qui est l’un des ressorts de l’histoire). Le doigt d’honneur de Rotten résume à lui seul toute la problématique de l’époque.
Reste l’intrigue policière. Là, j’avoue que j’ai moins accroché. Non qu’elle ne soit plausible et bien ficelée (dans le registre, on a bien vu bien plus délirant) et l’idée de croiser Rock et Polar était aussi astucieuse qu’originale. Mais cela aurait sans doute mérité un peu plus de développements pour l’exploiter pleinement, faire monter la tension et éviter un épilogue un poil lapidaire. En même temps, on ne pourra pas reprocher aux auteurs d’avoir traîné en longueur. On parle de Punk, là, pas de Rock progressif !

* En réalité, c’est Johnny Rotten qui s’était confectionné ce tee-shirt.

Mélo Pop

Dessins et Textes : Lucie DURBIANO

Les bonnes chansons de pop ont quelque chose d’agaçant. Leur côté imparable et évident, face auquel le mélomane averti et branché, rompu à la dissonance, la saturation grasse et les hurlements sauvages, est bien forcé de s’incliner. Des bluettes faussement simples qu’un Paul Mac Cartney au temps de sa splendeur enfilait comme des perles (ce qui gonflait prodigieusement Lennon) et que l’on écoute toujours en s’extasiant sur l’efficacité des textes (un vocabulaire d’une centaine de mots pour ressasser le thème universel qui nous amène à 7 129 240 420 individus sur la planète, le jour où cette chronique est publiée) et la qualité de la mélodie.Mélo Pop
Dans mélodie justement, il y a mélo, ça veut tout dire. Pareil que dans Mélo Pop dont le titre résume justement le contenu de cet ouvrage, surprenant à plus d’un titre.
Mon libraire m’avait décrit le sujet comme un croisement entre « La croisière s’amuse » et je ne sais plus quel groupe de pop. Pas mal vu, sauf que la sirupeuse série télé amerloque est bien moins iconoclaste que le récit brodé par Lucie Durbiano.
Les Funny Pills (hé hé) sont un groupe de pop qui végète dans des arrières salles de troquets minables jusqu’au jour où le destin va leur permettre de gagner enfin un peu de fric avec leur musique en jouant sur un paquebot de croisière. Tout au long de la traversée, des intrigues sentimentales vont se nouer, dans la pure tradition vaudevillesque, jusqu’au dénouement où chacun des protagonistes trouvera la perspective d’un avenir radieux. Du grand classique qui au premier abord n’a rien de très exaltant.
Partez pas, le meilleur reste à venir. A commencer par les personnages. Un casting très assorti qui comprend entre autres : un chanteur éphèbe et queutard, un claviériste homo avec un cheveu sur la langue, un batteur bègue qui en pince pour une groupie niaiseuse à souhait (du moins de prime abord) et amoureuse du chanteur, un manager foireux, un producteur cupide et irascible (Aujourd’hui, grande promo sur les pléonasmes) marié à une ex-junkie maman d’une petite fille… Une fois tout ce petit monde embarqué sur le même bateau… eh bien, on décroche pas et l’on s’enfile la centaine de planches d’un trait.
L’auteure joue avec les situations, les faux-semblants et les clichés qu’elle détourne de manière assez jubilatoire. LeMélo Pop 2 récit, sous un aspect faussement naïf, aborde des thèmes résolument actuels et réservés aux adultes. Mais cela reste traité avec finesse et humour, grâce à des dialogues efficaces et un graphisme animalier qui accentue la sensation de décalage. Les paroles des chansons des Funy Pills sont empruntées à de grands noms du répertoire (T. Rex, Neil Young ou Elliot Smith, entre autres), ce qui renforce un peu plus la validité du propos.
Mélo Pop est une comédie romantique qui parle de sex, drug and pop-music avec des fleurs autour et se lit comme on écoute ces « silly love songs » de Sir Paul et consorts, avec l’agréable sensation de s’être fait mener en bateau… et en plus d’aimer ça.

Bonus Track : Hervé Bourhis (Le Stéréo Club)

A propos du Stéréo Club, 3 questions à Hervé BOURHIS

Le propos du Stéréo Club n’est pas passéiste même si l’on y décèle une pointe de nostalgie. Quel regard portez-vous justement sur l’évolution du support musical avec la suprématie du MP3 et paradoxalement le regain du vinyle ?
On n’en est même plus là. Maintenant les gens écoutent de la musique en streaming sur leurs smartphones via Spotify ou deezer. L’idée même de possession de la musique a disparu. Le budget musique peut être désormais de 10 euros par mois pour avoir quasiment tout. La qualité de son est merdique, mais pas pire que sur des teppaz ou à la radio dans les années 60.
Bon, en fait ça m’est égal, moi j’achète des vinyles, il y en a plein de nouveau. et quand ça disparaîtra, ma foi ça disparaîtra, il n’y a rien à faire pour enrayer ça. Pour l’instant, je profite.

Les nombreux personnages et intrigues des trois récits sont-ils tous issus de l’imagination fertile des auteurs ou sont-ils inspirés de faits réels ?
Guy, dans « Britney forever » c’est un peu moi. Je lis des bouquins sur John Coltrane ou Zappa et j’aime bien le dernier single de Justin Timberlake. On peut aimer les kleenex et les tire-jus, un macdo après un bon resto. Le chanteur loser de « chante avec moi » c’est inspiré d’un type qui d’ailleurs s’appelait Hervé et que j’ai vu une fois lors d’une scène ouverte à Paris. Il était extrêmement mauvais, et surtout terriblement prétentieux et imbu de lui-même. Il m’a fait rire. Et « 21 juin », c’est la synthèse de toutes les fêtes de la musique que j’ai pu faire dans ma vie. Un fiasco en général. Après, étant fan de vinyles, j’ai beaucoup côtoyé les disquaires, les conventions de disques, etc…

Comment se sont répartis les rôles entre dessinateur et scénariste, ce dernier étant par ailleurs lui aussi dessinateur ?
Eh bien j’écris le scénario et Rudy le dessine, c’est assez simple ! On travaille toujours ainsi depuis le début. Depuis 10 ans qu’on bosse ensemble, et malgré une certaine différence physique et deux « carrières » solos différentes également, on nous confond toujours. Comme une hydre abstraite à deux têtes. C’est rigolo et ça ne me dérange pas, d’ailleurs, parce que j’aime beaucoup Rudy !

Rock’n’Vrac

Dessins : Michel JANVIER – Textes : MAGIK TEAM

Le Rock, c’est à la fois une chose extrêmement sérieuse et l’une des plus grosses fumisteries du monde civilisé (et sa dernière aventure, selon OTH). Si les différents genres musicaux ont tous leurs héros, leurs légendes, leurs splendeurs, leurs excès et véhiculent leur lot de codes et de clichés, le Rock en est certainement le pourvoyeur le plus généreux. C’est sans doute lié à son caractère protéiforme et aussi à sa dimension populaire. En tout cas, il est une source inépuisable pour tout auteur en mal d’inspiration, quel que soit le registre. Et si c’est un humoriste, il lui suffit de piocher dans le catalogue pour y trouver matière à caricatures, gags et autres parodies.
Rockn Vrac 1Reste à avoir du talent, et sur ce plan, avec Michel Janvier, pas d’inquiétude. Car nous avons là l’un des héritiers de cette veine graphique de la BD d’humour franco-belge, alliant maîtrise, précision et expressivité. Un dessin classique, au sens noble du terme qui peut servir tout propos et avec lequel l’intéressé a pu ainsi passer sans sourciller de Rantanplan et Lucky Luke à Rob, Wed & C°, une bande de hardos en culottes courtes, aussi connus sous le nom de Musicos.
Car Michel Janvier, s’il est devenu un spécialiste de « Hound Dog », tant il est vrai, comme le clamait Elvis, que Rantanplan n’a jamais attrapé de lapin, est aussi et surtout un vrai connaisseur de de la cause électrique, de ses racines blues à ses rejetons les plus saturés et les plus radicaux. Ce n’est pas pour rien qu’il est devenu un habitué du Hellfest (vous savez, ce rassemblement annuel de chevelus décérébrés qui, selon certaine politicarde récemment lacrymogénisée, rêvent tous de sataniser la jeunesse afin de l’inciter à brûler des églises, tout en buvant de la bière au litre). Il y vient chaque année faire écho avec ses dessins aux riffs furieux des groupes de Métal (et vice-versa).
Rien de plus normal de le voir ainsi, dans Rock’n’Vrac, nous gratifier d’un petit tour d’horizon de quelques grands thèmes du binaire parfois franchement primaire dont il s’est amusé à détourner les clichés et moquer les figures de prout (désolé, ça m’a échappé). Blues, Rock’n Roll, Hard Rock, Punk, Reggae et l’éternelle aporie (redésolé, ça m’a encore échappé) du Rock français… avec en prime la réRockn Vrac 2ponse à quelques question métaphysiques, du genre : Le Rock est-il animal ou permet-il de conserver la jeunesse ? Pour ce faire, il a convoqué sur les planches toute une flopée de compères sévissant déjà pour la plupart dans le registre de la BD d’humour afin de lui concocter tous ces scénars iconoclastes. Le tout sur un ton potache, et une mise en images où s’exprime pleinement l’efficacité de son trait.
Un florilège qui s’adresse autant aux amateurs qu’aux béotiens et une petite anthologie d’humour Rock où l’on retrouve la tradition franco-belge citée plus haut mais à la sauce rock’n roll, ce qui crée un décalage plutôt savoureux… un peu comme si Lucky Luke avait troqué son colt et Jolly Jumper contre une Les Paul et un Marshall.

Bonus Track : Gilles Poussin

A propos de Ketchup Boy, 3 questions à Gilles POUSSIN

Le récit se déroule en partie à Nantes, à la fin des années 1970, alors que le Rock français n’est pas aussi développé qu’aujourd’hui. Pourquoi avoir choisi ce lieu et cette période ?
Nantes, comme le titre d’ailleurs de l’album (« Ketchup Boy »), a été choisi par l’éditeur (Georges Mérel, responsable de la collection Flambant 9 chez L’Atalante) qui réside dans cette ville. Mais cette contrainte m’a arrangé, ayant moi-même vécu à Nantes, de 1982 à 1987… Et le dessinateur, Guillaume Berteloot, habite également dans la région nantaise (du coup, il a fait des relevés très précis, la maison de Ketchup, par exemple, existe vraiment !).
Pour la période (en gros, de 1979 à 1994), cela me semblait l’évidence même, c’est le moment de ma vie où j’étais en pleine activité dans le rock et je me suis servi de ce vécu pour bâtir mon synopsis. De plus, il n’existait aucune BD sur le rock en province des années 1980, et traité de manière réaliste encore moins. Ma référence en la matière, d’ailleurs, n’est pas une BD, mais un roman, « Human Punk », de John King, qui m’a fortement impressionné et motivé. Mais en y réfléchissant bien, pour la BD, il y a ce joyau incomparable qu’est « Locas » de Jaime Hernandez. Il m’a scotché, tant au niveau de la narration que du dessin et j’ai découvert sa traduction au moment de la rédaction de « KetchKetchup Boy Ketchup Boy ; Poussin - Berteloot © Librairie L’Atalante, 2008up »… Donc, ça m’a influencé dans mon travail de scénariste.
L’angle d’attaque, c’était de répondre aux innombrables livres qui radotent l’histoire officielle centralisée du rock français et pouvoir enfin raconter le parcours d’un de ces « soldats oubliés » du binaire hexagonal. Pour l’ambiance, j’avais en tête le « Avoir été », de Rodolphe et Ferrandez, publié dans le recueil « Outsiders » aux Humanos, une petite perle des années quatre-vingt que je n’avais pas oubliée… Et, hasard de la vie, c’est Rodolphe qui m’a présenté Guillaume Berteloot, le dessinateur.
Au fond, l’idée, c’était d’être le plus personnel et le plus honnête possible… sans être lourd.

Comment est né le personnage de Ketchup Boy et pourquoi avoir opté pour un bassiste plutôt qu’un frontman, guitariste ou chanteur ?
Par commodité, pour me sentir à l’aise : je suis bassiste.

Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un dessin classique pour mettre en image l’histoire très rock’n roll de ce jeune rebelle ?
Le choix d’un dessinateur réaliste était pour moi fondamental. Je ne voulais pas du côté « humoristique » habituel de la BD Rock (même si j’apprécie hautement le travail de Margerin, Jano, Clerc, Vuillemin, etc.), je ne le voyais pas comme ça. En plus, mon ADN a été marqué au fer rouge durant mon enfance par le journal Tintin (le dessin réaliste était mis en avant dans cette revue), puis, plus tard, par les grands classiques américains (« Le Fantôme », « Rip Kirby », les Marvel et DC comics, les Creepy et Eerie, Will Eisner…) et les franco-belges réalistes ou semi-réalistes (Tillieux, Jijé, Giraud, Tardi…). Enfin, je trouvais que le côté « épopée » de l’histoire était mieux servi par un dessin de cette sorte et les grandes sagas familiales m’ont toujours fascinées (comme le pocket « La Route de l’Ouest » de Gino d’Antonio, par exemple). Au final, avec Guillaume, bien que bossant à 700 bornes de distance, on s’est très bien entendu… on avait quasiment la même culture !

Films Rock

Une nouvelle page sur Rock et BD avec une petite sélection de films Rock, pour le fun, histoire de sortir un peu de la BD et parce que ça nous plait, comme disait OTH.

Affiches films(cliquez sur l’image pour accéder à la page)

Bonus Track : Richard Di Martino

A propos de Eddy l’Angoisse, 3 question à Richard DI MARTINO

Eddy l’Angoisse est une fiction, pourtant on a l’impression de lire le biopic d’un de ces groupes « indépendants » reconnus par le milieu Rock mais méconnus du grand public. De quoi t’es-tu inspiré pour bâtir ton récit ?
De plein de choses, de mes expériences persos vécues au travers de mes groupes puisque j’ai moi-même pas mal joué (Métal et Rock) à la fin des années 1980 et début 1990, mais aussi d’anecdotes glanées à droite et à gauche dans le milieu de la musique. La musique est un des éléments les plus importants dans ma vie, avec la BD. Je voulais vivre de l’un ou de l’autre, ça a été la bd, j’ai donc rendu hommage à la musique à travers ce livre.

Grunt, c’est un nom de groupe qui évoque d’emblée un Rock bien saturé. Si on pouvait l’écouter, il sonnerait comme quoi… ou comme qui ?
Une sorte de Nirvana/Foo Fighter/Weezer/PearlJam/Noir Désir… Je ne sais pas trop en fait, quelque chose qui se situerait entre gros Rock qui déboite et Métal… ce que j’aime en fait. Ce qui est marrant, c’est que j’ai eu une fois un rappeur en dédicace qui m’a dit avoir adoré « Eddy » car il se retrouvait complètement dedans, le côté vécu des galères inhérentes à se produire et à exister en tant que musicos. On peut donc y entendre ce qu’on veut…

Penses-tu que l’on pourrait faire un parallèle entre la condition du Rock et celle de la BD en France ?
Complètement, j’ai pas mal d’amis musicos qui en bavent aussi pour survivre avec des p’tits boulots à côté, de type technicien son, lumière, voire même tout autre chose. Dans la BD c’est pareil : à moins d’avoir fait un best-seller, tu dois trouver des petits plans Comm ou Presse, animer des ateliers avec des enfants, vendre des originaux, etc, pour arrondir les fin de mois, sinon c’est dur dur de vivre avec si peu.
En plus en BD on n’a pas droit à l’intermittence, pas de chômage, rien ; Donc, quand t’as pas de contrat, bin, t’as intérêt a vite rebondir.

Bonus Track : Fabcaro

A propos de Like A Steak Machine : 3 questions à FABCARO

L’auto-dérision est ta marque de fabrique. Mais franchement, toutes les anecdotes que tu racontes sont-elles authentiques ?
Oui, elles sont 100 % authentiques. J’essaie juste de trouver une forme qui les rendent un peu attrayantes, mais tout est vrai. Hélas…

Tu pratiques toujours la guitare pour de vrai ou bien t’es-tu reconverti dans l’Air Guitare ?
Oui, je joue toujours. Plus trop en groupe parce que c’est de plus en plus difficile de trouver des créneaux communs pour répéter, mais je gratouille tous les jours entre deux dessins. Plutôt acoustique du coup.

Quelles seraient selon toi les deux chansons de Rock idéales pour illustrer respectivement le pire moment de solitude et le plus grand moment d’allégresse ?
Rholala, c’est compliqué, y’en a tellement… Les deux premières qui me passent par la tête : Pour l’allégresse, Still Take You Home des Arctic Monkeys et pour le moment de solitude, Glory Box de Portishead.

Ketchup Boy

Dessins : Guillaume BERTELOOT – Textes : Gilles POUSSIN

L’une des figures de proue dans la galerie de portraits des héros Rock, c’est bien sûr l’adolescent rebelle, en révolte contre ce qu’il croit être le système, les parents, les profs… en gros les adultes. Un anarchiste en herbe qui cache derrière son attitude provocatrice, une soif inextinguible de reconnaissance.
Servi par un graphisme réaliste et assez classique, peu utilisé dans la BD Rock jusqu’alors, Ketchup Boy raconte le destin d’un de ces personnages emblématiques du Rock avec une empathie qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’une biographie.
Le livre recrée l’atmosphère de la fin des années 1970 dans la France profonde même si l’on pourrait regretter de ne pas y voir évoqués le phénomène Disco et aussi le Hard Rock en pleine émergence (Hard-Rock et Punk/New Wave divisaient âprement les critiques Rock dans les colonnes de Best et Rock & Folk ).
A cette époque, dans un lycée de province (fusse dans une grande ville de province comme Nantes), être un fan de Punk n’avait rien d’évident. Le genre était récent et n’avait que peu de représentants dans la scène française (« Starshooter » et « Bijou » entre autres). Son imagerie déjantée, iconoclaste (qui venait de fait réveiller l’esprit rock’n roll) et, du moins au début, très approximative sur le plan musical, se heurtait aux vielles valeurs bien installées d’un Rock devenu emphatique et mercantile.
Le Punk, Lucien (tiens, tiens…) Bastardi (un vrai patronyme rock’n roll !) veut le jouer, quoi qu’il en coûte et il est prêt pour cela à tous efforts (des innombrables heures d’apprentissage et de pratique de sa basse) les sacrifices et aussi toutes les trahisons. Son rêve, il va le réaliser mais devra en payer le prix.
Même si l’enthousiasme et l’optimisme animent le parcours de Ketchup Boy, le récit n’est pas idéaliste pour autant et met en avant les aspects négatifs de l’existence d’un musicien de Rock. Lucien est un jouisseur qui réserve sa fidélité à la musique et surtout pas aux filles, même celle pour laquelle il éprouve de vrais sentiments. C’est un aussi un sacré chercheur d’embrouilles et peu importe si ce n’est pas un as de la baston. Évidemment, il ne rate pas non plus une occasion de se bourrer la gueule et n’est pas le dernier pour les pétards même s’il est clairement opposé aux drogues dures, ce qui n’est pas le cas de tous les membres de Kamikaz Zone, son deuxième groupe. Ketchup Boy ; Berteloot - Poussin © Librairie L’Atalante, 2008Malgré ses défauts et les erreurs de parcours, Ketchup Boy
s’accroche à son rêve et ne dérive pas de son objectif de devenir un vrai musicien de Rock.
Avec le groupe suivant, Plexiglass, Lucien décrochera un disque d’or mais sa personnalité trop intransigeante se retournera une fois de plus contre lui.
Le destin de Ketchup Boy évoque avec justesse ces musiciens et ces groupes qui ont affronté tous les écueils sur la voie du Rock, surtout en France et encore plus à cette époque, et ont réussi malgré tout à faire tant bien que mal, ce qu’il convient d’appeler une carrière, si éphémère fut elle.

Bonus Track : 3 questions à Gilles Poussin

Bonus Track : Romain Dutreix

A propos de Allegretto Deprimoso, 3 questions à Romain DUTREIX

Les satires d’Allegretto Déprimoso sont aussi drôles que féroces et tapent sur tous les genres musicaux : Un besoin de régler des comptes avec la musique ?
Peut-être, puisque, comme la majeure partie de mes collègues, je suis un musicien raté (ou frustré, si on voulait le dire plus gentiment). C’était donc peut-être une façon de me venger de mon absence de talent dans ce domaine. Plus concrètement, et au risque de tuer un peu le mythe de l’artiste visité par l’inspiration divine, cet album répond à une commande du rédac’chef de Fluide de l’époque, Thierry Tinlot (que je remercie au passage, car c’est grâce à sa persévérance – à me harceler pour que je produise quelque chose – que j’ai fini par travailler pour Fluide). Il m’a dit qu’il voulait quelque chose sur la musique pour Fluide et m’a demandé si j’étais partant. Et comme je suis un musicien raté, ça m’a évidemment intéressé. Le fait que je tape sur tous les genres musicaux faisait partie de mon principe de départ : je voulais faire une série d’histoires courtes (4 pages), en abordant à chaque fois un genre différent et avec à chaque fois une couleur de bichro différente.

Le livre regorge de clins-d’œil et de références à certains grands clichés, « allègrement » tournés en dérision. Le reflet de la grande culture musicale de l’auteur ?
Aha, c’est la question piège ! Si je réponds non, ça me décrédibilise, et si je réponds oui, je passe pour un gros prétentieux !! Disons que je suis très mélomane. J’écoute beaucoup de musique, et le phénomène musical m’intéresse dans sa globalité, et même si tous les genres musicaux ne m’intéressent pas autant les uns que les autres (et de loin), je pense avoir MARIE-LINE MANCHON par Dutreixune relativement bonne connaissance générale dans le domaine… Mais ça n’est pas essentiel pour faire un bouquin comme celui-ci : ce qui est essentiel c’est que quand on fait de l’humour on est forcément particulièrement attentif à tout ce qui relève du cliché, du code social, des comportements grégaires, et de toutes ces choses qui sont très répandues dans la musique aujourd’hui. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux et regarder comme chaque « tribu » finit par s’auto-caricaturer. Ça n’est pas spécifique à la musique, mais comme en musique c’est particulièrement flagrant, un humoriste peut en faire son miel assez facilement. Une connaissance, même sommaire, de chaque genre musical (et de chaque « tribu » qui compose son public) permet de repérer assez vite les clichés et d’en rire à l’infini. Le simple fait que les goûts musicaux déterminent le style vestimentaire d’une personne est déjà un gag en soi.

Y’a-t-il d’autres artistes ou styles que tu aurais aimé caricaturer et à l’inverse éprouves-tu un tant soit peu de remords à l’égard de certaines de tes victimes ?
Jamais de remords, non ! Des remords quant à la qualité de telle ou telle histoire, oui : telle histoire aurait pu être plus drôle, telle histoire mieux construite. Mais chaque victime n’a que ce qu’elle mérite. En revanche, c’est vrai que certains grands genres musicaux ne sont pas abordés ou alors peut-être pas de façon assez approfondie : le Jazz évidemment, le Hard-Rock, le Goth, l’Indus, le Reggae, la Techno… Il y aurait de quoi faire un deuxième bouquin entier !

Bonus Track : James

A propos de Backstage, 3 questions à JAMES

Question rituelle, pourquoi les Stones ? Parce que ce sont les plus grands ou bien parce qu’ils se prêtent plus que d’autres groupes à la caricature et au détournement comique ?
Le choix s’est porté sur les Stones pour deux raisons : ce sont des icônes et les deux protagonistes principaux sont déjà des personnages à part entière. Ils n’ont rien à voir entre eux, tout les oppose, et pourtant ils ont produit des pépites et continuent malgré tout à travailler ensemble. L’idée était aussi que cette histoire dépasse la simple histoire des Stones, parce qu’elle est assez universelle. Ca reste avant tout l’histoire de deux ados que tout oppose et qui vont s’associer pour faire de la musique. On voulait que ce soit lisible et drôle aussi pour quelqu’un qui n’y connait rien aux Stones. D’ailleurs les personnages ne sont jamais nommés que par leur prénom. Ensuite, pour les fans, on est resté sur une trame véridique pour donner un peu de sel à l’ensemble. Ca faisait aussi partie du défi en ce qui me concerne sur l’écriture, à savoir faire du gag en demi-page à partir de situations réelles et d’actions qui s’enchainent.Backstage Mirroir Fluide Glacial

On devine un gros travail de documentation pour retracer toutes ces anecdotes. Quelle est la part de vérité, au-delà de la parodie ?
Ce qui est raconté, au niveau des anecdotes, est vrai à 90%. Seul les passages sur le hamster et les filles sur la plage sont inventés. Ensuite, on s’est amusés avec les personnages, donc il ne faut pas prendre ce qu’ils disent pour parole d’évangile. J’ai lu beaucoup de choses sur le groupe, notamment les livres de Bill Wyman et de François Bon. Je n’ai lu « Life » de Richards qu’après, pour la simple et bonne raison que l’album a été bouclé 15 jours avant la sortie de ce livre.

Quelles ont été les réactions de Jagger et Richards à la lecture de Backstage ?
Je crois savoir qu’ils ont tellement adoré que ça les a motivés à préparer un nouvel album.

Bonus Track : Benoît Barale

A propos des Identités Remarquables, 3 questions à Benoît BARALE

Le récit nous replonge dans la France des années 1980, époque musicale mitigée entre la variété la plus daubesque et le Rock alternatif. Pourquoi avoir choisi cette période ?
Je suis né en 1971, j’ai donc passé toute mon adolescence dans les années 80. J’ai beaucoup de souvenirs de cette époque, c’est forcément dans ces années que s’est forgé l’essentiel de mes goûts musicaux, et ça faisait très longtemps que je voulais aborder tous ces thèmes autrement que sous un angle autobiographique. J’ai volontairement situé l’action en 1989. C’est une année charnière, je pense, outre le changement de décennie qui s’annonçait. La Mano avait signé chez Virgin, les Béru raccrochaient après leur baroud d’honneur à l’Olympia, on assistait à la fin de l’utopie du Rock alternatif. Tous les grands mouvements des 80’s, la Noisy Pop, la Cold Wave, le Heavy Metal se délitaient. A côté de ça, il y avait plein de nouveaux sons qui déferlaient avec l’émergence de la House et de la Newbeat. C’étaient véritablement la fin d’une époque et le début d’une autre. Tout cela était finalement assez excitant même si personnellement, je ne m’en suis rendu compte que quelques années plus tard. Je manquais alors cruellement de recul, mais c’est, je crois,dans l’ordre des choses. J’ai pris également plaisir à dessiner quelques scènes dans des boutiques de disques. Leurs rayons étaient encore, cette année là, majoritairement occupés par des vinyles. Deux ans après, ces mêmes disquaires bradaient leurs stocks, et moins de 10 ans plus tard, ils mettaient pratiquement tous la clé sous la porte. Le type que l’on aperçoit à la case 6 de la page 31 a réellement existé (et son magasin, Poly-Sons également). Il s’appelait Tristan et je lui dois un bon quart de ma discothèque. J’ai commencé le livre à la fin de l’été 2010. Ce même été, Arte avait diffusé une série de reportages sur les années 80. Outre un immense spleen, ces émissions ont généré le besoin impérieux de me replonger dans cette époque. Finalement, avec ce livre, je me suis offert un petit voyage dans le temps.

Quelle est la part d’autobiographie dans les remarquables identités de ce récit ?
Elle est énorme et nombre de situations sont empruntées à la réalité. J’ai convoqué pas mal de souvenirs et d’anecdotes vécues par moi ou mes amis d’alors mais j’ai pris soin de les distordre et de jouer avec pour en sortir quelque chose de neuf. Comme mes deux héroïnes, j’ai fait pas mal de musique et d’ailleurs, les chansons qu’interprète Virginie (« November » et ‘La lumière de Lolita’) existent vraiment sur maquettes. Finalement, même si, au fil des pages, je me suis largement identifié au personnage de Virginie jusqu’à lui donner pratiquement le look que j’avais à l’époque (les cheveux longs en moins), Les identités remarquables demeure avant tout une œuvre de fiction.

Qu’est-ce qui t’as motivé à choisir deux héroïnes à une époque où les filles n’avaient pas beaucoup voix au chapitre dans le Rock français ?
J’ai toujours eu un faible pour les Calamités, et pour Muriel de Niagara aussi. Plus sérieusement, je pense que si j’avais traité le sujet d’un point de vue masculin, je me serai retrouvé à faire de l’autobiographie pure et dure. C’est un genre que j’ai suffisamment exploité dans pas mal de mes précédents ouvrages et j’avais l’envie et le besoin d’explorer d’autres pistes d’écriture. Me servir de personnages féminins ôtait d’emblée toute ambiguïté et me donnait en outre une certaine liberté de ton. Mais pour dire la vérité, je n’ai réfléchi à tout ça qu’en cours de route et les personnages se sont imposées d’elles même quand j’ai posé les premières bases du récit.

Le Stéréo Club

Dessins : Rudy SPIESSERT – Textes : Hervé BOURHIS

C’était un temps où gagner sa vie en vendant des disques ne se résumait pas à être employé à la FNAC ou au rayon « Culture et Bricolage » d’une grande surface. Dans chaque mégapole française (disons à partir de 10 000 habitants, à l’échelle hexagonale), on trouvait au minimum un « petit » commerçant spécialisé dans la vente de disques, de vrais disques s’entend, des vinyles biens noirs avec de jolies pochettes.
Cette race aujourd’hui en voie d’extinction dont ne restent plus que quelques spécimens très menacés, uniquement dans les très grandes villes, a contribué à faire l’éducation musicale de nombre d’adolescents et à prolonger celle des adultes restés branchés. On y trouvait de tout et pour tous les goûts, une diversité et une richesse au milieu de laquelle les professionnels qui bossaient la boutique étaient capables de vous guider.
Le Stéréo Club évoque cette relation particulière qui unissait le vendeur et ses clients et dépassait la simple dimension commerciale, au travers de trois récits dont l’intrigue gravite autour d’un magasin de disques, le Stéréo Club donc, propriété de Jacky, qui l’a ouvert en 1946. Secondé par Machin, un rondouillard très branché Métal, Jacky résiste encore et toujours à l’envahisseur, un promoteur immobilier qui rêve de lui racheter son commerce, idéalement placé en centre-ville. Mais jusqu’à quand Jacky tiendra-t-il ?
Chacune des parties de cette trilogie illustre un thème central : conflit de générations père-fille, parcours du combattant pour faire une carrière de chanteur, fête de la musique… avec en prime d’autres intrigues parallèles et complémentaires et en toile de fond la situation précaire du Stéréo Club.
Hervé Bourhis, encyclopédiste du Rock en BD (le Petit Livre Rock, le Petit Livre Beatles, 45 Tours Rock) a tissé un récit dense, émaillé de nombreuses références musicales, impeccablement mise en images par le trait moderne et expressif de Rudy Spiessert. Chaque partie aborde également un style musical fil rouge, le Jazz d’abord (avec Britney Spears en contrepoint !), la chanson française ensuite et enfin le Rock. Ces histoires et ces destins mêlés convoquent toute une série de personnages, parfaits archétypes de leurs époques et de leurs addictions musicales, bien campés et plutôt attachants, entre le quadra mélomane  spécialiste du jazz, le variéteux sans talent (pléonasme ?)  qui s’accroche à son rêve, le producteur rapace (re-pléonasme ?), le groupe amateur qui répète dans la cave du Stéréo Club à l’insu de son propriétaire…pour ne citer que ceux-là, sans oublier bien sûr Jacky et Machin, Mohicans perpétuant la tradition des disquaires de quartier et au-delà des petits commerces de centre-ville.
Cette chronique sociale n’est pas sans évoquer dans son approche le travail de Dupuy-Berbérian ou Jean-Claude Denis mais sans toutefois se réduire à une simple comparaison avec ces illustres prédécesseurs même s’il y a en commun une juste restitution de l’air du temps en milieu urbain. Le Stéréo Club rend un bel hommage aux disquaires, sans nostalgie larmoyante et au contraire avec une bonne dose d’humour (et aussi d’amour tant qu’on y est) en démontrant une fois de plus que la musique est l’un des meilleurs vecteurs pour parler des mœurs de nos contemporains.

Bonus Track : 3 questions à Hervé Bourhis

Allegretto Deprimoso

Dessins et scénario : Romain DUTREIX

Voilà typiquement le genre de livre qui aurait justifié qu’on y colle sur la couverture quelques stickers aussi préventifs que racoleurs dont l’industrie du disque a depuis longtemps compris tout le potentiel commercial. Le « Parental Advisory Explicit Lyrics » ne déparerait pas : Comme toute production Fluide Glacial digne de ce nom, les doux bambins de moins de douze ans ne sont pas vraiment les cœurs de cible. Pourtant, la quatrième de couverture appâte perfidement le lecteur en lui promettant divertissement et culture à lire en famille au coin du feu.
On est ici face à un cas exemplaire de tromperie sur la marchandise car prévenons sans ambages les amateurs de musique : on aura du mal à trouver meilleure illustration de l’adjectif « iconoclaste » que cette petite parodie outrancière des principaux courants musicaux.
Tous y passent, Classique, Blues, Punk, Rap, Métal…dans une moulinette qui hache menu les clichés de ces différents genres… ainsi qu’un panel de ses idoles. Elvis Presley, Kiss, Jimi Hendrix, Marylin Manson et même le grand Herbert von Karajan.
L’humour est noir et féroce et le ton neutre et didactique employé par l’auteur en accentue le décalage. Dutreix s’amuse à placer ses personnages dans des situations improbables ou en jouant sur le contre-pied : Rappeurs grabataires qui dealent en maison de retraite, parents Punks désespérés par leur garçon « normal », sosies de rockstars à l’origine de cultes fétichistes dans la jungle amazonienne… du Grand-Guignol au Xème degré, d’autant plus efficace qu’il tape là où ça fait mal dans les travers les plus saillants de l’imagerie musicale. Hormis les artistes, les producteurs et managers avides ou incompétents en prennent aussi pour leur grade, ce qui est un juste retour sur investissement.
Tout cela dénote une bonne connaissance de ses sujets (ou alors l’auteur cache bien son jeu) tant les clins d’œil et les références abondent, au grand plaisir des esthètes que nous sommes.
Le graphisme taillé au scalpel ainsi que des textes bidonnants servent parfaitement cette suite de caricatures imparables et sadiques dont les victimes connaissent un destin funeste qui s’achève très souvent en pièces détachées.
En fait, le sticker le plus approprié serait « A ne pas lire la bouche pleine, risque de projections non contrôlées » ou un truc dans le genre pour résumer cet humour gore et raffiné qui mettra à rude épreuve les zygomatiques des mélomanes. Sans conteste l’une des BD les plus hilarantes de la maison Fluide Glacial.

Bonus Track : 3 questions à Romain Dutreix