Retour à Liverpool

Dessins : Julien SOLÉ– Textes : Hervé BOURHIS

1980 a été une année noire pour le Rock. Elle débutait très mal en février, avec le décès de Bon Scott (est-il besoin de rappeler qui était le monsieur ?) et s’acheva par l’assassinat de John Lennon en décembre. Après ça, on savait tous que les espoirs de reformation des Big Fab s’étaient évanouis dans la brume new-yorkaise. Malgré quelques coups de semonce en forme de pétards mouillés, c’était fichu, du moins tant que John Lennon serait mort, pour paraphraser George Harrison. Restait une flopée de chef-d’œuvres à écouter en boucle en se disant que rien de mieux en Pop et en Rock ne serait créé et franchement on n’a pas été vraiment détrompés depuis.
En attendant, on peut toujours rêver et se risquer à prononcer le début de cette phrase magique : « Et si… ? » C’est ce qu’ont fait Hervé Bourhis et Julien Solé en donnant vie à cette uchronie qu’on aurait tant voulu voir se réaliser. Et si en 1980, les Beatles étaient de nouveau réunis pour composer des chansons ? Postulat alléchant mais qui une fois posé représentait un sacré challenge. Avec la culture Rock du sieur Bourhis, on n’était pas vraiment inquiet, encore fallait-il aborder le sujet sous le bon angle. Avec Julien Solé au dessin, il y avait fort à parier qu’on n’allait pas tomber dans l’hommage tiède mais plutôt verser dans une parodie joyeusement iconoclaste.
Et force est de constater que l’on n’est pas déçu et que les deux compères sont même allés au-delà de nos espérances car le quatuor mythique s’en prend des bordées à longueur de pages. L’intrigue est astucieuse et repose sur des évènements réels et, malgré la caricature (chapeau à Julien Solé qui s’est parfaitement sorti de ce difficile exercice graphique en créant une fois de plus de superbes planches) et la succession de rebondissements improbables, on se dit malgré tout que ce récit dense constitue une alternative assez crédible à la triste réalité officielle.
Car au delà de l’humour irrévérencieux, Retour à Liverpool met en lumière un fait incontournable : En 1980, chaque membre des Beatles était arrivé au bout de sa verve créatrice. D’abord ce brave Ringo, avec quelques albums alimentaires et dont les qualités intrinsèques de batteur sont égratignées au passage (ce qui est un peu injuste, tant d’illustres pairs ont depuis reconnu son talent et son importance dans les Beatles). Lennon pondait avec Yoko un double album qui vaut surtout par son nom sur la pochette, avec quelques compos sympas mais qui auraient paru bien faibles sur un disque des Beatles. McCartney avait fait le tour des Wings. Quant à Harrison, s’il avait pondu son chef-d’œuvre, All Things Must Pass, juste après la séparation du groupe, aucun de ses albums suivants dans les 70’s, ne s’était approché de ce magistral premier opus.
Cela aurait donc été le bon moment pour reformer le groupe et repartir vers les sommets de la gloire… et de la fortune. Le cahier d’Hervé Bourhis à la fin du livre vient à point nommé expliquer toute la pertinence de l’hypothèse d’une telle reformation.

Évidemment, le point de départ et surtout le déroulement des évènements n’auraient pas été aussi délirants dans la réalité. N’empêche, le récit fourmille de références et de clins d’œil à des faits et anecdotes historiques que les amateurs s’amuseront à reconnaître et sauront apprécier, à commencer par les rivalités et rancœurs qui régnaient entre les Beatles, prétextes aux détournements les plus drôlatiques. Après un tel hommage, les Beatles trembleront un peu sur leur piédestal, mais après tout ils l’ont bien cherché.

Rock et BD au festival Angers BD

En décembre 2016, les décibulles ont envahi le festival Bande Dessinée d’Angers.
Ce fut un sacré bon moment de BD Rock avec au programme :
– Le concert du Boy’s Bande Dessinée (groupe de Janry, Batem, Gihef and Co) au Joker’s Pub ;
– Une exposition Rock et BD, avec des oeuvres de Hervé Bourhis, Julien Solé, Christopher et Frank Margerin ainsi que des croquis de concerts d’Olivier Martin ;
– Une Conférence débat en présence des auteurs précités ;
– Un Concours de photos sur Facebook pour devenir un instant la Rock-Star de ses rêves ;
– Et le bœuf du samedi soir, bien sûr !
Ci-dessous un petit aperçu en images de ces réjouissances…

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…ainsi que l’intégralité de la conférence-débat Rock et BD en présence des auteurs de l’exposition :

Un grand merci aux auteurs, organisateurs, bénévoles… sans oublier le public, qui ont contribué au succès de cet évènement.

Le Heavy Metal

Dessins : Hervé BOURHIS – Textes : Jacques DE PIERPONT

Chez le béotien, tout morceau de Rock qui bastonne un tant soit peu est souvent désigné par le vocable passe-partout de Hard Rock. Face à ces mécréants, toute tentative d’édification semble vouée à l’échec. Leur expliquer ce qui différencie AC/DC de Nirvana s’avère à peine moins fastidieux que l’écoute du dernier album hommage à Jean-Jacques Goldman (un vrai hard-rocker, pour sûr, tellement il a saigné sur les Gibson…). Perso, j’ai essayé pendant deux minutes de démontrer à un fan de Coldplay (non, je jure, je le connais à peine) en quoi Iron Maiden était bien plus mélodique que la NWOFS (New Wave Of French Song pour les bilingues). J’ai commencé à utiliser des mots comme Death, Black, Trash… et bien sûr Heavy Metal. Mais face à l’encéphalogramme plat de mon interlocuteur qui ne soupçonnait même pas l’existence de tous ces groupes de chevelus vociférateurs, j’ai cessé le Le Heavy Metal ; Bourhis © Le Lombard, 2016combat. 
Mais ça c’était avant. Car désormais, il me suffira de brandir Le Heavy Metal, vade-mecum qui décrypte cette musique si… différente, depuis ses origines jusqu’à nos jours où le style s’est ramifié en une profusion de chapelles et de sous-genres dans lesquels les amateurs du genre se distinguent de la plèbe asservie au Rock préformaté. Jacques de Pierpont, spécialiste érudit du Métal, s’est allié à l’un des dessinateurs les mieux à même de dépeindre le foisonnement de cette culture riche en poils et en décibels : Hervé Bourhis reprend ici la recette graphique qu’il a mise au point et déclinée dans Le Petit Livre Rock et le Petit Livre Beatles : Un patchwork de dessins sobres et efficaces qui illustrent et garnissent ce cabinet de curiosités métalliques. Un procédé qui permet de se balader au gré des pages, sans lasser le lecteur, malgré la foule d’informations délivrée. Grâce à ce brûlot qui peut subrepticement se glisser partout, sac à dos, bas résilles ou poche de treillis, vous saurez tout… Le signe du Dio-ble (celle-ci mérite que je brûle en enfer pendant plusieurs éternités), l’histoire, les groupes, les albums, les fringues, les anecdotes, les festivals… qui composent le Culte du Métal, de Black Sabbbath au Hellfest, comme l’annonce le sous-titre.
Heavy Metal 2Cela étant dit, il faut bien replacer l’ouvrage dans le contexte de cette nouvelle collection du Lombard, la petite bédéthèque des savoirs, qui vulgarise par le medium de la BD des thématiques très diverses. Donc, les fins connaisseurs de gros Rock qui tâche n’apprendront sans doute pas grand-chose et auront beau jeu de relever certaines omissions sans doute volontaires mais, le sujet étant aussi vaste que pointu, on aurait mauvaise grâce de s’en plaindre. Pour ma part, je pointerais quand même le peu de place accordé à Faith No More, ce qui pour le coup relève du blasphème ultime.

Mais sinon, comment ne pas saluer ce petit opus qui gagne haut la main, auriculaire et index fièrement dressés vers le ciel, le pari de faire le tour de la question et de montrer toute la richesse et l’originalité de ce genre musical qui constitue une véritable culture, avec ses codes, ses rites, ses traits, qu’ils soient de noblesse ou franchement caricaturaux. De quoi réviser ses classiques, briller dans les conversations de salon entre deux pintes et une poignée de chips et bien sûr convertir de nouveaux adeptes, au grand dam de Sainte Christine.

Bonus Track : Hervé Bourhis (Le Stéréo Club)

A propos du Stéréo Club, 3 questions à Hervé BOURHIS

Le propos du Stéréo Club n’est pas passéiste même si l’on y décèle une pointe de nostalgie. Quel regard portez-vous justement sur l’évolution du support musical avec la suprématie du MP3 et paradoxalement le regain du vinyle ?
On n’en est même plus là. Maintenant les gens écoutent de la musique en streaming sur leurs smartphones via Spotify ou deezer. L’idée même de possession de la musique a disparu. Le budget musique peut être désormais de 10 euros par mois pour avoir quasiment tout. La qualité de son est merdique, mais pas pire que sur des teppaz ou à la radio dans les années 60.
Bon, en fait ça m’est égal, moi j’achète des vinyles, il y en a plein de nouveau. et quand ça disparaîtra, ma foi ça disparaîtra, il n’y a rien à faire pour enrayer ça. Pour l’instant, je profite.

Les nombreux personnages et intrigues des trois récits sont-ils tous issus de l’imagination fertile des auteurs ou sont-ils inspirés de faits réels ?
Guy, dans « Britney forever » c’est un peu moi. Je lis des bouquins sur John Coltrane ou Zappa et j’aime bien le dernier single de Justin Timberlake. On peut aimer les kleenex et les tire-jus, un macdo après un bon resto. Le chanteur loser de « chante avec moi » c’est inspiré d’un type qui d’ailleurs s’appelait Hervé et que j’ai vu une fois lors d’une scène ouverte à Paris. Il était extrêmement mauvais, et surtout terriblement prétentieux et imbu de lui-même. Il m’a fait rire. Et « 21 juin », c’est la synthèse de toutes les fêtes de la musique que j’ai pu faire dans ma vie. Un fiasco en général. Après, étant fan de vinyles, j’ai beaucoup côtoyé les disquaires, les conventions de disques, etc…

Comment se sont répartis les rôles entre dessinateur et scénariste, ce dernier étant par ailleurs lui aussi dessinateur ?
Eh bien j’écris le scénario et Rudy le dessine, c’est assez simple ! On travaille toujours ainsi depuis le début. Depuis 10 ans qu’on bosse ensemble, et malgré une certaine différence physique et deux « carrières » solos différentes également, on nous confond toujours. Comme une hydre abstraite à deux têtes. C’est rigolo et ça ne me dérange pas, d’ailleurs, parce que j’aime beaucoup Rudy !

Le Stéréo Club

Dessins : Rudy SPIESSERT – Textes : Hervé BOURHIS

C’était un temps où gagner sa vie en vendant des disques ne se résumait pas à être employé à la FNAC ou au rayon « Culture et Bricolage » d’une grande surface. Dans chaque mégapole française (disons à partir de 10 000 habitants, à l’échelle hexagonale), on trouvait au minimum un « petit » commerçant spécialisé dans la vente de disques, de vrais disques s’entend, des vinyles biens noirs avec de jolies pochettes.
Cette race aujourd’hui en voie d’extinction dont ne restent plus que quelques spécimens très menacés, uniquement dans les très grandes villes, a contribué à faire l’éducation musicale de nombre d’adolescents et à prolonger celle des adultes restés branchés. On y trouvait de tout et pour tous les goûts, une diversité et une richesse au milieu de laquelle les professionnels qui bossaient la boutique étaient capables de vous guider.
Le Stéréo Club évoque cette relation particulière qui unissait le vendeur et ses clients et dépassait la simple dimension commerciale, au travers de trois récits dont l’intrigue gravite autour d’un magasin de disques, le Stéréo Club donc, propriété de Jacky, qui l’a ouvert en 1946. Secondé par Machin, un rondouillard très branché Métal, Jacky résiste encore et toujours à l’envahisseur, un promoteur immobilier qui rêve de lui racheter son commerce, idéalement placé en centre-ville. Mais jusqu’à quand Jacky tiendra-t-il ?
Chacune des parties de cette trilogie illustre un thème central : conflit de générations père-fille, parcours du combattant pour faire une carrière de chanteur, fête de la musique… avec en prime d’autres intrigues parallèles et complémentaires et en toile de fond la situation précaire du Stéréo Club.
Hervé Bourhis, encyclopédiste du Rock en BD (le Petit Livre Rock, le Petit Livre Beatles, 45 Tours Rock) a tissé un récit dense, émaillé de nombreuses références musicales, impeccablement mise en images par le trait moderne et expressif de Rudy Spiessert. Chaque partie aborde également un style musical fil rouge, le Jazz d’abord (avec Britney Spears en contrepoint !), la chanson française ensuite et enfin le Rock. Ces histoires et ces destins mêlés convoquent toute une série de personnages, parfaits archétypes de leurs époques et de leurs addictions musicales, bien campés et plutôt attachants, entre le quadra mélomane  spécialiste du jazz, le variéteux sans talent (pléonasme ?)  qui s’accroche à son rêve, le producteur rapace (re-pléonasme ?), le groupe amateur qui répète dans la cave du Stéréo Club à l’insu de son propriétaire…pour ne citer que ceux-là, sans oublier bien sûr Jacky et Machin, Mohicans perpétuant la tradition des disquaires de quartier et au-delà des petits commerces de centre-ville.
Cette chronique sociale n’est pas sans évoquer dans son approche le travail de Dupuy-Berbérian ou Jean-Claude Denis mais sans toutefois se réduire à une simple comparaison avec ces illustres prédécesseurs même s’il y a en commun une juste restitution de l’air du temps en milieu urbain. Le Stéréo Club rend un bel hommage aux disquaires, sans nostalgie larmoyante et au contraire avec une bonne dose d’humour (et aussi d’amour tant qu’on y est) en démontrant une fois de plus que la musique est l’un des meilleurs vecteurs pour parler des mœurs de nos contemporains.

Bonus Track : 3 questions à Hervé Bourhis

45 Tours Rock

Dessins et textes : Hervé BOURHIS

J’avoue qu’au début, je me suis dit : « Hervé Bourhis nous refait le coup du Petit livre Rock et du Petit Livre Beatles mais cette fois-ci il s’est pas foulé ». Avec ce nouvel opus qui reprend le format d’une BD classique, on est en effet loin de la densité des deux ouvrages précédemment cités. Cette sélection de 45 tours ayant compté dans l’histoire du Rock (au moins, on reste dans le même concept du calembour sobre pour ce qui est du titre) librement choisis par l’auteur ne risque-t-elle pas de souffrir la comparaison avec ses illustres prédécesseurs ?
Passé cette première réticence, je commence la lecture de la chose. L’approche est moins graphique que dans les Petits Livres… et beaucoup plus ordonnée. Contrairement au patchwork débridé dont l’auteur avait fait sa marque de fabrique, chaque page est ici bâtie sur la même charte graphique, strictement respectée : une reproduction de la pochette originale (un exercice de style que l’auteur apprécie particulièrement), sous-titrée par la genèse du disque, le tout encadré par deux strips, un vertical et un horizontal, qui offrent une mise en perspective de l’œuvre, émaillée de citations, d’anecdotes, de comparaisons avec d’autres groupes ou artistes ayant œuvré (ou plagié) dans la même veine et plein de petits clins d’œil humoristiques ou ludiques, autre pêché mignon de Bourhis.
Ça commence par Be-Bop-A-Lula et ça se termine par You Really Got Me. Un classement alphabétique donc mais qui n’interdit pas une lecture non linéaire que j’ai rapidement adoptée au fil des pages, en picorant au gré de mes humeurs. Et tout comme avec le Petit Livre Rock, j’ai retrouvé la même addiction. Il faut dire que la formule est sacrément efficace, imparable comme un bon vieux riff en trois accords. D’abord le choix de ces 45 perles est assez incontestable, car l’on y retrouve des classiques du Rock dans tous les styles du noble art. Ensuite, le ton, mélange équilibré d’érudition (sans pédanterie) et d’humour. Avec quand même une pointe de nouveauté apportée par une mise en couleurs qui sert parfaitement le graphisme sobre et dynamique de l’auteur, décidément l’un des plus à mon goût dans le petit monde de la BD Rock.
Avec ces 45 tours qui tournent à plein tubes, Hervé Bourhis ajoute une nouvelle pierre à son œuvre d’exégète graphique du Rock et l’on ne peut que souhaiter que ça dure.

Hervé BOURHIS – Interview

D’aucuns ont essayé de raconter l’histoire du Rock en Bandes Dessinées. Entreprise ambitieuse mais vaine semble-t-il. Hervé Bourhis, lui, a su trouver une formule pour s’approcher du but. Ça s’appelle le Petit Livre Rock, un jeu de mot sans prétention pour désigner un patchwork graphique qui retrace cinq décennies de Rock. Une œuvre originale qui est vite devenue une référence dans la BD Rock. Depuis, l’auteur a récidivé avec le Petit Livre Beatles, tout aussi touffu et érudit. Une entrevue s’imposait pour bien cerner la ligne d’un tel parti pris.

Résumer plus d’un demi-siècle d’histoire du Rock, était-ce une démarche planifiée ou bien plutôt une compilation de dessins réalisés au fil du temps et de l’humeur, sans forcément de ligne directrice ?
Non, non, c’était planifié. D’ailleurs je ne dessine pas au fil de l’humeur, je ne dessine que pour faire une bande dessinée ou parce qu’on m’a commandé quelque chose.
En fait, à l’adolescence, j’ai commencé à acheter des magazines sur le rock, auxquels je ne comprenais quasiment rien. Puis j’ai commencé à découvrir des choses et à comprendre ce dont on parlait dans ces magazines. Assez vite, j’ai eu le goût de faire des listes. Comme le personnage dans le film « High Fidelity » de Stephen Frears . C’est une maladie commune à pas mal de mordus de musique. J’ai lu dans la biographie de Siné qu’il faisait ça aussi avec le Jazz dans les années 40… Bref, je notais des discographies, je les comparais, je notais des anecdotes…
Et l’on se moquait pas mal de moi avec cette manie. Alors pour me venger, j’ai décidé bien plus tard d’en faire un bouquin et d’ainsi justifier ces années à gratter dans ma chambre au lieu d’aller draguer les filles et fumer des cigarettes qui font rire.
J’avais deux références pour attaquer un livre qui parlerait de l’histoire du rock, « L’aventure de l’art au XXe siècle », dirigé par Jean-Louis Terrier, dont j’aimais l’aspect « chronique journalistique », chaque information étant donnée au présent, une bonne façon de faire vivre l’histoire. L’autre référence, c’est « L’histoire dessinée du théâtre » d’André Degaine, qui a décidé l’aspect graphique que devrait avoir mon bouquin. J’aime son côté psychopathe du détail, et le fait que tout soit dessiné et manuscrit, ça donne une belle cohérence, et un côté « amateur éclairé », un peu bout de ficelle, que je trouve chouette.
Je voulais faire un livre graphique, sans narration, une succession d’anecdotes, et que ça ressemble à un joli patchwork noir et blanc, rythmé, à la fois facile d’accès et pointu. Et super dense.

Avec le recul, quels sont les groupes, les artistes, les chansons, les albums ou encore les évènements que tu regrettes de ne pas avoir illustrés dans votre livre ?
Il y en a plein. Mais c’est illusoire de vouloir être exhaustif, et d’ailleurs ce n’est pas souhaitable si on veut garder un point de vue, inutile de parler des choses qu’on n’aime pas. Les évoquer à la limite. Il y a bien sûr les oublis, et les choses que je ne connais pas. Je ne fais pas non plus une encyclopédie, il y a des gens comme Assayas pour ça. Mais déjà pour la seconde édition du livre, j’ai rajouté 30 pages, je ne vais pas faire ça tous les deux ans. Pourtant, ça serait l’idéal. Un bouquin constamment évolutif. Mais tous les deux ans, les anciens lecteurs se sentiraient floués à la sortie de la nouvelle édition.

Parmi toutes ces périodes que tu as évoquées dans « Le Petit Livre Rock », se dégage-t-il selon toi un âge d’or du Rock ?
J’aime énormément de choses. Il y a eu des bonnes choses à chaque période, un peu moins au milieu des années 80 je trouve… L’âge d’or du Rock, c’est quand on a 16 ans et qu’on découvre un groupe bruyant qui change sa vie et qui donne envie de monter un groupe et de dire à sa maman avec aplomb, que désormais on choisira la couleur de ses slips soi-même. On peut dire que depuis le Punk, le Rock est moins primordial, qu’aujourd’hui par exemple c’est le Hip-hop qui revendique, c’est sur l’électro qu’on danse… Jusqu’à la disco, le Rock faisait tout ça.
Aujourd’hui, le Rock peut-être à la mode, mais il n’est pas très moderne. Ou quand il l’est, il n’est pas très rock. Comme le Jazz à partir des années 80, il s’est réfugié dans le revival de ses années de gloire 1955-1980. Et pourtant, aux concerts, il y a plein de gamins… Mais si j’aime particulièrement le Rock des années 63-73, je ne fais pas partie des gens qui n’écoutent qu’un style, ou qu’une période. J’écoute tout et je trie.

Tu es également l’auteur du « Petit Livre Beatles » qui reprend la formule graphique du « Petit Livre Rock ». As-tu procédé exactement de la même façon pour concevoir cette biographie ?
Oui et non, les livres se ressemblent, le principe est le même, une succession d’anecdotes de 1940 à aujourd’hui. La différence, c’est un soin particulier apporté à la documentation et au dessin. Là ou tout est survolé dans le  « Petit Livre Rock » , ici tout est plus fouillé et analysé. Chaque dessin correspond à une photo qui correspond exactement à l’anecdote dont on parle. C’est moins désinvolte.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Il n’y en a pas énormément. Ce sont deux genres qui ont été associés un peu artificiellement dans les années 70-80, puisqu’ils participaient de la « sous-culture pour la jeunesse ». Mais, entre faire une BD et composer une chanson de rock, c’est complètement différent. Et puis l’auteur de BD va rencontrer des collectionneurs boutonneux en dédicace à Angoulême, et le rocker va faire transpirer une foule lors d’un concert, c’est pas tout à fait la même émotion, le même contact, le même retour.
Encore que j’exagère, j’ai eu des fans, de très jeunes gens, super enthousiastes, qui avaient fait 150 bornes pour venir me voir en dédicace. Ça fait plaisir. Mais le bouquin était fini depuis un an, il n’y a pas l’immédiateté du Rock’n’roll. C’est un peu réchauffé comme relation.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Je ne sais pas. Crumb, le dessinateur rock 60’s par excellence n’a pas fait beaucoup d’émules il me semble. Et lui-même déteste le rock, de toute façon. Depuis Chaland, beaucoup de dessinateurs qui aiment le Rock dessinent assez « ligne claire », je ne sais pas trop pourquoi. Il y a un amour du noir et blanc, oui, du dessin proto-fifties.
Ça me fait rire d’ailleurs cette histoire de ligne claire. Dans le Rock, en général, on adore le son crade, l’immédiateté, et dans les gens qui font de la BD et qui se réclament du Rock, voire du Punk, on a souvent des gens très méticuleux, qui ont un trait très propre, qui font de la couleur directe compliquée, qui passent des jours sur un dessin. Et ils écoutent les Ramones. Bizarre.

Quels sont les auteurs de Bande dessinée qui ont, selon toi, le mieux retranscrit l’esprit et la culture Rock ? Certains t’ont-ils influencé ?
Plus jeune, j’ai adoré Chaland, Dodo & Ben Radis, Margerin… Mais est-ce qu’ils ont influencé mon travail, je ne sais pas… Sans doute pour ma série « Le Stéréo-Club », avec Rudy Spiessert. Je sais que le bouquin « Playlist » de Berberian m’a fait penser « tiens, y’a des éditeurs pour sortir ce genre de choses ». En fait, tout le monde m’a refusé « Le Petit Livre Rock », sauf 6 Pieds sous terre, mais ce qu’ils me proposaient, c’était du quasi-bénévolat, je ne pouvais pas me permettre… et finalement Dargaud, contre toute attente, et avec bonheur.
J’aime bien le travail de Jean-Christophe Menu sur « Lock Groove Comics», les livres de Peter Bagge… En fait quand j’aime un livre, je m’en fiche un peu de savoir si c’est « rock » ou pas. Ce n’est pas un gage de qualité ! Pour être franc, quand on me parle d’une super BD rock qui vient de sortir, j’ai plutôt envie de partir en courant. Il y a eu tellement de choses mauvaises, des années de fanzines punk misérables… A la réflexion, il existe deux genres de BD rock. Il y a celle qui parle de rock et celle qui a un « esprit rock », si tant est que ça signifie quelque chose. Moi, j’ai fait une BD qui parle de rock. Mais au bout du compte, je ne sais pas si mes autres livres sont si « rock » que ça.

Travailles-tu en musique ?
Quand je dessine oui, quand j’écris, non. Pour « Le Petit Livre Rock », je m’astreignais à écouter la musique de l’année que je dessinais. C’était parfois pénible, mais du coup, j’étais complètement immergé dans mon projet.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Un type qui a bien vécu, qui est mort vieux sans trop souffrir, et qui est resté créatif toute sa vie. Y’en a pas des masses dans le rock. Y’en a plus dans le blues.

Enfin, la question rituelle à un fan des Beatles : Lennon ou Mac Cartney ?
Brian Wilson.

© Editions L’àpart 2011

La chronique du Petit Livre Rock, c’est par là

Le Petit Livre Rock

Dessins et textes : Hervé BOURHIS

On est d’abord attiré par l’objet. Ce format 45 tours du bon vieux temps du vinyle quand les chansons se vendaient encore à l’unité et où l’on pouvait s’offrir le dernier tube d’un groupe sans être d’obligé d’acheter tout l’album. La couverture, découpée comme une vraie pochette de disque, d’un rouge sang bien pétant soulignant le noir du cercle central, où se détache en lettres blanches un titre simple, accrocheur, même un poil prétentieux, qui suscite la curiosité et l’envie irrésistible de voir de quoi il retourne.

En ouvrant le livre on découvre une série de dessins sans fil conducteur apparent, ah si, une année en haut, sur la page de gauche. On tourne les pages, d’accord, c’est chronologique, une histoire du Rock en BD donc ?
Un coup d’œil plus attentif sur les dessins… la pochette d’Highway To Hell, le logo des Satellites, les Pixies en concert… oui, mais encore ?
Avant de refermer l’ouvrage, on prend quand même le temps de lire quelques textes, tiens, c’est juste après la mort de Presley qu’Elvis Costello a choisi son pseudo. Ah oui, c’est vrai, Jon Spencer a d’abord joué dans Pussy Galore, Eh, mais moi aussi j’étais amoureux de Kim Deal, en plus c’est moi qui l’ai vue le premier ! Ah bon, Rivers Cuomo a une jambe plus courte que l’autre ? déjà qu’il est pas bien grand…
Dix minutes plus tard, on sort de la librairie avec l’opus et le soir on le reprend du début. Juste quelques pages, avant de s’endormir, demain y’a école. Les années s’écoulent au fil des dessins… Il est quelle heure là ? Bon allez, je termine les années 1980 et promis, j’éteins…
Hervé Bourhis parvient à illustrer grâce à un choix subtil et équilibré de grands évènements et des petites anecdotes, le foisonnement de cinq décennies de Rock. Pochettes d’albums, images de concert, portraits, scènettes lycéennes, agrémentées de textes manuscrits ou informatiques, courts, précis, parfois ironiques ou percutants comme des gros titres de journaux se juxtaposent avec bonheur, et forment un tout cohérent et équilibré.
Pour autant, bien qu’il soit très dense et au bout du compte assez didactique « Le Petit Livre Rock » n’est ni une anthologie, ni une encyclopédie. Plutôt une autobiographie ludique et interactive (tant elle évoque en nous de souvenirs), le journal intime d’un véritable passionné de Rock. Ca commence en 1951 et ça s’arrête en 2007 et même 2008 dans la deuxième édition mais ça se peut être lu ou butiné dans n’importe quel ordre, complètement ou par bribes et surtout ça déclenche immanquablement l’envie de réécouter toute sa discothèque.

L’interview d’Hervé Bourhis, c’est ici