Bonus Track : Gilles Poussin

A propos de Ketchup Boy, 3 questions à Gilles POUSSIN

Le récit se déroule en partie à Nantes, à la fin des années 1970, alors que le Rock français n’est pas aussi développé qu’aujourd’hui. Pourquoi avoir choisi ce lieu et cette période ?
Nantes, comme le titre d’ailleurs de l’album (« Ketchup Boy »), a été choisi par l’éditeur (Georges Mérel, responsable de la collection Flambant 9 chez L’Atalante) qui réside dans cette ville. Mais cette contrainte m’a arrangé, ayant moi-même vécu à Nantes, de 1982 à 1987… Et le dessinateur, Guillaume Berteloot, habite également dans la région nantaise (du coup, il a fait des relevés très précis, la maison de Ketchup, par exemple, existe vraiment !).
Pour la période (en gros, de 1979 à 1994), cela me semblait l’évidence même, c’est le moment de ma vie où j’étais en pleine activité dans le rock et je me suis servi de ce vécu pour bâtir mon synopsis. De plus, il n’existait aucune BD sur le rock en province des années 1980, et traité de manière réaliste encore moins. Ma référence en la matière, d’ailleurs, n’est pas une BD, mais un roman, « Human Punk », de John King, qui m’a fortement impressionné et motivé. Mais en y réfléchissant bien, pour la BD, il y a ce joyau incomparable qu’est « Locas » de Jaime Hernandez. Il m’a scotché, tant au niveau de la narration que du dessin et j’ai découvert sa traduction au moment de la rédaction de « KetchKetchup Boy Ketchup Boy ; Poussin - Berteloot © Librairie L’Atalante, 2008up »… Donc, ça m’a influencé dans mon travail de scénariste.
L’angle d’attaque, c’était de répondre aux innombrables livres qui radotent l’histoire officielle centralisée du rock français et pouvoir enfin raconter le parcours d’un de ces « soldats oubliés » du binaire hexagonal. Pour l’ambiance, j’avais en tête le « Avoir été », de Rodolphe et Ferrandez, publié dans le recueil « Outsiders » aux Humanos, une petite perle des années quatre-vingt que je n’avais pas oubliée… Et, hasard de la vie, c’est Rodolphe qui m’a présenté Guillaume Berteloot, le dessinateur.
Au fond, l’idée, c’était d’être le plus personnel et le plus honnête possible… sans être lourd.

Comment est né le personnage de Ketchup Boy et pourquoi avoir opté pour un bassiste plutôt qu’un frontman, guitariste ou chanteur ?
Par commodité, pour me sentir à l’aise : je suis bassiste.

Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un dessin classique pour mettre en image l’histoire très rock’n roll de ce jeune rebelle ?
Le choix d’un dessinateur réaliste était pour moi fondamental. Je ne voulais pas du côté « humoristique » habituel de la BD Rock (même si j’apprécie hautement le travail de Margerin, Jano, Clerc, Vuillemin, etc.), je ne le voyais pas comme ça. En plus, mon ADN a été marqué au fer rouge durant mon enfance par le journal Tintin (le dessin réaliste était mis en avant dans cette revue), puis, plus tard, par les grands classiques américains (« Le Fantôme », « Rip Kirby », les Marvel et DC comics, les Creepy et Eerie, Will Eisner…) et les franco-belges réalistes ou semi-réalistes (Tillieux, Jijé, Giraud, Tardi…). Enfin, je trouvais que le côté « épopée » de l’histoire était mieux servi par un dessin de cette sorte et les grandes sagas familiales m’ont toujours fascinées (comme le pocket « La Route de l’Ouest » de Gino d’Antonio, par exemple). Au final, avec Guillaume, bien que bossant à 700 bornes de distance, on s’est très bien entendu… on avait quasiment la même culture !

Ketchup Boy

Dessins : Guillaume BERTELOOT – Textes : Gilles POUSSIN

L’une des figures de proue dans la galerie de portraits des héros Rock, c’est bien sûr l’adolescent rebelle, en révolte contre ce qu’il croit être le système, les parents, les profs… en gros les adultes. Un anarchiste en herbe qui cache derrière son attitude provocatrice, une soif inextinguible de reconnaissance.
Servi par un graphisme réaliste et assez classique, peu utilisé dans la BD Rock jusqu’alors, Ketchup Boy raconte le destin d’un de ces personnages emblématiques du Rock avec une empathie qui pourrait laisser croire qu’il s’agit d’une biographie.
Le livre recrée l’atmosphère de la fin des années 1970 dans la France profonde même si l’on pourrait regretter de ne pas y voir évoqués le phénomène Disco et aussi le Hard Rock en pleine émergence (Hard-Rock et Punk/New Wave divisaient âprement les critiques Rock dans les colonnes de Best et Rock & Folk ).
A cette époque, dans un lycée de province (fusse dans une grande ville de province comme Nantes), être un fan de Punk n’avait rien d’évident. Le genre était récent et n’avait que peu de représentants dans la scène française (« Starshooter » et « Bijou » entre autres). Son imagerie déjantée, iconoclaste (qui venait de fait réveiller l’esprit rock’n roll) et, du moins au début, très approximative sur le plan musical, se heurtait aux vielles valeurs bien installées d’un Rock devenu emphatique et mercantile.
Le Punk, Lucien (tiens, tiens…) Bastardi (un vrai patronyme rock’n roll !) veut le jouer, quoi qu’il en coûte et il est prêt pour cela à tous efforts (des innombrables heures d’apprentissage et de pratique de sa basse) les sacrifices et aussi toutes les trahisons. Son rêve, il va le réaliser mais devra en payer le prix.
Même si l’enthousiasme et l’optimisme animent le parcours de Ketchup Boy, le récit n’est pas idéaliste pour autant et met en avant les aspects négatifs de l’existence d’un musicien de Rock. Lucien est un jouisseur qui réserve sa fidélité à la musique et surtout pas aux filles, même celle pour laquelle il éprouve de vrais sentiments. C’est un aussi un sacré chercheur d’embrouilles et peu importe si ce n’est pas un as de la baston. Évidemment, il ne rate pas non plus une occasion de se bourrer la gueule et n’est pas le dernier pour les pétards même s’il est clairement opposé aux drogues dures, ce qui n’est pas le cas de tous les membres de Kamikaz Zone, son deuxième groupe. Ketchup Boy ; Berteloot - Poussin © Librairie L’Atalante, 2008Malgré ses défauts et les erreurs de parcours, Ketchup Boy
s’accroche à son rêve et ne dérive pas de son objectif de devenir un vrai musicien de Rock.
Avec le groupe suivant, Plexiglass, Lucien décrochera un disque d’or mais sa personnalité trop intransigeante se retournera une fois de plus contre lui.
Le destin de Ketchup Boy évoque avec justesse ces musiciens et ces groupes qui ont affronté tous les écueils sur la voie du Rock, surtout en France et encore plus à cette époque, et ont réussi malgré tout à faire tant bien que mal, ce qu’il convient d’appeler une carrière, si éphémère fut elle.

Bonus Track : 3 questions à Gilles Poussin