Serge Clerc – Interview

Serge Clerc avait le choix entre faire de la BD et réussir ses études. Mais en envoyant ses planches à Jean-Pierre Donnet, à la recherche de nouveaux talents pour Métal Hurlant, il a définitivement renoncé à la première option. Abandonnant son Rhône natal, il est parti s’installer à Paris et n’en est plus reparti. Ecumant les concerts de Rock et s’acharnant sur sa table de travail à peaufiner son style, la synthèse entre Rock et BD est rapidement devenu son credo, publiant régulièrement ses dessins dans Rock & Folk, le New Musical Express et bien sûr Métal Hurlant. Il a également signé de superbes pochettes de disques pour Joe Jackson ou les Fleshtones (s’il vous plait !). Entretien avec ce parangon de la BD Rock.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à choisir le Rock comme l’un des thèmes principaux de votre travail ?
A vrai dire, à l’époque, je faisais en même temps du Rock et de la science-fiction. J’avais 17 ans et avec des copains on écoutait pas mal de Rock. Pratiquement dès le départ, en 1975, j’ai bossé en même temps pour Rock & Folk où je réalisais des illustrations sur le thème du Rock et pour Métal Hurlant où je faisais de la S-F. J’étais encore en province et j’envoyais mes dessins par la Poste.
Philippe Manœuvre et parfois aussi Philippe Paringaux m’écrivaient des textes assez courts, des histoires de deux ou trois pages. C’était une époque bénie où l’on pouvait faire ce qu’on voulait, un jour de la S-F, l’autre du Rock. On était à la confluence de tous ces genres, voire sous-genres, pas connus du grand public mais que nous aimions faire. On était des sortes de disciples de ces sectes là, avec tout l’underground qui venait des Etats-Unis. J’achetais régulièrement la revue Zap Comix. C’est comme ça que j’ai découvert les Freaks Brothers et Vaughn Bodé, Spain Rodriguez, Bernie Wrightson, Richard Corben, Alex Toth et bien sûr Crumb auquel je ne comprenais pas grand-chose mais c’était le dessin qui m’intéressait par-dessus tout. Je baignais dans cette mouvance et ça tombait sous le sens de travailler dans cette voie-là.

Quels points communs voyez-vous entre rock et BD ?
Ce sont plutôt des genres pour les jeunes. Les banquiers, c’est pas trop leur truc. La BD et le Rock sont des trucs faits pour les teenagers, à la base. Il y a peu d’adultes qui sont dans la BD ou le Rock, un peu plus maintenant certes, mais il n’y en a pas tant que ça. Moi, je suis tellement dedans que ça me semble évident, ce sont deux choses qui allaient forcément ensemble. Au lycée, il y avait le main stream qui était des crétins et on était trois, quatre mecs un peu pointus qui écoutaient du Rock et qui aimaient la BD, donc plus évolués que les crétins.

On distingue en gros deux périodes dans votre graphisme. A quoi est due cette évolution ?
En fait, je n’ai pas arrêté d’évoluer. Je cherche tout le temps, j’ai fait des milliers d’études que j’ai classées par année. Avec le recul, on distingue les époques mais quand on est dedans on évolue sans s’en apercevoir. Au début, c’était pour m’améliorer, j’étais tellement jeune, je me demandais ce que je foutais là. Donc il a fallu que j’apprenne mon métier sur le tas. Au début, j’étais vraiment influencé par Moebius et Crumb.
Et puis c’est vrai qu’à partir de 1980, j’ai commencé à affiner mon style avec un trait plus acéré. J’ai eu une période, en gros entre 1981 et 1983 que je peux qualifier de « magique », en couleurs directes, à l’époque où j’ai fait par exemple « Stool Pigeon » adapté de Kid Creole and the Coconuts (August Darnell, le chanteur du groupe a dit à propos de cette adaptation « This guy really captured my style »). A partir de 1984 environ, c’est vrai que j’ai un peu abandonné le noir, si l’on peut dire, avec ces contours et ces aplats très marqués. Mais j’y reviens un peu maintenant.

Existe-t-il, selon vous un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Effectivement, il peut y avoir des esthétiques Rock, avec des planches un peu barrées dans tous les sens. C’est vrai qu’un dessin très réaliste se prêtera peut-être un peu moins bien au sujet qu’un trait plus libre, plus lâché. Jean-Christophe Menu me semble un bon exemple, il est tout à fait dans l’esprit de ce qui se faisait à Métal Hurlant. Mais le Rock, c’est avant tout le sujet. Hugo Pratt aurait pu faire une BD Rock.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à dessiner quand on représente une scène de Rock ?
J’aime bien bosser à partir d’une documentation précise et le Rock est un domaine où l’on en a beaucoup à disposition. Je ne suis pas un dessinateur de l’imaginaire. J’ai toujours eu besoin de sources précises pour travailler. La documentation m’inspire énormément. J’ai souvent fait mon miel de photos tirées de revues anglaises ou américaines comme Creem ou New Musical Express.
Mais sinon, il n’y a rien de difficile à dessiner dans le Rock… à part les tronches des mecs. J’étais super pas bon dans les ressemblances, je ramais pas mal, heureusement Manœuvre me filait pas mal de photos. Dernièrement, j’ai été confronté à l’histoire des Stranglers pour Rock Strips, chez Flammarion, il y avait près de 20 ans que je ne m’étais pas prêté à l’exercice. Du coup j’ai plutôt raconté l’Angleterre de l’époque et je ne me suis pas trop appesanti sur les ressemblances, qui demandent un état d’esprit assez particulier, pour justement ne pas être trop ressemblant. Il faut vraiment être à fond dedans et je ne disposais pas d’assez de temps comme à l’époque de Métal Hurlant.

Vous avez évoqué de nombreuses figures du Rock dans vos récits (The Clash, Blondie, Les Cramps, les Beach Boys, …). Qu’est-ce qui vous conduisait à choisir de les mettre en image, y’avait-il des « tronches » qui se prêtaient mieux à la BD en général ou à votre style de dessin ?
Non, c’était vraiment une affaire de goût. Les miens et ceux de Philippe Manœuvre. La première question qu’il me pose quand je le rencontre lors de mes débuts à Métal Hurlant en 1976, c’est « t’aimes quoi comme groupes ? ». Comme j’étais un peu intimidé, je bredouille: « Les Doors » et il comprend « Ange » ! Déjà que j’avais les cheveux longs… il a tiré une tronche de quinze pieds de long. Bon, j’ai rectifié, ça l’a rassuré.
Mais Manoeuvre ne m’a jamais forcé à faire des trucs que je n’aimais pas. Jamais de la vie je n’aurais fait AC/DC alors que c’est un groupe que Manœuvre adore.

Vous avez très peu dessiné de groupes ou d’artistes français, alors que vous avez vécu de près l’éclosion de la scène rock en France à la fin des années 70 et au début des années 80, pourquoi ?
Oui, effectivement, à part Starshooter et Bijou. J’ai également réalisé le visuel d’un coffret d’une compilation d’Eddy Mitchell en 1976, ce qui était d’ailleurs mon tout premier travail en dehors de Métal Hurlant. Mais c’est le hasard, il n’y avait pas d’ostracisme. J’aurais bien aimé faire un truc sur Les Dogs par exemple. J’allais régulièrement au Rose Bonbon à Paris. De 1975 à 1984, c’était le lieu de l’interconnexion entre le Rock et la BD où tous les dessinateurs de Métal Hurlant (Margerin, Denis Sire, Dodo et Ben Radis, Trambert, Jano, Kent, Arno…) venaient voir les nouveaux groupes jouer. Mais moi, j’étais plus souvent au bar en train de draguer et me bourrer la gueule pour me donner du courage, donc je n’écoutais pas forcément tous ces groupes qui passaient. Et comme à l’instar de toute l’équipe de Métal Hurlant, je ne payais pas mes entrées, je pouvais sans problème manquer le concert. Je n’étais pas un fan au premier rang et il y a beaucoup de trucs qui me sont passés au-dessus du cigare comme ça. En fait, je travaillais essentiellement sur les commandes et les impulsions de Philippe Manœuvre qui savait parfaitement ce qui me conviendrait. Donc, c’est vrai, je n’ai pas beaucoup dessiné de Français mais ce n’était pas de ma faute !

Travaillez-vous en musique ?
Ca dépend. Dans les années 1980, j’étais totalement immergé dans le Rock et j’en écoutais tout le temps, sans parler des concerts où j’allais régulièrement. Dans les années 1990, j’ai un peu été traître à la cause en écoutant France Culture pour me faire ma culture générale. Maintenant, je n’en écoute pas souvent quand je travaille, j’ai vraiment besoin de me concentrer.

Si vous pouviez vous réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisiriez-vous ?
J’aimerais bien me retrouver à Los Angeles dans les années 65-66, à l’époque des Doors, sans forcément me réincarner en Jim Morrison mais pour vraiment ressentir l’atmosphère de l’époque. Et pourtant, Dieu sait si je préfère New-York !

Votre approche des groupes ou artistes que vous avez illustrés était souvent parodique ou détournée pour présenter votre propre vision de leur légende. N’avez-vous eu jamais envie de dessiner une biographie « sérieuse » d’un de vos groupes ou artiste préférés ?
Non, je préfère vraiment mettre ma patte d’auteur. Mais parfois, on n’a pas été loin de ça dans quelques bios avec François Gorin dans La Légende du Rock’n Roll même si on trouvait toujours un biais pour que ce soit moins austère. Le but du jeu était d’utiliser le parcours ou un bout du parcours d’un groupe ou d’un artiste et d’en faire quelque chose d’intéressant. Dans l’absolu, je ne serais pas contre l’idée de faire une « vraie » biographie, sauf que je ne suis pas rapide et faire un album d’une quarantaine de pages c’est déjà un an de sa vie et de toute façon une biographie de 40 pages, ce serait trop court pour traiter le sujet.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du Rock et de la BD depuis les années 80 ?
J’ai un peu raté la mutation de la BD à partir des années 1990. Il y avait tellement de nouveautés que je n’osais plus rentrer dans une librairie. En résumé, l’évolution, c’est qu’il y a trop de trucs. C’est une logique purement commerciale, néolibérale à la con qui est à l’œuvre et pas du tout une démarche de production d’auteurs. Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les « pépites » avec un dessin qui ait une âme et qui me fasse vibrer, pas une démonstration technique comme on en voit plein actuellement. Aujourd’hui, ça tourne à environ 4000 nouveautés par an, dont la moitié est sans intérêt. Les éditeurs se tirent la bourre entre eux et sortent cent trucs en même temps, un peu d’ailleurs comme dans les maisons de disque à la fin des années 1980, pour ensuite miser tout le pognon sur celui qui surnage. C’est vraiment l’ère du pur marketing, suicidaire à mon avis, comme la finance depuis les années 2000. C’est une logique de guerre, il faut occuper le terrain. Je me suis retiré de cette lutte fratricide et je reste pessimiste sur cette évolution qui mène la BD droit au tapis.
S’agissant du Rock, je capte quelques trucs intéressants qui sortent aujourd’hui mais je n’ai plus le temps de m’investir là-dedans, mes projets m’accaparent beaucoup trop.

Sur une île déserte, quel album de Rock emporteriez-vous ?
Il est hors de question que je m’égare sur un bateau, donc je n’échouerai jamais sur une île déserte !
Sinon, j’ai pas toujours envie d’écouter un album tout entier. J’opterais plutôt pour une vaste compilation de la New Wave anglaise des années 80, avec des trucs comme Spandau Ballet, Human League, Simple Minds, Siouxie and the Banshees… mais pas XTC, ils étaient vraiment trop casse-couilles !

La chronique du Journal, c’est par là et celle de l’Intégrale Rock de Serge Clerc, par ici

Riff Reb’s

Dessins et textes : RIFF REB’S

Déjà, avec pareil pseudo, on devine que l’on ne va pas faire dans la dentelle. Riff Reb’s fait partie de ces auteurs dont le style pourrait aider à trouver la définition de ce qu’est le graphisme Rock, si tant est que cela présente un quelconque intérêt. Avec des œuvres comme « La Crève », « Le Bal de la Sueur » ou « Glam et Comet », son trait sombre, tout aussi élégant que percutant donne vie à des intrigues et des personnages hors du communs, déjantés, marginaux, délurés, bref bien Rock’n Roll.
Depuis qu’il a commis le « Petit Rocker Illustré de A à Z », on se doutait que l’homme appréciait la musique bruyante et saturée. Ce petit opus vient amplement confirmer les soupçons et asseoir définitivement sa culpabilité.
Riff Reb’s offre, en même temps qu’un superbe condensé de son talent, de somptueux hommages à la fine fleur du bon vieux gros Rock qui tâche, tels Motörhead, Thin Lizzy, AC/DC, MC5 ou Red Hot Chili Peppers (avant qu’ils ne se couillemollisent) dans des visions flamboyantes, chaloupant entre affiches de concert réelles ou fictives, films et couvertures de comics. Ce mélange détonant est aussi agrémenté de quelques illustrations sans lien direct avec le Rock mais totalement dans l’esprit.
Un petit bijou noir et blanc dont on pourrait juste regretter ce format carte postale, où certaines de ces fresques électriques se trouvent souvent un peu à l’étroit.

Nous sommes Motörhead

Dessins et textes : COLLECTIF

Les Collectifs ? Comment dire… Rien qu’avec leurs titres peu ragoûtants, calibrés pour les têtes de gondoles d’hypermarchés, du genre « Démis Roussos en bandes dessinées » ou encore « Les chansons de Frédéric François en BD », on imagine bien le making-of : « Eh, Duchmole, ça te dirait de faire un truc sur Machin ? – Ah ouais, cool, et tu veux combien de planches ? Pour quand ? Euh… et c’est payé combien ? Ah… ben, faut que je réfléchisse alors et pis tu sais en fait, Machin, à part son premier album… finalement j’connais pas bien et en plus le Black-Variète-Core, j’écoute plus trop ça… »
Le pire, c’est les illustrations de chansons en BD. Ca confirme que même un bon texte de chanson constitue rarement un scénario intéressant, même avec des grosses pointures de la planche. On reste trop dans l’adaptation littérale. Bien qu’il en existe, comme le Bob Dylan Revisited par exemple, qui comporte quelques trucs sympas, la plupart du temps, mieux vaut refermer vite le bouquin et remettre le son. Ce genre d’exercice donne plus l’impression que les éditeurs qui se sont lancés là-dedans avaient au mieux envie de se faire plaisir, au pire espéraient faire un bon coup commercial, (l’un n’empêchant certes pas l’autre) surtout en choisissant de mettre en images quelques franchouillards bien bankables, du genre qui créent de mini-émeutes dans les allées du festival d’Angoulême.
Bon, maintenant que j’ai plombé l’ambiance, y’a plus qu’à allumer les Marshall et pousser les potards à fond dans le coin car maintenant on va parler de Rock’n Roll et donc de Motörhead. Car s’il est un gang qui depuis plus de 30 ans fait l’unanimité dans toutes les chapelles du culte du Binaire Primaire, c’est bien le trio de Sir Lemmy Kilmister. Faites le test, demandez au plus élitiste des fans de Post-Rock underground si, quand même, y’aurait pas un groupe de Rock « connu » qui trouverait grâce à ses yeux, à part bien sûr les Beatles (hors compète) il vous concèdera que « ouais, Motörhead, à la limite, c’est vrai que… ». Motörhead, ça triche pas, c’est carré, sans surprise, réconfortant. On met le disque et on s’en prend plein sa race, juste ce qu’il faut. A 70 balais, avec des tiags, un stetson, des cheveux filasses, des rouflaquettes et du diabète, n’importe qui à la place de Lemmy serait parfaitement ridicule (qui a crié Johnny ? vraiment, c’est pas malin !). Lemmy, c’est le surhomme nietszchien, l’essence platonicienne du Rocker, qui impose le respect idolâtre. Un jeu de basse tellurique, une voix granitique, rauqu’n râle, peaufinée au papier de verre gros grain trempé dans le Jack Daniels et une ribambelle d’hymnes heavy-rock, métal et même punk (foin des étiquettes, Lemmy vous expliquerait que tout ça, c’est  juste du Rock’n Roll et une question de réglage de la pédale distorsion).
La préface résume bien la démarche. En France, on n’arrivera jamais à sortir un groupe comme Motörhead mais on a la BD. Là, on est bons, on sait faire. Alors on va brancher les crayons et les pinceaux et rendre à la bande à Lemmy l’hommage qu’elle mérite.
Mais face à un tel monument, il fallait donc mettre la barre très haut. « Nous sommes Motörhead » (pour ceux qui ne comprennent pas le choix du titre, je ne peux, hélas, rien) s’y est employé. Un format 33 tours, comme à la grande époque, une couv noire (comment faire autrement ?) et un visuel monstrueux de la bête magistralement revisitée par Lamquet.
A l’intérieur, des récits courts, efficaces, des évocations oniriques (Oiry), iconoclastes (Witko), drolatiques (Bouzard), révérencieuses (Josso), mystiques (Micol), autobiographiques (Menu) mais jamais béates. Motörhead, c’est pas pour les groupies. La démarche des auteurs est sincère à l’évidence et tous ont tenu à se mettre à la hauteur et transmettre à leur manière leur admiration pour le trio british. Et cela nous donne une compilation qui constitue désormais une référence en matière d’ouvrages de BD collectif.
Ben, voilà, c’était pas compliqué, il suffisait juste de choisir des auteurs de talent, fleurons de cette fameuse nouvelle BD (pour faire dans le raccourci commode), affranchis de l’héritage académique de la grande école franco-belge et véritablement concernés par le Rock (et donc Motörhead, au cas où vous n’auriez toujours pas pigé) parce que définitivement ils le sont et nous le sommes tous, oui, motherfuckers, nous sommes Motörhead !
Sinon, j’avoue, Demis Roussos en bandes dessinées, ça se fera jamais, il faudrait au moins 300 planches pour être au niveau du sujet et aucun éditeur ne prendrait un tel risque (ou alors une co-édition Weight-Watchers ?). En revanche, Frédéric François par Bouzard, Luz ou Menu, je serais curieux de voir ça…

Et pour en savoir plus sur ce sacré Lemmy, le documentaire éponyme s’impose.

Frank MARGERIN – Interview

On ne présente plus Frank Margerin. Pionnier de la BD Rock, à la grande époque de Métal Hurlant, le papa de la banane la plus profilée de l’histoire du Rock’n Roll, a fait de Lucien l’un des héros les plus célèbres de la Bande Dessinée. Musicien, motard, collectionneur de collections d’objet vintage dont il remplit inlassablement son atelier, le Rock lui colle à la peau et au crayon.

Q- Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Ce sont des médias jeunes. La bande dessinée est un peu plus vieille que le Rock mais a beaucoup évolué dans les années 1970. Moi, quand j’étais gamin, j’avais vingt ans le Rock et j’aimais la BD et nous étions, je pense, nombreux dans ce cas.
Maintenant, il n’y a pas de points communs directs puisqu’il s’agit de deux disciplines très différentes, d’un côté le dessin, de l’autre la musique, le rythme. Mais malgré ces différences, elles touchent les mêmes gens.

GUITARISTE A LA BANANE par Margerin

 

Q- Le rock est souvent traité de manière caricaturale ou parodique dans la BD, que ce soit dans les scénarios ou dans le graphisme. C’est un bon filon pour un auteur de BD humoristique ?
Le Rock pour moi, c’est une mine de gags. Tous les gens qui ont fait du rock ont des anecdotes à raconter. Ce sont souvent des galères, parce que c’est un métier, si on peut appeler ça un métier, dans lequel on a du mal à vivre confortablement avec beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Il y a des groupes effectivement qui sont de grosses locomotives, les Rolling Stones, les Beatles, etc. et puis derrière il y a des milliers de petits groupes qui rêvent de connaître le même destin et qui galèrent, qui jouent dans des salles pourries avec du matériel pourri et à qui il arrive des tas d’anecdotes. Pour moi qui fais de l’humour, c’était une source inépuisable. En plus, c’est quelque chose que j’ai approché, donc j’ai tout de suite vu qu’en effet c’était un bon filon.

Q- Existent-ils des groupes ou des artistes de rock qui ont pu avoir un impact sur ton travail ?
Les groupes de rock ne m’ont pas vraiment influencé dans mon travail. Je les appréciais, je pouvais ressentir plein de choses en écoutant leur musique mais dans la BD, ce sont plutôt des graphistes qui m’ont inspiré.

Q- Justement, en BD, quels sont les dessinateurs qui t’ont influencé ?
Quand j’étais gamin, je lisais des bandes dessinées qui n’étaient pas du tout Rock, comme Astérix, Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe, Lucky Luke… des choses très classiques, très franco-belges. Et puis la bande dessinée est devenue adulte en même temps que moi. Mes « aînés », des gens comme Gotlib, Moebius, Druillet… ont fait tomber des tabous. La BD a en quelque sorte explosé. J’ai aussi découvert à cette époque la bande dessinée underground américaine où là les mecs se lâchaient vraiment avec du sexe, de la drogue, des trucs qu’on ne pouvait pas imaginer voir en BD autrefois. C’est comme cela que j’ai découvert Crumb et Shelton qui m’ont marqué.
Désormais, on n’avait plus l’obligation de faire des aventures « grand public ». J’ai réalisé que la BD a ceci de génial, qu’elle ne demande pas des gros moyens techniques ou financiers pour débuter. Il suffit juste d’avoir le goût du dessin et de l’imagination et on peut raconter ce qu’on veut.
Sur le plan graphique, Franquin m’a beaucoup apporté avec sa richesse dans le dessin et dans le mouvement des personnages.
Et puis il y a Dubout qui était un illustrateur prodigieux. Enfant, j’adorais son travail, je voyais les affiches des films de Pagnol, il y avait du délire là-dedans. Et c’est peut-être grâce à lui que j’ai inséré tous ces petits détails dans mes dessins.

Q- Lucien, Ricky, Gillou et Riton apparaissent au début des années 1980. On est en pleine New Wave et à l’apogée du Punk. Or tes héros sont des fans de rock’n roll des années 1950. Pourquoi ce décalage temporel ?
En fait, quand Philippe Manoeuvre est arrivé à « Métal Hurlant », il a amené cette petite touche de rock qui a commencé à pointer dans ce magazine, au départ essentiellement orienté vers la science-fiction. Mais on était déjà dans la mouvance, ça commençait un peu à se profiler. Manœuvre a suggéré que l’on fasse un numéro spécial Rock (NDR : Métal Hurlant, Hors Série n° 39 bis, mars 1979) et c’est pour ce numéro que j’ai créé une bande de copains qui jouent du Rock. A l’époque, à la fin des années 1970, quand je pensais Rock, ça aurait pu m’évoquer Led Zep, Jimmy Page, le genre cheveux super longs… mais non, je voyais vraiment le début du Rock, les mecs avec la banane gominée, les rouflaquettes et tout ça et je me suis dit que j’allais faire une bande dessinée là-dessus. En plus, quelques années auparavant, on avait monté un groupe de Rock, avec des copains où l’on ne faisait que des reprises de vieux tubes Yé-Yé, des trucs du genre « Eddy, sois bon », « Dactylo Rock », les tubes des Chats Sauvages, Chaussettes Noires et compagnie.
J’ai donc créé cette histoire (NDR :« Les rois du Rock ») mais dans mon esprit, ce n’était qu’un One-Shot sur le thème du Rock, les personnages n’étaient pas censés revenir. Donc, j’ai fait ça très rétro, les personnages roulaient sur des cyclos-sports, genre Flandria et fréquentaient des troquets où il y avait des juke-box…
En fait, j’ai pris beaucoup de plaisir à créer ce récit, d’autant que c’était la première fois que je ne racontais pas une histoire qui n’était pas totalement inventée (auparavant, je faisais des parodies de science-fiction). Là, j’avais puisé dans mes souvenirs de répètes, avec les mecs qui montent le volume, etc. et j’ai eu un petit déclic. Je me suis aperçu que c’était vachement plus rigolo de raconter des trucs vécus que d’inventer des histoires improbables de Martiens. J’ai également eu un bon retour des potes qui avaient lu ma BD et que ça avait bien fait marrer. Tout ça m’a encouragé à continuer et petit à petit, Lucien s’est imposé.
Par la suite, je n’ai pas voulu rester coincé dans les années1960 et j’ai progressivement commencé à retirer du décor les vieilles voitures et les Teppaz et à faire des personnages un peu plus intemporels.

Q- Une des clés du succès de Lucien, hormis l’efficacité du graphisme et des gags, réside dans le fait que les personnages, malgré leur aspect caricatural, sonnent parfaitement juste. Quelles sont tes sources d’inspiration ?

BATTEUR ÉNERVÉ par Margerin

On ne peut parler bien que de ce que l’on connaît. Ce qui a fait le succès de Lucien, c’est que les héros se retrouvaient dans des situations tout à fait crédibles. Si je n’avais pas eu cette expérience avec « Los Crados », le groupe dans lequel je jouais aux Arts Appliqués, j’aurais peut-être eu une vue plus extérieure du Rock. Or ce qui est important pour moi, c’est de connaître vraiment les choses de l’intérieur. La plupart des histoires que j’ai racontées ont été plus ou moins vécues, soit personnellement, soit par des copains.

Q- Lucien s’est progressivement affirmé comme le personnage principal de ta bande de rockers. Qu’est-ce qu’il avait de plus que les autres ?
Tout simplement : la Banane ! (rires). Quand j’ai créé mes personnages, je les ai tous faits un peu typés, comme on fait souvent en BD. Lucien au départ, c’était un peu le petit gros de la bande, un personnage de second plan, le héros étant Ricky Banlieue. Je ne sais pas pourquoi je l’ai affublé de cette banane mais je me suis dit que cette coiffure était plus marrante que les autres. Lucien s’est donc tout simplement imposé par cette coiffure qui le rendait à la fois plus rigolo et plus rock’n roll que les autres personnages sans que je m’en rende compte tout de suite. Au bout de deux, trois histoires, je me suis aperçu qu’il avait pris la vedette, un peu à mon insu.

Q- Tu es aussi musicien. Tu aurais préféré être une rock-star qu’une star de la BD ?
Je suis devenu musicien par la suite. Je ne l’étais pas quand j’avais 20 ans et que j’ai commencé à réfléchir à ce que j’allais faire. Depuis que je suis tout petit, je n’arrête pas de dessiner, c’est une vraie passion, d’ailleurs dans ma famille, on est tous dans le dessin, la Fée du Dessin s’est penchée sur notre berceau. J’ai découvert la musique sur le tard. J’étais fasciné par les rock-stars mais je n’ai jamais pensé pouvoir en devenir une, j’étais trop timide. Alors que le dessin, c’est un truc d’intraverti, je restais chez moi, je n’arrêtais pas de dessiner et ça me convenait bien.
Après, la BD m’a amené à me retrouver sur une scène. Un jour, Philippe Manoeuvre a dit que ce serait bien de reformer le groupe des Arts Appliqués, « Los Crados »… ça a donné le « Denis Sire Quartet », puis on a monté un nouveau groupe, « Dennis’ Twist ». Mais ce sont des concours de circonstances qui ont fait que je me suis retrouvé à faire des disques, ce dont je ne m’imaginais pas capable.

Q- Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Roger Pougnard, un vrai rocker inconnu ! (rires). Non, quitte à se réincarner dans la peau d’une rock-star, autant prendre le top, comme Eddie Cochran, un de ces purs et durs restés mythiques car mort jeune et en pleine gloire. Sinon, dans un autre genre, David Bowie, qui était une véritable icône dans les années 1970. J’aurais aimé être un mec comme ça, quelqu’un qui sorte un peu du lot. Tout compte fait, un des quatre Beatles me conviendrait très bien. Ce que j’appréciais chez eux, c’étaient quatre stars, individuellement talentueux mais en plus drôles et sympathiques.

Q- Travailles-tu en musique ?
Oui, principalement. J’écoute pas mal la radio et puis j’ai des CD qui tournent sur ma chaîne toute la journée ou sur mon ordinateur. Par contre je ne suis pas fixé sur un style particulier. J’écoute de tout, souvent en lecture aléatoire, du Rock bien sûr, de la chanson française, du Blues, de la Soul, des musiques du Monde… J’aime bien la diversité.

Q- Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Un style de dessin, je ne pense pas. Des auteurs comme Serge Clerc, Tramber et Jano, Dodo et Ben Radis ont raconté des histoires de Rock mais chacun avec leur style, leur graphisme. Un esprit Rock, oui, même si ça reste difficile à définir. Il y a des jours où l’on peut se sentir Rock et d’autres non… Ca doit être dur d’assumer d’être Rock tout le temps. Certains peuvent donner cette impression mais si l’on débarque chez eux, on les surprend en charentaises… (rires).
Non, c’est juste un état d’esprit que l’on peut éventuellement exprimer à travers un look si on le ressent comme ça…

Q- Avec Dodo, Ben Radis, Tramber et Jano ou bien sûr Serge Clerc, tu es l’un des précurseurs de l’apparition du Rock dans la BD, à la grande époque de Métal Hurlant. Est-ce pour toi l’âge d’or de la BD Rock  et à titre personnel, tu en a gardé quoi ?

SAXOPHONISTE par Margerin

L’âge d’or ce serait prétentieux mais c’est vrai que nous étions un peu les précurseurs et on a touché les gens parce que c’était nouveau. A l’époque, on a marqué les esprits. On ne savait pas bien dessiner… souvent quand un truc est approximatif, on dit « c’est rock’n roll » et là, ça l’était un peu au niveau du graphisme.On s’est bonifiés par la suite, peut-être en perdant un peu ce côté rock’n roll mais en gagnant en qualité dans le dessin et en étant plus proche de ce qu’on aurait voulu faire à l’époque. Ce n’était pas très important car on ne m’a jamais fait de reproches à ce niveau-là… En revoyant mes premières BD, je me dis que les éditeurs étaient bien sympas de me publier car graphiquement, c’était plein de maladresses. Les jeunes dessinateurs maintenant sont beaucoup plus « techniques » et très performants graphiquement mais on essaie de les formater, ils travaillent à l’ordinateur, ils ont des styles qui ont tendance à se ressembler et puis on leur fait faire ce que les gens ont envie de lire et c’est un peu dommage.

Q- Justement, quel œil portes-tu sur le traitement du rock dans la BD aujourd’hui ?
J’adore ce que fait MO/CDM avec Gaël (« Les Blattes ») ou avec Julien/CDM (« Cosmik Roger »). On trouve cet esprit Rock chez pas mal d’auteurs mais des séries de BD purement Rock qui traitent des groupes, de leurs galères…il n’y en pas tant que ça. Je suis toujours heureux de lire des œuvres actuelles. Je trouve que la BD évolue bien. Le seul vrai problème, c’est qu’il y en a peut-être un peu trop et que le marché est saturé. Les lecteurs de BD ont parfois un rejet parce qu’on leur propose trop de choses et souvent les mêmes.

Q- Reverra-t-on encore Lucien dans d’autres aventures autour du Rock ?
Je continue Lucien mais je n’ai pas envie de refaire l’histoire du groupe. Je ne veux pas lasser en racontant la reformation du groupe de Lucien, les tournées, l’enregistrement de disques, etc… On peut imaginer que ça va bien marcher pour eux. Peut-être que par la suite, je reviendrai vers le rock’n roll mais pas pour l’instant.

Q- En paraphrasant Flaubert, peut-on dire « Lucien, c’est toi ? »
Il y a de plus en plus de moi dans Lucien. Ca ne l’était pas au début et puis petit à petit, je me suis projeté dans Lucien, plus dans certaines histoires, comme « Lulu s’maque » par exemple et moins dans d’autres. Par contre dans les deux derniers albums, Lucien a 50 ans, il a des enfants, là c’est quasiment du copier-coller dans certaines situations comme le conflit entre la Play Station et les devoirs à faire du gamin, la femme scotchée sur My Space ou Facebook, la fille qui écoute la musique à fond et qui t’envoie péter à la moindre réflexion…
Mais sinon, Lucien redevient Lucien avec ses copains, sa musique. Je crois que l’on est nombreux, à l’approche de la retraite, à avoir envie de revenir à nos premières émotions de jeunesse. Je pense qu’il y a beaucoup de lecteurs de « Lucien » qui ont passé la cinquantaine et se retrouvent de nouveau dans ce personnage avec peut-être la même envie de remonter un groupe. « Rock’n roll never die » comme on dit !

© Editions L’àpart 2011

Le Local

Dessins et scénario : Gipi

Avec le titre, tout est dit d’emblée et c’est aussi le cas dès la première planche lorsque Giuliano fait découvrir à Stefano la masure que son père met à leur disposition pour répéter. Ceux qui savent comprendront, un groupe de Rock sans local c’est comme… à chacun de compléter avec la métaphore qui lui semblera la plus appropriée.
Le récit de Gipi est fondé sur ce postulat indépassable. L’intrigue est simple et limpide et fait la part belle aux personnages, des jeunes ordinaires qui se cherchent et trouvent dans le Rock un exutoire à leurs doutes, leurs angoisses et leurs blessures secrètes. Pas de plan de carrière, malgré le vague espoir du succès, entretenu par le contact avec un producteur écœurant de cynisme. L’important c’est le défouloir, grâce aux décibels et à des textes cathartiques.
Le Local ; Gipi © Gallimard, 2005Les parents et la famille en général y jouent le rôle fondamental qui leur revient, parce qu’ils sont presque toujours la première cible de la révolte de l’apprenti rocker. Bien qu’ici les rockers ne soient pas vraiment des rebelles mais plutôt des jeunes gens polis et respectueux de l’autorité parentale même si elle leur pèse inévitablement.
Ce local et ces répètes vont amener chaque membre du groupe à se révéler aux autres et bien sûr avant tout à lui-même. Tout particulièrement quand l’ampli du guitariste va tomber en rade et obliger à trouver une combine pour le remplacer. Pourtant, le père de Giuliano avait bien précisé que le local était un « cadeau temporaire », subordonné à la seule condition de ne pas faire de conneries…
L’auteur sait de quoi il parle. Il a joué du Punk dans plusieurs groupes amateurs. C’est sans doute pour cette raison que son récit, servi par des dialogues d’une rare authenticité, nous immerge complètement dans l’intimité de ces quatre adolescents. Le trait acéré et la mise en couleurs magistrale restituent parfaitement l’incandescence de ces répètes dont on pourrait presque entendre la clameur et où chacun joue comme si sa propre vie et accessoirement le destin du Rock en dépendaient.
Le groupe de Giuliano, Stefano, Alberto et Alex n’a pas de nom, ne connaîtra aucun lendemain professionnel et on ne le verra pas se produire en concert. Tout juste aura-t-il enregistré quelques morceaux sur une cassette au moyen d’un petit magnétophone de fortune. Mais Gipi rappelle que l’essentiel est ailleurs, dans le fait d’avoir un endroit vraiment à soi, de jouer ensemble, de former un groupe et d’y frotter son ego avec celui des autres pour se fondre dans un élan commun.
« Le Local » est sans conteste à ce jour le plus bel hommage que l’on ait fait à ces lieux obscurs et secrets où la magie du Rock se perpétue et se régénère sans cesse.

© Editions L’àpart 2011

Christopher – Interview

L’auteur de la magistrale tétralogie « Love Song » est, atavisme oblige, un brit-pop addict qui ne conçoit pas la BD sans musique. Pour lui le Rock et la BD vivent une relation parfaitement légitime et tout aussi excitante qu’un adultère en bonne et due forme.

 

L’adultère est le thème central de « Love Song ». Pourquoi avoir choisi ce sujet ? Etait-ce celui qui te semblait le mieux s’accorder avec une « bande-son » Rock » ?
En fait, l’idée de départ était cette affirmation : la solitude de l’homme dans l’adultère. J’avais vraiment envie de délirer un peu sur ce sujet-là. Et d’un délire au début, c’est devenu quelque chose de beaucoup plus grave. Parler de quatre amis qui voulaient monter un groupe me permettait de jouer vraiment de cette amitié de groupe. Ayant grandi dans l’univers du Rock et de la musique, l’idée m’est alors venue de décliner ça sous une forme Rock, avec une bande-son qui agrémenterait la bande dessinée avec les titres d’un groupe dans chacun des épisodes. Dans le premier par exemple, on trouve dix ou onze chansons des Beatles. Ce qui permet d’avoir la parfaite bande originale pour accompagner la lecture.

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
Je crois que le principal point commun entre les deux, c’est le côté populaire. La bande dessinée reste encore un art vraiment populaire, comme le Rock. C’est peut-être la chose qui les rapproche le plus. Après, je ne vois pas d’autres similitudes car ce sont deux univers totalement différents, si ce n’est ce côté immédiat et généreux dans l’effort, dans lequel je me retrouve.

Duquel des quatre personnages de « Love Song » te sens-tu le plus proche ?
J’aurais tendance à dire tous et aucun, mon capitaine ! Chacun des personnages correspond à un trait de mon caractère. Je n’ai pas plus de sentiments ou de préférence pour l’un ou pour l’autre.

Le Rock, notamment au travers du groupe qu’ils ont fondé, constitue le trait d’union entre les quatre héros de « Love Song ». Le Rock apporte-t-il une dimension particulière à cette amitié et aurait-elle pu survivre sans lui ?
Je crois que la musique qui unit ces quatre potes au travers de leur groupe fait qu’ils ne se sont jamais quittés. Et ça, c’est vraiment quelque chose que je vis avec mes amis que je connais depuis le collège et le lycée à traLove Song ; Christopher © Le Lombard, 2006vers ce groupe qu’on avait formé à l’époque et qui fait qu’on est toujours là les uns pour les autres. Le groupe constitue une entité à part entière. Il y a la cellule familiale, la cellule professionnelle et il y a elle qui se crée autour du Rock puisqu’il y a une aspiration et un but communs avec ce groupe où l’on va chacun partager les mêmes émotions, les mêmes envies d’aller de l’avant.

Le Rock est un sujet qui dans la BD n’a commencé à faire l’objet d’un traitement plus dramatique (et plus seulement parodique, caricatural ou biographique) que très récemment. A quoi attribues-tu une évolution aussi tardive ?
Ce n’est pas forcément de la part des auteurs. Je me souviens par exemple de planches de Kent ou de Cornillon fin des années 70. Ce sont plutôt les éditeurs. Il fallait attendre que les jeunes amateurs prennent la direction de différentes maisons d’édition pour que l’on voit arriver des projets rock enfin signés. Ce qui fait que cette évolution s’est produite de façon un peu plus tardive. Le Rock est devenu plus grave à partir de 1968 et on en a vraiment pris conscience à la fin des années 70. Le temps que de nouveaux directeurs de collection prennent le pouvoir chez les éditeurs, cela fait à peu près vingt ans d’écart, ce qui est assez logique.

Quels sont, selon toi, le ou les auteurs(s) de Bande dessinée qui ont le mieux retranscrit l’esprit et la culture Rock ?
S’agissant de l’esprit Rock, Gilbert Shelton ou Peter Bagge sont bien dedans. Du côté franco-belge, je ne peux pas écarter Serge Clerc. Il y a également Kent. L’esprit Rock ne va pas forcément se retrouver dans le sujet qui va être développé par l’auteur mais plutôt dans la force de la narration. Un esprit un peu militant qu’on pourrait retrouver chez un Davodeau ou un Kris. Un Rock assez sensuel, assez fin chez Frederik Peeters, ou un peu fou, voire complètement barré avec des auteurs comme Gotlib ou Franquin et son Gaston.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Oui, il y aurait peut-être un style, avec au premier abord quelque chose d’assez noir, je pense à un Charles Burns ou un Munoz Sampayo. Maintenant, on peut trouver autant de folie Rock chez un Franquin ou un Peeters que dans un Jean-Claude Menu, un Killofer ou un Matt Konture.

Travailles-tu en musique ?
Je ne travaille jamais sans musique, elle est omniprésente. On en parlait une fois avec Clarke (NDR : auteur de « Mélusine » et « Mister President ») qui me disait que le matin, il démarrait plutôt avec une musique calme et en fin de journée, il était plutôt avec du Punk Rock pour finir sa planche. Il y a un peu de vrai là-dedans mais pour moi c’est vraiment en fonction de ce que j’ai envie d’écouter, entre musique d’ambiance, Punk ou Rock sixties ou seventies et pas en fonction de ce que je dessine.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Je n’ai pas vraiment d’idée bien arrêtée, je suis tellement éclectique dans mes goûts musicaux… Je pourrais être un Paul Mc Cartney en 1966 qui fait les vernissages d’expos, puis passer par Ian Curtis et revenir sur la scène Pop française. Il n’y a pas forcément un artiste précis. Ce seraient plutôt tout un univers ou des mouvements passionnants à explorer. Les sixties en Angleterre, la scène Punk dans les années 70 à Londres ou encore l’explosion musicale à Manchester dans les années 80 ou 90.

Le Rock et la Pop anglaise semblent occuper une place prépondérante dans tes références musicales. Qu’est-ce que les Anglais ont de plus que les Américains ?
Chez les Anglais, il y a cette culture où la musique Pop est vraiment ancrée dans la vie. On vit, on transpire Pop. Qu’on soit dans un supermarché, dans un ascenseur, les gens chantent, écoutent des musiques et ça c’est toujours quelque chose qui m’a plu. Je me souviens d’être allé en boîte de nuit à Manchester. On n’y est pas pour draguer comme en France mais pour danser sur de la musique, c’est un état d’esprit complètement différent qui fait que l’on se retrouve à chanter plus fort que le DJ sur certaines chansons. J’ai moins de références américaines parce que je connais moins les Etats-Unis où la musique est parfois plus dans une forme de militantisme, je pense à Dylan ou Springsteen, mais franchement je préfère le Rock anglais avec ce côté British qui résonne plus en moi, étant moi-même anglais.

Question rituelle à un fan de Rock anglais, tu es plutôt Beatles ou Rolling Stones ?
Je suis obligé de dire que je suis plutôt Beatles. J’ai grandi avec eux, c’est comme ça. Pour moi ce sont des albums somptueux, quasiment pas de déchets, cette musique-là me fait tripper, me fait sourire, me fait pleurer… Bon, les Rolling Stones, il y a des chefs-d’œuvre… mais ce ne sont pas les Beatles !

La chronique de Love Song, c’est par là