Todd LOREN – Jay Allen SANFORD – Various Artists
La vie de Todd Loren pourrait utilement figurer en bonne place dans le palmarès des destins les plus emblématiques de la grande foire rock’n roll.
Todd Loren (de son vrai nom, Stuart Shapiro) n’était pas une rock star mais il en avait le potentiel. En 1989, il fonde à San Diego, avec Jay Allen Sanford, les éditions Revolutionnary Comics grâce auxquelles il va faire paraître à un rythme frénétique, pendant environ trois ans, un nombre impressionnant de biographies, les « Rock’n roll Comics » dont il écrira plus d’une vingtaine de scénarios, dont les onze premiers ainsi que les 8 tomes de la biographie consacrée aux Beatles. L’ensemble de ces biographies dont Todd Loren a signé une bonne part des éditoriaux et dont une cinquantaine a été écrite par Jay Allen Sanford constitue aujourd’hui une véritable encyclopédie (la prétention universitaire en moins) de l’histoire du Rock en bandes dessinées.
Rares sont les grands noms du Rock de l’époque qui n’ont pas eu les honneurs de cette collection. Les Gun’s and Roses ont ouvert le bal, suivi par une foultitude d’autres. Les Beatles, les Rolling Stones, les Who, les Doors, Pink Floyd, Bob Dylan, les Sex Pistols, Cure, Metallica, Van Halen, AC/DC, Prince, Frank Zappa, David Bowie… Environ 125 biographies et des chiffres de vente que l’on peut estimer à environ 2 millions d’exemplaires. A noter que Revolutionnary Comics a édité au total 300 numéros, le reste de la production étant consacrée à des sportifs, des hommes politiques, des stars de la télévision, plus quelques fictions.
Ces biographies se voulaient ouvertement subjectives comme l’indique leur sous-titre : Unauthorized and proud of it (non autorisé et fier de l’être). Ce qui a valu à Todd Loren quelques déboires judiciaires. Certains des intéressés n’ont en effet pas vraiment apprécié la façon dont leur parcours était présenté et ont tenté d’empêcher la parution des biographies les concernant. Axl Rose, Bon Jovi, Grateful Dead ou Skid Row étaient au nombre de ces mauvais coucheurs. Ceux qui sont allés le plus loin sont les New Kids on the Block avec un procès devant la Cour suprême de Californie. Cette dernière a accordé à l’auteur-éditeur le bénéfice du premier amendement de la constitution des Etats-Unis d’Amérique qui garantit le droit d’expression. Loren, qui à la faveur de ce succès judiciaire est devenu le Larry Flint du Comics, a donc pu continuer à sévir, encouragé de surcroît par cette excellente publicité.
Même si ces biographies paraissent assez documentées et reprennent les événements ou les anecdotes les plus connus, Rock’n Roll Comics n’hésitait pas à mettre en exergue les travers de ces héros et à reconstituer des scènes et des dialogues dont l’authenticité reste sujette à caution même si elle permettait de mettre en évidence certaines étapes importantes de la carrière du groupe ou de l’artiste.
Ces biographies totalement libres sont parfois le prétexte à des digressions assez fantasques. Comme la phobie pour les vols en avion de Robert Smith où la grande faucheuse le leader de Cure lui fait revoir l’intégralité de sa carrière avant de l’emporter. Dans le huitième tome de la biographie consacrée aux Beatles, Loren propose sa propre version de la célèbre rumeur de la mort de Paul Mc Cartney dans un accident de voiture en 1966. Le conducteur du camion à l’origine de l’accident contacte Brian Epstein le manager des Beatles qui décide de remplacer Paul par un sosie de Paul McCartney. John Lennon se rendant compte de la supercherie n’aura alors de cesse de semer des indices dans les disques des Beatles.
Pour le dessin, Rock’n roll Comics faisait appel à des auteurs au trait réaliste, plus ou moins aguerris. Autant dire que la qualité du graphisme n’était pas toujours au rendez-vous et parfois même à la limite de la caricature, quoique involontaire. Mais il faut saluer le fait que de jeunes graphistes ont ainsi pu faire leurs premières armes. Certains numéros de la collection font plutôt penser à des fanzines, impression accentuée par le maquettage sommaire (petit format d’une quarantaine de pages agrafées et imprimées sur papier mat, dans la grande tradition des magazines de super héros). D’où un prix très abordable et la possibilité de réimprimer facilement certains titres, telles les biographies de Gun’s and Roses ou Metallica, dont le retirage a atteint les 300 000 exemplaires.
En outre, beaucoup de ces Rock’n roll Comics comportaient en plus de la biographie, des évocations parodiques ou burlesques, voire franchement délirantes, où les scénaristes se lâchaient complètement, souvent mis en images par des dessinateurs plus ou moins talentueux. Mais ces approximations s’inscrivent tout à fait dans la démarche délibérément rock’n roll de Todd Loren et ne gâchent en rien le plaisir du lecteur, surtout s’il est amateur de Rock.
Loren ne comptait pas que des détracteurs dans la scène Rock. ZZ Top ou Frank Zappa ont apprécié son travail et d’autres comme Gene Simmons (le bassiste de Kiss, grand fan de Comics) ou Alice Cooper sont de véritables admirateurs de son œuvre. Ces derniers figurent d’ailleurs dans le documentaire télévisuel sorti en 2005 et consacré à la vie de Todd Loren, « Unauthorized and proud of it – Todd Loren’s Rock’n roll Comics ».
Au fond, le défaut principal des Rock’n Roll Comics est qu’ils ne couvrent souvent qu’une partie de la carrière de toutes ces rockstars dont la plupart ont survécu à Todd Loren. Car ce dernier a disparu prématurément en connaissant toutefois une fin digne des idoles qu’il a dépeintes dans ses scénarios puisqu’il a été retrouvé poignardé dans son appartement en juin 1992. Il n’avait que 32 ans. Mais ce n’est pas tout ! Ce meurtre n’a jamais été élucidé. Bien que le FBI n’ait pas officiellement validé cette thèse, la rumeur court que Loren aurait été assassiné par Andrew Cunanan, tueur en série qui compte à son actif le meurtre du célèbre couturier italien Gianni Versace. Certains pensent que Loren et Cunanan auraient même été amants.
Après cette mort mystérieuse, « Rock’n Roll Comics » survivra pendant deux ans, grâce à Jay Allen Sanford et au père de Todd Loren qui faisait déjà partie du staff, avant que la maison d’édition ne s’oriente vers la BD érotique. Si ça, c’est pas rock’n roll…
Pour en savoir plus sur Todd Loren, une visite sur le blog de Jay Allen Sanford s’impose. En anglais dans le texte, ça vous fera le plus grand bien !