C’était en 2009, mon premier Hellfest. A l’époque, il faut bien avouer qu’en matière de Métal, à part le Heavy, le Hard, un peu de Trash et un soupçon de Stoner, j’étais loin de maîtriser toutes les étiquettes. Excité et impressionné comme un ado qui découvre… (chacun complétera en fonction de son histoire personnelle), j’avançais les yeux grands ouverts et les oreilles garnies de jolis bouchons roses, prêt à sacrifier à tous les rituels du Métal, avec une curiosité particulière pour ce genre exotique peu apprécié du clergé catholique (entre autres)… le Black Metal. Tant qu’à faire mon éducation, j’optais pour du premier choix avec le concert de Taake, en début d’après-midi et celui de God Seed en clôture. Du folklore norvégien pur jus avec tous les ingrédients, cuirs, clous, pentacles, éphèbes nus sur des croix enflammés et bien sûr le « Corpse Paint », détail qui n’en est pas un car, lorsque l’on veut inviter Satan, mieux vaut soigneusement se peinturlurer l’épiderme comme des démons… pas tibulaires, mais pire. Ça rigolait pas sous la Rock Hard tent. Le Black Metal, c’est sérieux.
Du moins ça l’était, avant que Mister JP Ahonen vienne gentiment écorner le mythe avec ce petit opus iconoclaste, recueil de gags (oui, ô grand Satan, des gags !) d’abord publiés sur le Web. Et le Black Metal il connaît, vu que déjà il est scandinave (finlandais) et que par ailleurs il est le dessinateur de l’excellent Perkeros, récit fantastique foisonnant dont le Métal Progressif était la toile de fond. Belzebubs, c’est, comme le souligne sans prendre de risques la quatrième de couverture, la famille Addams version Black Metal. Sloth et Lucyfer, le papa et la maman, ont de charmants bambins nommés Lilith et Léviathan. Papa et Maman s’aiment, élèvent tendrement leur progéniture qui grandit en apprenant à décider correctement des pentacles. On fête Satan Claus et la naissance de l’Antéchrist, on visite l’Enfer comme d’autres Disneyland, etc. Et bien sûr, Sloth joue dans un groupe de Black Metal. Tout ce petit monde est en corpse paint toute la « sainte » journée, ce qui accentue d’autant le décalage et l’effet comique dans des situations de la vie de gens « normaux » auxquelles les héros sont confrontés. Vie de couple, parentalité, crise d’ado… tous ces clichés prennent une saveur particulière dans une synthèse très réussie, dont l’humour parlera autant aux amateurs de Métal (les affres de la condition de musicien de Métal ne sont pas en reste) qu’à ceux qui ne savaient même pas que ça existait.
Le dessin de JP Ahonen, diablement efficace, sert parfaitement ces petites chroniques de la vie peu ordinaire de ces Métalleux qu’il parvient à rendre marrants et parfois même attachants. Car n’oublions pas que ces gros méchants Païens férus de musique (soi-disant) satanique auront beau faire leur max pour ressembler à des démons échappés des Enfers, ils ont tous des mamans.
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Bonus Track : JP AHONEN
A propos de Perkeros : 3 questions à JP AHONEN
Perkeros est le premier roman graphique abordant le Métal. Quelles ont été les étapes de la conception d’un récit aussi long et dense ?
Le récit est bien sûr né de la confrontation de nos centres d’intérêt respectifs. KP (NDR : Alare, le scénariste) et moi partageons les mêmes goûts musicaux et composons et jouons ensemble depuis longtemps. Alors que nous commencions nos études universitaires, nous nous sommes tous les deux rendus compte que nous n’avions plus assez de temps pour faire de la musique ou jouer dans un groupe. Je pense que cela nous manquait tellement que nous avons voulu transposer ça en BD.
Réaliser un roman graphique était un rêve d’enfant, quelque chose que je voulais faire depuis que j’ai 13 ans environ. C’est fou de penser que ça m’a pris 20 ans pour avoir le temps et l’opportunité de le faire mais je crois que tous les autres projets que j’ai menés dans l’intervalle étaient nécessaires. J’ai constaté que mon expérience acquise en faisant des strips dans les journaux du dimanche, des BD satiriques sur des thèmes contemporains ou des travaux de commande ont été bien utiles au moment de concevoir le récit et l’artwork du livre.
Pour aboutir à l’œuvre actuelle de Perkeros, ça a pris un certain temps. Nous avons en fait commencé à broder autour de l’idée de base en 2006, bien qu’à l’époque nous n’étions pas encore sûrs de ce que nous ferions avec le groupe. Au fil du temps, l’idée est arrivée à maturité et nous avons commencé à comprendre ce que devait être notre projet. Etant tous les deux fans de Rock progressif et de Métal, nous avons conçu Perkeros comme un concept album progressif : En incluant des styles variés (et parfois surprenants) et des éléments qui pourraient s’emboîter. Nous avons déniché beaucoup de documentation de fond allant des neurosciences à l’archéoacoustique et avons mêlé ça avec des faits réels, de la fiction, des fables et des légendes urbaines. Tout ça donne un assemblage amusant et j’encourage les lecteurs à prendre un peu de temps pour approfondir le livre et faire eux-mêmes un peu de recherche.
Je crois que nous avons fini le scénario en 2010 avec KP mais j’avais besoin de me coltiner encore deux ans de travaux de commande pour dégager suffisamment de marge financière pour me consacrer à notre projet. La réalisation (découpage, encrage, mise en couleurs, édition) a pris environ un an et demi.
L’une des originalités de l’histoire réside dans les personnages. Pourquoi avoir choisi un ours comme batteur ou un (très) vieux beatnick comme bassiste ?
Ha ha ! Eh bien… Le casting initial était un peu plus ordinaire, mais les personnages se sont développés au fil de l’histoire. En définitive, il fallait que ça serve l’histoire et nous aurions aussi changé le genre musical si nous avions pensé qu’un autre aurait mieux collé.
Les personnages forment un panel étrange mais ils servent leur sujet. L’ours est là pour avertir le lecteur dès le début que le récit pourrait aller dans des directions peu orthodoxes. De plus, ils ont aussi une valeur symbolique. Si tu regardes des batteurs comme Neil Peart ou Danny Carey (NDR : batteurs virtuoses officiant respectivement au sein de Rush et de Tool), il est assez évident qu’ils ne sont pas humains. Ils ne peuvent pas l’être.
Pour le fun et pour mieux saisir l’intrigue, j’encourage le public à quelques lectures à propos de la glande pinéale et la mystique derrière ça. Cela sous-tend beaucoup de notions, comme l’hallucination, l’hibernation ou la télépathie. Et puis ça montre à quel point c’était un boulot de dingue de concevoir tout l’univers de Perkeros.
En utilisant des éléments fantastiques et un graphisme assez accessible, l’un des objectifs de Perkeros était-il de mieux faire comprendre le Métal au grand public ?
Oui, en partie, parce que de nombreux éléments sont là pour visualiser pourquoi les monstres etc. pouvaient être associés à la musique Métal et vice-versa. Cependant, Perkeros va au delà de ça. La musique, le Métal, le fait de composer et de faire partie d’un groupe… tout ça fait partie d’une sorte d’allégorie qui renvoie à une gamme plus large de thématiques. Nous ne voyons pas Perkeros strictement comme une BD Heavy Metal. Je connais beaucoup de fans du livre qui en fait ne s’intéressent pas au Métal. Et ça nous convient totalement.
Perkeros
Dessins : JP AHONEN – Textes : KP ALARE
Les gars du Nord, y font rien comme tout le monde. Je sais pas si c’est la rigueur de leur climat, les étendues glacées avec la neige à perte de vue, les forêts sombres comme l’âme d’un damné… Ça vient peut-être de leurs ascendances vikings et païennes, ce mélange de violence et de raffinement. Ça se traduit dans leur musique, particulièrement dans un style où ils sont passés maîtres, le Métal. Quand on écoute un de ces groupes de poètes, tout de cuir cloutés vêtus et maquillés comme des démons, mais des vrais qui font peur, éructer des chants gutturaux tout droit sortis des profondeurs de l’enfer sur fond de rythmique d’acier en fusion, martelée dans les forges de Thor, on se dit que ça doit pas être drôle tous les jours en Scandinavie.
Celle-ci tient la dragée haute aux Anglais et aux Américains en matière de Métal, notamment le Black, dont ses ressortissants constituent l’aristocratie du genre mais aussi dans les autres styles de cette musique à ne pas mettre entre des oreilles non averties. Et Dieu (oups, pardon, je voulais dire Satan) sait qu’il y a autant de styles de Métal que de poils sur la queue fourchue de Lucifer. Genres, sous genres avec variantes old school, néo et même bio. Perso, j’ai un petit faible pour le Métal progressif. Un peu comme si Genesis jouait avec la disto à fond, une double grosse caisse, tandis que Gabriel ou Collins vociféreraient d’une voix rauque des textes sombres et dépressifs. Des groupes comme Dream Theater ou Opeth comptent parmi les meilleurs références du genre. Opeth justement, groupe suédois régulièrement cité dans cette histoire au long cours qui met en et sur scène un groupe de Métal finlandais, Perkeros.
Axel est un jeune et brillant guitariste et le compositeur du groupe. Son problème est double : D’abord une voix absolument pas à la hauteur de ses morceaux, une sorte de mélopée à base de borborygmes formant un méta-langage qu’il est le seul à comprendre. Ensuite, un trac phénoménal qui lui fait vomir tripes et boyaux avant les concerts. Mais comme tout véritable artiste, il a foi en ce qu’il fait et reste persuadé que son groupe va réussir à produire son premier album, trouver des dates de concert et finir par décoller. Ce qui n’est pas l’avis de sa compagne, jadis groupie de lycée mais qui voudrait bien qu’il fasse comme elle et rentre dans le rang en abandonnant ses rêves.
Jusque là, rien de très novateur en matière de récit Rock. Là où ça devient plus intéressant et intriguant, c’est le reste du line-up. Une claviériste, la (jolie) tête bien sur les épaules pour mettre de l’huile dans les rouages du groupe, canaliser Axel et l’extirper des affres de la création et d’un perfectionnisme qui le coupe souvent de la réalité. Un chanteur turc, tenancier de kebab. Un bassiste, sorte de vieux sage baba qui n’a pas du tout l’âge de ses artères (mais chut…) ayant bourlingué avec toutes les stars du Rock depuis les années 1960. Et enfin un batteur ours. Oui, un vrai ours, qui picole des litres de bière, tombe les gonzesses (le fantasme du fameux os pénien sans doute) et devient narcoleptique à l’approche de l’hiver. Le truc complètement saugrenu qui passe pourtant comme une lettre à la Poste.
C’est là une autre originalité de cette histoire : Réussir à mêler l’approche réaliste et quasi documentaire d’un groupe de Rock (les auteurs sont des zicos et ça se voit) et une trame fantastique, pourvoyeuse de son lot de monstres et autres malédictions ancestrales. Grâce à une narration bien menée qui plonge d’emblée le lecteur dans une ambiance onirique, baignée de musique, les transitions entre les deux mondes se faisant sans perturber la fluidité du récit, ce qui n’était pas évident. Même si elle emprunte à des thèmes assez classiques, l’intrigue tient la route jusqu’au bout, grâce également à de petites pointes d’humour et des personnages attachants et bien campés.
Côté graphique, un découpage très dynamique, une mise en couleurs sobre mais particulièrement efficace, dans les tons noirs et fauve parfaitement adaptés à l’univers Métal, mettent en valeur un dessin semi-réaliste, certes classique mais très maîtrisé, qui sert parfaitement le récit sans en réduire la portée. Une approche inspirée du Comics tendance Disney qui n’est pas sans évoquer le travail d’un Jeff Smith, le faciès énigmatique de l’Ours ayant un petit air de famille avec le mystérieux dragon de Bone.
Du bel ouvrage offrant une vision totalement crédible du monde merveilleux et enchanteur du Métal, et au delà delà d’un groupe de Rock en devenir. Le tout en illustrant dans de superbes fresques l’alchimie qui peut naître de la musique quand on s’y plonge corps et âme. Une salutaire entreprise d’édification des masses, entamée par MetaL ManiaX dans le registre comique, afin de familiariser, grâce à la BD, un large public (sans que ce soit péjoratif) aux subtilités et à l’authenticité d’un genre pratiqué par de vrais musiciens.