Dessins : Rúben PELLEJERO – Textes : CHRISTOPHER
Pour concevoir un récit dont le Rock constitue la toile de fond, on peut aller se servir dans la réserve des gimmicks préfabriqués. Genre un beau gosse ténébreux et tourmenté, une enfance malheureuse, une blessure secrète, quelques addictions, des filles sexy et peu farouches, un entourage hostile, ou encore des rebelles de carnaval bardés de cuir et de tatouages. Ça peut donner quelque chose de sympa, voire franchement réjouissant mais ça peut s’avérer aussi insipide qu’un cheeseburger de fast-food. Mais on peut aussi se fabriquer ses propres ingrédients faits maison et y apporter sa touche et sa sensibilité personnelle. Et quand, en plus, on situe l’intrigue en France et qu’on y place une bande de rockers sex-agénaires (et toujours verts) et un jeune architecte d’intérieur quadra bedonnant, on a suffisamment de matos pour créer une histoire originale. Christopher nous avait déjà fait le coup avec son magistral Love Song où il explorait les affres de l’adultère sur fond de Brit-Pop anglaise des Sixties avec le big four du genre, Beatles, Stones, Who et Kinks. Cette fois la bande originale de ce road-movie à la française élargit les horizons, en convoquant quelques-uns des standards du Rock et de la Pop des années 1960 et 1970 dont le titre est repris pour chaque chapitre.
Ulysse doit exécuter les dernières volontés d’un père dont il ne connaît presque rien, en allant répandre ses cendres à l’endroit qu’il lui a désigné. Au volant du Commodore, le vieux Combi VW de l’éphémère groupe de son géniteur, les Tridents, une brochette de vieux anars qui n’ont pas perdu la flamme, Ulysse va entreprendre un long voyage, de Montpellier à l’île de Wight, lieu d’un festival de Rock culte du début des Seventies où s’est rendu le père d’Ulysse avec ses acolytes… et sa dulcinée. Le fils va refaire ainsi le parcours accompli quelques décennies plus tôt par le père. Grâce au journal de ce dernier et aux souvenirs encore vivaces de ses potes, il va découvrir qui était vraiment ses parents et en apprendre tout autant sur lui-même. L’odyssée sera éminemment sex, drug and rock’n roll, comme une renaissance pour Ulysse, car « De si loin que l’on revienne, ce n’est jamais que de soi-même » comme dirait l’autre (allez sur Internet, et lisez le bouquin d’où c’est tiré. Je ramasse les fiches de lecture dans deux semaines).
On concédera que le pitch n’est pas ultra novateur. Mais la réussite de ce nouveau pavé (plus de 180 pages en grand format!) dans la mare déjà bien remplie des histoires de road-trips est d’avoir pris le temps de développer les personnages et les situations et de ciseler un récit nostalgique d’une époque mythique du Rock, d’autant plus fantasmée qu’elle symbolise plus que les autres ce rêve perdu d’une ère nouvelle, sans tabous ni interdits où la musique et l’amour auraient pu prendre le pouvoir. Ulysse et ses oncles par procuration illustrent cette quête sans espoir mais vitale d’une jeunesse enfuie vers laquelle nous devrions tous courir à perdre haleine, jusqu’à notre dernier souffle.
Il faut enfin saluer le travail remarquable de Rúben Pellejero dont la ligne claire, précise et épurée offre au scénario riche et dense de Christopher la fluidité nécessaire pour avaler d’une seule traite ce long périple sur cette route longue et sinueuse qu’on rêve tous de prendre, où qu’elle nous mène.