Dessins et textes : LAURENT-EX-LAURENT
Au milieu des années 1980, ça s’est mis à exploser de partout en France. Dix ans après qu’une poignée de groupes ait commencé à sortir le Rock de son ghetto, quand Téléphone lorgnait vers les sommets du hit-parade après avoir appris par cœur tous les plans des Stones ou quand Guy Lux a programmé Trust à la télé. Sans oublier pour la caution intellectuelle ou branchouille chère à nos journaleux hexagonaux, des Marquis de Sade, des Bijou et des Starshooter. Reste que cela constituait une caste fort restreinte bénéficiant du rare privilège d’exister sur disque et de faire une « carrière ».
Et puis quasiment du jour au lendemain, le Rock « alternatif » a déboulé, suivant de peu d’ailleurs l’intrusion du Rock dans la BD. Les maxi singles, rapidement suivis d’albums brulots, urgents et immédiats ont débarqué dans les bacs des disquaires (oui, en ce temps là, il existait des magasins qui ne vendaient QUE des disques) et partout dans l’hexagone, dans des salles plus ou moins grosses, avec un son plus ou moins pourri mais avec une pêche et une fraîcheur qu’on n’espérait plus, nous les fans condamnés à voir nos équipes stagner en seconde division, on a vu des groupes capables de faire un truc qui sans réinventer le machin, sonnait comme une ébauche de ce qu’on pouvait enfin désigner sans rigoler comme une scène Rock française, qui a même commencé à attirer l’attention des Anglo-saxons sans chercher à les copier et sans l’aide de la télévision et des radios (ça fait rêver, hein, Johnny ?).
L’éclosion de labels indépendants a en grande partie contribué au mouvement et permis à des groupes encore balbutiants de découvrir les joies et les affres du studio. Le niveau artistique de ces jeunes fous ne leur permettaient souvent guère plus que de faire du Punk, tout du moins à leurs débuts, et tant mieux car cela permettait, même avec une dizaine d’années de retard, de vivre de ce côté-ci de la Manche, l’effervescence d’un renouveau du Rock qui en ce qui nous concerne s’apparentait plutôt à une Nativité électrique, braillarde et incontrôlée.
Avec le recul, ressortaient dans cette scène protéiforme deux mouvances principales, même si la frontière n’était pas étanche, qui ont fourni l’essentiel de ses fleurons : Une frange adepte d’un Rock radical et contestataire, anarchiste et libertaire, et une autre composée de joyeux huluberlus, dont le seul message était de marier franche déconne et électricité. Avec comme groupes phares, d’un côté, Bérurier Noir et de l’autre Ludwig Von 88… Les Bérus et les Ludwigs pour les intimes connaisseurs.
Alors voilà, comme dirait le grand Serge, la véritable histoire de Beethoven, narrée par l’un de ses protagonistes, Laurent Manet, le bassiste. Et parce que ces joyeux Keupons, il fallait surtout les voir pour y croire, c’est en images qu’il a décrit l’épopée des premières années, de la naissance en banlieue parisienne jusqu’à la consécration… du deuxième album.
Avec un vrai talent de conteur, Laurent fait revivre cette saga, de l’inévitable rencontre au bahut, en passant par les répètes dans un local pas bien isolé au goût du voisin, les premiers concerts foireux dans des rades crasseux, les road-trips épiques dans une une Citroën LN même pas tunée, les laborieuses séances d’enregistrement studio… et puis, malgré l’amateurisme musical et grâce à une créativité foisonnante et quelques vide-greniers, la construction d’une vraie identité et le chemin vicinal vers la gloire internationale. Bon, pour l’International, c’était surtout en Espagne à l’heure de l’apéro et des tapas.
Bourré d’anecdotes, de clins d’œil, pétillant d’humour et d’auto-dérision ce roman-photo est hautement évocateur de l’esprit Ludwig Von 88 et plus généralement celui du Rock alternatif. L’objet graphique est bien représentatif de ce qu’étaient les Ludwigs, un truc sans prétentions avec un dessin d’amateur genre gros nez, cantonné à des personnages plaqués sur des photos noir et blanc en guise de décors. Minimaliste, astucieux mais efficace, qui vous immerge dans une vraie histoire, comme une grosse blague qui vous fait marrer mais que vous n’oublierez pas et que vous serez fiers de ressortir à vos potes. Les disques et les concerts des Ludwigs mariaient Punk et clowneries avec efficacité et laissent aujourd’hui un souvenir impérissable et une jubilation intacte.
Laurent a quitté les Ludwig au faite de leur notoriété… en 1988. Le Rock alternatif a quant à lui commencé à s’évaporer au détour des années 1990, de guerre lasse (comme ce fut le cas pour les Bérus, malgré plus de 250 000 disques vendus) ou pour certains d’entre eux après une signature dans une grosse maison de disques qui a un peu retardé l’échéance. En attendant, ils nous auront bien fait profité de notre folle jeunesse et accessoirement largement contribué à décomplexer le Rock français. Merci à eux.