Un roman de Rob Sheffield
C’était au temps où le CD n’avait pas entamé son règne éphémère, quand employer le terme « numérique » vous faisait ipso-facto passer pour un polytechnicien. Pour conserver et surtout échanger et diffuser la musique, on ne téléchargeait pas, on copiait les disques vinyles sur un petit objet rectangulaire abritant une bande magnétique sur laquelle on pouvait archiver le meilleur de nos penchants musicaux pour se les passer ensuite sur toutes sortes de supports plus ou moins sophistiqués, du magnétophone mono au son pourave jusqu’à la chaine Hi-Fi en passant bien sûr par l’autoradio.
Ces petites anthologies portables, ces fragments de Panthéons musicaux, sont l’argument principal du roman de Rob Sheffield. Détaillées par le menu en exergue de chaque chapitre, elles illustrent les étapes de la courte vie de couple des deux protagonistes. Courte car Renée est décédée et a laissé le narrateur seul avec sa peine et le vide abyssal de son absence.
De cette union brève et intense, il ne lui reste que ses souvenirs qu’il égrène au fil des chapitres, de minces tranches de vie ponctuées de musique, comme une bande-son accompagnant chaque scène de leur histoire. Il faisait régulièrement des cassettes, au gré de l’humeur du moment, avec l’application et la manie d’un collectionneur insatiable. Et ces petites compilations personnelles et uniques étaient comme autant de liens qui renforçaient l’amour entre ces deux jeunes adultes un peu marginaux, du moins au regard du standard américain. Une relation forte et exclusive dont il ne subsiste comme preuve tangible que ces petits rectangles de plastique.
Hormis le thème de l’amour perdu et de la souffrance du deuil auquel j’avoue avoir eu du mal à adhérer jusqu’à la fin du récit, c’est bien dans l’évocation quasi encyclopédique de tout un pan de l’histoire du Rock américain, spécialement le courant indépendant, que réside l’intérêt majeur du livre. Rob Sheffield, en journaliste de Rock chevronné, présente un foisonnement de références (dont je confesse en ignorer beaucoup). Surtout, il illustre parfaitement à quel point, pour un fan, la musique peut être un élément essentiel de son quotidien et au bout du compte une nécessité vitale et une voie vers la rédemption.