Dessins et textes : Pénélope BAGIEU
Comme beaucoup, je trouve que « beauté de l’intérieur » est l’une des ces expressions au mieux passe-partout, à la limite hypocrite et au pire parfaitement cynique pour désigner ceux avec qui la nature ou la vie n’ont pas été très généreuses, voire franchement salopes. Le genre de formule tellement galvaudée qu’elle en devient souvent assassine dans la bouche de gens mal ou bien intentionnés, seconde hypothèse sûrement la plus destructrice, l’Enfer étant toujours pavé de bonnes intentions.
Oui mais voilà, il y a aussi ceux pour qui cet aphorisme creux sonne pourtant comme une évidence. « Mama » Cass Eliott, Ellen Naomi Cohen dans le civil, appartient à cette noble caste. Les Mamas and Papas est un groupe dont le nom n’évoque peut-être rien à la majorité des moins de trente ans mais dont les chansons les plus connues restent souvent gravées dans la tête de la plupart de ceux qui les ont entendues au moins une fois, toutes générations confondues. California Dreamin’ est leur plus gros succès et ses paroles résument parfaitement le destin de cette fille qui prenait toute la place sur les photos du groupe. Pas à cause de sa carrure impressionnante qui fait ressembler les autres membres à un trio d’anorexiques mais à cause de son regard et d’un charisme qui s’imposent au spectateur. A côté d’elle, Michelle Phillips, l’autre fille, blondinette gracile et épouse de John, le song-writer du quatuor, belle de l’extérieur sans être forcément laide à l’intérieur, paraissait sans relief. Et quand Mama Cass se mettait à chanter, le doute n’était plus permis : La star des Mamas and Papas, c’était elle.
Pénélope Bagieu retrace ce rêve californien dans ce qu’il a de plus intemporel et de plus impitoyable. De la petite fille d’émigrés juifs, enjouée et sûre d’elle jusqu’à la grande chanteuse qu’elle avait toujours su qu’elle deviendrait, en détaillant avec minutie depuis l’enfance, toutes les étapes d’une destinée hors normes où malgré tous les contraires apparents, les astres finissent (presque) par s’aligner.
Servie par un crayonné sobre et élégant, la narration prend le temps de mettre en lumière la psychologie de l’héroïne, passionnée, romantique sans être niaiseuse, animée d’un énorme appétit, pour la vie en général, qui la rendait irrésistible et en a fait une icône de la Pop des années 1960. Le récit met également en évidence le don musical de Mama Cass, qui au delà d’une voix unique avait une créativité et un sens de la modernité qui a contribué à faire des Mamas and Papas bien plus qu’un de ces groupes de Folk gentillets en vogue à l’époque. Enfin, California Dreamin’, c’est aussi, et peut-être surtout la relation de Mama Cass avec Denny Doherty, la deuxième belle voix du groupe, histoire d’amour impossible ou contrarié, qui a nourri la chanteuse bien plus que les sandwichs King Size.
La manière dont Pénélope Bagieu a réussi à donner vie à sa Mama Cass est bluffante. Au delà de la ressemblance purement physique, elle fait ressortir avec brio l’expressivité de la jeune femme, qu’il s’agisse de son regard ou de ses attitudes avec cette façon naturelle de camper ses formes généreuses sans sombrer dans le ridicule. L’auteure restitue avec brio la sensibilité de ce personnage émouvant auquel on s’attache dès le premier dessin. Et, cerise sur le gâteau, (je pouvais pas la louper celle-là), elle a eu le bon goût d’arrêter le récit au moment où la vie et la carrière de Mama Cass rentrent dans l’histoire, pour que reste intact un rêve qui ne doit jamais s’arrêter.