Dessins : David Lasky – Textes : Frank M. Young
Il paraît que Steven Tyler, le chanteur lippu d’Aerosmith, va enregistrer un album solo… de Country. Difficile d’imaginer la Rock Star chevelue entonner des vieux standards de Hillbilly ou de Blue Grass, entouré de musiciens de sessions à la barbe foisonnante et à la chemise à carreaux tendue par un bide proéminent. Sauf qu’avec le Blues, la Country est un des aïeuls du Rock, pour faire simple, car la famille est nombreuse et la généalogie complexe. Tout comme la famille Carter dont j’avoue n’avoir jamais entendu parler avant que ne me tombe dans les mains ce salutaire opus de près de 200 pages qui narre l’histoire de cette famille populaire (dans les deux sens du terme) de l’Amérique profonde.
Mon ignorance crasse était tout juste tempérée par un prénom, June, une fille de la deuxième génération de cette famille prolifique en talents. June Carter… Johnny Cash, la connexion était faite dans ma petite cervelle. Mais c’est surtout d’Alvin Pleasant (A.P. pour les intimes), sa femme Sarah et sa cousine Maybelle dont il est question dans ce biopic qui tient en fait plus du roman graphique. Car la saga de cette famille n’a rien à envier à celle des illustres rejetons qui seront ensuite engendrés dans la longue lignée du Rock. Mais ici, il n’est pas question d’overdoses, de chambres d’hôtel défoncées ou de méga-concerts dans des stades pleins à craquer. Juste une famille d’américains très modestes dans un comté paumé de Virginie, au début du 20è siècle. Leurs conditions de vie sont précaires et dans ce contexte, la musique est un loisir qui devient carrément un luxe quand il faut d’abord songer à remplir les assiettes. Sans compter que faire de la musique n’est pas alors une activité très recommandable, certaines bonnes âmes affirmant ainsi que le violon est un instrument du Diable.
Et pourtant, c’est la musique qui permet à A.P. de rencontrer l’élue de son cœur, en l’entendant chanter une vieille rengaine, puis qui le pousse à battre la campagne pour glaner de vieux morceaux traditionnels et les retranscrire pour leur donner une seconde vie. De vieux airs contant des histoires simples des gens de la campagne qui se transmettaient jusque là de bouche à oreille, sans livret ni partition. En dépit des préoccupations alimentaires forts légitimes de son épouse, il la convainc ainsi que sa cousine d’aller à la ville graver sur sillon ces chansons qu’ils interprètent pour passer le temps. Pas de tables de mixage et d’ingénieurs du son. Les prises se font en live derrière un micro et les disques tournent en 78 tours.
La notoriété de la famille Carter va tranquillement se développer et lui ouvrir les portes d’un succès plus tard amplifié par des piges quotidiennes à la radio. Ça ne leur permettra pas de s’offrir une vie de pacha dans des villas avec piscine et gardes du corps mais juste de quoi s’assurer une existence décente, à l’abri du besoin, avec un pécule à transmettre à leurs enfants.
Cette histoire aurait pu s’avérer bien fade, avec son lot de bons sentiments mais Frank M. Young a su restituer toute l’étonnante modernité du destin de cette famille dont les origines rurales et les valeurs traditionnelles ne les ont pas empêché de garder l’esprit ouvert et d’être novateurs pour leur époque, qu’ils s’agisse de musique ou de relations amoureuses. Au fur et à mesure que les pages se tournent, l’empathie pour cette famille de musiciens au talent inversement proportionnel à la prétention ne fait que croître. Outre une narration et un récit dense, riche en évènements et anecdotes et qui prend le temps de camper personnages et décors, la fluidité et le style sans esbroufe du dessin de David Lasky collent impeccablement à l’évocation de cette époque et de cette musique intemporelle qu’on s’empressera d’aller écouter sur Internet pour voir de quoi il retourne. Avec la confirmation que dans ces rythmiques de guitare et ces mélodies de chant se trouvent certaines des racines essentielles de ce machin protéiforme qu’on appelle aujourd’hui le Rock.