Dessins : Andrew C. Robinson (+ Kyle Baker) – Textes : Vivek J. Tiwary
Le titre est accrocheur et en soi lourd de polémiques. Car enfin, assigner à un simple manager la distinction réservée aux membres d’un groupe de Rock, n’est ce pas y aller un peu fort, surtout quand il s’agit du plus grand groupe de l’histoire ? Stuart Stutcliffe et Pete Best ont eux vraiment fait partie des Beatles. Le premier les a quittés de son plein gré pour Astrid Kirchherr, la belle Allemande à qui au passage les Beatles doivent leur magnifique coupe à la Française inspirée de la nouvelle vague et le second s’est (mal)proprement fait lourder, à cause, selon la rumeur, de son trop joli minois qui faisait de l’ombre aux autres. Même des sparring partners encore plus fugaces comme Jimmy Nicol qui a remplacé Ringo Starr pour une poignée de concerts ou Billy Preston qui a tenu le clavier pendant tout l’enregistrement de Let it be (une belle carte de visite que le sieur a bien exploité par la suite) pourraient revendiquer le titre.
Alors pourquoi Brian Epstein, ce jeune anglais poli et courtois, toujours tiré à quatre épingles, aussi effacé que ses quatre poulains étaient exubérants et gouailleurs, mériterait-il ce suprême honneur ?
Simplement parce que Brian Epstein a FAIT les Beatles. Tout le monde s’accorde à reconnaître le rôle majeur joué par ce jeune homme raffiné, issu d’une bonne famille bourgeoise, dans la carrière de ces p’tits gars prolos de Liverpool avec qui il avait si peu en commun. Mais le plus souvent, comme pour tous ceux à qui l’on affuble le rôle d’éminence grise ou d’homme de l’ombre, il y a toujours un brin de condescendance, voire de mépris. Après tout, ces quatre là étaient tellement géniaux qu’ils auraient de toute façon fini par devenir ce qu’ils sont ? Grossière erreur qui méritait une antithèse cinglante. Que voici que voilà, en images et en couleurs grâce à cet ouvrage concocté par une fine équipe de créateurs américains, deux dessinateurs de Comics chevronnés et réputés et un scénariste producteur de théâtre, de cinéma et de télévision qui pour passer le temps signe ici son premier bouquin. Il fallait bien ça pour rendre ce vibrant hommage à Brian Epstein.
Et c’est bien de lui qu’il est question, l’opus évitant le piège de parler surtout des Beatles et de passer à côté du sujet. Car Epstein était lui aussi un personnage hors du commun, un jeune visionnaire qui détecta d’emblée l’immense potentiel que recelaient ses futurs poulains et qui sut qu’ils pouvaient devenir grands, plus grands qu’Elvis et plus encore. Lennon se chargera de la métaphore christique mais s’il put se permettre de déclencher la polémique, c’est bien parce que leur mentor avait fait le boulot.
Le récit échappe également au deuxième écueil d’un biopic qui consiste à faire une narration linéaire et didactique. Les auteurs se sont focalisés sur les grandes étapes de la vie d’Epstein, limitant les repères chronologiques au minimum syndical pour mieux se concentrer sur la psychologie et la personnalité du héros. Romantique, visionnaire certes mais doté par ailleurs d’un pragmatisme et d’une opiniâtreté sans faille au service d’une énorme ambition. Un être profondément seul et complexé également ; artiste contrarié, homosexuel, ce qui n’avait rien d’évident dans les Sixties en Angleterre, contrairement aux clichés d’aujourd’hui sur ce supposé âge d’or de la coolitude. En se concentrant sur ces quelques éléments, éludant sans doute les défauts du bonhomme, si ce n’est son addiction pour les petites pilules qui rendent moins malheureux, le livre offre quelques moments d’anthologie où l’allégorie prend le pas sur la pure vérité historique. La négociation avec Ed Sullivan pour ouvrir la porte des States, le talk-show télévisé à la BBC, ou la mort, dans la réalité par overdose de barbituriques, ici dépeinte comme une lente agonie annonçant la fin des Beatles qui ne survivront pas longtemps à la disparition de leur pygmalion. Et en point d’orgue, le repas avec le Colonel Parker, le manager d’Elvis, où les deux hommes se livrent à une passe d’armes sur la conception de leur métier, saisissante opposition de styles qui résume à elle seule la philosophie du management d’artistes.
Le graphisme est quant à lui classieux et flamboyant, trait élégant, somptueuse mise en couleurs directes. Les Beatles sont fidèlement reproduits, sans être caricaturés ni platement reproduits. Une démarche originale et personnelle qui n’est pas sans rappeler celle adoptée dans un autre biopic, Jimi Hendrix la légende du Voodoo Child, la référence absolue dans le domaine.
2013 avait très bien débuté avec la sortie de Liverfool, consacré à Allan Williams, le premier manager des Beatles, et se clôt magnifiquement par la biographie de son successeur. Du franco-belge, du Comics… le prochain parlera peut-être de George Martin… un manga en 20 tomes… j’ai hâte !