Bonus Track : Claire FAUVEL

A propos de La Nuit est mon Royaume : 3 questions à Claire FAUVEL

Deux filles de banlieue parisienne, de milieu modeste et dont l’une est issue de l’émigration algérienne, fans de Paul McCartney et qui font du Rock Indie… L’un des postulats du récit était-il de s’affranchir à tout prix des clichés ?
En réfléchissant à cette histoire, je ne me suis pas trop inquiétée de savoir si elle était « cliché » ou pas, je savais que le postulat de départ n’était pas très original, mais comme cette histoire était avant tout un moyen de suivre l’évolution intime de Nawel, je me suis dit que si ce personnage était juste et complexe il s’affranchirait de lui même des clichés. Il était important pour moi que les deux héroïnes se lient d’amitié grâce à leur goût commun pour une forme de musique que leurs camarades n’écoutent pas, c’est ce qui crée la force et l’originalité de leur duo. C’est pourquoi j’ai choisi de leur faire écouter du rock et non du rap ou d’autres musiques plus actuelles. Je cherchais un groupe intemporel pour provoquer la révélation musicale de Nawel, et j’ai naturellement pensé aux Beatles, qui me semblent un moyen parfait de pénétrer dans l’univers de la pop et du rock, un groupe plus récent risquait de trop « dater » l’album. Mon choix s’est porté plus particulièrement sur Paul McCartney car il a écrit une chanson dont les paroles font particulièrement écho au récit (Jenny Wrenn, cité en début d’album).

Le personnage de Nawel est particulièrement réussi, à la fois archétypique et très original. Comment l’as-tu conçu, un pur produit de ton imagination ou en s’inspirant de personnes réelles ?
Nawel est un personnage très inspiré d’une amie à moi, elle même d’origine algérienne. Ça fait longtemps que je voulais lui rendre hommage à travers une bande dessinée, car elle a eu, comme l’héroïne, un parcours compliqué pour réussir à assumer ses goûts et sa personnalité face à ses parents. Je trouve qu’il y a encore trop peu de héros racisés en bandes dessinée, et je tenais à avoir une héroïne d’origine algérienne, mais qui ne soit pas uniquement définie par son identité culturelle. La force du personnage réside dans sa ténacité, son caractère passionné, sa soif absolue de vivre. Son combat pour tenter de vivre d’une carrière artistique n’est pas fonction de son origine et pourrait être vécu par n’importe qui. Pour rendre le personnage crédible, je me suis inspirées d’anecdotes vécues par mon amie (pour son rapport avec sa famille), d’autres que j’ai moi-même connues (les galères pour vivre de son art), et de certaines vécues par des amis musiciens (les festivals foireux etc).

Si Nuit Noire et Isak Olsen existaient réellement, ça pourrait ressembler à quelle style de Rock et à quel(s) groupe(s) ou artiste(s) connu-e(s) ? S’agissant du dernier, ça m’a tout de suite évoqué (un peu facilement) Jay-Jay Johanson.
Pour imaginer l’univers musical de Nuit Noire, j’ai pensé à des groupes de musique électro comme Beach House (pour le duo synthé/guitare), The Knife, ou encore à la chanteuse Grimes. Dans l’appartement de Nawel, on voit des clins d’œil à d’autres groupes qu’elle aime comme Radiohead etc… Pour Isak, c’est vrai qu’on pourrait penser à Jay Jay Johanson, je pensais aussi à Sufjan Stevens et à Jacco Gardner (qui fait de la musique très sixties, ce qui peut expliquer qu’il plaise à une fan de Mc Cartney).

Petite question bonus, que l’Angevin que je suis ne peut s’empêcher de poser, pourquoi ce clin-d’œil aux Thugs, page 83 de l’album ?
J’aime faire des clins-d’œil à mes amis en les dessinant dans mes BD. Dans la scène du festival rock, j’ai fait apparaitre mon petit ami, c’est lui qui prend de la drogue avec les héroïnes (le vilain !). Comme il a grandi à Angers, c’est lui qui m’a soufflé qu’un des membres de son « groupe » devrait porter un t-shirt des Thugs !

La nuit est mon royaume

Dessins et Textes : Claire FAUVEL

Avec un tel titre, on pourrait s’attendre à un récit nous entraînant dans le trou du cul des Enfers, sur fond de Black Metal distordant, plaintif et éructant telles les âmes perdues se tordant dans les flammes de la damnation éternelle. Mais la couverture laisse deviner une toute autre perspective. Deux filles, l’une aux claviers et l’autre à la guitare dont les poses et les mines inspirées font apparaître une totale dévotion à leur musique.
En fait de Métal (gentiment écorché au détour d’une case), on s’oriente vers le Rock Indie, ou Indépendant pour les béotiens même si ça ne les aidera pas vraiment. Les premières pages ainsi qu’un effeuillage rapide laissent présager (ou redouter ?) qu’il pourrait s’agir là d’une gentille et belle histoire d’un duo féminin, nommé Nuit Noire, qui, après moult galères, réussirait à percer dans le monde implacable du show-biz et parviendrait à réaliser ses rêves. En réalité, hormis le titre, la citation en exergue de Victor Hugo laisse augurer quelque chose de bien plus subtil.
Le décor déjà, loin du sempiternel Paris version classe moyenne supérieure, terreau habituel du Rock branché avec de jeunes boubourges qui vivent leur crise d’ados rebelles et réfractaires au destin tout tracé du Master ou de la Grande Ecole. L’action débute en banlieue, à Créteil, tendance Wesh Gros. Nawel, une fille d’émigré algériens prend sous son aile Alice, une Française « de souche », nouvelle arrivée dans son immeuble et que tout semblait destiner à vivre l’enfer dans le monde impitoyable d’un collège en ZEP. Alice joue de la guitare et elle est une fan Hard Core de Paul McCartney. C’est le choc pour Nawel qui découvre un univers musical qui la transporte. Elle se met au piano et se découvre un vrai talent pour l’écriture et la composition. Le duo féminin suit le cursus habituel : approfondissement de la culture Rock, maîtrise des instruments, création des premières œuvres et les choses s’enchaînent vite, lycée, BTS audiovisuel à Paris, petits boulots et découverte d’un milieu encore plus implacable que la banlieue : le microcosme du Rock parisien.
Même s’il utilise deux ingrédients hyper classiques dans le genre de la fiction musicale, les rêves de succès de jeunes zicos voulant sortir leur premier disque et trouver la reconnaissance du public d’une part, la relation d’amitié entre les protagonistes d’autre part, La nuit est mon royaume s’en affranchit et s’attache avant tout au personnage de Nawel. La jeune femme lutte pour s’affranchir d’origines peu propices à l’épanouissement dans le style de musique (Rock underground et anglophone) qu’elle a choisi. Animée d’une passion et d’une foi sans limites, elle se donne à corps perdu (il ne s’agit pas ici d’une simple métaphore) dans sa musique. Sans oublier de convoquer les figures obligées du genre, premiers concerts foireux, rockers plus concernés par la dope que la création (merci pour la référence aux Thugs, allez Angers !) espoirs déçus, précarité, premier amour… Claire Fauvel a créé un personnage fort, passionnel et habité qui se révèle par petites touches et auquel on finit par s’identifier totalement. Le titre du livre n’est pas trahi par la mise en couleurs qui joue un rôle important dans la profondeur et la justesse du propos. Une narration et un dessin très fluides permettent d’avaler sans effort les 150 pages de l’opus. En prime, et cela mérite vraiment d’être souligné, un rebondissement final (loin d’être imprévisible mais peu importe) débouche sur un épilogue qui donne tout son sens au récit.
Pas de faute de goût donc mais quand on choisit McCartney plutôt que Lennon, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter (vous pouvez lâcher les chiens, les fans de John, j’ai mis mon armure !).

Bonus Track : 3 questions à Claire Fauvel