Certains mecs sont énervants. Ils ont tout pour eux, beaux, sympas, talentueux et en plus ils sont des stars. Tout ce qu’ils font semble immanquablement marqués du sceau doré du succès. Même chez les Rockstars, où l’on compte un sacré paquets de connards égocentriques et prétentieux, il en est que l’on adore envier et dont l’on n’est même pas jaloux quand l’on voit sa chère et tendre s’extasier sur leur belle gueule encadrée d’une masse de cheveux crades et pas rasée de cinq jours. Le genre Dave Grohl, le batteur sans qui Nirvana serait resté un groupe de Grunge comme les autres et qui maintenant chante et joue de la gratte en enfilant les tubes Rock comme des perles.
S’agissant de la BD, il y a Zep, une star de la BD comique transgénérationnelle avec son Titeuf qui en apprend autant sur les pré-ados que le meilleur manuel de pédopsychiatrie, Grand Prix d’Angoulême à même pas 40 balais, plutôt bien fait de sa personne, de si loin que je sois concerné et qui, comme ça d’un coup, décide de changer carrément son crayon d’épaule en adoptant un style réaliste à la place des gros nez qui ont fait sa renommée. Et sur le thème du Rock en plus. Même pas peur.
Le pitch fleure pourtant le déjà vu : Les quatre membres d’un groupe de Rock se retrouvent vingt ans après, pour un week-end à la campagne où ils vont égrener bons et surtout mauvais souvenirs dans le manoir So British du Devon où les accueille Sandro celui qui est devenu une star tandis que les trois autres replongeaient dans l’anonymat, avec des fortunes très diverses. Même si le récit a son identité propre, ce thème des retrouvailles champêtres entre potes n’est pas sans évoquer des films comme « Peter’s Friends » ou « Mes meilleurs copains » avec, pour l’aspect règlement de comptes entre amis, une pointe du « Déclin de l’empire américain », ce qui constitue au demeurant un background des plus estimables.
Pour le reste, Zep joue toutes les gammes qui ont fait sa réputation. Un dessin sobre et diablement efficace qui n’a rien perdu de sa personnalité et de son expressivité en passant du côté réaliste, bien au contraire, avec une mise en page affranchies des cases (un style déjà éprouvé dans les albums de la série Happy ou encore Découpé en tranches) et des couleurs s’accordant avec l’ambiance des scènes. Un humour imparable au travers des dialogues dignes des meilleures comédies modernes. Et surtout des personnages impeccablement campés, archétypiques, avec juste ce qu’il faut de caricature pour leur conserver toute leur crédibilité. Zep étant lui-même un musicien ayant sévi dans nombre de groupes amateurs qui ont failli le détourner de la BD, il a une très bonne connaissance de tous les clichés Rock, comme il l’avait prouvé dans son Happy Rock. Il a de nouveau puisé dans son répertoire pour inventer ce groupe, les « Tricky Fingers » (que ceux qui n’ont pas compris l’allusion stonienne n’ont plus qu’à monter et descendre 300 fois la braguette de leur jean, ça leur fera les phalanges), valeur montante des années 1990 mais dont le destin va contrarier l’ascension. Frank, le batteur gaffeur et grande gueule et JB, le bassiste sage et posé assurent la base rythmique sur laquelle l’incontournable duo mythique du Rock, chanteur et guitariste va venir se greffer. Sauf qu’à la traditionnelle lutte des égos à la Jagger-Richards, Lennon-Mc Cartney ou Tyler-Perry, l’auteur livre une variante plus subtile. La relation entre Sandro, le leader charismatique et sûr de lui et Yvan le guitariste, musicien génial mais mal dans sa peau est le point central du récit, décliné sous l’angle de la rivalité musicale et sentimentale, Sandro s’étant marié avec l’ex petite amie d’Yvan. Le souvenir de leur fils mort dans un accident de moto un an plus tôt les ont éloignés l’un de l’autre tandis qu’Yvan de son côté est incapable d’assumer le désir d’enfant de sa compagne.
Le week-end s’annonce tendu entre les deux hommes dont l’amitié semble s’être brisée alors qu’ils composaient autrefois les deux facettes d’un même personnage, comme le souligne leur ressemblance physique. Cela aurait pu donner un récit lourd et pesant mais la grande réussite du récit est de combiner drame et comédie sans jamais verser dans le Pathos larmoyant ni l’humour gratuit. La révélation finale, bouleversante et rédemptrice est certes des plus classiques. Mais l’une des grandes forces du Rock est de se renouveler en s’inspirant des gimmicks et des standards du genre pour donner naissance à des œuvres originales où s’affirment la personnalité de leurs auteurs. On ne reprochera donc pas à Une histoire d’hommes d’avoir adopté la même démarche. Car ici tout sonne parfaitement juste comme une Stratocaster (oui, d’accord, ou une Les Paul!) impeccablement accordée.
Vraiment énervant ce Zep. Encore heureux qu’il perde ses cheveux !