Punk Rock Jesus

Dessins et scénario : Sean MURPHY

Dans le registre du « Plus, c’est gros, mieux ça passe », les Amerloques sont les rois (oui, bon les Japonais sont pas mal non plus). Certes, il faut adhérer au postulat de départ, mais si c’est le cas, c’est foutu, impossible de décrocher. Prenez les Super Héros, tous ces types qui grimpent sur les murs ou dégomment des buildings d’une pichenette, si on prend juste deux secondes de recul, c’est franchement n’importe quoi. N’empêche, ça fait plus de soixante-dix ans que ça dure. Au demeurant, ceux qui font vivre ces beaux messieurs et ces charmantes demoiselles dans leur combinaison moulante sont souvent des artistes accomplis, Stan Lee, Jack Kirby, John Buscema, Frank Miller ou Bill Sienkiewicz (par ailleurs, dessinateur du sompteux Jimi Hendrix, la légende du Voodoo Child) qui ont donné au genre ses lettres de noblesse.
Punk Rock Jesus 1Et puis il y a bien longtemps que les Comics ne se limitent plus à des mecs qui combattent le mal avec le slip au dessus du collant en affrontant des méchants verdâtres lookés comme des gargouilles. Des auteurs comme Will Eisner, Robert Crumb, Joe Sacco ou Art Spiegelman illustrent toute la diversité de la BD américaine à l’instar de sa cousine francophone. Harvey Kurtzman, fondateur du magazine MAD, a d’ailleurs largement influencé des auteurs comme Gotlib et donc indirectement la BD Rock en France. Tout comme de ce côté-ci de l’Atlantique, le roman graphique a également pris son essor grâce à des auteurs comme Craig Thompson, Charles Burns ou Alex Robinson, pondant des œuvres aussi originales que personnelles.
Sean Murphy, dans Punk Rock Jesus s’inscrit dans cette veine tout en adoptant un postulat dont l’énormité ne déparerait pourtant pas dans un bon vieux récit de Super Héros. A savoir créer un clone de Jésus à partir de traces d’ADN prélevées sur le Saint Suaire. Non, sérieux, c’est quoi cette connerie, Sean ? (pardon, c’était plus fort que moi). C’est pas un peu too much, là ?
Bon, d’accord, rien que pour le titre et la couverture, validons le postulat et laissons nous embarquer pour quelques 224 pages d’une intrigue foisonnante.
Or donc, cette réplique du Christ, fécondé in vitro devient dès sa naissance le héros d’une émission de télé-réalité, filmé 24 heures sur 24 dans une luxueuse et gigantesque propriété high-tech, gardée comme une forteresse. Tout baigne, l’audience grimpe, entre passion malsaine et réaction exacerbée de l’Amérique conservatrice. Tout ça ne pouvait que mal tourner, ou plutôt, très bien, du point de vue des fans de binaire primaire, car ce petit Jésus, Chris pour les intimes, va s’affranchir de ses leçons holographiques de catéchismPunk Rock Jesus 2e à l’eau de rose pour devenir, au détour de l’adolescence, une icône Punk avec son groupe, les « Flak Jackets ». Réjouissante évolution et jouissive révolution au travers de laquelle Murphy donne sa version irrévérencieuse de quelques thèmes identitaires des U.S.A. : Religion, violence ou pouvoir exorbitant des médias. Outre Chris, prophète d’un athéisme militant, cette évangile Rock égratigne une autre figure emblématique du Christianisme, la vierge Marie, ici prénommée Gwen, pauvre fille fragile qui ne tarde pas à sombrer dans la drogue et la dépression.
S’ajoutent à cette galerie de portraits une scientifique écolo, une virago chrétienne intégriste, chef de la N.A.C. (Nouvelle Amérique Chrétienne) et un producteur cupide et sans scrupules. Mais le personnage secondaire le plus fascinant est sans conteste Thomas, colossal garde du corps, ex-terroriste repenti de l’I.R.A., père de substitution de Chris… et fan des grands groupes du Punk britannique, Sex Pistols, Clash et bien sûr les Nord-Irlandais Stiff Little Fingers.
Tous les ingrédients sont réunis pour un cocktail que le dessin fait exploser avec une précision chirurgicale et une densité impressionnante, notamment dans des scènes d’action d’une efficacité bluffante. Certaines planches offrent une telle profusion de détails qu’on hésiterait presque à s’y plonger. Pour apprécier pleinement un tel récit, mieux vaut donc s’y lancer à fond, sans avoir peur d’être ballotté, voire franchement bousculé, comme dans un pogo furieux. Dessin époustouflant, scénario captivant, rythme trépidant, Punk Rock Jesus est une œuvre majeure de la BD Rock tant par sa virtuosité graphique que par son approche résolument moderne et iconoclaste.