Bonus Track : Nicolas OTÉRO

A propos du Roman de Boddah : 3 questions à Nicolas OTÉRO

Quelle a été la motivation principale de ton livre ? Adapter le roman d’Héloïse Guay De Bellissen ou l’envie de donner ta vision de la biographie de Kurt Cobain ?
C’est un peu des deux. J’avais envie de me lancer en solo depuis assez longtemps mais je ne trouvais pas la matière et peut-être pas le courage non plus. Quand j’ai découvert le bouquin d’Héloïse, l’axe narratif choisi de faire parler Boddah, la personne à qui Kurt Cobain a dédié sa lettre de suicide, donc quelqu’un d’important dans sa vie, était pour moi une idée de génie. Je me suis emparé de ce bouquin, tout ce que j’avais pu en attendre était prêt à sortir et ça a été le déclencheur du projet.

Comment as-tu procédé pour créer le personnage de Boddah ?
Boddah, il a fallu l’incarner parce que je ne pouvais pas utiliser le même postulat que dans le roman où l’on sait tout de suite qui il est. Pour moi, c’était un mec qui devait forcément être dans l’entourage proche de Kurt Cobain et j’ai choisi de le traiter comme l’un de ses roadies, un mec qui s’occupe des instruments, qui est là sur les tournées et donc aussi dans les moments intimes. Personne d’autre que Kurt ne parle avec Boddah… il y a pas mal de petites choses qui amènent le déroulé du récit sur ce personnage. C’est cet ami d’enfance, cette petite voix qu’on a dans notre tête et dont on a du mal à se défaire. Pour Cobain, il est apparu au moment du divorce de ses parents. On oublie que Cobain fait partie de cette génération d’enfants de divorcés, avec tout ce que ça pouvait impliquer, ce manque d’amour, ce manque d’intérêt qu’avait sa famille pour lui. Je pense qu’il a gardé Boddah jusqu’au bout parce qu’il a voulu garder cette part d’innocence et d’enfance qu’il avait en lui et Boddah justement représentait ça.Cobain par Otero © Collection personnelle

Quelle a été ta démarche pour l’adaptation du roman ? Une base d’inspiration ou le souci d’une adaptation fidèle en concertation avec Héloïse Guay De Bellissen ?
Non, pas vraiment. J’ai juste eu comme consigne de la part des éditions Fayard d’essayer d’être fidèle à l’esprit de l’auteur, ce qui, on est d’accord, ne veut rien dire mais je savais où je voulais aller. Le principe d’une adaptation d’une œuvre, c’est de la mettre à sa sauce. Le bouquin faisait 350 pages, j’ai forcément dû éluder des parties, il y a des choses que je trouvais moins intéressantes que d’autres. Ce qui est ressorti à la lecture de ce livre, c’est surtout une belle histoire d’amour, pour moi c’était l’élément central et le côte intime que Boddah a pu avoir avec Kurt Cobain permettait de raconter ces scènes que personne n’est censé connaître et de mêler des événements authentiques avec des événements fantasmés. S’agissant de l’histoire d’amour avec Courtney Love, j’ai mis les choses au point dès la quatrième page car on a raconté pas mal de salades et  je ne voulais pas me mêler à toutes les rumeurs qu’il y a pu avoir là-dessus. Le peu de temps qu’ils se sont aimés, c’était puissant, c’était dévastateur, c’était destructeur comme l’état dans lequel ils laissaient les piaules d’hôtel. Cette meuf était effectivement pétrie d’ambition, elle savait que son mec était en train de réussir, de devenir une star planétaire. Je laisse planer le doute dans deux scènes en particulier : Quand il fait son overdose à Rome où c’était déjà le début de la fin… Il absorbe une grande quantité de médicaments et c’est elle qui les apporte, on se demande dans quel but alors qu’elle sait qu’il a du mal à se défaire de son addiction. L’autre scène, c’est la première fois où ils couchent ensemble et que lui s’en va et la laisse en plan. Elle a cette phrase « Il ne s’en sortira pas comme ça », ce qui peut vouloir dire tellement de choses… Courtney Love était un beau personnage de femme dans le bouquin d’Héloïse et j’ai voulu garder ça. Vu l’axe narratif que j’avais choisi, c’était important que Courtney Love soit ambiguë. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que c’était une femme hyper forte et le contrepoint parfait de la fragilité de Cobain.

Le roman de Boddah – Comment j’ai tué Kurt Cobain

Dessins et textes : Nicolas OTÉRO

Le Rock s’en était pris plein la tronche pendant les années 1980. Les vieilles gloires des Sixties bégayaient leurs gammes, le Punk n’en finissait plus de crever, les permanentes régnaient sur le Métal et AC/DC commençait à nous casser les burnes. Comme dans les plus grosses périodes de crise, on était contraint de s’orienter vers les valeurs sûres, genre Springsteen, Cure ou Maiden, histoire de ratisser large. On gérait frileusement son portefeuille, en attendant le gros coup, le truc qui allait tout (re) ou (ré)péter, mais ça semblait vraiment compromis. En France, les Variéteux prenaient toute la place et polluaient les ondes avec leur bouillasse synthétisée régnant sur le Top 50. Il y avait certes le paradoxe du Rock alternatif (à quoi, d’ailleurs ?) mais malgré une bonne volonté et une énergie évidentes, ça manquait encore de consistance. Roman de Boddah 1
Et puis, soudain, la bombe a explosé et a fait table rase de tout le reste. Tout y était, la pochette provocatrice, la photo de ces trois mecs avec leur trogne de rebelles, le doigt d’honneur… Et puis les titres, des hymnes Rock mâtinés de Punk, de Hard et de Pop, gorgés de saturation, sur une ligne rythmique de plomb, qui exprimaient cette urgence et cette révolte qu’on attendait tant. C’était le début des années 1990 et on savait déjà qu’avec Nevermind, on en prenait pour un bail. Kurt Cobain, qui était à l’origine de ce cataclysme, lui en a pris pour l’éternité à peine trois ans plus tard en se faisant sauter le caisson, entrant ainsi dans la légende, Club des 27 et tout le bazar.
Vingt ans plus tard, des tonnes de papier ont été noircies pour tenter de cerner le phénomène Nirvana et plus particulièrement l’énigme Cobain, l’enfant chéri du Rock, jeune, beau, célèbre et bourré d’un talent dont on a fini par comprendre qu’un insondable mal de vivre en constituait le principal ingrédient. Alors quoi, encore un biopic de plus ? Sauf que Nicolas Otéro, en adaptant le livre d’Héloïse Guay De Bellissen, a décidé d’attaquer la légende par un angle original qui constitue sinon la clé, du moins l’un des révélateurs de la tragédie Cobainienne (je la tente, vous la gardez ou pas). Celui d’un personnage imaginaire que Cobain a inventé quand ses parents ont divorcé. Il s’appelait Boddah et c’est à lui que Cobain a écrit, juste avant son suicide, une lettre intégralement et opportunément reproduite à la fin du livre.
Confident, meilleur ami, alter-ego… Boddah était tout cela. En lui donnant un visage et une voix, Le roman de Boddah nous fait découvrir l’intimité de Cobain, ses pensées secrètes, ses angoisses, ses démons et surtout sa détresse qui n’ont fait que grandir jusqu’à l’issue fatale. Éludant l’enfance de Cobain, le récit débute aux dernières années, juste pendant la période Nevermind et la rencontre avec Courtney Love. Sur ce point précis, il faut saluer une approche qui évite la condamnation simpliste de l’ambitieuse leader de The Hole dont la personnalité ne pouvait s’accommoder d’un mec aussi perturbé. Elle s’imaginait former avec lui avec le couple de Rockstars le plus cool du moment, mais elle a été incapable de gérer les addictions et la déprime chronique de Cobain qui a bien failli l’entraîner dans sa chute. Quelle qu’ait été son attitude minable après la mort de Cobain, ils ont vécu une passion, destructrice, mais une passion quand même qui constitue l’axe du récit.
Mais surtout, il y a Boddah, dont le livre propose une incarnation tout à fait convaincante. Boddah est le contre-champ de CobRoman de Boddah 2ain qu’il ne juge ni ne conseille. Il est juste une présence qui accompagne le chanteur de Nirvana, fidèle comme une ombre, sans intervenir et devient le témoin imperturbable de sa déchéance. Otéro s’est plongé comme un mort de faim dans son sujet et n’ a mis que huit mois à réaliser tout seul ces 150 pages en couleurs directes et lettrage à la main. Cette sincérité et cette implication totale se retrouvent dans son dessin et son découpage, vifs et énergiques, comme la musique de Nirvana dont la puissance est parfaitement restituée dans de superbes scènes de concert. L’auteur compose un Cobain parfaitement crédible aussi bien dans ses moments de folie que dans les passages plus intimes avec Boddah ou Courtney Love. Ce roman graphique contribue ainsi à lever un peu plus le voile sur la personnalité complexe et torturée de Cobain. Ce dernier a (re)donné envie à tellement de gens d’écouter du gros Rock que ça valait assurément un biopic de plus, surtout de cet acabit.

Bonus Track : 3 questions à Nicolas OTÉRO