Les Héros du Peuple sont immortels

Dessins et Textes : Stéphane OIRY

Faut-il être un voyou pour être un vrai Rocker ?
La question peut légitimement se poser au regard du CV de pas mal de Rockstars quise sont illustrées dans les figures de style du Rock’n Roll Way of Life, telles que (liste non exhaustive) : Bastons dans les concerts, les bars, les loges, etc.; Destructions de chambres d’hôtels ; Abus sexuels sur des filles pas forcément consentantes et parfois pas forcément majeures ; Et bien sûr l’incontournable consommation de substances illicites en tous genres. Un séjour en prison constituant le marqueur ultime de la crédibilité Rock. Même ce « gentil » (fausse réputation dont on reparle ailleurs sur ce site) et vénérable Paul McCartney a fait de la tôle pour détention de drogue, c’est vous dire !
Mais dans cette caste de bad boys, la palme revient assurément aux Punks. Crades, déjantés, mal élevés, perpétuellement défoncés… Le Punk, par delà la provocation gratuite, le rejet de toute convention sociale ou politique, c’était avant tout au départ une revendication libertaire, souvent anarchiste et une envie irrépressible de crier qu’on existe. Dans le Rock, ça s’est traduit par le rejet de la virtuosité musicale et le retour à l’énergie brute du Rock, loin de la théâtralité et du Bizness qui dominaient dans les années 1970.
Comme d’habitude, c’est parti des States (Stooges, New York Dolls, Ramones…) et ça s’est rapidement propagé en Angleterre (Sex Pistols, Clash, Buzzcoks…). En France, on a pris le train durant les années 80, à la grande période du Rock dit « Alternatif » : Bérurier Noir, Parabellum, Garçons Bouchers, OTH (évoqué dans l’album) et consorts.
Gilles Bertin a fait partie de cette vague musicale en tant que chanteur du groupe bordelais Camera Silens, au début des années 1980. Et c’était aussi un authentique voyou, ayant fait de la en prison pour cambriolage. Mais son principal fait d’armes sera d’avoir, avec ses complices, braqué un dépôt de la Brinks pour un montant de 11 751 316 Francs (un peu moins d’1,8 millions d’euros), ce qui lui a a valu un exil d’une trentaine d’années au Portugal puis en Espagne.
Gilles Bertin a raconté son histoire dans une autobiographie parue en 2019, que Stéphane Oiry a eu la bonne idée et le talent d’adapter en BD. L’auteur a déjà œuvré dans deux excellents albums où le Rock jouait un rôle important : « Une vie sans Barjot » et « Pauline et les Loups-Garous » ainsi que dans une magnifique et crépusculaire évocation de Johnny Thunders dans Rock Strips.
Dans les Héros du Peuple sont immortels, il apporte une nouvelle illustration que le destin des Rockers, avec ou sans la gloire, peut être un chemin de galères, voire de souffrance. Le récit est, impeccablement construit, en choisissant opportunément, après un flash-back préliminaire au Portugal, de se focaliser sur la période française « Rock, Drogue et Braquage » de Gilles Bertin puis la dernière époque de son exil, en Espagne. L’auteur nous fait revivre avec une authenticité rare, tant des personnages que des ambiances, la saga de cet anti-héros, ainsi que de ses potes, marqué par la précarité, la dépendance à l’héroïne, la délinquance, la maladie (le SIDA), auquel la musique et l’amour vont lui permettre d’échapper à une issue tragique et précoce et au final lui apporter une vraie rédemption.
Oiry n’a pas son pareil, grâce notamment à son travail sur les trames de noir, pour retranscrire la fièvre des concerts Rock, avec la furie des pogos et l’énergie de la musique que l’on peut presque entendre à travers les cases.
Et pour les vétérans, c’est un vrai bonheur de voir ressuscitée cette époque bénie des Dieux du Rock, où la France a semblé enfin se déniaiser musicalement.

Une vie sans Barjot

Dessins : Stéphane OIRY – Textes : APPOLLO

Dans la carrière du fan de Rock, l’adolescence est sans doute la période la plus déterminante. Celle des premiers émois amoureux et des premières révoltes contre toutes les figures imposées de l’âge adulte et tout ce qui empêche d’être ce que l’on voudrait être sans d’ailleurs en avoir une idée vraiment précise. Et pour ces deux apprentissages, le Rock fournit un mode d’emploi idéal, provocateur et transgressif.
Cette époque de tous les possibles est ponctuée de quelques moments décisifs, de ceux où il faut bien se confronter à des choix que l’on n’a pas forcément envie de faire. C’est cette part d’enfance qu’il faut se résoudre à tuer, quand on découvre qu’il sera définitivement impossible d’avoir tous les jouets dans la vitrine.
Au milieu de ça, le Rock dispense une part de certitude à laquelle on peut toujours se raccrocher quand le cœur bat la chamade et que l’abîme insondable de l’avenir donne le vertige. Un disque qui tourne en boucle sur la platine, un concert qui laisse les tympans en vrac et l’échine en sueur et l’angoisse du lendemain s’estompe pour un court instant.

Une vie sans Barjot parle un peu de tout ça. Le récit se déroule en une nuit, la dernière des vacances, les dernières vacances après la dernière année de lycée avant que Mathieu ne parte le lendemain pour suivre ses études à Paris, loin du confort de sa ville de Province (Nantes, en l’occurrence dont est originaire Stéphane Oiry).
La perspective de cette nouvelle vie angoisse Mathieu, d’autant qu’elle risque de lui faire perdre la trace de Noémie. Cette dernière est la bassiste des New Girls et joue ce soir-là au Bateau Ivre. C’est depuis ce lieu au nom évocateur, à l’issue d’un concert de Death Metal, que le héros va entamer un long périple à la recherche de sa Dulcinée qui lui a donné rendez-vous à la soirée chez une copine… dont il ignore l’adresse. Mathieu va se lancer dans cette quête au cours d’une errance nocturne, une Odyssée rimbaldienne émaillée de sexe, parfois un peu glauque, de drogue, juste ce qu’il faut, et bien sûr de rock’n roll. Son chemin va croiser toute une série de personnages sublimes ou dérisoires, de ceux que l’on a tous connus au lycée.
Et parmi eux Barjot, fil rouge de l’intrigue, le copain zarbi dont on n‘arrive pas à se défaire et qui derrière le masque de clown foireux, cache une personnalité qu’on ne soupçonnait pas. Barjot, c’est le Godot qu’on n’attend plus mais dont l’existence est un vrai repère dans l’existence de Mathieu.
Une vie sans Barjot est un récit romanesque passionnant, d’une justesse et d’une modernité irréprochables, la fresque d’une jeunesse urbaine tout aussi flamboyante que désabusée à la recherche d’un temps qu’elle sait perdu d’avance et qu’elle essaie de retenir tant qu’elle peut, avant qu’il ne lui file entre les doigts.
Avec le recul, ma BD préférée de l’année 2011.

L’interview de Stéphane Oiry, c’est ici.