Friskoz Invaderz

Dessins : NIRO – Textes : LEDOUBLE

Il y a des lectures qui ne vous laissent pas indifférents, d’autres qui vous branchent à donf et d’autres dont vous ne savez trop quoi penser. Après avoir refermé Friskoz Invaders, les mains encore tremblantes, ces trois impressions se sont d’abord bousculées dans mon petit cerveau. En causant avec les géniteurs de l’opus lors du dernier Angoulême (une rencontre très sympa, au passage), nous avions évoqué le rapport avec le Rock, un peu ténu dans le premier tome, mais qui devrait se révéler bien plus marqué dans le second. Du coup, j’avais envisagé d’attendre la sortie de celui-ci pour y aller de ma petite chronique (ou pas, si l’opus s’était révélé daubesque).
Et puis merde, me suis-je dit (il m’arrive d’être très discourtois à mon propre endroit), tu pourras toujours en remettre une couche après et un truc comme ça mérite qu’on en cause là tout de suite maintenant et aussi vu, qu’à la réflexion, le lien avec le Rock est évident.
Car Friskoz Invaders est une petite bombe, ou une mine en l’occurrence, comme celles qui barrent l’accès à cette cité, seule rescapée d’une catastrophe pas vraiment naturelle et qui refoule tous les réfugiés climatiques qui tentent d’y pénétrer. Et quelle est la raison sociale d’une bombe quand on y touche de trop près ? Hein ? De te péter à la gueule, évidemment ! Et cette BD, pour sûr qu’elle explose à toutes les pages avec un graphisme détonnant, mélange de comics, de mangas, de films de série B ou de jeux vidéo, accompagné de dialogues percutants. Alors, c’est vrai que parfois, c’est un peu too much. Beaucoup d’intensité, d’enthousiasme et même une pointe de rage, au travers de cette évocation trépidante de thèmes pas très folichons, pollution, racisme, ségrégation sociale, cupidité… principales tares de la nature humaine. Mais l’effort est louable, sans conteste. L’univers, les personnages (forts en gueule dans tous les sens du terme), l’intrigue… tout cela envoie très fort d’emblée.
Ce qui nous ramène au Rock. Au Métal, plus exactement, et au Hardcore plus particulièrement, le style du groupe de Ted, à la recherche d’une voix stratosphérique pour hurler dans son groupe. Et qui gagne le casting ? Loomis, un ancien flic défraichi, qui déambule en béquilles. Mais avant d’atteindre les sommets du Rock lourd, va falloir échapper aux Patrol Boys, milices urbaines stipendiées par un maire véreux. Ça va, vous suivez ? Difficile d’en dire plus, pour comprendre, faut rentrer dans le pogo de Friskoz Invaderz.
Juste les gars, si je puis me permettre, il en est aussi qui apprécient le Métal sans forcément slammer comme des oufs. Pour eux (et donc oui, un peu pour moi), entre deux riffs furieux, ce serait possible pour le prochain de ménager des passages un peu plus cools, par exemple pour découvrir un peu plus la ville et ses origines ? Et dans la narration, parfois laisser monter le larsen avant de plaquer les accords ? Mais sinon, changez rien et continuez à envoyer les décibels. Si ça dépote trop, on mettra des bouchons !

Faire danser les morts (Rock, Zombie !)

Dessins et textes : TANXXX

Les concerts de Rock, c’est dangereux. Tout le monde sait ça. C’est plein de jeunes gens sales et fortement alcoolisés, qui fument des substances illicites et qui s’abrutissent les tympans avec une bouillie sonore qu’ils appellent de la musique. Le pire, ce sont les concerts de Punk ou de Métal. Là, on touche le fond et on creuse dans la fange. Tous ces petits crétins hurlent comme des singes qu’on égorge, brandissent leurs poings en faisant le signe du Diable, se rentrent dedans et se marchent dessus avec un grand sourire idiot.
Il y a même des filles. Elles sont encore pires que les garçons. Et spécialement l’héroïne de Rock Zombie ! En se rendant au festival de Rock du même nom, elle réclamait sa dose de décibels, de bière et de violence et elle a été servie, au delà de ses espérances. A force de jouer avec les forces du mal, il fallait bien que celles-ci se manifestent pour de bon. Le Rock a transformé ces dégénérés en zombies, avides de sang et de chair fraiche. Du coup, la donzelle a dû exterminer tous ces monstres à coup de guitare électrique puis s’en est allé vers le soleil couchant, ses Doc’ piétinant avec indifférence les cadavres putrides.
C’était en 2005 et nous croyions être définitivement débarrassés de cette Virago. Mais Tanxxx a de la suite dans les idées et a décidé de la remettre dans le circuit avec un deuxième tome intitulé Faire danser les morts.
Encore plus de Rock et de zombies avec en prime, cette fois, de la couleur ! L’héroïne, de retour au bercail, s’aperçoit que toute la ville est infectée de zombies. Après avoir zoné quelques jours à la recherche de produits de première nécessité (bières, clopes et croque-monsieurs), elle va finir, pour tenter de venir à bout de ces créatures, de s’allier à une bande de mecs.
Ces derniers, en organisant des concerts Punk zombifiés, avec des groupes qu’ils ont réussi mettre de côté, ont découvert que l‘état de zombie n’est pas rédhibitoire et que la musique peut les ramener à la vie. Ça ouvre des perspectives. Le problème c’est que la musique écoutée majoritairement dans notre douce France, avant qu’elle ne soit infestée par les cadavres ambulants, cette soupe populaire servie à grandes louches par la caste dominante des flics et des banquiers n’a rien à voir avec le Rock bruitiste et libertaire prisé par la Punk et ses compagnons. Johnny Halliday (lui, avec la DHEA et la chirurgie esthétique, ça fait longtemps qu’il avait viré zombie) contre Unsane… la construction du nouveau monde idéal, c’est pas gagné.
On l’aura compris, ce deuxième opus bastonne encore plus que le premier. Un scénario plus étoffé, des dialogues pêchus et un dessin sous influence Comics trash, du vrai graphisme Rock. Le personnage de cette nana qui n’a froid nulle part et affectionne le Rock qui dépote est tout à fait de bon aloi par les temps qui courent. Et puis se payer la trogne du Belge défiscalisé, chais pas pour vous, mais moi, ça me met toujours en joie.
Avec Faire danser les morts, l’année 2013 démarre fort !

Alfred Von Bierstüb

Dessins et textes : JANPI

A l’instar de ce qui se passe en musique, la BD Rock ne cesse d’enrichir sa palette de nouveaux thèmes et personnages illustrant ses différentes chapelles. C’est ainsi que l’on voit de plus en plus s’épanouir sur les planches à dessins ces jeunes gens fascinés par le Diable et l’Enfer, exhibant leurs tignasses, leurs attributs pileux, leurs clous et autres accessoires plus ou moins contondants. Cette bande de joyeux drilles compte désormais un nouveau membre en la personne d’Alfred Von Bierstüb, un Métalleux bon teint et, osons le dire, malgré l’incompréhension que pourrait susciter l’expression auprès des masses peu au fait des subtilités de cette culture, bon enfant.
Car Alfred est un brave type, un mec sympathique, généreux, enthousiaste, tout à fait fréquentable comme en témoigne la présence à ses côtés de sa compagne, la ravissante Gott, dont les qualités plastiques se doublent aux yeux de l’élu de son cœur du même penchant inconditionnel pour la distorsion, les éructations, les décibels gras et les cornes du diable… le Métal quoi, et sous toutes ses formes.
Ce premier album nous permet de faire connaissance avec le héros barbu, sa dulcinée, son groupe et bien sûr la musique douce et romantique qui fait sa joie. La BD de Janpi s’inscrit un peu dans la même mouvance que Les Musicos ou Rock’n’Vrac de Michel Janvier avec un humour tous publics ayant choisi le gag pour faire connaître cette forme de Rock extrême et outrancière qui suscite souvent le rejet, l’effroi et la moquerie des mécréants qui, à l’instar du grand penseur belge défiscalisé, assimilent cheveux longs et idées courtes. Death, Black, Heavy…les péripéties d’Alfred évoquent et détournent quelques clichés de cette culture qui fleure bon le vieux cuir et la bière fermentée. Surtout, il démystifie l’image du fan de Métal qui dans le privé se révèle un amateur de Rock comme un autre, débonnaire et bien élevé, juste doté d’un peu plus de poils et de cheveux.

MetaL ManiaX 2

Dessins : SLO – Textes : FEF

Tremblez, braves gens, les Métalleux sont de retour ! Le temps d’écluser quelques fûts et les voilà déjà de nouveau dans les bacs des meilleurs libraires (en tout cas du mien !). Et c’est avec une joie éructante que l’on retrouve les tribulations burlesques de ces allumés du gros son. Inutile de perdre son temps en fioritures, mettons les potards à fond et allons droit au but : ce second opus est largement aussi bon que le premier, ce qui n’est pas rien quand on sait la difficulté de confirmer la réussite d’un premier album.
Tous les ingrédients qui font le charme poétique du premier tome sont là, décibels, rôts, tatouages, humour trash et références musicales. Mais les situations grivoises sont bien plus présentes qu’avant. Peut-être le printemps… en tout cas, y’a du torride et du grivois ! Et ce n’est pas le fait de Marco, le Blackeux priapique mais de Spike, le roi du pogo qui découvre une blondinette dominatrice avec qui il file le grand amour. Entre deux pintes et deux morceaux de Death, même Vince s’y met aussi.
Slo et Fef ont pris le soin d’étoffer leurs six protagonistes en leur donnant un peu plus de vécu et en exploitant certaines situations échafaudées dans le premier tome. Les quelques nouveaux personnages (la meuf de Spike, les co-locs de Sam…) enrichissent vraiment l’univers.
Parmi les innovations, on notera aussi quelques gags en trois planches, exercice périlleux et exigeant dont les auteurs se tirent haut la main.
Tout ça donne un cocktail d’humour électrique, saturé d’acides gras et de décibels, jouissif à souhait dont il faut impérativement se repaitre sans plus tarder les mirettes.
Vivement le troisième et vive le lait-fraise !

Pour les non-initiés : la chronique du premier album

Orange Goblin – Hellfest 2012

Cette année, je n’ai fait que la journée du vendredi au Hellfest. Peu de quantité mais de la qualité, avec d’excellents groupes, tels Atomic Bitch Wax ou Turbonegro et aussi des pointures comme Dropkick Murphys et bien sûr Megadeth (plutôt décevant, une prestation assez pépère et un gars Mustaine à court de voix).
Le coup de coeur de la journée, c’est Orange Goblin, un combo british qui récite son Stoner avec ardeur et conviction. Le Stoner, c’est le style Metal idéal pour un vétéran comme moi. Aux confins du Heavy et du Punk (Saint Motörhead, priez pour nos péchés), c’est pas dépaysant tout en permettant de rester branché.

Et donc ces quatre là envoient le bois de chauffe à la bonne température emmené par Ben Ward, un chanteur taillé comme un biker (j’irais pas lui dire qu’elle me plait sa sœur), avec un regard de serial-killer à qui l’on donnerait Satan sans damnation mais qui a l’air doux comme un agneau.
Le gratteux tient la baraque sur sa SG blanche (mon rêve) avec des riffs solides et des soli efficaces (et vice-versa) soutenu par une ligne rythmique irréprochable. Du Rock lourd et puissant, taillé pour un public fin et délicat

RAF – Interview

Derrière ce court pseudonyme, se cache une jeune auteur (eh ouais, encore une fille qui s’immisce dans le monde un peu trop masculin de la BD, et c’est tant mieux !), basée à Montpellier, au talent précoce et à la productivité qui sied au style de son dessin, le Manga. Du bien de chez nous, avec une originalité et un dynamisme explosif qui collent parfaitement à Debaser, un Manga qui suinte le Rock fort par toutes ses planches. Ça méritait bien d’aller poser quelques questions à la responsable de ce réjouissant vacarme graphique.

Quelle est la part de responsabilité des Pixies dans « Debaser » ? C’est la chanson qui t’a inspiré la thématique de l’intrigue ou bien est-ce venu après coup comme le meilleur titre pour intituler ton récit ?
J’ai grandi avec le rock des années 90. J’adore la scène grunge américaine, Screaming Trees, Alice in Chains, les Melvins, Soundgarden, Nirvana, les Toadies, Stone Temple Pilots, Foo Fighters, Pearl Jam etc. Les Pixies symbolisent bien cette période grunge/garage et j’aimais bien la traduction (approximative) de Debaser, cette idée de casser les bases d’un système. Debaser ; Raf © Raf, 2012

A part le Grunge, quels sont tes autres penchants électriques ?
La britpop d’Oasis, Blur, the Verve etc…et plus tardivement le new metal avec Korn, Incubus, Deftones, tout sauf Linkin Park qui eux ont tué le style, héhé !

« Debaser » décrit une France du futur où une Pop décérébrée est la seule musique autorisée, relayée par des télés-crochets à la mode Star Academy. Est-ce une parabole pour décrire la difficile condition du Rock en France ? Et quels sont les autres thèmes que tu voulais aborder à travers ce récit ?
Le rock est juste un biais pour parler de la condition de la création artistique en général (musique, art, TV, etc…). Il n’y a de place que pour les œuvres très rentables, qui plaisent au plus grand nombre, les éditeurs prennent de moins en moins de risques. Désormais, c’est la partie commerciale/marketing qui décide en amont ce qu’il faut créer, et passe commande à un artiste pour le réaliser. Les artistes deviennent des fournisseurs de contenu plus que des créateurs. Maintenant avec internet et la démocratisation du partage culturel dématérialisé, la donne change petit à petit en faveur des artistes, c’est encourageant.

Debaser est un Manga mais ton graphisme percutant, avec un découpage hyper dynamique, se distingue cependant d’une esthétique purement japonaise. Quelles sont les dessinateurs qui t’ont influencé et quels sont tes propres ingrédients pour créer ce cocktail explosif ?
Mes influences sont principalement japonaises, autant du côté du manga (Oda, Takei, Nakayama…) que de l’animation (Imaishi, Nishigori, Morimoto, Koike…). Je m’intéresse aussi aux comics alternatifs américains, comme Mahfood, Vasquez… et des illustrateurs comme Hewlett. Mon style de dessin n’est pas 100% manga mais un peu hybride, un mélange des différentes BD que j’ai aimées. En France, on a la chance d’avoir accès à pleins de BD du monde entier, quand on fouine dans les librairies spécialisées. Je trainais pas mal dans les librairies japonaises d’imports de manga et des librairies de comics. J’imagine que j’ai mélangé inconsciemment ces influences.

Le titre de chaque chapitre de Debaser reprend un titre du répertoire Rock dont beaucoup sont issus du Punk, du Métal ou du Grunge. Un peu étonnant pour une fille élevée au Club Dorothée, non ?
C’est la culture d’une génération. On zappait entre TF1/la 5e pour les dessins animés et MTV/MCM pour la musique. MCM diffusait même les deux ! Les deux faisaient partie d’une même culture pour les gosses des années 90 !Debaser ; Raf © Raf, 2012

Quels points communs vois-tu entre rock et BD ?
J’en vois surtout entre Rock et Manga : du dynamisme, des personnages étranges et énervés, des costumes bizarres et des gens qui hurlent… il suffit de voir le succès du Rock au Japon, ils se sont réappropriés le style à leur sauce, ça donne des choses très baroques.

Existe-t-il, selon toi un graphisme ou un style de dessin « rock » ?
Pas forcément, mais je pense tout de suite aux artistes américains de la côte ouest qui ont façonné l’imagerie punk rock à partir des années 70 en mixant tatouages, pin-ups, hot rod et low rider, etc… pour moi c’est l’essence du graphisme rock. Il y a aux USA une vraie tradition artisanale de graphisme d’affiches de concerts, de pochettes d’album, des choses réalisées à la main, à la peinture, etc…

Quel regard portes-tu sur les autres Manga Rock (« Beck », « Fool on The Rock », « Detroit Metal City », entre autres) ?
Je ne connais que Beck et DMC, qui sont d’excellents titres. Chacun aborde le thème du rock à sa manière, Beck étant plus réaliste et DMC plus délirant. J’aime beaucoup la simplicité du dessin de DMC, exprimer des idées et de l’humour avec un trait simple, c’est totalement punk !

Debaser est-il connu au Japon ?
Il n’a pas été traduit ni exporté. Quand j’aurai le temps, je ferai une version anglaise pour la distribuer gratuitement sur le Net.

Le premier tome de Debaser est sorti en 2008. Le 8è et dernier sort en 2012. C’est le Rock qui booste ta productivité ?
C’est plutôt une contrainte tacite. Les mangas japonais sortent très régulièrement, les lecteurs sont habitués à lire la suite de leur série au moins tous les 6 mois. Et la visibilité d’un livre peu connu en librairie n’excède pas un mois, on a donc tout intérêt à produire vite pour ne pas se faire oublier. Bon, du coup j’ai appris à dessiner très vite, même si ça se ressent parfois dans la qualité, héhé !

Travailles-tu en musique ?
Oui pour le dessin. Pour l’écriture, c’est difficile d’avoir de la musique avec des paroles dans les oreilles, donc je choisis des morceaux sans textes ou juste le silence, pour changer ! J’aime bien bosser en écoutant du Stoner, comme Kyuss.

Si tu pouvais te réincarner en rocker, illustre ou inconnu, qui choisirais-tu ?
Keith Richards, définitivement ! Ce type a traversé les meilleurs époques et a survécu à tout. Il est totalement flamboyant, la classe !

Il y a une une vie après Debaser ?
Oui, d’autres projets pleins les cartons, notamment en numérique sur internet. Après, savoir si ces projets intéresseront un éditeur, c’est la question perpétuelle qui régit la vie des auteurs ! J’adore le format manga, poche en noir et blanc, mais je m’essaierais bien à la couleur la prochaine fois !

La chronique de Debaser, c’est par là

Une vie sans Barjot

Dessins : Stéphane OIRY – Textes : APPOLLO

Dans la carrière du fan de Rock, l’adolescence est sans doute la période la plus déterminante. Celle des premiers émois amoureux et des premières révoltes contre toutes les figures imposées de l’âge adulte et tout ce qui empêche d’être ce que l’on voudrait être sans d’ailleurs en avoir une idée vraiment précise. Et pour ces deux apprentissages, le Rock fournit un mode d’emploi idéal, provocateur et transgressif.
Cette époque de tous les possibles est ponctuée de quelques moments décisifs, de ceux où il faut bien se confronter à des choix que l’on n’a pas forcément envie de faire. C’est cette part d’enfance qu’il faut se résoudre à tuer, quand on découvre qu’il sera définitivement impossible d’avoir tous les jouets dans la vitrine.
Au milieu de ça, le Rock dispense une part de certitude à laquelle on peut toujours se raccrocher quand le cœur bat la chamade et que l’abîme insondable de l’avenir donne le vertige. Un disque qui tourne en boucle sur la platine, un concert qui laisse les tympans en vrac et l’échine en sueur et l’angoisse du lendemain s’estompe pour un court instant.

Une vie sans Barjot parle un peu de tout ça. Le récit se déroule en une nuit, la dernière des vacances, les dernières vacances après la dernière année de lycée avant que Mathieu ne parte le lendemain pour suivre ses études à Paris, loin du confort de sa ville de Province (Nantes, en l’occurrence dont est originaire Stéphane Oiry).
La perspective de cette nouvelle vie angoisse Mathieu, d’autant qu’elle risque de lui faire perdre la trace de Noémie. Cette dernière est la bassiste des New Girls et joue ce soir-là au Bateau Ivre. C’est depuis ce lieu au nom évocateur, à l’issue d’un concert de Death Metal, que le héros va entamer un long périple à la recherche de sa Dulcinée qui lui a donné rendez-vous à la soirée chez une copine… dont il ignore l’adresse. Mathieu va se lancer dans cette quête au cours d’une errance nocturne, une Odyssée rimbaldienne émaillée de sexe, parfois un peu glauque, de drogue, juste ce qu’il faut, et bien sûr de rock’n roll. Son chemin va croiser toute une série de personnages sublimes ou dérisoires, de ceux que l’on a tous connus au lycée.
Et parmi eux Barjot, fil rouge de l’intrigue, le copain zarbi dont on n‘arrive pas à se défaire et qui derrière le masque de clown foireux, cache une personnalité qu’on ne soupçonnait pas. Barjot, c’est le Godot qu’on n’attend plus mais dont l’existence est un vrai repère dans l’existence de Mathieu.
Une vie sans Barjot est un récit romanesque passionnant, d’une justesse et d’une modernité irréprochables, la fresque d’une jeunesse urbaine tout aussi flamboyante que désabusée à la recherche d’un temps qu’elle sait perdu d’avance et qu’elle essaie de retenir tant qu’elle peut, avant qu’il ne lui file entre les doigts.
Avec le recul, ma BD préférée de l’année 2011.

L’interview de Stéphane Oiry, c’est ici.

MetaL ManiaX

Dessins : SLO – Textes : FEF

Sur les pochettes de leurs disques, ils ont l’air très méchants. A l’écoute, quand rugissent les guitares, que tonne la batterie et que s’élèvent les hurlements du chanteur, le doute n’est plus permis, ils sont très fâchés et ils veulent que ça se sache. Quand ils sont contents, ils replient l’annulaire et le majeur, pour former les cornes de Satan.
Vous ne les connaissez pas et nombre d’entre vous ne soupçonnent même pas que de telles créatures et qu’une telle… « musique » puissent exister. Et pourtant, ils sont bien là, ils vivent parmi vous et ils célèbrent leurs rites sataniques en toute impunité, suivis par des millions d’adeptes dévots à travers le monde. Eux, ce sont les Métalleux.
Pénétrer dans l’univers du Métal a tout d’une expérience ésotérique tant ce style musical recèle de codes et de chapelles, Heavy, Trash, Black, Death, Hard Core, Stoner… avec des variantes Old School ou Néo. Pour les voisins ou votre Mamie, tout ça c’est de la musique de singes sauvages mais pour les puristes, n’allez surtout pas mettre dans le même panier Metallica et Satyricon, Megadeth et Cannibal Corpse ou les flammes de l’enfer risquent bien de vous réduire en cendres en moins de temps qu’il ne faut à un de ces disciples de Belzébuth pour écluser une pinte de bière.
Metal ManiaxHeureusement on peut rire de tout et le mieux c’est de le faire en bonne compagnie avec de fins connaisseurs. Slo et Fef font partie de ces passionnés qui composent le public Métal. Avec Metal Maniax, ils mettent en scène une bande de Métalleux bien typés, incarnant chacun un style de Métal, Vince le fan de Death, inconditionnel de binouze en version Happy Hour, Marco, le Blackeux sombre et satanique tombeur de gonzesses, Spike, le Hardcoreux, bardé de tatouages et rompu aux pogos les plus sauvages et enfin Sam, l’amateur de Heavy et de Glam, moins looké mais non moins allumé. Ce quatuor passe le plus clair de son temps libre dans leur troquet fétiche, le Dark Knight, managé de main de maître par Tony son patron irascible mais comme un père pour ces grands gamins qui se gavent de décibels et de houblon bien frais.
Au travers de gags bien sentis, à l’humour potache et efficace comme un bon gros riff d’AC/DC, les auteurs livrent quelques clés de lecture au béotien pour mieux comprendre cette culture à part et à part entière que constitue le Métal tout en parsemant leurs histoires de clins d’œil qu’apprécieront les fans du genre.
Au programme, entre autres, initiation d’un d’jeune novice au culte métallique, querelles d’esthètes sur les divers genres du Métal avec l’inénarrable Defenestrator comme groupe fil rouge, grivoiseries autour de Nina la barmaid qui n’a froid nulle part, recherche compliquée d’un job stable pour Spike et d’un co-loc compatible pour Sam, incantations maléfiques de Marco… les tribulations bruyantes et alcoolisées de cette bande de mélomanes rappellent opportunément que nonobstant le folklore, tatouages, maquillages et quincaillerie, le Métal, c’est avant tout du Rock’n Roll et que ses aficionados, au-delà de cette caricature avisée, méritent le respect et la sympathie dus aux vrais fans de musique.

Debaser

Dessins et textes : RAF

Un titre pareil, forcément, ça excite la curiosité de l’amateur de Rock. On parle bien du morceau d’ouverture de Doolittle, l’album décisif des Pixies, cet hymne pré-grunge, puissant, mélodique et percutant qui vous agrippe les tympans dès la première note et ne vous les lâche plus pendant 2 minutes et 52 secondes ?
Debaser ; Raf © AnkamaQu’est-ce qu’un manga vient faire là-dedans ? Enfin, un manga, si on veut, vu qu’il se lit à l’occidentale, de gauche à droite. Et puis ce graphisme a un petit je ne sais quoi qui ne sonne pas tout à fait nippon. Vu que ça se passe en France, le doute n’est plus permis.
Un manga français dédié au Rock donc, ça c’est du neuf et c’est du lourd car le moins que l’on puisse dire c’est que ces brûlots graphiques de 180 pages vous pètent à la tronche comme un concert de punk rock.
Nous sommes en 2020, en France dans une société réactionnaire où seuls les hommes font des études supérieures et où les filles sont reléguées au rang de potiches bimbos vouées à une carrière de femme au foyer. Seule la musique officielle promue par le gouvernement est autorisée. Une pop acidulée, prédigérée, décérébrée, formatée pour museler une jeunesse qu’il faut préserver de toute velléité de révolte et de pensée autonome et qu’il faut conditionner à la consommation et au conformisme. Cette soupe sans saveur est produite par la société Mundial (toute ressemblance avec une grosse maison de disques actuelle est tout sauf fortuite) et relayée dans des émissions de télé crochet dans la grande tradition des Daube Academy qui ont sévi ces derniers temps dans la vraie vie.
Face à cet ordre établi, Joshua et Anna, deux jeunes rebelles comme le Rock les aime vont fonder un groupe de Rock, Debaser (nous y voilà !) et organiser la résistance. Debaser ; Raf © Raf, 2012
Raf dessine pied au plancher et se donne à fond sur les planches même si les siennes sont à dessin. Un découpage et un trait tranchants comme des riffs de guitare bien saturée, des personnages forts et expressifs. Cela donne des pages explosives où la violence cathartique du Rock s’exprime dans une intrigue aux nombreux rebondissements, comme il se doit dans un bon manga. Un tel enthousiasme, une telle soif de raconter et de transmettre sa passion pour le Rock (chaque chapitre reprend le titre d’un standard du Punk, du Métal et autres musiques énervées) forcent le respect. Raf a de la suite dans les idées et des idées, la demoiselle (eh oui, encore une dessinatrice rockeuse qui nous file un sacré coup de pied au cul) n’en manque pas, sur la société contemporaine, la politique, la jeunesse… Il n’est pas sûr que le Rock soit capable de changer la face du monde mais avec des récits engagés et débridés comme Debaser, on a vraiment envie d’y croire.

L’interview de RAF, c’est ici

Cosmik Roger

Dessins : JULIEN – Textes : MO/CDM

Vous connaissez Valérian, le héros spatio-temporel créé par Pierre Christin et Jean-Claude Mézières ? Donc, vous prenez un Valérian, pas trop frais, vous ajoutez une barbe de trois jours, un penchant indéfectible pour la picole et une prédilection pour les aliens femelles qui n’ont pas froid aux yeux (qu’elles en aient un seul ou plus de deux), vous enduisez d’une bonne couche de fainéantise et assaisonnez avec une grosse pincée de stupidité. Vous obtenez un Cosmik Roger prêt à consommer.
Cosmik Roger a une mission : sauver l’humanité. Facile. Et pour ce faire, trouver une autre planète habitable, la terre étant devenue une gigantesque décharge. Un job peinard, bien payé mais forcément limité dans le temps. Vu qu’il est censé être le plus qualifié pour s’acquitter de cette tâche, ça laisse perplexe quant aux chances de survie de l’espèce humaine. Car en bon fonctionnaute, Roger fait durer le plaisir et passe le plus clair de son temps à glandouiller aux quatre coins de la galaxie et à se pochetronner au Rendez-vous des Anneaux, un troquet de quartier paumé sur un minuscule astéroïde. Une parodie tout à fait dans l’esprit potache de Fluide Glacial,
Et le Rock dans tout ça ? D’abord, Cosmik Roger a une hérédité chargée car l’un de ses géniteurs n’est autre que Mo/Cdm le scénariste des Blattes, le groupe de Métal le plus foireux de l’histoire. Et Julien, son dessinateur, a quant à lui donné vie aux Zumbies, scénarisé par le sieur Yan Lindingre, et il est accessoirement le rejeton de Jean Solé, auteur du foutraque Pop & Rock & Colégram et de Mélodimages.
Déjà, le second tome des aventures de ce foireux interstellaire mettait en scène, dans un gag fracassant, les « Bourrins », un groupe d’aliens déchainés où les auteurs s’amusaient à revisiter les clichés des textes de Métal.
Dans Tragical Cosmik Tour, le 6è tome, Roger passe la vitesse lumière et entame la carrière de rocker auquel son comportement addictif et marginal le prédestinait. Mais attention, Roger n’est pas un rocker lambda. Il est Elvis himself, ou du moins sa descendance génétique, dans une version SF débridée où, affublé du costume de clown blanc d’Elvis à Las Vegas, il écume les quatre coins de l’univers avec son gang d’extraterrestres. Tout cela n’est bien sûr que le prétexte à de délirantes et burlesques variations autour de ce thème improvisé. On citera pour exemple le casting de batteurs auquel échoue un alien sans bras ni jambes. Tout le reste est du même tonneau. Mo/Cdm et Julien qui prennent à l’évidence un plaisir sadique au fil des aventures de leur anti-héros à le coller dans les pires des mouises, glissent ici toute une série de clins d’œil irrévérencieux à l’imagerie rock’n rollienne.
Elvis et le Rock méritaient-ils ça ? Vu comme ça nous fait marrer… Affirmatif, Monsieur Spock !

Detroit Metal City

Dessins et textes : Kiminori WAKASUGI

Lors des quelques concerts de Métal extrême auxquels il m’arrive d’assister, en regardant les membres du groupe, peinturlurés comme des zombies, les yeux injectés de sang, lever leur poignet hérissé de clous longs comme des aiguilles de porc-épic et faire le signe de Satan, la remarque formulée par ma douce et tendre en voyant pour la première fois l’un de ces gangs de clowns électriques me vient immanquablement à l’esprit : « N’oublie pas que tous ces mecs ont des mamans ».
Tout ça pour dire que si vous aimez le Death et le Black Metal, le bondage, Kiss, les pâtisseries, David et Jonathan et les mangas, peu importe dans quel ordre, vous devez lire Detroit Metal City. Au début du récit, tout semble normal : un trio de Death Metal, grimé et peinturluré avec outrance. Leur leader, Sôichi Negishi, chanteur et guitariste qui répond au pseudo de Krauser chante des textes d’une subtile poésie, invitant à la paix et la concorde entre les hommes. Les femmes sont des truies, les mères doivent être violées, les pères assassinés et le reste à l’avenant. Bref, la routine.
Sauf que Sôichi a un gros problème, c’est un jeune homme doux et sensible qui au fond de lui exècre ce qu’il fait et rêve en secret de jouer de la guimauve pour midinettes.
Incapable de se libérer de l’emprise d’une manageuse tyrannique et nymphomane et de la pression des autres membres du groupe, ce tendre et faible amateur de bleuettes, sitôt enfilé son costume et appliqué son maquillage, se voit contraint de jouer avec application son rôle de démon de l’enfer, sans pitié avec les concurrents qui osent essayer de rivaliser avec lui dans le registre de l’outrance et de l’obscénité. Cela donne lieu à des concerts-battle hauts en couleurs avec bondage, taureau, concours de crachats ou de « fuck » et moult simulation de sodomie, sous les yeux d’un public décérébré dont les commentaires feraient passer les journalistes sportifs pour des chroniqueurs littéraires.
Cette erreur sur la personne est le prétexte à des situations vaudevillesques, absurdes et schizophréniques pour le pauvre héros, condamné à l’imposture, tiraillé entre ses pulsions les plus bestiales et ses profondes aspirations romantiques, contraint de soigner son image de bête lubrique alors qu’il est encore puceau, et ne pouvant révéler à l’élue de son cœur son terrible secret.
Difficile de dire si Detroit Metal City est un récit original ou complètement débile, ce qui est d’ailleurs la question que l’on pourrait se poser pour nombre de mangas. Il est sûr en tout cas que son intrigue ne laisse pas indifférent et suscite tout de même l’envie de savoir comment Sôichi va se sortir du guêpier dans lequel il s’est fourré.
A noter que Detroit Metal City a fait l’objet d’une adaptation cinéma plutôt réussie, fidèle à l’esprit déjanté du livre.

Nous sommes Motörhead

Dessins et textes : COLLECTIF

Les Collectifs ? Comment dire… Rien qu’avec leurs titres peu ragoûtants, calibrés pour les têtes de gondoles d’hypermarchés, du genre « Démis Roussos en bandes dessinées » ou encore « Les chansons de Frédéric François en BD », on imagine bien le making-of : « Eh, Duchmole, ça te dirait de faire un truc sur Machin ? – Ah ouais, cool, et tu veux combien de planches ? Pour quand ? Euh… et c’est payé combien ? Ah… ben, faut que je réfléchisse alors et pis tu sais en fait, Machin, à part son premier album… finalement j’connais pas bien et en plus le Black-Variète-Core, j’écoute plus trop ça… »
Le pire, c’est les illustrations de chansons en BD. Ca confirme que même un bon texte de chanson constitue rarement un scénario intéressant, même avec des grosses pointures de la planche. On reste trop dans l’adaptation littérale. Bien qu’il en existe, comme le Bob Dylan Revisited par exemple, qui comporte quelques trucs sympas, la plupart du temps, mieux vaut refermer vite le bouquin et remettre le son. Ce genre d’exercice donne plus l’impression que les éditeurs qui se sont lancés là-dedans avaient au mieux envie de se faire plaisir, au pire espéraient faire un bon coup commercial, (l’un n’empêchant certes pas l’autre) surtout en choisissant de mettre en images quelques franchouillards bien bankables, du genre qui créent de mini-émeutes dans les allées du festival d’Angoulême.
Bon, maintenant que j’ai plombé l’ambiance, y’a plus qu’à allumer les Marshall et pousser les potards à fond dans le coin car maintenant on va parler de Rock’n Roll et donc de Motörhead. Car s’il est un gang qui depuis plus de 30 ans fait l’unanimité dans toutes les chapelles du culte du Binaire Primaire, c’est bien le trio de Sir Lemmy Kilmister. Faites le test, demandez au plus élitiste des fans de Post-Rock underground si, quand même, y’aurait pas un groupe de Rock « connu » qui trouverait grâce à ses yeux, à part bien sûr les Beatles (hors compète) il vous concèdera que « ouais, Motörhead, à la limite, c’est vrai que… ». Motörhead, ça triche pas, c’est carré, sans surprise, réconfortant. On met le disque et on s’en prend plein sa race, juste ce qu’il faut. A 70 balais, avec des tiags, un stetson, des cheveux filasses, des rouflaquettes et du diabète, n’importe qui à la place de Lemmy serait parfaitement ridicule (qui a crié Johnny ? vraiment, c’est pas malin !). Lemmy, c’est le surhomme nietszchien, l’essence platonicienne du Rocker, qui impose le respect idolâtre. Un jeu de basse tellurique, une voix granitique, rauqu’n râle, peaufinée au papier de verre gros grain trempé dans le Jack Daniels et une ribambelle d’hymnes heavy-rock, métal et même punk (foin des étiquettes, Lemmy vous expliquerait que tout ça, c’est  juste du Rock’n Roll et une question de réglage de la pédale distorsion).
La préface résume bien la démarche. En France, on n’arrivera jamais à sortir un groupe comme Motörhead mais on a la BD. Là, on est bons, on sait faire. Alors on va brancher les crayons et les pinceaux et rendre à la bande à Lemmy l’hommage qu’elle mérite.
Mais face à un tel monument, il fallait donc mettre la barre très haut. « Nous sommes Motörhead » (pour ceux qui ne comprennent pas le choix du titre, je ne peux, hélas, rien) s’y est employé. Un format 33 tours, comme à la grande époque, une couv noire (comment faire autrement ?) et un visuel monstrueux de la bête magistralement revisitée par Lamquet.
A l’intérieur, des récits courts, efficaces, des évocations oniriques (Oiry), iconoclastes (Witko), drolatiques (Bouzard), révérencieuses (Josso), mystiques (Micol), autobiographiques (Menu) mais jamais béates. Motörhead, c’est pas pour les groupies. La démarche des auteurs est sincère à l’évidence et tous ont tenu à se mettre à la hauteur et transmettre à leur manière leur admiration pour le trio british. Et cela nous donne une compilation qui constitue désormais une référence en matière d’ouvrages de BD collectif.
Ben, voilà, c’était pas compliqué, il suffisait juste de choisir des auteurs de talent, fleurons de cette fameuse nouvelle BD (pour faire dans le raccourci commode), affranchis de l’héritage académique de la grande école franco-belge et véritablement concernés par le Rock (et donc Motörhead, au cas où vous n’auriez toujours pas pigé) parce que définitivement ils le sont et nous le sommes tous, oui, motherfuckers, nous sommes Motörhead !
Sinon, j’avoue, Demis Roussos en bandes dessinées, ça se fera jamais, il faudrait au moins 300 planches pour être au niveau du sujet et aucun éditeur ne prendrait un tel risque (ou alors une co-édition Weight-Watchers ?). En revanche, Frédéric François par Bouzard, Luz ou Menu, je serais curieux de voir ça…

Et pour en savoir plus sur ce sacré Lemmy, le documentaire éponyme s’impose.

Doomboy

Dessins et textes : Tony SANDOVAL

L’une des particularités du Métal est sa propension à se décliner sous des formes et des étiquettes très diverses, comme s’il constituait en lui même un genre musical à part entière, à côté du Rock, du Jazz, du Blues, du Rap, etc. Et alors ? m’éructeront les plus chevelus des lecteurs de cette chronique, tu découvres l’eau tiède, abruti ?
On se calme les graisseux ! J’voulais pas vexer mais bon, vu de l’extérieur, tout ça c’est quand même un peu la même chose, non ? Bruyant, saturé, violent mais ça reste du Rock. On a beau mettre un adjectif différent devant, Trash, Hardcore, Death, Progressive, Atmosphérique, voire des sous adjectifs, du genre, Brutal ou Old School, ça serait pas un peu artificiel, toutes ces étiquettes ?
Allez, je charrie, je jure sur mon premier Pass Hellfest que j’le pensai pas.

Or donc, Tony Sandoval est mexicain et fan de Métal (en le voyant, on aurait pu s’en douter) dont il joue lui même (sur une Jackson, si ma mémoire est bonne) et ma foi, ça se voit clairement dans ses œuvres. Et vlatipa que lui aussi a créé sur le papier un nouveau genre, le Métal écolo. Ca n’a rien de péjoratif au contraire car à la lecture de Doomboy, on retrouve le thème déjà développé dans « Nocturno », cette intervention de la nature qui donne à l’intrigue une forme onirique et une dimension fantastique assez inattendue.
Cela passe avant tout par un dessin très personnel, épuré, faussement naïf, immédiatement reconnaissable qui donne au récit ce ton et cette atmosphère fabuleux.
Doomboy est un conte moderne et un récit d’une authenticité surprenante malgré les ingrédients fantastiques qu’il emploie. Le héros est un adolescent, guitariste de Métal, qui vient d’être viré de son groupe et de perdre un être cher. Sur les falaises près de chez lui, il va sublimer son chagrin et découvrir, en écoutant la mer, un son étrange, magique et envoutant donnant vie à des créatures fantasmagoriques, sur lequel son jeu de guitare va enfin trouver l’inspiration qui lui faisait défaut. En osmose avec la mer et les éléments, la musique naissant ainsi de sa guitare est aussitôt mise sur les ondes d’une station locale. Elle va faire de lui Doomboy, une légende urbaine.
Sandoval dresse un portrait d’adolescent tout en nuances, aussi bien dans la narration que par une superbe mise en couleurs, restituant parfaitement ce déchirement entre la candeur de l’enfance toujours présente et la révolte du jeune adulte en devenir. Cette ambivalence est d’ailleurs l’un des traits caractéristiques du Métal, musique violente et dont les formes les plus extrêmes sont souvent appréciées par des gens réservés et bien éduqués, si l’on met de côté la longueur de la chevelure et des clous sur les bracelets.
Le récit aborde aussi avec beaucoup de sensibilité le sujet délicat des premiers émois sexuels, qu’ils soient ou non dans la norme.
Malgré un dénouement un poil trop elliptique, Doomboy est un récit fort et puissant comme un riff de Métal qui consacre définitivement le talent de son auteur.