Le Journal

Dessins et textes : Serge CLERC

Impossible de parler BD Rock en France sans évoquer Métal Hurlant. L’apport de ce magazine créé en 1975 par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Moebius et Bernard Farkas a été déterminant dans l’émergence du Rock sur les planches. Une épopée qui a mis un coup de pied au cul de la BD en mettant sur le devant de la scène deux sous-genres méprisés par l’intelligentsia : la Science-Fiction et le Rock, qui plus est dans un magazine de Bandes Dessinées… le comble du mauvais goût pour une sous-sous culture dont ce nouvel avatar avait comme tare subsidiaire de s’inspirer de l’underground américain.
Après l’émergence de cette nouvelle vague, la BD ne sera plus jamais la même. Parmi les auteurs qui allaient mettre de l’électricité dans leurs dessins, un trio se détache. Frank Margerin (Lucien), Dodo-Ben Radis (Les Closh) et Tramber-Jano (Kebra). Plus Serge Clerc, un quatrième mousquetaire, qui avait pour point commun avec son illustre prédécesseur dumassien (ça doit pas se dire, donc je le garde) d’être le plus jeune de la bande, un fanzineux de 17 ans qui envoie ses planches à Dionnet, un peu comme il les aurait montrées à son grand-frère. Sauf que Dionnet est à l’affut de nouveaux talents, même en devenir et qu’il repère immédiatement le potentiel du jeune Lyonnais. Il le fait venir à Paris, le bac pas encore en poche (que Clerc n’aura d’ailleurs jamais). Serge Clerc a ainsi vécu en tant qu’auteur, acteur et spectateur tous les chapitres de ce Journal de bandes dessinés pas comme les autres.
Le Journal n’est pas vraiment un biopic mais plutôt une chronique mêlant autobiographie et allégorie. Avec pas moins de 232 planches, l’œuvre est dense, touffue, limite bordélique par moments, l’auteur se souciant peu de précision historique et de rigueur narrative, émaillant son récit d’une foultitude de références graphiques de l’époque, notamment des couvertures d’albums et de magazines de BD, Métal Hurlant au premier chef. Le tout forme un maelstrom d’images qui était sans doute l’un des parti pris les plus appropriés pour restituer l’aventure un peu démente de Métal Hurlant.
Une folie à l’image de son rédacteur en chef, Jean-Pierre Dionnet, auquel Serge Clerc rend un hommage vibrant, sismique même. Un allumé de première, érudit et passionné, qualités qui compensent largement ses carences en matière de gestion et de comptabilité et ont permis, malgré les embuches innombrables, juridiques entre autres (le fameux classement « réservé aux adultes » qui a handicapé le magazine tout autant qu’il a contribué à sa réputation) de faire durer l’aventure pendant une dizaine d’années.
Deux autres personnes sont particulièrement mises à l’honneur dans Le Journal. Philippe Manœuvre d’abord, scénariste attitré de Serge Clerc et mentor de ce dernier en matière de Rock. Et puis Yves Chaland, talent précoce tout comme lui, dessinateur génial et visionnaire qui va avoir une influence déterminante dans l’évolution de son graphisme en l’emmenant vers la ligne claire.
Pour un mec de 17 ans, fan de Rock et de BD, débarquant à Paris avec pour seuls bagages son insouciance et son enthousiasme, devenir un pilier de Métal Hurlant en pleine explosion Punk était une expérience hors du commun. Serge Clerc projette dans ces dessins un brin de nostalgie et beaucoup d’auto-dérision pour évoquer ses doutes graphiques et ses déboires amoureux. Crobardeur effréné à la recherche de son style, il a trouvé grâce au Journal la concrétisation de ces innombrables heures de recherche.
Alors bien sûr, ce patchwork baroque pourra en décontenancer certains et Le Journal n’est pas forcément la porte d’entrée la plus évidente pour bien comprendre l’histoire de Métal Hurlant (pour ça, la lecture de l’ouvrage Métal Hurlant, la machine à rêver de Gilles Poussin et Christian Marmonnier est tout indiqué).
Mais l’originalité de la démarche de Serge Clerc est tout à fait adaptée à l’esprit de Métal Hurlant, rock’n Roll et sans tabous. Dionnet, Manœuvre, Clerc, Margerin et toute la bande ont fait plus que capter l’air du temps, ils l’ont insufflé et mis en images. Rien que ça…

L’interview de Serge Clerc, c’est ici

The Autobiography of Me too

Dessins et textes : Guillaume BOUZARD

Après une relative accalmie durant les années 1990, la BD Rock qui avait vu le jour en France avec Métal Hurlant à la fin des années 1970 et au début de la décennie suivante, a connu une sacrée embellie avec le nouveau millénaire. Une vague de jeunes auteurs est apparue, officiant dans de « petites » maisons d’édition elles aussi fraichement débarquées dans l’océan peu pacifique de la BD.
Ces petits nouveaux ont eu envie d’une part de bousculer les codes graphiques et les thèmes classiques de la Bande bien dessinée, qui en créant des personnages décalés dans des récits déjantés (et vice-versa) qui en causant un peu de leur petite vie à peine plus fondamentale que l’avenir de la galaxie ou la longueur des poils de trolls, et d’autre part de s’éclater en essayant de vivre de leur art si mineur fut-il.
Une démarche rock’n roll s’il en est et donc rien d’étonnant à ce que ces jeunes iconoclastes soient complètement imprégnées d’une solide culture Rock.The Autobiography of Me too two ;  Bouzard © Les Requins Marteaux, 2005Parmi les tenants de cette « nouvelle BD », Guillaume Bouzard, auteur prolifique d’œuvres inénarrables comme Le Club des Quatre, Plageman, Les pauvres types de l’Espace, La nuit du Canard-Garou ou Football Football, fait un peu figure de parangon (surtout pas de vertu) de ces auteurs fins connaisseurs du Rock sous toutes ses formes, fidèles à la cause vinylique et que l’on retrouve dans les bons coups des remarquables collectifs Nous sommes Motörhead et Rock Strips. Bouzard y pond à chaque fois l’un des meilleurs récits (sur Nirvana dans Rock Strips) où l’on retrouve ce qui fait le sel et le poivre de The Autobiography of Me too dont c’est y qu’on va donc causer maintenant.
Le concept est entièrement résumé dans le titre. L’auteur se raconte sans se la raconter parce qu’après tout il le vaut bien et comme en plus c’est devenu à la mode… Bouzard évoque sur un mode décalé sa vie insignifiante de star de la BD reclus dans les Deux-Sèvres ponctuée par les facéties de Flopi un grand chien placide et bipède doué de la parole et qui n’a rien de domestique, les affres de la vie rurale, les sorties hautement philosophiques entre potes et donc le Rock qui est l’ingrédient de quelques récits.
Parmi ces perles d’humour du quotidien où l’anecdote personnelle sert de prétexte à la digression comique, on trouvera bien sûr, entre autres, Motörhead dont l’écoute du dernier album ou un concert s’avèrent plus compliqués que prévu, la recherche du vinyle collector âprement négocié dans un vide-grenier ou encore une tournée de courrier avec du Punk à fond les manettes dans la fourgonnette. L’auteur dévoile son penchant pour le Rock qui cogne avec un humour féroce et un sens de l’autodérision qui donnent à ces chroniques de vie ordinaire une justesse et une drôlerie incomparables, servi par un trait vif et efficace. The Autobiography of Me too apporte à l’autobiographie en Bande Dessinée une version moins intello et beaucoup plus débridée.
En prime, petite anecdote tirée de ma modeste autobiographie à moi aussi, qui me laisse à penser que le gaillard a peut-être un don de prémonition, sans doute acquis lors d’un pacte avec Satan : Dans le troisième opus, le héros a la mauvaise idée de se pointer en tongues à un concert de Motörhead, ce qui sera lourd de conséquences. Hellfest 2010, concert de Motörhead, pour de vrai cette fois et soudain pendant Going to Brazil, si ma mémoire est bonne, une paire de tongues s’est envolée au-dessus de la masse des métalleux extasiés. Et là, définitivement je dis : Jump Lapin !

L’interview de Guillaume BOUZARD,  c’est ici