White Trash

Dessins : Martin EMOND – Textes : Gordon RENNIE

White Trash 1

Dans le supermarché des fantasmes Rock, le Road-Trip figure en tête de gondole. Dans une décapotable, profilée comme un missile, longue comme le pire cauchemar de l’apprenti conducteur négociant son premier créneau. En plein désert, sur une route à deux 6, le troisième restant en filigrane, bien planqué, pour ne pas effrayer les bonnes âmes en attirant la Bête. La musique à fond, forcément binaire et saturée, vous roulez pénard sous un soleil de plomb, une paire de Ray-Bans sur le museau, en loup solitaire ou bien accompagné et dans tous les cas, vous êtes le roi du Bitume (ou l’Aigle de la Route, à condition que Mad Max soit en train de prendre sa pause).
Évidemment, c’est beaucoup plus fun quand votre but est de rejoindre Las Vegas en un seul morceau, alors que vous avez une armada à vos trousses composée du FBI, du Klux Klux Klan, de prédicateurs fanatiques et d’une paire de péquenots dégénérés échappés d’un film Gore de série Z. Le but commun de cette joyeuse équipe armée jusqu’aux dents étant bien sûr de vous faire la peau. Si en plus, vous braquez quelques banques pour financer les faux frais, c’est encore mieux.
A tous ces niveaux, White Trash respecte scrupuleusement l’intégralité du cahier des charges d’un récit dont le pitch n’a rien de vraiment orignal. Mais en l’occurrence, ce n’est pas la qualité de la gnôle qui compte mais bien celle du flacon, et là, il est indéniable qu’il s’agit d’une des BD les plus déjantées de l’histoire du 9è Art, tous genres confondus. On ne peut s’empêcher de penser à un remake des Blues Brothers en version trash, customisée et gonflée aux mauvais sentiments. Car les deux héros, Dean le « Dude » et « Le King » sont des clo(w)nes maléfiques d’Axl Rose et d’Elvis Presley, une connexion chaque jour plus évidente et prémonitoire quand on voit l’évolution du dernier chanteur d’AC/DC, bientôt aussi bouffi que son glorieux aîné.
Mais ici, les deux compères s’entendent comme larrons en foire, défouraillent et exterminent sans distinction, dans le sillage de leur odyssée sanglante aussi bien le salopard que la veuve et l’orphelin. Difficile d’avoir de l’empathie pour ces « Cadillac Killers » saWhite Trash 2ns merci, si ce n’est qu’à travers eux, le mythe de la Grande Amérique s’en prend plein la tronche, racistes, pro-gun et culs-bénis en première ligne. Et c’est l’essentiel à retenir de ce périple mortifère et transgressif qui laissera sur leur faim les lecteurs habitués aux intrigues bien construites et au suspense millimétré.
… Sauf le dessin qui vous colle une claque comme vous n’êtes pas prêts d’en reprendre une de sitôt, d’autant que le dessinateur s’est suicidé en 2004, ce qui n’en surprendra pas beaucoup. Peu soucieux de lisibilité et de fluidité narrative, Emond enchaîne des mini fresques Rock’n Roll, touffues, explosives et hautes en couleurs (un peu trop parfois au détriment de son dessin), tantôt magistrales, tantôt absconses, truffées de détails et d’un humour souvent noir. Ses personnages forment un bestiaire grand-guignolesque qui pourrait par moment évoquer du Jérôme Bosch sous acide. On est à la lisière de la virtuosité et de la confusion, dans un univers personnel souvent déroutant. White Trash est comme ces solos de guitare ultra techniques qui peuvent impressionner tout autant qu’exaspérer le public mais ne laissent pas indifférents. Une sorte d’ovni (Objet Dessiné Non Identifié) que tout amateur de BD Rock se doit d’avoir lu.

Laisser un commentaire