Joe Sacco appartient à une catégorie bien spécifique de fans de Rock, la pire de toutes en fait : celle des rockers contrariés qui ont dû renoncer à devenir des zicos professionnels. En ce qui concerne Sacco, il y avait plein de bonnes raisons à cela, dont la principale est qu’elle aurait privé le monde de la BD de son talent.
But I Like It est très éloigné du reste de son œuvre, inspirée notamment par l’histoire et le documentaire, notamment sur le thème de la guerre, en Bosnie à la fin du 20è siècle ou encore le fait palestinien (Gaza 1956), sans oublier la fresque somptueuse de près de 7 mètres de long, intitulée La Grande Guerre. Il s’agit ici d’un recueil de planches et d’illustrations réalisées dans les années 1990 et qui avait fait l’objet en 2002 d’une traduction française par les éditions Rackham, parue dans un grand format qui hélas ne reprenait pas l’intégralité de sa grande sœur américaine, les rédactionnels de la version originale ainsi que certaines planches n’ayant pas été reproduits. Les éditions Futuropolis ont eu l’excellente idée de sortir cette édition intégrale, dans son format original, ce qui permet aujourd’hui de redécouvrir ce qu’il ne faut pas hésiter à qualifier de chef-d’œuvre de la BD Rock. Cette compilation constitue en effet une anthologie décapante et hilarante des clichés du Rock où les rockers, musiciens ou fans, s’en prennent plein la tronche.
En point commun à la partie « sérieuse » du travail de ce pionnier du documentaire en BD (au même titre qu’un Etienne Davodeau en France), on peut quand même relever un sens aigu de l’observation auquel « Le Rock et moi » ajoute un art consommé de la caricature et de la satire. Dans cette galerie de portraits tout aussi finement observés qu’ils sont férocement caricaturés avec un humour percutant comme un bon gros riff de guitare saturée, l’auteur règle ses comptes avec le Rock sans oublier de s’inclure dans cet univers de personnages incomparablement burlesques.
« Le Rock et moi », c’est un peu « Les Caractères » de La Bruyère, en version rock. Un véritable traité où aucune des figures archétypiques du Rock ne semble avoir été oubliée. Les rock stars, le fan décérébré, la groupie nunuche, le journaliste, le roadie, le producteur… Sacco y passe également en revue quelques gimmicks incontournables de la culture Rock comme le saccage de chambre d’hôtel ou le concert en plein air. Il règle aussi ses comptes avec les Rolling Stones comme on assènerait ses quatre vérités à son meilleur pote tout en déclamant l’amitié profonde qu’on lui voue. Sur le plan du dessin, bien que l’expression graphisme Rock n’ait pas une grande signification, force est de constater que le noir et blanc et l’esthétique « Big Nose » de Joe Sacco, sied parfaitement au sujet. Ses personnages arborent des trognes néandertaliennes, hirsutes et dégoulinantes, des regards de psycho-killers, des expressions de sinistres connards ou de parfaits abrutis, bref de la caricature de très haute tenue.
Un opus indispensable à tout amateur de Rock, de BD ou des deux qui apportera de l’eau au moulin de ceux qui détestent le Rock tout autant que de ceux qui l’adulent.