Dessins et Textes : Claire FAUVEL
Avec un tel titre, on pourrait s’attendre à un récit nous entraînant dans le trou du cul des Enfers, sur fond de Black Metal distordant, plaintif et éructant telles les âmes perdues se tordant dans les flammes de la damnation éternelle. Mais la couverture laisse deviner une toute autre perspective. Deux filles, l’une aux claviers et l’autre à la guitare dont les poses et les mines inspirées font apparaître une totale dévotion à leur musique.
En fait de Métal (gentiment écorché au détour d’une case), on s’oriente vers le Rock Indie, ou Indépendant pour les béotiens même si ça ne les aidera pas vraiment. Les premières pages ainsi qu’un effeuillage rapide laissent présager (ou redouter ?) qu’il pourrait s’agir là d’une gentille et belle histoire d’un duo féminin, nommé Nuit Noire, qui, après moult galères, réussirait à percer dans le monde implacable du show-biz et parviendrait à réaliser ses rêves. En réalité, hormis le titre, la citation en exergue de Victor Hugo laisse augurer quelque chose de bien plus subtil.
Le décor déjà, loin du sempiternel Paris version classe moyenne supérieure, terreau habituel du Rock branché avec de jeunes boubourges qui vivent leur crise d’ados rebelles et réfractaires au destin tout tracé du Master ou de la Grande Ecole. L’action débute en banlieue, à Créteil, tendance Wesh Gros. Nawel, une fille d’émigré algériens prend sous son aile Alice, une Française « de souche », nouvelle arrivée dans son immeuble et que tout semblait destiner à vivre l’enfer dans le monde impitoyable d’un collège en ZEP. Alice joue de la guitare et elle est une fan Hard Core de Paul McCartney. C’est le choc pour Nawel qui découvre un univers musical qui la transporte. Elle se met au piano et se découvre un vrai talent pour l’écriture et la composition. Le duo féminin suit le cursus habituel : approfondissement de la culture Rock, maîtrise des instruments, création des premières œuvres et les choses s’enchaînent vite, lycée, BTS audiovisuel à Paris, petits boulots et découverte d’un milieu encore plus implacable que la banlieue : le microcosme du Rock parisien.
Même s’il utilise deux ingrédients hyper classiques dans le genre de la fiction musicale, les rêves de succès de jeunes zicos voulant sortir leur premier disque et trouver la reconnaissance du public d’une part, la relation d’amitié entre les protagonistes d’autre part, La nuit est mon royaume s’en affranchit et s’attache avant tout au personnage de Nawel. La jeune femme lutte pour s’affranchir d’origines peu propices à l’épanouissement dans le style de musique (Rock underground et anglophone) qu’elle a choisi. Animée d’une passion et d’une foi sans limites, elle se donne à corps perdu (il ne s’agit pas ici d’une simple métaphore) dans sa musique. Sans oublier de convoquer les figures obligées du genre, premiers concerts foireux, rockers plus concernés par la dope que la création (merci pour la référence aux Thugs, allez Angers !) espoirs déçus, précarité, premier amour… Claire Fauvel a créé un personnage fort, passionnel et habité qui se révèle par petites touches et auquel on finit par s’identifier totalement. Le titre du livre n’est pas trahi par la mise en couleurs qui joue un rôle important dans la profondeur et la justesse du propos. Une narration et un dessin très fluides permettent d’avaler sans effort les 150 pages de l’opus. En prime, et cela mérite vraiment d’être souligné, un rebondissement final (loin d’être imprévisible mais peu importe) débouche sur un épilogue qui donne tout son sens au récit.
Pas de faute de goût donc mais quand on choisit McCartney plutôt que Lennon, il n’y avait pas de raison de s’inquiéter (vous pouvez lâcher les chiens, les fans de John, j’ai mis mon armure !).