Dessins : Christophe QUET – Textes : Fred DUVAL
L’histoire du Rock est émaillée d’instants décisifs, fondateurs, comme autant de repères qui balisent la voie. Une ribambelle de disques cultes que l’on s’accorde à qualifier de chefs-d’œuvre. Quelques concerts légendaires dans des salles mythiques. Et bien sûr une flopée de demi-dieux fauchés en plein jeunesse, camés ou alcoolisés jusqu’à la moelle et assurés du même coup d’une place de choix au Panthéon du binaire primaire.
Et puis, il y a toutes ces anecdotes dont beaucoup ont été consignées dans des rapports de police, souvent dérisoires, parfois ridicules qui, mis bout à bout, ont fait la petite histoire et ont créé l’imagerie du Rock et sans lesquels il faut avouer que celui-ci perdrait beaucoup de son charme.
Dans le grand livre des faits-divers du Rock, il en est un qui remplit à lui seul l’intégralité du cahier des charges : la sortie du single God Save the Queen, des Sex Pistols, en plein jubilé des 25 ans du règne d’Elisabeth II, offrant le prétexte à un concert privé sur une péniche, au beau milieu de la Tamise et devant le Parlement britannique. Le gig s’est soldé par une descente de police et les réactions d’une presse horrifiée dont les chroniques le lendemain ont définitivement gravé dans le marbre la réputation de ces punks dégénérés et antisociaux (qui n’en ont pas pour autant perdu leur sang-froid sur ce coup-là).
Après ça, tout était dit et les Sex Pistols ayant mis la barre sacrément haut, niveau esprit rebelle et provocateur, l’idéal punk avait désormais sa charte de déontologie et il faut bien avouer que l’on n’a guère eu depuis de répliques très marquantes de ce tremblement de terre londonien de juin 1977.
Il y avait déjà là matière à un récit assez palpitant, rien que pour narrer ce morceau de bravoure rock’n rollesque mais Fred Duval, éminent scénariste d’excellentes séries de science-fiction (Carmen Mc Callum, Travis…) s’est amusé à en faire le décor et le postulat d’un ambitieux récit de polar. Pour la faire courte, c’est à l’occasion de ce concert des Sex Pistols que va avoir lieu le plus gros deal de l’histoire des Stups, avec rien moins que le stock de dope de la fameuse French Connection.Une histoire qui sent la poudre autant que la colle et qui met en scène son lot de caïds de la pègre, malfrats cyniques et sans morale, de junkies et de flics dépassés par les évènements et toute une cohorte de punks dont pour certains, la violence n’est pas seulement simulée lors de festifs pogos.
L’atmosphère de ce Spitting London de la fin des années 1970 est bien restituée ; quartiers populaires cradingues, tronches de prolos mal dégrossis et looks iconoclastes des Punks, grâce au dessin réaliste et sobre de Christophe Quet, rehaussé d’une mise en couleur ce qu’il faut de trashy pour évoquer le No Future de cette Angleterre en plein marasme économique, rongée par le chômage, les affrontements sociaux, le Rock rageur et désabusé des Sex Pistols en constituant la bande-son idéale.
S’agissant du Rock, les auteurs ont bossé le sujet. Biographies et documentaires tels ceux de Julian Temple, The Filth and the Fury et The Great Rock’n Roll Swindle (soit La grande escroquerie du Rock’n Roll... y’a pas de hasard) qui permettent de retracer fidèlement le concert fluvial des Sex Pistols, péniche, tenue de scène et coups de pieds dans les bollocks (pas si « never mind » que ça, en l’occurrence!). La révolution culturelle apportée par les poulains de Malcom Mc Larren est évoquée avec beaucoup de crédibilité, tant sur le plan musical (le tee-shirt « I Hate Pink Floyd », arboré dès les premières pages par un Punk* illustre sommairement le débat) que générationnel (le conflit entre le père flic et son rejeton punk qui est l’un des ressorts de l’histoire). Le doigt d’honneur de Rotten résume à lui seul toute la problématique de l’époque.
Reste l’intrigue policière. Là, j’avoue que j’ai moins accroché. Non qu’elle ne soit plausible et bien ficelée (dans le registre, on a bien vu bien plus délirant) et l’idée de croiser Rock et Polar était aussi astucieuse qu’originale. Mais cela aurait sans doute mérité un peu plus de développements pour l’exploiter pleinement, faire monter la tension et éviter un épilogue un poil lapidaire. En même temps, on ne pourra pas reprocher aux auteurs d’avoir traîné en longueur. On parle de Punk, là, pas de Rock progressif !
* En réalité, c’est Johnny Rotten qui s’était confectionné ce tee-shirt.