Pour les moins de 20 ans, le vinyle est souvent un objet un peu bizarre.
Sur cette galette d’un noir profond, contrairement au CD et on ne parle même pas du MP3, on voit la musique, les morceaux sont là, bien délimités par les sillons.
Mais ce qui fascine le plus dans le vinyle et continue à attirer un public sans cesse renouvelé, y compris les susdits moins de 20 ans, c’est la pochette, cette oeuvre graphique à part entière dont l’identité artistique est complètement autonome par rapport au disque même si elle peut en souligner le contenu… ou pas.
Rappelons que quelques grands noms de la BD en ont créé de magnifiques. Crumb (qui en a pondu un paquet) et du côté de chez nous, Serge Clerc, François Boucq ou Jean Solé.
Certains disques ne brillent que par leur pochette et s’avèrent aussi décevants que leur devanture était riche de promesses mais l’on a au moins la consolation de posséder une belle image que l’on ressort à l’occasion pour la montrer aux potes, à la demoiselle dont l’on sollicite les faveurs et si affinités aux mômes éberlués ou indifférents qu’on lui aura collés dans le tiroir.
Y’en a qui font des tags sur les murs, Joan, lui dessine une sale gamine, prénommée Lucie sur des pochettes de disque (prétexte à un jeu de mot débile comme on les aime) . L’un des principaux avantages de ce passe-temps, c’est que ça ne dérange pas les voisins, sauf bien sûr si, dans le même temps, le disque en question tourne à fond les potards sur la chaîne HI-FI.
Le principal intérêt de l’exercice, et ce futé de Joan (qui n’est pas un novice en matière de BD Rock puisqu’il a déjà commis la série des Accros de) l’a bien compris, c’est d’ouvrir en grand la boîte aux souvenirs des fans de Rock bedonnants, burinés, déplumés mais jamais blasés que nous sommes devenus après avoir franchi le seuil fatidique de l’âge où même un gardien de foot commence à se faire vieux (pour les filles, j’ai pas trouvé de comparaison mais tout de façon si elles aiment le Rock, ce sont des princesses, alors elles restent toujours jeunes et belles… ça va, chérie, je peux continuer ?)
Le fait est que Lucie in the Skeud se déguste comme une bonne grosse madeleine, sucrée et beurrée à souhait. Et pour les moins de vingt ans (petits cons !), ce bouquin offre une entrée par la grande porte dans le panthéon du Rock.
Forcément, la part belle est donnée aux albums d’avant l’hégémonie du CD, provocatrices, intrigantes, virtuoses et donc immédiatement reconnaissables. Atom Heart Mother, Deep Purple In Rock, Highway To Hell, Who’s Next, All Wrapped Up (où l’on découvre que ce n’est pas Lady Gaga qui a inventé la haute couture bovine mais les Undertones)… Celles que l’on contemple pendant l’écoute comme si la musique en sortait tout droit. Des chefs-d’œuvre donc mais aussi des albums un peu plus confidentiels dont la mémoire n’a peut-être survécu justement que grâce à leur pochette.
Quelques planches de BD agrémentent le bouquin qui balisent un peu le terrain et le propos de l’auteur avec la dose d’humour et d’autodérision de fan de Rock.
Et puis, n’oublions pas Lucie, cette protopunkette, aux escarpins ringards et au sourire carnassier de serial-killeuse en jupes plissées, qu’on imaginerait bien découper les pédophiles à la tronçonneuse. Elle se fond parfaitement dans le décor de ces bijoux (photo)graphiques dont Joan utilise ou détourne le thème avec burlesque, réussissant souvent la prouesse de nous faire songer que finalement, cette pissouze n’aurait pas déparé sur l’œuvre originale.
Un hommage iconoclaste et irrévérencieux, absolument rock’n roll comme devraient l’être tous ceux offerts à la grande cause du Rock.