Dessins : Michel CONSTANT – Textes : Béa et Michel CONSTANT
L’autre jour, en écoutant pour la 227 352è fois Pretty Vacant des… Sex Pistols, je me suis posé la question qui vient invariablement à l’esprit quand on est en 2018 et qu’on écoute le meilleur titre (oui, c’est le meilleur mais avais-je besoin de le préciser ?) de la bande à Johnny Rotten. Mais que sont les Punks devenus ? Qu’a-t-il pu advenir de cet idéal libertaire et nihiliste de la fin des Seventies (oui, je suis bilingue) aussi frais et pur que la brise soufflant sous le kilt d’un Écossais arpentant la lande verdoyante des Highlands (ou la vallée de la Speyside où, comme chacun sait, on fabrique les meilleurs whiskys) ? Quel a été le destin de ces jeunes crêteux, percés d’aiguilles à nourrice, qui se déchaînaient dans de furieux pogos en gueulant No Future ? On peut imaginer qu’ils aient succombé à une overdose dans un squat crasseux, ou, pire encore qu’ils aient troqué le Perfecto et les tube de colle contre un costard Burberry et des lignes de Coke aspirées à pleines narines dans leur bureau rutilant de la City. On peut aussi se réjouir qu’ils n’aient pas tous renoncé à leur idéal et que certains aient pu trouver leur petite place dans la société anglaise, sans rien renier de leurs convictions et de leur esprit de rébellion, si dérisoire fut-il.
Michel et Béa Constant nous proposent un récit ayant résolument choisi la seconde option. Alors que nous, pauvres mortels, lorsque nous faisons un petit voyage Outre-Manche, nous contentons de faire le plein d’humidité et de Fish and Chips pour le reste de l’année, eux en ont profité pour y puiser l’inspiration et le décor de cette histoire, tellement bien narrée qu’elle nous plonge illico, comme si l’on y était, dans l’ambiance de la campagne anglaise, un peu comme ces séries policières du dimanche soir sur France 3, auxquelles un soir j’ai renoncé pour écrire cette chronique.
Or donc, Donald tient un Pub dans un bled du Kent qu’il a repris aux décès de ses parents. Mais il est criblé de dettes et accessoirement il vient d’apprendre qu’il ne lui reste que six mois à vivre. Vu que le No Future commence sérieusement à se préciser pour lui, le jour où il apprend avec une certaine délectation la mort de Margaret Thatcher (surnommée… la Dame de Fer… ça va tout le monde suit?) il décide de réunir ses deux meilleurs amis, Abby (je précise que c’est une fille) et Owen (je ne précise rien) avec qui il a, un quart de siècle plus tôt, fait les 400 coups, écumé les salles de concert et s’est frité avec les flics, rapport à la fermeture de la mine du coin. Cet épisode dramatique a laissé sur le carreau une bonne partie de la population locale, à commencer par le père d’Owen et a poussé ce dernier à s’exiler à Londres où il fait le Taxi quand il n’est pas au Pub. Abby, quant à elle, bosse aussi à Londres dans une agence de communication. Et si elle a renoncé aux mini-jupes en jean et aux cheveux teints en rouges, elle n’a rien perdu de sa verve et de son goût pour la liberté. Et être une femme libérée, nous savons tous que ce n’est pas si facile, comme disait… Muffin Coocker (à moins que ce ne soit Cookie Dingler, je les confonds toujours). Donald refuse de céder son Pub au Golf du coin qui a dans ses cartons un projet d’extension hautement lucratif, soutenu par le maire, un bourgeois libéral et opportuniste. La vente épongerait les dettes mais pas question de se faire avoir une seconde fois, comme au temps où Margaret Thatcher zigouillait l’économie locale.
Ce récit humaniste fait bien sûr penser au cinéma social anglais (Ken Loach, Mike Leigh et consorts), sur fond de crise économique et de personnages attachants, bien campés, tous crédibles dont aucun ne verse dans la caricature. Mention spéciale pour Béatrice, la mère célibataire, atteinte du syndrome de la Tourette. Sans oublier cette pointe d’humour qui sied à toute bonne chronique sociale, en dédramatisant le propos sans l’édulcorer. C’est émaillé de références aux grandes figures du Rock anglais de l’époque de la jeunesse des trois protagonistes (Clash, The Jam, Stiff Little Fingers…) et ça fleure bon la nostalgie d’une jeunesse rock’n roll, au travers des retrouvailles de ces vieux potes qui essaient de mener cet ultime combat contre le fric et la bonne société bien pensante.
Et puisque l’on parle de Thatcher, on ne peut manquer d’évoquer la Dame de Fer (au lecteur de découvrir ce que c’est, mais un indice, elle est sur la couverture de l’album), madeleine de Proust des trois héros, élément clé de l’intrigue dont elle va déclencher la révélation finale.
Voilà une BD qui, grâce au dessin de Constant, une superbe ligne claire très expressive avec une mise en couleurs collant à merveille à l’atmosphère du récit, se lit d’une traite, avec une réelle jubilation, comme un bon vieux disque de Punk.