Lennon

Dessins : Horne – Textes : Eric Corbeyran

Jésus-Christ est mort le 8 décembre 1980. Depuis, les exégètes se sont bousculés au portillon pour donner leur version du nouveau testament. Comment un prolo de Liverppol a fondé le groupe le plus mythique de toute l’histoire de la musique et pas que populaire. Sur Lennon tout a donc été écrit et les zones d’ombre sont si réduites qu’à part les pensées intimes de l’intéressé, on ne voit pas trop ce qu’il y aurait à rajouter.
Les pensées intimes, c’est justement le parti adopté pour ce biopic, adaptation du livre de Foenkinos, qui renouvelle un peu le propos en faisant parler Lennon dans une longue confes Lennon ; Horne © Marabulles, 2015sion auprès d’une psychanalyste imaginaire dont on ne verra que les jambes impeccablement galbées.
A New-York, dans l’immeuble Dakota où il vit avec sa petite famille et où il a acquis une forme de sérénité, Lennon vient régulièrement s’allonger sur le divan. Il retrace ainsi toute sa vie depuis l’enfance troublée par des parents défaillants jusqu’à cette funeste soirée où Mark Chapman a mis un terme à la légende à coups de revolver. Il parle sans pudeur et sans artifice, avec le détachement de quelqu’un qui n’a plus rien à prouver et donc plus grand-chose à cacher, qu’il s’agisse des blessures intimes, des épisodes peu glorieux ou des moments de grâce.
Sur la forme donc, cette incarnation subjective est astucieuse, car elle donne une réelle densité et un vrai parfum de sincérité à cette énième version de l’histoire de Lennon.
Sur le fond, si vous avez déjà tout lu sur les Beatles et sur Lennon ou même si vous estimez en savoir assez, ne cherchez pas la petite bête, l’anecdote ultime ou la révélation fracassante, vous serez déçu. En revanche, pour les béotiens et même pour les érudits, à titre cette fois d’aide-mémoire, vous saurez tout ce qu’il faut savoir sur la saga des Beatles et du rôle prépondérant qu’y a joué Lennon. Le tout servi par un élégant lavis noir et blanc qui rend un bel hommage à tous les protagonistes, fidèlement reproduits, ce qui est digne d’éloges tant il est facile de tomber dans la caricature quand il s’agit de montrer ces icônes tant de fois mises en peinture, avec plus ou moins de justesse. Là, le contrat est parfaitement rempli.
 Lennon ; Horne © Marabulles, 2015Les tenants et les aboutissants de la saga sont impeccablement décortiqués et mis en perspective avec notamment une présentation tout à fait objective de l’irruption de Yoko Ono et de son rôle de révélateur plus que de déclencheur de la crise qui couvait au sein des Fab Four. De même la rivalité extraordinairement productive entre Lennon et Mac Cartney est abordée avec lucidité. Les fans de Lennon regretteront peut-être que l’on passe assez vite sur la partie post-Beatles qui, il faut l’avouer, fut nettement moins enthousiasmante, hormis deux ou trois tubes dont un hymne pacifiste bisounours, un hommage Rock’n Roll peu inspiré et quelques élucubrations bruitistes avec la miss Yoko. Je sais que je me suis pas fait des copains sur ce coup là mais j’assume.
Pour les mécréants, réfractaires au culte de Mister John et aussi pour les petits jeunes qui ne maîtrisent pas l’histoire sainte, on ne pourra donc qu’inciter à la lecture de cet opus, propice à leur ouvrir les esgourdes et même les méninges, en ce qu’elle offre une (auto)analyse édifiante sur la condition de Rockstar.

Bonus Track : Nicolas OTÉRO

A propos du Roman de Boddah : 3 questions à Nicolas OTÉRO

Quelle a été la motivation principale de ton livre ? Adapter le roman d’Héloïse Guay De Bellissen ou l’envie de donner ta vision de la biographie de Kurt Cobain ?
C’est un peu des deux. J’avais envie de me lancer en solo depuis assez longtemps mais je ne trouvais pas la matière et peut-être pas le courage non plus. Quand j’ai découvert le bouquin d’Héloïse, l’axe narratif choisi de faire parler Boddah, la personne à qui Kurt Cobain a dédié sa lettre de suicide, donc quelqu’un d’important dans sa vie, était pour moi une idée de génie. Je me suis emparé de ce bouquin, tout ce que j’avais pu en attendre était prêt à sortir et ça a été le déclencheur du projet.

Comment as-tu procédé pour créer le personnage de Boddah ?
Boddah, il a fallu l’incarner parce que je ne pouvais pas utiliser le même postulat que dans le roman où l’on sait tout de suite qui il est. Pour moi, c’était un mec qui devait forcément être dans l’entourage proche de Kurt Cobain et j’ai choisi de le traiter comme l’un de ses roadies, un mec qui s’occupe des instruments, qui est là sur les tournées et donc aussi dans les moments intimes. Personne d’autre que Kurt ne parle avec Boddah… il y a pas mal de petites choses qui amènent le déroulé du récit sur ce personnage. C’est cet ami d’enfance, cette petite voix qu’on a dans notre tête et dont on a du mal à se défaire. Pour Cobain, il est apparu au moment du divorce de ses parents. On oublie que Cobain fait partie de cette génération d’enfants de divorcés, avec tout ce que ça pouvait impliquer, ce manque d’amour, ce manque d’intérêt qu’avait sa famille pour lui. Je pense qu’il a gardé Boddah jusqu’au bout parce qu’il a voulu garder cette part d’innocence et d’enfance qu’il avait en lui et Boddah justement représentait ça.Cobain par Otero © Collection personnelle

Quelle a été ta démarche pour l’adaptation du roman ? Une base d’inspiration ou le souci d’une adaptation fidèle en concertation avec Héloïse Guay De Bellissen ?
Non, pas vraiment. J’ai juste eu comme consigne de la part des éditions Fayard d’essayer d’être fidèle à l’esprit de l’auteur, ce qui, on est d’accord, ne veut rien dire mais je savais où je voulais aller. Le principe d’une adaptation d’une œuvre, c’est de la mettre à sa sauce. Le bouquin faisait 350 pages, j’ai forcément dû éluder des parties, il y a des choses que je trouvais moins intéressantes que d’autres. Ce qui est ressorti à la lecture de ce livre, c’est surtout une belle histoire d’amour, pour moi c’était l’élément central et le côte intime que Boddah a pu avoir avec Kurt Cobain permettait de raconter ces scènes que personne n’est censé connaître et de mêler des événements authentiques avec des événements fantasmés. S’agissant de l’histoire d’amour avec Courtney Love, j’ai mis les choses au point dès la quatrième page car on a raconté pas mal de salades et  je ne voulais pas me mêler à toutes les rumeurs qu’il y a pu avoir là-dessus. Le peu de temps qu’ils se sont aimés, c’était puissant, c’était dévastateur, c’était destructeur comme l’état dans lequel ils laissaient les piaules d’hôtel. Cette meuf était effectivement pétrie d’ambition, elle savait que son mec était en train de réussir, de devenir une star planétaire. Je laisse planer le doute dans deux scènes en particulier : Quand il fait son overdose à Rome où c’était déjà le début de la fin… Il absorbe une grande quantité de médicaments et c’est elle qui les apporte, on se demande dans quel but alors qu’elle sait qu’il a du mal à se défaire de son addiction. L’autre scène, c’est la première fois où ils couchent ensemble et que lui s’en va et la laisse en plan. Elle a cette phrase « Il ne s’en sortira pas comme ça », ce qui peut vouloir dire tellement de choses… Courtney Love était un beau personnage de femme dans le bouquin d’Héloïse et j’ai voulu garder ça. Vu l’axe narratif que j’avais choisi, c’était important que Courtney Love soit ambiguë. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que c’était une femme hyper forte et le contrepoint parfait de la fragilité de Cobain.

Le roman de Boddah – Comment j’ai tué Kurt Cobain

Dessins et textes : Nicolas OTÉRO

Le Rock s’en était pris plein la tronche pendant les années 1980. Les vieilles gloires des Sixties bégayaient leurs gammes, le Punk n’en finissait plus de crever, les permanentes régnaient sur le Métal et AC/DC commençait à nous casser les burnes. Comme dans les plus grosses périodes de crise, on était contraint de s’orienter vers les valeurs sûres, genre Springsteen, Cure ou Maiden, histoire de ratisser large. On gérait frileusement son portefeuille, en attendant le gros coup, le truc qui allait tout (re) ou (ré)péter, mais ça semblait vraiment compromis. En France, les Variéteux prenaient toute la place et polluaient les ondes avec leur bouillasse synthétisée régnant sur le Top 50. Il y avait certes le paradoxe du Rock alternatif (à quoi, d’ailleurs ?) mais malgré une bonne volonté et une énergie évidentes, ça manquait encore de consistance. Roman de Boddah 1
Et puis, soudain, la bombe a explosé et a fait table rase de tout le reste. Tout y était, la pochette provocatrice, la photo de ces trois mecs avec leur trogne de rebelles, le doigt d’honneur… Et puis les titres, des hymnes Rock mâtinés de Punk, de Hard et de Pop, gorgés de saturation, sur une ligne rythmique de plomb, qui exprimaient cette urgence et cette révolte qu’on attendait tant. C’était le début des années 1990 et on savait déjà qu’avec Nevermind, on en prenait pour un bail. Kurt Cobain, qui était à l’origine de ce cataclysme, lui en a pris pour l’éternité à peine trois ans plus tard en se faisant sauter le caisson, entrant ainsi dans la légende, Club des 27 et tout le bazar.
Vingt ans plus tard, des tonnes de papier ont été noircies pour tenter de cerner le phénomène Nirvana et plus particulièrement l’énigme Cobain, l’enfant chéri du Rock, jeune, beau, célèbre et bourré d’un talent dont on a fini par comprendre qu’un insondable mal de vivre en constituait le principal ingrédient. Alors quoi, encore un biopic de plus ? Sauf que Nicolas Otéro, en adaptant le livre d’Héloïse Guay De Bellissen, a décidé d’attaquer la légende par un angle original qui constitue sinon la clé, du moins l’un des révélateurs de la tragédie Cobainienne (je la tente, vous la gardez ou pas). Celui d’un personnage imaginaire que Cobain a inventé quand ses parents ont divorcé. Il s’appelait Boddah et c’est à lui que Cobain a écrit, juste avant son suicide, une lettre intégralement et opportunément reproduite à la fin du livre.
Confident, meilleur ami, alter-ego… Boddah était tout cela. En lui donnant un visage et une voix, Le roman de Boddah nous fait découvrir l’intimité de Cobain, ses pensées secrètes, ses angoisses, ses démons et surtout sa détresse qui n’ont fait que grandir jusqu’à l’issue fatale. Éludant l’enfance de Cobain, le récit débute aux dernières années, juste pendant la période Nevermind et la rencontre avec Courtney Love. Sur ce point précis, il faut saluer une approche qui évite la condamnation simpliste de l’ambitieuse leader de The Hole dont la personnalité ne pouvait s’accommoder d’un mec aussi perturbé. Elle s’imaginait former avec lui avec le couple de Rockstars le plus cool du moment, mais elle a été incapable de gérer les addictions et la déprime chronique de Cobain qui a bien failli l’entraîner dans sa chute. Quelle qu’ait été son attitude minable après la mort de Cobain, ils ont vécu une passion, destructrice, mais une passion quand même qui constitue l’axe du récit.
Mais surtout, il y a Boddah, dont le livre propose une incarnation tout à fait convaincante. Boddah est le contre-champ de CobRoman de Boddah 2ain qu’il ne juge ni ne conseille. Il est juste une présence qui accompagne le chanteur de Nirvana, fidèle comme une ombre, sans intervenir et devient le témoin imperturbable de sa déchéance. Otéro s’est plongé comme un mort de faim dans son sujet et n’ a mis que huit mois à réaliser tout seul ces 150 pages en couleurs directes et lettrage à la main. Cette sincérité et cette implication totale se retrouvent dans son dessin et son découpage, vifs et énergiques, comme la musique de Nirvana dont la puissance est parfaitement restituée dans de superbes scènes de concert. L’auteur compose un Cobain parfaitement crédible aussi bien dans ses moments de folie que dans les passages plus intimes avec Boddah ou Courtney Love. Ce roman graphique contribue ainsi à lever un peu plus le voile sur la personnalité complexe et torturée de Cobain. Ce dernier a (re)donné envie à tellement de gens d’écouter du gros Rock que ça valait assurément un biopic de plus, surtout de cet acabit.

Bonus Track : 3 questions à Nicolas OTÉRO

Welcome to Hell(fest)

Dessins : Johann GUYOT – Textes : Sofie VON KELEN

Tous les mois de juin, dans la paisible campagne ligérienne, au milieu des vignes, une de ces bourgades traditionnelles qui font le charme de nos belles et douces provinces françaises, se transforme l’espace de quelques jours en antichambre… de l’Enfer.
Des cohortes de mâles, plus ou moins vigoureux et de femelles plus ou moins vêtues, mais tous, ou presque, dotés d’un système pileux ou capillaire fort développés, déferlent dans la petite ville de Clisson, envahissant ses rues et ses commerces et surtout ses bars, ainsi que le rayon bière et biscuits de son supermarché Leclerc. Ces hordes vociférantes arborent fièrement des tee-shirts à la gloire de groupes inconnus du public de Michel Drucker ou de Naguy, des vestes de jean ornées de patchs, comme autant de médailles récoltées dans la furie des concerts ou recyclent les fondamentaux de l’imagerie Rock, jeans, cuirs et clous entre autres, avec un zest de médiéval etWelcome to Hellfest 1 une once de religion, pour créer les looks les plus improbables, composant ainsi un joyeux carnaval rock’n roll.
Pendant trois jours plus de 150 groupes puissamment électrifiés font hurler leur cordes vocales et leurs guitares sur fond de beats de batterie telluriques. 150 000 pèlerins viennent admirer ces idoles assurément païennes et sacrifier ainsi au culte du Dieu Métal et à celui de son cousin tout aussi agressif, le Punk, les ancêtres de la fratrie, Hard Rock en tête, n’étant pas en reste dans ce séisme musical et bruitiste. Le Hellfest, à l’origine un événement underground réservé à un public averti est devenu aujourd’hui une véritable institution, deuxième festival de musiques actuelles en France en fréquentation, le premier si l’on parle de Rock exclusivement. Comme dirait ce bon vieux Clint, le monde se divise en deux catégories, ceux qui vont au Hellfest et ceux qui creusent.
Johann Guyot fait partie de la première catégorie et, comme l’ami Will Argunas avec son Pure Fucking People, œuvre de surcroît pour faire connaître aux masses incultes et partager en images ce festival haut en couleurs et en décibels. Welcome to Hell(fest), qui retrace trois éditions du Hellfest, de 2012 à 2014, est une sorte de carnet de voyage en pays métalleux, un patchwork d’instantanés de concerts, avec un dessin noir et blanc sans fioritures, rudement efficace pour restituer l’énergie et l’imagerie du Métal. L’auteur a crobardé avec jubilation une belle galerie très expressive de portraits de ces chantres du gros son, pris sur le vif, guitare en érection et tignasse au vent. Le tout souvent agrémenté d’une courte présentation juste ce qu’il faut de didactique ou de commentaires personnels sur les artistes immortalisés. Il a également retranscrit quelques éléments incontournables du Hellfest, qu’il s’agisse des lieux ou des à côtés des concerts. Avec pas mal d’humour et d’auto-dérision, Guyot n’hésite pas se mettre en Welcome to Hellfest 2scène pour livrer quelques unes de ses expériences de festivalier, coups de cœur ou plans foireux qui font le charme de ces purs moments de Rock’n Roll. L’opus est complété par quelques mini-chroniques ainsi que de courtes interviews de zicos, réalisées par Sofie Von Kelen, qui apportent une dimension journalistique au bouquin. On regrette même qu’il n’y en ait pas un peu plus.
Ceux qui participent tous les ans à cette grande messe électrique, retrouveront dans ce bréviaire le parfum et l’écho de leurs souvenirs de fidèle pratiquant de la liturgie du Métal. Ceux qui ne connaissent pas le Hellfest comprendront peut-être un peu mieux de quoi il retourne et sans doute que cela donnera envie à certains de mettre le cap à l’Ouest. Quant aux autres, tant pis pour eux… qu’ils continuent de creuser, Motherf…rs !

Bonus Track : 3 questions à Johann Guyot

California Dreamin’

Dessins et textes : Pénélope BAGIEU

Comme beaucoup, je trouve que « beauté de l’intérieur » est l’une des ces expressions au mieux passe-partout, à la limite hypocrite et au pire parfaitement cynique pour désigner ceux avec qui la nature ou la vie n’ont pas été très généreuses, voire franchement salopes. Le genre de formule tellement galvaudée qu’elle en devient souvent assassine dans la bouche de gens mal ou bien intentionnés, seconde hypothèse sûrement la plus destructrice, l’Enfer étant toujours pavé de bonnes intentions.
Oui mais voilà, il y a aussi ceux pour qui cet aphorisme creux sonne pourtant comme une évidence. « Mama » Cass Eliott, Ellen Naomi Cohen dans le civil, appartient à cette noble caste. Les Mamas and Papas est un groupe dont le nom n’évoque peut-être rien à la majorité des moins de trente ans mais dont les chansons les plus connuCalifornia Dreamin' 1es restent souvent gravées dans la tête de la plupart de ceux qui les ont entendues au moins une fois, toutes générations confondues. California Dreamin’ est leur plus gros succès et ses paroles résument parfaitement le destin de cette fille qui prenait toute la place sur les photos du groupe. Pas à cause de sa carrure impressionnante qui fait ressembler les autres membres à un trio d’anorexiques mais à cause de son regard et d’un charisme qui s’imposent au spectateur. A côté d’elle, Michelle Phillips, l’autre fille, blondinette gracile et épouse de John, le song-writer du quatuor, belle de l’extérieur sans être forcément laide à l’intérieur, paraissait sans relief. Et quand Mama Cass se mettait à chanter, le doute n’était plus permis : La star des Mamas and Papas, c’était elle.
Pénélope Bagieu retrace ce rêve californien dans ce qu’il a de plus intemporel et de plus impitoyable. De la petite fille d’émigrés juifs, enjouée et sûre d’elle jusqu’à la grande chanteuse qu’elle avait toujours su qu’elle deviendrait, en détaillant avec minutie depuis l’enfance, toutes les étapes d’une destinée hors normes où malgré tous les contraires apparents, les astres finissent (presque) par s’aligner.
Servie par un crayonné sobre et élégant, la narration prend le temps de mettre en lumière la psychologie de l’héroïne, passionnée, romantique sans être niaiseuse, animée d’un énorme appétit, pour la vie en général, qui la rendait irrésistible et en a fait une icône de la Pop des années 1960. Le récit met également en évidence le don musical de Mama Cass, qui au delà d’une voix unique avait une créativité et un sens de la modernité qui a contribué à faire des Mamas and Papas bien plus qu’un de ces groupes de Folk gentillets en vogue à l’époque. Enfin, California Dreamin’, c’est aussi, et peut-être surtout la relation de Mama Cass avec Denny Doherty, la deuxième belle voix du groupe, histoire d’amour impossible ou contrarié, qui a nourri la chanteuse bien plus que les sandwichs King Size.California Dreamin' 2
La manière dont Pénélope Bagieu a réussi à donner vie à sa Mama Cass est bluffante. Au delà de la ressemblance purement physique, elle fait ressortir avec brio l’expressivité de la jeune femme, qu’il s’agisse de son regard ou de ses attitudes avec cette façon naturelle de camper ses formes généreuses sans sombrer dans le ridicule. L’auteure restitue avec brio la sensibilité de ce personnage émouvant auquel on s’attache dès le premier dessin. Et, cerise sur le gâteau, (je pouvais pas la louper celle-là), elle a eu le bon goût d’arrêter le récit au moment où la vie et la carrière de Mama Cass rentrent dans l’histoire, pour que reste intact un rêve qui ne doit jamais s’arrêter.

La famille Carter

Dessins : David Lasky – Textes : Frank M. Young

Il paraît que Steven Tyler, le chanteur lippu d’Aerosmith, va enregistrer un album solo… de Country. Difficile d’imaginer la Rock Star chevelue entonner des vieux standards de Hillbilly ou de Blue Grass, entouré de musiciens de sessions à la barbe foisonnante et à la chemise à carreaux tendue par un bide proéminent. Sauf qu’avec le Blues, la Country est un des aïeuls du Rock, pour faire simple, car la famille est nombreuse et la généalogie complexe. Tout comme la famille Carter dont j’avoue n’avoir jamais entendu parler avant que ne me tombe dans les mains ce salutaire opus de près de 200 pages qui narre l’histoire de cette famille populaire (dans les deux sens du terme) de l’Amérique profonde.
Famille Carter 1Mon ignorance crasse était tout juste tempérée par un prénom, June, une fille de la deuxième génération de cette famille prolifique en talents. June Carter… Johnny Cash, la connexion était faite dans ma petite cervelle. Mais c’est surtout d’Alvin Pleasant (A.P. pour les intimes), sa femme Sarah et sa cousine Maybelle dont il est question dans ce biopic qui tient en fait plus du roman graphique. Car la saga de cette famille n’a rien à envier à celle des illustres rejetons qui seront ensuite engendrés dans la longue lignée du Rock. Mais ici, il n’est pas question d’overdoses, de chambres d’hôtel défoncées ou de méga-concerts dans des stades pleins à craquer. Juste une famille d’américains très modestes dans un comté paumé de Virginie, au début du 20è siècle. Leurs conditions de vie sont précaires et dans ce contexte, la musique est un loisir qui devient carrément un luxe quand il faut d’abord songer à remplir les assiettes. Sans compter que faire de la musique n’est pas alors une activité très recommandable, certaines bonnes âmes affirmant ainsi que le violon est un instrument du Diable.
Et pourtant, c’est la musique qui permet à A.P. de rencontrer l’élue de son cœur, en l’entendant chanter une vieille rengaine, puis qui le pousse à battre la campagne pour glaner de vieux morceaux traditionnels et les retranscrire pour leur donner une seconde vie. De vieux airs contant des histoires simples des gens de la campagne qui se transmettaient jusque là de bouche à oreille, sans livret ni partition. En dépit des préoccupations alimentaires forts légitimes de son épouse, il la convainc ainsi que sa cousine d’aller à la ville graver sur sillon ces chansons qu’ils interprètent pour passer le temps. Pas de tables de mixage et d’ingénieurs du son. Les prises se font en live derrière un micro et les disques tournent en 78 tours.
La notoriété de la famille Carter va tranquillement se développer et lui ouvrir les portes d’un succès plus tard amplifié par des piges quotidiennes à la radio. Ça ne leur permettra pas de s’offrir une vie de pacha dans des villas avec piscine et gardes du corps mais juste de quoi s’assurer une existence décente, à l’abri du besoin, avec un pécule à transmettre à leurs enfants.
Famille Carter 2Cette histoire aurait pu s’avérer bien fade, avec son lot de bons sentiments mais Frank M. Young a su restituer toute l’étonnante modernité du destin de cette famille dont les origines rurales et les valeurs traditionnelles ne les ont pas empêché de garder l’esprit ouvert et d’être novateurs pour leur époque, qu’ils s’agisse de musique ou de relations amoureuses. Au fur et à mesure que les pages se tournent, l’empathie pour cette famille de musiciens au talent inversement proportionnel à la prétention ne fait que croître. Outre une narration et un récit dense, riche en évènements et anecdotes et qui prend le temps de camper personnages et décors, la fluidité et le style sans esbroufe du dessin de David Lasky collent impeccablement à l’évocation de cette époque et de cette musique intemporelle qu’on s’empressera d’aller écouter sur Internet pour voir de quoi il retourne. Avec la confirmation que dans ces rythmiques de guitare et ces mélodies de chant se trouvent certaines des racines essentielles de ce machin protéiforme qu’on appelle aujourd’hui le Rock.

La Main Heureuse

Dessins et textes : Frantz DUCHAZEAU

Il y a les Limousines Blanches longues comme un morceau de Rock progressif et puis il y a les Dodoches vertes. Il y a la Route 66 et la départementale 124. Il y a le Madison Square Garden et la MJC de Saint Villenbourg. Il y a… les plus perspicaces auront deviné, on va causer de Rock français. Non, restez, vraiment, ça vaut le coup. Car ici aussi, il y eut un véritable âge d’or, pendant la pire décennie de l’histoire du Rock, les années 1980, dix années sacrément gratinées où en plus la variétoche était en plein chant du cygne. Main Heureuse 1Non, les d’jeunes, on va pas faire dans la nostalgie béate mais sachez qu’en ce temps là, les groupes de Rock bien de chez nous germaient dans tous les patelins desservis par EDF et qu’enfin certains d’entre eux soutenaient enfin la comparaison avec les ténors anglo-saxons, du moins sur scène. J’en ai déjà causé dans la chronique consacrée à la BD sur Luwig Von 88, donc trêve de radotages. De toute cette scène « alternative », un groupe se détachait. Pas forcément le meilleur, mais il avait ce truc en plus, qui grâce au bouche à oreille, n’a cessé d’enfler et au final lui a procuré un succès et une reconnaissance dans les médias « grand public », que ses pairs n’ont jamais atteint. La Mano Negra déchirait en concert et, rien qu’avec ça, a joué un rôle important dans l’émancipation du Rock en France, surfant sur la vague d’un Rock indépendant qui a fini par engloutir tous ses protagonistes. Ses prestations live étaient si intenses que l’écoute des disques après les avoir vus en action pouvait paraître bien fade, à l’instar d’un Shaka Ponk aujourd’hui.
Frantz Duchazeau a pris l’option d’évoquer ces heures glorieuses par le meilleur angle qui soit, celui du public. Deux ados fans de Punk coincés dans leur cambrousse charentaise apprennent que leur groupe va passer à Bordeaux, pas loin de chez eux. Enfin… pas loin, à 100 bornes. C’est en se matant pour la énième fois sur une cassette VHS un concert de leurs idoles que ces deux branleurs décident d’entamer leur odyssée vers le Graal. Avec pour seul moyen de locomotion une vieille motobécane à la chaîne défaillante, à peine moins compliqué que d’aller sur la planète Mars. Mais nos héros sont jeunes, ils n’ont peur de rien et la promesse est si belle…Leur route sera semée d’embûches et de galères et débouchera sur un épilogue aussi elliptique (Aïe ?) qu’astucieux (Ouf !), une fois n’est pas coutume.
Cette histoire, nous sommes si nombreux à l’avoir vécue avec des variantes et des fortunes diverses. Duchazeau en offreMain Heureuse 2 une version road-movie tout à fait convaincante. Avec un noir et blanc dense et sobre, ses dessins nous transportent en 1989, au temps de Best et des Enfants du Rock, à travers une chronique qui évoque ce temps béni de l’adolescence, aussi magnifiquement stupide qu’enthousiaste quand l’écoute d’un disque ou le visionnage d’une vidéo suscitent la transe et la séance d’Air Guitar devant sa platine. L’identité de la Mano Negra, mix improbable et foutraque de ferveur latine, de gouaille franchouillarde, de cirque et d’esprit Rock’n Roll est parfaitement restituée. Le récit ménage également quelques petites plages d’introspection onirique où l’un des héros, apprenti dessinateur de BD (ben voyons…), se perd dans les chimères suscitées par la rencontre entre l’imagerie de la Mano Negra (pin-up gitane et gorille débonnaire) et ses angoisses et fantasmes d’adolescent encore marqué par le divorce parental.
Une épopée juvénile délicieusement intemporelle autant qu’un bel hommage à ce qui fait le sel de la passion pour le Rock… quels que soient l’époque et l’âge de l’auditeur.

The Four Roses

Dessins : Jano – Textes : Baru

Certains Rockers ont un style est unique. Un timbre de voix, un son de guitare qui les distinguent à ce point de leurs pairs que même après une longue absence, leur irruption entre nos deux esgourdes, nous procure le même plaisir que lors de nos premières écoutes adolescentes. En BD, également, la patte inimitable de certains dessinateurs se repère de loin et les démarque immédiatement au milieu des rayons de librairies débordant de nouveautés éphémères. Jano fait partie de cette noble caste. Découvrir un nouvel opus du père de Kebra fait partie des plaisirs de la vie qui vous égaient une journée et au delà. Et quand en plus, l’opus en question s’avère avoir été scénarisé par Baru, l’excitation pointe un museau aussi proéminent que la truffe des personnages animaliers qui sont la marque de fabrique de Jano.
 2The Four Roses (rien que le titre en forme de clin-d’oeil nous promet déjà un récit bien rock’n roll), recèle une intrigue qui envoie le lecteur de la Meuse aux States comme une lettre à la Poste et qui à l’instar de ses protagonistes offre le prétexte à de réjouissantes retrouvailles avec les sources de la BD Rock. Comme au bon vieux temps de Métal Hurlant et des albums souples aux couvertures flashy des Humanos. Sauf qu’ici l’objet a un peu plus de gueule, comme toute la production Futuropolis, soit dit en passant.
Dès les premières cases, (précision : celles de Jano, pas celles de l’avant-propos de Baru qui nous balance du Michel Sardou en faisant au passage une salutaire mise au point historique) le ton est donné : On est dans le vintage et dans le roots, le Rock’n Roll sans fioritures, the Real Thing, Man ! en découvrant, cette bête de scène (un renard, dixit Jano), seul sur les planches, s’escrimant sur sa Télécaster 1967 et sa grosse caisse, la bouche tordue par un rictus de jubilation et de concentration extrêmes. Comme à un début de concert, on sait que cette BD va le faire et qu’on va passer un bon moment.
L’histoire est courte et efficace comme un standard de Rockabilly. Un Rocker atypique, homme orchestre sans concessions, nommé King Automatic, écume la France profonde (et même la Pologne !) pour faire vivre ce bon vieux Rock’n Roll. En faisant le tri avec son frangin dans les vieilleries d’une tante récemment décédée, la découverte d’un Teppaz, d’un 45 tours de Rockabilly et d’une lettre le met sur la trace d’une Grand-Mère expatriée aux States. L’occasion est trop belle d’aller sur place faire une petite recherche généalogique. De là, les événements vont se précipiter, entre des flics un poil chelous, une Tata rockeuse et des p’tits voleurs à peine sortis du bac à sable. Baru est toujours aussi à l’aise dans la chronique sociale qui donne à ce scénario cette authenticité exempte de tout bavardage démonstratif. Sa narration sobre et aérée colle parfaitement au trait de Jano en lui permettant d’exprimer son talent pour les décors hauts en couleurs, tout aussi dépaysants qu’immersifs. Four RosesQu’il s’agisse d’un troquet de banlieue cradingue, d’une rue de Louisiane ou d’une salle des fêtes des Swinging Fifties des bases militaires franchouillardes où les Amerloques instillaient leur délicieux venin de décibels dans la caboche et les jambes des Frenchies, on y est. Et puis, c’est un pur plaisir de retrouver les tronches Rock’n Roll, avec ces regards perçants comme un cran d’arrêt, que seul Jano est capable de rendre aussi expressives. On sent qu’il s’est offert une cure de jouvence au travers de ces 74 planches, une première pour lui.
Cerise sur le Cheese-Cake, King Automatic et Johnny Jano (non, non, rien à voir mais le clin-d’œil est savoureux) dont la musique constitue le fil rouge du récit, ne sont pas des musiciens fictifs, comme en témoigne le 45 tours qui accompagne le livre. Du bien bel hommage et de la belle ouvrage. Jano is back, qu’on se le dise et vivement la suite !

Fugazi Music Club

Dessins et textes : Marcin PODOLEC

N’ayant pas pondu de chronique sur un nouvel album de BD Rock depuis un bout de temps, c’est avec un appétit vorace que j’ai jeté mon dévolu sur Fugazi Music Club, récit hautement prometteur, à commencer par le titre. Pour aller droit au but, la déception a été à la hauteur de l’attente. J’ai pour principe de ne pas parler de bouquins qui, à mon humble avis, ne méritent pas qu’on y consacre un peu de notre précieux temps de lecteur et d’auditeur déjà saturé par la surabondance de l’offre tant livresque que musicale. Mais la faim fait sortir le loup du bois et le chroniqueur affamé que je suis s’est résigné à ronger cet os aussi alléchant que sa moelle s’est révélée peu substantifique.
Le sujet était pourtant énorme : l’histoire vraie d’une bande de jeunes polonais désœuvrés qui, le mur de Berlin à peine tombé, se lancèrent à Varsovie, en 1992, dans l’aventure d’un club de Rock et firent monter pendant près d’un an sur les planches bancales d’un ancien cinéma, la fine fleur du http://ecsmedia.pl/c/fugazi-music-club-b-iext23121823.jpgRock polonais, s’ouvrant même aux formations Punk et Métal anglo-saxonnes et organisant un marathon de 21 jours de concerts. Se profilait la perspective d’anecdotes croustillantes, de moments de galères abyssales et de magie électrique ; des torrents de sueur et de bière emportant dans leur flot la passion d’une jeunesse étrennant grâce au Rock sa liberté toute neuve… Vous avez entendu parlé de la dimension narrative de l’espace inter-iconique ? Si on veut moins se la péter, on parle d’ellipse. Ben voilà, le récit de Podolec est une ellipse qui laisse au lecteur imaginer, entre les cases, combien cette saga a dû être passionnante. Le livre est parti d’une interview du principal protagoniste. L’auteur a mis cette interview en images… et puis voilà. L’histoire a beau être enthousiasmante, sans un brin de story-telling, de tension narrative, et là il y avait de quoi faire, cela débouche sur un enchaînement linéaire d’événements souvent confus où, par exemple, l’intervention de la pseudo-mafia qui avait financé le projet devient une anecdote comme les autres. Certains moments clés sont relatés en quelques dessins isolés et phrases lapidaires.
Passons à la limite sur le scénario mais quoi, il s’agit bien de Rock. Alors, ils sont où les Zicos ? On en voit dans 5 pages… sur près de 180 au total. La représentation des lieux est minimaliste, impossible d’avoir une représentation concrète de ce Club, si ce n’est les photographies à la fin du bouquin. Quand on voit comment Derf a fait revivre The Bank
Alors quoi, une daube de plus ? Objectivement, quoi que l’on pense de sa démarche ici, Marcin Podolec a du talent et ensuite, quand on s’intéresse vraiment au Rock énervé, ce pan méconnu de son histoire mérite malgré tout qu’on le soulève, même si le décor qui se cache derrière aurait pu être bien plus exaltant.

Amazigh (et Nass El Ghiwane)

Dessins : Cédric LIANO – Textes : Mohamed AREDJAL

J’ai lu Amazigh au mois de janvier, après avoir arpenté le bitume de ma ville comme des  millions d’autres, juste pour être là et pour montrer que, non décidément, même si on ne se bouge pas comme d’autres pour le gueuler sur les toits, même si on ne prend pas de risques, même s’il n’est pas sûr qu’on serait prêts à mourir pour ça, n’empêche, on n’en pense pas moins. Et donc, on n’accepte pas un monde où la croyance obscurantiste de quelques-uns prendrait le pas sur une liberté fondamentale et universelle, celle d’avoir le droit de penser ce que l’on veut et surtout de l’exprimer, à condition bien sûr que l’objet de cette pensée ne retranche pas à ceux qu’elle vise ne serait-ce qu’une petite parcelle de leur humanité.
Amazigh (prononcer « Zir », idéal soit pour passer pour un mec cultivé, soit pour s’la péter, les deux étant très compatibles) raconte l’odyssée de jeunes Marocains qui justement veulent rejoindre ce monde occidental où tout semble possible et moins étroit. Mais du rêve à la réalité, le constat est rude et la route est raide. A remettre en perspective depuis les événements sanglants de ce début janvier. Une histoire vraie, magistralement narrée, efficace et réaliste comme un documentaire et prenante comme un récit d’aventures, le genre d’œuvre qui vous donne l’impression de comprendre un peu mieux le monde. Le festival Angers BD ne s’est pas trompé en lui décernant le prix Première Bulle, récompensant un premier récit de BD. Depuis, il a également récolté le prix Œcuménique au dernier festival d’Angoulême. Délicieusement ironique, quand on sait que Cédric Liano est un anticlérical prosélyte.
Bon et alors, t’es gentil, mais ici on cause de Rock, alors, quoi ? Eh bien, quand Cédric, qui est un mec charmant au sourire communicatif, m’a demandé si je voulais quelque chose de particulier pour ma dédicace, je lui ai répondu que j’avais pas encore lu le bouquin et que donc, je savais pas trop, mais que… sur le thème du Rock… éventuellement… Et donc, il a fait ça :
Nass El Ghiwan
Un dessin qui raconte à lui seul une histoire, vraie, celle d’un concert de Nass El Ghiwane, un groupe marocain que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Allah, ayant débuté dans les années 1970. A l’époque, le roi du Maroc, Hassan II, était un despote, certes éclairé et mélomane mais despote quand même et surtout omniprésent. Sur la scène, son portrait géant était exhibé pour bien rappeler au public qui était le vrai patron à qui tous devaient ce grand moment de réjouissance musicale.
D’où cette harangue du chanteur pour remettre un poil les choses à leur vraie place. Un bel exemple de courage et un grand moment de Rock’n Roll. Il semblerait que ça ne leur aurait pas attiré trop de problèmes, Hassan II se revendiquant comme un grand fan de leur musique.
Nass El Ghiwane n’est pas à proprement parler un groupe de Rock. Ils ont cependant modernisé la musique marocaine, tout en gardant les instruments traditionnels mais en lui insufflant un rythme et des orchestrations résolument modernes, ce qui se retrouve aussi dans leurs textes. Après ça, je m’arrête, car j’arrive à la limite de mes capacités sur le sujet. Martin Scorsese a utilisé leur musique dans La dernière tentation du Christ et les a qualifiés de Rolling Stones du monde arabe. Alors donc, respect.
Quant à toi, Cédric, merci pour cette superbe dédicace, cette petite édification culturelle et pour Amazigh, bien sûr.

Bonus Track : JÜRG

A propos de Twist and Shout : 3 questions à JÜRG

Ton dessin, notamment le traitement du noir et blanc, te mène souvent vers des histoires assez sombres. Pourquoi avoir choisi l’humour pour ce premier récit Rock ?
C’est venu naturellement en fait. Déjà, j’aime faire des histoires d’humour. Autant j’aime bien le Polar et des histoires hyper sombres, autant parfois j’ai tendance à aller vers une écriture de récits noirs mais en y mettant de l’humour et des choses un peu burlesques, voire grotesques. Là, ce que je recherchais, c’était le grotesque. Par rapport à tout ce que j’avais produit avant, notamment des polars avec Jean-Bernard Pouy, plus concrets, plus sérieux, que j’aime beaucoup, là c’était la première fois, avec les Requins Marteaux, qu’on me laissait une carte blanche. Donc, j’ai essayé de faire un bouquin qui me corresponde, qui soit complètement décalé. Dans le traitement graphique, j’ai toujours été très noir parce que ça remplace la couleur. J’ai besoin de mettre du noir, le dessin pur, noir, c’est vraiment ce que j’aime. Si je garde une ligne claire, j’ai l’impression que le dessin n’est pas fini. Ça me permet de mettre une ambiance un peu sombre, même si sur ce bouquin, c’est presque de la parodie, c’est comme citer des grandes références comme « Y’a-t-il un pilote dans l’avion ? » un amalgame de clichés mais avec une mise en scène soignée et réaliste, ce qui crée le décalage et qui fait que l’on rigole. Je ne suis pas à ce stade là mais dans l’esprit c’est pas plus sérieux que ça.

Le mythe d’Elvis subit un traitement de choc dans Twist and Shout. Qui aime bien châtie bien ?
Elvis by JürgTout à fait. Elvis c’est une référence, dans le sens où quand j’étais enfant, j’étais vraiment fasciné par la musique et les films d’Elvis. C’était toujours hyper coloré, avec ce côté jovial, genre tout est beau, les nanas sont superbes… Les visuels de cette époque sont fascinants, c’est un truc qui m’a carrément influencé. S’il y avait un film d‘Elvis qui passait, je pleurais auprès de ma mère, il fallait que je regarde. J’ai toujours adoré ce kitsch, ce burlesque avec ce côté série B, série Z. Et puis Elvis, c’est vraiment le charisme. Il avait ce putain de charisme même quant il était gros mais qu’il faisait un concert par jour, gavé de médicaments du début à la fin mais voilà rien à faire, pour moi, c’est vraiment l’incarnation du Charisme. J’ai fait une espèce d’hommage et c’est d’ailleurs un peu pour ça que dans le scénario j’ai changé la fin. Initialement, ça devait finir de façon horrible et puis au fur et à mesure, j’en ai parlé avec ma copine de l’époque et elle m’a dit « mais non, tu vas pas faire ça à Elvis, c’est dégueulasse ! » Et en fait, je me suis dit « Putain, mais elle a raison ! » Il y a vraiment un mythe autour de ça, on sait pas ce qu’il est devenu… J’ai eu envie que ce soit une sorte de Happy End, de truc complètement ouvert et qui finit bien. Je me suis aussi inspiré d’un film de Fritz Lang, « Chasse à l’homme », dont la première séquence montre un chasseur dans les montagnes, qui a dans son viseur Hitler, dans son chalet en Autriche et le type se dit « Si j’le bute maintenant, ça va changer le cours de l’histoire ». Il veut le faire, il met une balle dans son fusil et à ce moment là, un garde l’arrête, il est emprisonné… Je me suis vraiment inspiré de ce film là, qui n’a rien à voir sauf que ça m’a donné l’idée de prendre un personnage connu et de le mettre dans un contexte complètement burlesque. Voilà, c’est pas du Godard non plus (rires) mais mes références c’était Fritz Lang, Orson Wells, Will Eisner ou Bernet, donc des récits assez sombres même si j’y ai mis le côté humoristique. J’peux pas m’empêcher de faire le con mais avec un fond derrière qui fasse réfléchir.

Toi qui habites pas très loin de chez lui, peux-tu nous donner des nouvelles d’Elvis ? Est-il en forme, continue-t-il à composer la bouche pleine… ?
Eh bien, il se trouve que j’ai découpé un article dans la Dernière Heure, qui est un journal belge, c’était un article sur les Gracelanders qui font des reprises d’Elvis, sans Elvis, comme par hasard, à Charleroi. Donc, je suis sûr et certain que j’ai raison dans ce que j’ai écrit. Je peux semer le doute dans les esprits… Et je salue Charleroi en passant. Merci, je vous fais des bisous !

Bonus Track : Søren MOSDAL

A propos de Rockworld : 3 questions à Søren MOSDAL

Quelle est la part autobiographique dans les situations et les personnages de Rockworld ?
Les deux personnages principaux sont inspirés de trois personnes différentes. Charley, le type avec les lunettes c’est en fait Jacob Ørsted, le scénariste mais ce n’est pas seulement lui, c’est aussi deux autres types qu’on a incorporés, deux amis, mais je ne suis pas sûr qu’on leur ait encore dit, je ne crois pas qu’il le savent… Mickey, c’est un peu moi y compris pour l’addiction à la bière, j’en ai bien peur (rires) et aussi deux autres amis.Mosdal
Les histoires sont inspirées de toutes sortes de trucs, au départ on essaie toujours de partir sur quelque chose de réel mais après on fait ce qu’on veut.

La Scandinavie est surtout connue pour sa scène Métal. Est-ce le cas au Danemark et quelle est la place de l’Indie Rock dans ton pays ?
Le Métal et le Black Métal, c’est surtout en Norvège. C’est dommage qu’on n’ait pas de groupes de Black Métal vraiment bons au Danemark. Par contre, il y a des groupes d’Indie Rock qui ont vraiment explosé sur la scène internationale, c’est un truc assez nouveau depuis deux ou trois ans, maintenant tout le monde en parle, comme Iceage, ce sont encore des teenagers, et autour d’eux il y a d’autres groupes… C’est vraiment excitant aujourd’hui alors qu’il y a dix ans, il n’y avait pas grand chose.

Tu as un dessin original et très personnel. Quels sont les auteurs qui ont pu t’influencer dans ton travail ?
Merci ! Il y en a beaucoup mais je pense qu’au début quand j’ai commencé à vouloir faire des bandes dessinées, j’ai vraiment regardé Muñoz qui est l’un de mes grands modèles et puis après il y a eu le peintre Egon Schiele. Mais j’ai trop essayé de faire comme eux et ça reste toujours un problème de ne pas les imiter. Mais je crois que je commence à avoir mon propre style. En ce moment, je suis un grand amateur des Pulp italiens, les Fumetti, ces trucs qu’on achète dans les gares avant de prendre le train. Je ne peux pas dire que ça m’inspire mais c’est ce que j’aime lire. J’ai découvert Magnus, qui est mort aujourd’hui, avec Necron qui est pour moi un chef-d’oeuvre.

Serge Clerc – Intégrale Rock

Dessins et textes : Serge CLERC

En France, et même ailleurs dans le monde, rares sont les auteurs de bande dessinée dont l’œuvre fait immanquablement et quasi exclusivement penser au Rock, tant ce dernier a inspiré à ce point leur travail qu’il en est devenu la marque de fabrique. A la réflexion, il n’y en a pas plus que les doigts d’une main, comme aurait dit un célèbre héros de BD Homo Sapiens Sapiens blondinet dont le look n’aurait pas déparé comme front man d’un combo de Hair Metal des années 1980. Et encore, ce serait une main de yakuza qui aurait fait de sérieuses et récurrentes entorses à son code de l’honneur.
En fait, je n’en vois que deux. Mister Frank Margerin, dont on ne présente plus le Lucien et sa banane gominée la plus célèbre du Neuvième Art. Et puis il y a Serge Clerc. Ah là, tout de suite, y’en a qui font plus les malins, surtout chez les moins de trente ans. Il faut dire que le Sieur n’a pas connu le même succès populaire que son illustre pair. Cramps - ClercEt pourtant, hormis le fait que son talent l’eut sans doute mérité, Serge Clerc est l’un de ces piliers (oui, de comptoir aussi, lors de sa prime jeunesse, comme il l’avoue lui-même) qui ont fait rentrer la BD dans le monde du Rock, et réciproquement, à la glorieuse époque du magazine Métal Hurlant. Avec le déjà nommé Margerin et en compagnie, entre autres, des deux tandems Tramber/Jano, géniteurs de Kebra et Dodo/Ben Radis, heureux parents des Closh, Serge Clerc a mis du Rock dans les bulles, contribuant à faire de la BD un média aussi pour les adultes, mêmes attardés. Sauf qu’il a été le premier et qu’il n’est pas impossible qu’il soit le dernier.
Il suffit pour s’en convaincre de parcourir, en picorant ou bien en se goinfrant, les pages de cette Intégrale Rock. Juste un petite précision liminaire, le terme Intégrale est un poil fallacieux car tout ce que Serge Clerc a publié sur le thème n’est pas présent ici. Manquent notamment les récits composant l’album La Légende du Rock’n Roll. Mais la recherche de l’exhaustivité aurait fait basculer l’exercice de la Culture vers le Culturisme, vu les dimensions et le poids de cette donc presqu’Intégrale. On y trouve l’essentiel de la production de Clerc parue dans la presse musicale, notamment Rock & Folk et le New Musical Express, ainsi que dans Métal Hurlant, jusqu’à des publications récentes, comme cette évocation des Stranglers, extraite de Rock Strips. S’y ajoute le very meilleur de ses créations pour d’obscurs groupes ou musiciens, tels que Joe Jackson ou les Fleshtones (eh ouais, quand même). Le tout parsemé de dessins inédits.
Un parcours riche et foisonnant, à jamais marqué par l’empreinte du Rock et dont la genèse bien rock’n roll est retracée dans une longue préface convoquant les souvenirs de protagonistes qui ont mis le pied à l’étrier du « dessinateur espion », comme Philippe Manœuvre ou Jean-Pierre Dionnet. Jugez plutôt : Le jeune Serge envoie ses premiers dessins à l’Echo des Savanes à l’âge de 17 ans. Son talent précoce au service d’une passion immodérée pour la chose binaire lui vaut une publication immédiate. L’essai se répète plusieurs fois, notamment dans Métal Hurlant et Rock & Folk jusqu’à ce que l’éphèbe largue lycée (avant le Bac), parents et province natale pour se lancer dans le bouillonnement de la vie parisienne, dans un studio à la taille inversement proportionnelle à sa verve créatrice. C’est la période de l’explosion Punk puis New Wave, mouvements que pour une fois les Frenchies n’auront pas mis une décennie à importer et dont Serge Clerc sera le témoin privilégié, sur ses planches et aussi devant celles des salles branchées de Paris. On peut même affirmer qu’il en sera le graphiste officiel, tant la qualité et la justesse de ses dessins furent saluées par les journalistes, le public et même par les zicos qu’il a immortalisés. Stranglers - Clerc
De 1976 à 1982, en tant que pensionnaire VIP de Rock & Folk de Métal Hurlant bien sûr, mais aussi du New Musical Express, de l’autre côté de la Manche (à une époque où mettre « Rock » et « Français » dans la même phrase était un non-sens pour les Anglo-saxons), Serge Clerc croquera intensément dans les magazines toute la fine fleur de ce nouveau Rock : Groupes et fans dont il mettra en scène les mythes, les tendances et les codes, vestimentaires entre autres. Il sortira également quelques albums qui sont devenus des références de la BD Rock. Son style, au départ marqué par l’empreinte de Moebius, évoluera radicalement au contact d’Yves Chaland qui le mènera définitivement vers la ligne… claire (non, finalement celui-là, je vous le laisse).

Alors voilà, il ne reste plus qu’à vous installer confortablement dans votre canapé, sans oublier de retrousser vos manches (enfin un livre qui muscle autant les bras que le cerveau, surtout si on n’assume pas sa presbytie), mettre sur la platine le premier album des Clash, des Stranglers, des Cramps, de Blondie, des Sex Pistols, des Ramones… il sont tous là, puis mettre en route cette machine à remonter le temps en images, quand le Rock était encore révolutionnaire, rebelle, transgressif et qu’en écouter était un acte aussi militant qu’épicurien. Qui m’a traité de vieux con ? Y’a des coups de Docs size 10 dans le fondement qui se perdent !

L’interview de Serge Clerc, c’est ici

Rockworld

Dessins : Søren MOSDAL – Textes : Jacob ØRSTED

C’est cool d’écouter du Rock. Ça permet de rester branché, éternellement jeune et tout en rigolant à la lecture dans Télérama (j’assume mon côté obscure) d’une énième interview hagiographique du pseudo patron belge du Rock francophone détaxé, d’avoir la confirmation que l’on appartient définitivement à une élite. Et quand en plus, on a la modeste prétention de tenir un blog sur le sujet, on se lance avec conviction et empathie dans la lecture des péripéties de ces trois cousins danois dont le héros central s’escrime lui aussi sur la toile pour promouvoir le binaire primaire. Au bout de quelques pages, on commence à se raviser sur la pureté et la noblesse de nos intentions. Non, sérieusement, est-ce que par hasard je ressemblerais pas un petit peu à ces trois foireux ?
Rockworld 2Faut dire que ces Pieds-Nickelés scandinazes (allez, celle-là, elle est pour moi, non, vraiment, ça me fait plaisir) forment une belle brochette de fans attardés, entre Charley, l’intello blogueur binoclard à la libido torturée, Mickey, le nabot alcoolique et parasite et Bob, rocker à bananes, adipeux et bas du front.
Charley, quadra célibataire, traîne dans les clubs Rock underground de Copenhague, à la recherche de la perle rare, musicalement et affectivement mais dans les deux domaines, ses démarches s’avèrent assez laborieuses. Sa dégaine de dandy intello le distingue pourtant du lot mais sa timidité et sa naïveté s’avèrent à peine moins handicapantes que la présence encombrante et fortement alcoolisée de ses deux comparses, notamment Mickey, toujours en quête d’un bon plan foireux.
Cette plongée potache dans le milieu de l’Indie Rock danois est prétexte à des situations drolatiques et parfois surréalistes, mettant en scène des personnages déjantés, une faune comme seul le Rock peut en produire. On n’est pas très loin de l’esprit d’un Peter Bagge, dans En route vers Seattle. Le trait acéré de Mosdal brosse des trognes bien freaks, (telle la tronche de mante religieuse de Charley, très réussie) qui servent parfaitement le récit et l’ambiance particulière de ce milieu Rock branché, ici caricaturé avec pas mal de dérision, grâce aux frasques de Mickey et Bob, lourdingues et ingérables.
Rockworld compile des récits parus dans le fanzine Turkey Comix et qui méritaient bien d’être édités dans ce livre à l’aspect sobre et raffiné, comme l’humour qu’il recèle.
Même si cet opus venu du froid sera sans doute plus goûté par un public averti, familier des subtilités du Rock underground, avec ses codes et ses clichés (auxquels il est fait abondamment référence), il pourra tout de même être apprécié en tant que tel pour ce qu’il est avant tout, une BD d’humour offrant une note rafraîchissante et un ton décalé. (Mine de rien, je commence à maîtriser le dialecte Télérama !)

Bonus Track : 3 questions à Søren Mosdal

Love in Vain

Dessins : Mezzo – Textes : Jean-Michel Dupont

Nous les guitaristes amateurs, on en a tous rêvé. Se réveiller un matin, nous gratter les couilles (c’est une chronique masculine mais les dames peuvent transposer) en envoyant un pet guttural comme le cri d’un troll affamé puis empoigner notre manche… de guitare. Et constater qu’à la place de ces sons stridents et dissonants qui la veille encore suscitaient chez notre entourage, au mieux des regards compatissants, au pire des insultes homicides, nos doigts produisent désormais une musique parfaite, fluide et mélodique. Nos phalanges se baladent adroitement sur le manche, comme animées d’une vie propre, plaquant des accords précis et puissants puis déroulant à une vitesse supersonique des soli incandescents. La nuit a fait de nous des guitare héros, prêts à faire se pâmer d’extase des foules extatiques. Pour cela nous serions disposés à tous les compromis, tous les sacrifices. Nous irions même jusqu’à vendre notre âme au diable.
Love in Vain 1 Ce pacte ultime, Robert Johnson ne l’a pas réellement signé mais il l’a fait croire jusqu’à cette mort dans des conditions intrigantes. Une nuit à dormir à la belle étoile au carrefour de deux routes, un « Crossroads » au fin fond du Mississippi. Et le Diable vient alors proposer son deal maléfique. Sans cette fable, Johnson n’aurait juste été qu’un bon musicien de plus, ayant travaillé dur son instrument pour en arriver là. Respectable mais beaucoup trop banal, pour se distinguer de la concurrence. C’est ainsi qu’est née la première légende de ce qui allait devenir plus tard le Rock’n Roll. Robert Johnson en a été la première star, au début des années 1930, parmi ces pionniers qui, à l’instar de Howlin’ Wolf, Muddy Waters ou John Lee Hooker engendreront une lignée de guitaristes, Clapton, Hendrix, Richards, pour lesquels il sera l’une des références incontournables. Sa vie sera courte, il mourra à l’âge de vingt-sept ans (du moins si l’on tient pour acquis sa date de naissance), devenant le premier membre d’un club tristement célèbre où le rejoindront plus tard Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin ou Kurt Cobain.
Pour retracer une vie aussi dense que brève et mettre en images l’un des mythes les plus sombres du Rock, il fallait bien le talent d’un maître du noir et blanc. Mezzo et Dupont ont rempli cette périlleuse mission en ressuscitant un Robert Johnson parfaitement crédible. La tâche n’était pas aisée car il n’existe en tout et pour tout que trois photographies du jeune damné. Suffisant pour concevoir une charte graphique dont ressortent deux traits marquants, un sourire et un regard tout aussi diaboliques que fascinants qui en leur temps ont sans doute apporté du crédit à la fable de ce pacte faustien dont Johnson a su tiré profit pour peaufiner son image de marque.
Love in Vain (titre de l’un des standards de Johnson qui sera plus tard magnifié et popularisé par les Rolling Stones) est un biopic musical parmi les plus réussis de la BD. On pourrait juste regretter une narration un poil linéaire et parfois un peu didactique, certes révélatrice d’un gros travail de recherche et de documentation. La présence à la fin du livre d’un recueil des textes des morceaux les plus célèbres de Johnson est d’ailleurs à saluer.
Reste que les dessins superbes de Mezzo composent une fresque puissamment évocatrice de ce
tte période farouche de l’histoire du Blues et au delà de l’histoire des États-Unis lors de la grande dépression. A travers les étapes de la vie de ce jeune prodige, rêvant de sortir de sa misérable condition grâce à la musique, on comprend mieux l’impact de cette dernière sur la vie des gens à l’époque et à quel point le qualificatif de populaire, au sens noble du termeLove in Vain 2, sied à merveille au Blues comme ce sera plus tard le cas du Rock (on serait moins affirmatif aujourd’hui). Le Blues apportait un peu de noir flamboyant au milieu de la grisaille de ces existences mornes et sans perspective. C’était une musique sulfureuse, bourrée d’allusions sexuelles, qui se jouait la nuit dans des bouges crasseux. Ses héros sont pour la plupart morts dans l’oubli, sinon la misère, parfois dans des conditions tragiques, comme Robert Johnson. Peut-être que ces suppôts de Satan aux chansons inspirées par le démon, comme le proclamaient des pasteurs vindicatifs, garants de cette morale chrétienne ciment de l’Amérique profonde, n’ont eu que ce qu’ils méritent. A savoir une petite part de gloire et d’éternité qui se prolonge encore aujourd’hui grâce à leurs héritiers, qu’ils jouent dans des stades ou dans des clubs miteux. L’essentiel est de prolonger le pacte et de garder le mystère intact.